Normes et légistique en droit public luxembourgeois - Marc Besch - E-Book

Normes et légistique en droit public luxembourgeois E-Book

Marc Besch

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Beschreibung

Référence unique au Luxembourg en matière de légistique formelle, cet ouvrage présente de façon détaillée les différents aspects de la confection des textes législatifs et réglementaires luxembourgeois. Son contenu dépasse toutefois le strict cadre des règles de légistique pour aborder nombre de sujets de droit constitutionnel, de droit administratif, de droit pénal, de droit international public et de droit de l’Union européenne.

L’ouvrage comporte trois volets.
Le premier donne un aperçu global des différents types d’actes normatifs de droit public applicables au Luxembourg, à savoir la Constitution, les lois et règlements nationaux, les traités internationaux ainsi que les règlements, directives et décisions de l’Union européenne.
Le deuxième décrit les principaux organes de la procédure législative et réglementaire luxembourgeoise ainsi que son déroulement.
Le troisième est consacré aux techniques de rédaction des lois et des règlements à la lumière des avis du Conseil d’État et de la jurisprudence tant nationale qu’internationale.

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© ELS Belgium s.a.Département Promoculture-Larcier, 20197, rue des 3 CantonsL-8399 Windhof (via sa filiale DBIT s.a.)

Couverture : Geluck-Suykens & Partners

EAN : 978-2-87998-334-9

Cette version numérique de l’ouvrage a été réalisée par Nord Compo pour ELS Belgium. Nous vous remercions de respecter la propriété littéraire et artistique. Le « photoco-pillage » menace l’avenir du livre.

La collection Vademecum accueille des manuels de haute qualité scientifique qui orientent utilement les praticiens du droit luxembourgeois dans le cadre de leurs activités.

Rédigés dans un langage clair et munis de différents niveaux de lecture, les ouvrages répondent aussi bien aux attentes précises des professionnels qu’aux particuliers demandeurs d’une information de première ligne.

Parus dans la même collection :

G. Vogel, Le droit de la presse, 2012

Y. Zeippen-J. Verchaffel, VAT Package 2010-2015, 2012

J.-L. Putz, Das luxemburgische arbeitsrecht, 2013

N. Schaeffer, Le droit de la grappe au Luxembourg, 2013

Lëtzebuerger Juristendag, Quo Vadis droit luxembourgeois, 2013

F. Hubé, Comprendre le livre foncier d’Alsace-Moselle et le pratiquer, 2014

T. Pouliquen, La lutte contre le blanchiment d’argent, 2014

M. Feyereisen, Guide pratique du droit du travail, 2016

R. Bisenius, L’assurance du particulier, Tome I : Assurances et dommages, 2017

R. Bisenius, L’assurance du particulier, Tome 2 : Assurances de personnes, 2017

K. Vilret, Droit de l’assurance-vie luxembourgeoise, 2017

O. Buscheman, M. Bologne et G. Marchal, La déclaration fiscale des sociétés commerciales au Luxembourg, 2018

J.-L. Putz, Comprendre et appliquer le droit du travail, 2018

J. Verschaffel-Y. Zeippen, Pratique de la TVA au Luxembourg, 2018

M. Besch, Normes et légistiques en droit public luxembourgeois, 2019

O. Laidebeur, P. Kihn, B. David et Th, Bovier, La propriété intellectuelle au Luxembourg, 2019

A. Cuny de la Verryère-V. De Meester, Sûretés et garanties au Grand-Duché de Luxembourg, 2019

S. Leick-J. Hames, La déclaration d’impôts, 2019

O. Laidebeur, Intellectual Property in Luxembourg, 2019

Préface

Legis virtus haec est : imperare, vetare, permittere, punire. C’est cette phrase du Digeste de Justinien, reprise par Portalis sous la formule « la loi permet, ordonne ou interdit », qui décrit le contenu de la loi et, au-delà, sa fonction dans la cité. L’application de la loi et son interprétation constituent les domaines de prédilection de la doctrine qui a développé des méthodologies diverses. Par contre, l’élaboration de la règle juridique, sur l’arrière-plan du système institutionnel de l’État, retient moins souvent l’attention des auteurs, si ce n’est dans le cadre de la théorie générale du droit ou de la philosophie du droit.

L’auteur analyse « la loi » dans une optique systématique et technique du droit public luxembourgeois. Il articule son étude autour de trois thèmes centraux que sont les actes normatifs, la procédure d’élaboration de la loi et du règlement et la légistique formelle.

Tant dans le titre que dans la première partie, l’auteur retient la notion de norme pour définir l’objet de l’analyse. Cette notion, élaborée par la théorie juridique allemande et qui n’est entrée que récemment dans le système juridique de tradition française, permet d’inclure, à côté des lois nationales, le droit international et européen, d’essence supérieure à la loi, de même que les règles d’exécution des lois ou des traités, d’essence inférieure. La typologie des actes normatifs est appréhendée sur l’arrière-fond du système institutionnel étatique et de la répartition des fonctions assumées par les organes étatiques dans leur adoption et dans leur application.

La deuxième partie, relative à la procédure d’élaboration de la norme, reprend, sous un aspect plus procédural, le thème de l’auteur des actes normatifs, en mettant l’accent sur le déroulement et l’articulation des différentes étapes de la procédure de leur adoption.

La troisième partie porte sur ce qu’on appelle communément « l’art de faire la loi » et comprend, pour l’essentiel, les aspects légistiques que l’auteur a déjà traités dans des études antérieures. Cette partie met en exergue les règles de technique rédactionnelle de la norme. L’application correcte de ces règles ne revêt pas seulement un intérêt pour le praticien participant à l’élaboration de la loi ou du règlement, mais constitue encore une garantie de clarté, d’intelligibilité et de lisibilité du texte, condition indispensable de son efficacité et de son respect. La légistique formelle participe, dans cette perspective, à l’objectif de sécurité juridique.

L’auteur, Secrétaire général du Conseil d’État depuis 1998, et qualifié par certains conseillers d’État de mémoire vivante de l’institution, appuie sa présentation sur les avis rendus par le Conseil d’État, les travaux parlementaires et la jurisprudence, qu’elle soit nationale ou internationale. À cet égard, l’étude constitue non seulement un travail personnel de haute qualité, mais peut légitimement être considérée comme présentation du rôle du Conseil d’État dans la sauvegarde de la légalité, au sens large du terme, de la cohérence et de la qualité technique des actes normatifs qui sont soumis à son avis. Le lecteur découvre ainsi l’existence d’une véritable « jurisprudence » du Conseil d’État qui évolue et se consolide au fil de ses avis, sur des sujets aussi importants que la répartition des rôles entre la loi et le règlement, la hiérarchie des normes, englobant tant la constitutionnalité de la loi que la primauté du droit international, ou encore les principes généraux de droit. Cette « jurisprudence » du Conseil d’État, qui est investi d’une mission de contrôle de légalité « a priori » de l’acte à vocation normative, entre en dialogue, non seulement avec les prises de position des organes de l’État chargés par la Constitution de l’élaboration et de l’édiction de l’acte normatif, mais également avec les décisions du juge, ordinaire et constitutionnel, exerçant sur l’acte normatif un contrôle de légalité « a posteriori ».

L’étude revêt une démarche à la fois académique et didactique. Elle vient s’intégrer utilement dans les commentaires sur le droit public luxembourgeois et présente un intérêt non seulement pour le juriste ou l’homme politique, mais pour tout citoyen acteur et sujet de l’ordre juridique.

Elle a vocation à être complétée et enrichie au fil de l’évolution du droit luxembourgeois, y compris les avis à venir du Conseil d’État.

Georges WivenesPrésident du Conseil d’État

Avant-propos

Ce livre est le fruit d’un cours sur la technique législative dispensé depuis plus d’une vingtaine d’années à l’Institut national d’administration publique du Luxembourg. Il constitue la version retravaillée et enrichie du « Traité de légistique formelle » publié en 2005. Si ce dernier était conçu comme un guide de légistique, le présent ouvrage dépasse ce cadre pour embrasser de nombreux autres aspects inhérents à la confection des normes de droit public. Y ont ainsi été regroupés des sujets qui se retrouvent souvent éparpillés et traités de manière partielle ou sommaire dans des ouvrages de doctrine, parfois déjà anciens, et dans les avis du Conseil d’État. Il m’a paru utile de dresser l’inventaire complet et détaillé des différents types d’actes normatifs de droit public applicables au Luxembourg et de présenter de manière exhaustive la genèse des lois et des règlements. Le livre vise en effet à fournir une source d’information complète aux auteurs de textes normatifs et aux agents impliqués dans l’élaboration de textes législatifs et réglementaires. À travers les développements juridiques qu’il comporte, il s’adresse également aux praticiens du droit.

L’objectif de la première partie du livre consiste à faire connaître au lecteur les actes normatifs de droit public en les plaçant dans leur contexte constitutionnel et international et en esquissant le contrôle juridictionnel de ces actes. L’accent est mis sur des questions telles que la répartition du pouvoir normatif entre le législateur et les autorités réglementaires, l’application des traités internationaux en droit national et la transposition des directives européennes. Les différents sujets présentés s’appuient sur les avis du Conseil d’État, sur les décisions de juridictions nationales et, pour ce qui est du droit de l’Union européenne, sur la jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne.

La procédure législative et réglementaire constitue un autre volet important de l’ouvrage. Étant donné que les quelques rares écrits à ce sujet ne sont plus à jour, il s’est avéré indispensable d’y consacrer la deuxième partie de ce livre, en retraçant minutieusement les étapes de la confection des lois et des règlements. Outre le déroulement de la procédure, cette partie contient la présentation des principaux acteurs – Grand-Duc, Gouvernement, Chambre des députés, Conseil d’État et chambres professionnelles –, ceci afin de faire ressortir leur rôle respectif dans la genèse des lois et règlements. Y figurent également des aspects d’ordre juridique, comme par exemple les cas dans lesquels le non-respect des règles prescrites pour la confection des actes normatifs peut entraîner leur inapplicabilité, voire, le cas échéant, leur annulation en cas de litige devant les juridictions nationales.

La troisième partie de l’ouvrage, qui formait le contenu principal du Traité de légistique formelle, a trait à la structure et à la rédaction des lois et des règlements. Cette partie comporte les règles de bonne pratique légistique appliquées au Luxembourg. Hormis quelques rares circulaires, il n’existe pas de lignes directrices en la matière de la part des instances officielles nationales. La façon de présenter et de rédiger les textes normatifs est dès lors le reflet des us et coutumes, largement inspirés des principes régissant l’activité normative dans nos pays voisins francophones. Nombre de recommandations et de formules de bonne technique législative sont de ce fait empruntées des circulaires du Conseil d’État du Royaume de Belgique, portant les titres de « Légistique formelle – Recommandations et formules » et de « Principes de technique législative – Guide de rédaction des textes législatifs et réglementaires », tout comme du « Guide pour l’élaboration des textes législatifs et réglementaires » élaboré par le Premier ministre, Secrétariat général du Gouvernement, et le Conseil d’État de la République française.

Certaines règles en matière de rédaction des textes normatifs de droit public ont pour but et pour effet d’améliorer la lisibilité et l’accessibilité de ces textes. D’autres, en revanche, touchent à la validité même des actes ou de leurs dispositions. Une place importante a dès lors été également consacrée dans la troisième partie à des sujets aussi complexes que les sanctions administratives, les visites domiciliaires, les droits d’accès à la justice ou les droits du citoyen dans le cadre d’enquêtes pénales. S’y ajoutent les grands principes du droit, comme le principe de la sécurité juridique et le principe de la légalité des peines, qui président à l’écriture des normes de droit public.

Si par le passé les avis du Conseil d’État et les décisions du juge ordinaire, notamment du juge administratif, étaient les seules sources guidant les auteurs de normes de droit public, la jurisprudence de la Cour constitutionnelle et celle de la Cour européenne des droits de l’homme occupent aujourd’hui une place importante dans la conception des lois et des règlements. Aussi les développements de cette troisième partie sont-ils fondés, dans une large mesure, sur les décisions de ces deux juridictions.

Il résulte de cette présentation que ce livre a été conçu dans le but de contribuer à l’amélioration de la qualité de la législation et de la réglementation et de fournir les réponses aux questions que se posent fréquemment les praticiens du droit et les citoyens intéressés par le droit public.

Luxembourg, le 27 novembre 2018

Marc Besch

Remerciements

L’auteur tient à exprimer sa profonde gratitude à Monsieur Luc Heuschling, professeur de droit constitutionnel, pour la relecture du présent ouvrage et ses précieuses remarques et suggestions formulées à cette occasion, qui ont contribué à améliorer la qualité de ce livre.

Les plus vifs remerciements pour son soutien et ses conseils pertinents vont à Monsieur Emmanuel Servais, ancien agent du Service central de législation et du Secrétariat du Conseil d’État, qui est un pionnier de la légistique formelle au Luxembourg.

Que trouvent encore ici la marque de gratitude de l’auteur Messieurs Michel Millim et Ben Segalla, agents du Secrétariat du Conseil d’État, pour leurs observations fort judicieuses formulées à l’occasion de la lecture du manuscrit.

Sont finalement associés à ces remerciements tous les autres collaborateurs du Secrétariat du Conseil d’État, les étudiants du cours sur la technique législative que l’auteur enseigne depuis de nombreuses années à l’Institut national d’administration publique, et Monsieur Gilles Hauben, responsable de programme « Droit » au prédit institut, qui, grâce à leur intérêt pour la matière, ont initié l’approfondissement de nombre de sujets traités dans cet ouvrage.

Liste des principales abréviations

aff.

affaire

al.

alinéa

Art.

article

c.

contre

Cass.

Cour de cassation

CE

Conseil d’État

CEDH

Cour européenne des droits de l’homme

CIJ

Cour internationale de justice

CJUE

Cour de justice de l’Union européenne

C. adm.

Cour administrative

Cour const.

Cour constitutionnelle

Cour sup. de justice

Cour supérieure de justice

Doc. parl.

document parlementaire

e.a.

entre autres

éd.

édition

fasc.

fascicule

Ibid.

Ibidem

JTL

Journal des tribunaux Luxembourg

Mém.

Mémorial

no

numéro

p., pp.

page, pages

Pas. lux.

Pasicrisie luxembourgeoise

p. ex.

par exemple

s.

suivants

T.A. Lux.

Tribunal d’arrondissement de Luxembourg

Trib.

Tribunal

Trib. adm.

Tribunal administratif

TFPUE

Tribunal de la fonction publique de l’Union européenne

TUE

Tribunal de l’Union européenne

Voy.

Voyez

PREMIÈRE PARTIE

ACTES NORMATIFS NATIONAUX ET INTERNATIONAUX

CHAPITRE 1. GÉNÉRALITÉS

CHAPITRE 2. LOIS

CHAPITRE 3. ACTESRÉGLEMENTAIRES

CHAPITRE 4. TRAITÉSINTERNATIONAUX

CHAPITRE 5. NORMESJURIDIQUESDEL’UNIONEUROPÉENNE

CHAPITRE 1

Généralités

SECTION 1. HIÉRARCHIEDESNORMES

SECTION 2. CONFLITSDESNORMESJURIDIQUESDANSLETEMPS

SECTION 3. LOIFORMELLEETLOIMATÉRIELLE

Section 1

HIÉRARCHIE DES NORMES

1Les différents actes normatifs de droit public s’articulent en un ordre hiérarchique. Au sommet de cet ordre figure en droit interne la Constitution, qui représente la clef de voûte de l’ordonnancement juridique en fixant les compétences et attributions des institutions de l’État1. À partir de la loi fondamentale, la hiérarchie des textes nationaux s’établit par ordre d’autorité décroissant de la manière suivante :

les lois ;

les règlements grand-ducaux et, à niveau égal, dans leur domaine de compétence respectif, les règlements des établissements publics et les règlements des organes professionnels2 ;

les règlements du Gouvernement en conseil et les règlements ministériels ;

les règlements communaux3.

Les principes généraux du droit, dégagés par le juge national et international, font également partie de la hiérarchie des normes. L’existence d’un principe général du droit peut être induite par le juge des applications particulières qu’en fait un texte normatif dans des cas déterminés. Dès lors que le principe est reconnu par le juge, celui-ci en déduit des applications en dehors des situations déterminées par les textes normatifs4. D’après la Cour de cassation, la violation d’un principe général du droit ne donne ouverture à cassation que s’il trouve son expression dans un texte de loi ou s’il est consacré par une juridiction supranationale5. Dans la hiérarchie des normes, un principe général du droit se situe au même niveau que la norme écrite – constitutionnelle, légale, réglementaire ou internationale –, dont le juge tire sa source6.

Les arrêtés et autres décisions ou mesures à caractère individuel sont soumis au respect des actes à caractère général et aux principes généraux du droit.

2En ce qui concerne le droit international, il est de jurisprudence constante que celui-ci s’incorpore directement dans le droit interne et prime le droit national7.

Dans une approche moniste, les juridictions luxembourgeoises considèrent que les traités internationaux, dûment approuvés et ratifiés, font partie intégrante de l’ordre juridique interne, y produisant leurs effets comme tels8. Le juge constitutionnel interprète d’ailleurs les dispositions de la Constitution à l’aune des dispositions claires et précises des traités internationaux, si elles se recouvrent avec celles des traités9.

Quant à la place occupée par le droit international dans la hiérarchie des normes, les cours et tribunaux nationaux jugent que les traités, peu importe leur qualification, possèdent une essence supérieure du fait qu’ils ont une origine plus haute que la volonté d’un organe interne10. Une fois un traité ratifié conformément aux procédures constitutionnelles et aux règles de droit international, l’État est en effet engagé sur le plan international et ne peut, d’après l’article 27 de la Convention de Vienne sur le droit des traités, signée le 23 mai 1969 et approuvée par la loi du 4 avril 2003, invoquer les dispositions de son droit interne pour justifier la non-exécution d’un traité11. Il s’ensuit, d’après la Cour supérieure de justice, qu’en cas de conflit, la norme de droit international conventionnel doit prévaloir sur la norme de droit interne, indépendamment de sa nature12. La Cour administrative considère d’ailleurs à ce titre qu’il est de principe que les arrêts de la Cour constitutionnelle s’entendent comme étant en phase avec les dispositions de la Convention européenne des droits de l’homme chaque fois que celles-ci se recouvrent en substance, quant à leur contenu, avec des dispositions de la Constitution13. Les juridictions écartent par conséquent l’application des actes normatifs nationaux qui sont contraires aux engagements internationaux du Luxembourg, tels qu’interprétés, le cas échéant, par les juridictions internationales14.

La primauté du droit international sur le droit national ne se limite pas aux seuls traités en forme solennelle. Elle vaut également pour les traités en forme simplifiée et les actes, tels que les règlements et les directives de l’Union européenne, qui émanent d’institutions de droit international auxquelles le Luxembourg a dévolu des pouvoirs souverains.15

En retenant la supériorité des normes de droit international sur la Constitution, les juridictions nationales adoptent une position qui est en concordance avec celle des juridictions internationales16. Ainsi la Cour européenne des droits de l’homme considère que si les autorités nationales ont en principe la faculté de choisir les mesures qu’elles jugent nécessaires au respect de la prééminence du droit ou pour donner effet à des droits constitutionnels, elles doivent en user d’une manière conciliable avec leurs obligations au titre de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, communément appelée « Convention européenne des droits de l’homme »17. Pour la Cour de justice de l’Union européenne, l’invocation d’atteintes portées, soit aux droits fondamentaux tels qu’ils sont formulés par la Constitution d’un État membre, soit aux principes d’une structure constitutionnelle nationale, ne saurait affecter la validité d’un acte de l’Union européenne ou son effet sur le territoire de cet État18.

3Chaque norme juridique doit être conforme à l’ensemble des règles en vigueur ayant une force supérieure dans la hiérarchie des normes, ou du moins être compatible avec ces normes. Ainsi les nouvelles dispositions édictées doivent se trouver en stricte harmonie avec la hiérarchie des textes déjà en vigueur ou susceptibles de l’être à la date à laquelle elles prendront effet.19

Les actes revêtent en principe un caractère de permanence et demeurent en vigueur tant qu’ils ne sont devenus inconciliables avec les règles fixées par une norme supérieure20. Si les actes doivent satisfaire aux règles de procédure en vigueur au moment où ils sont pris, leur concordance sur le fond avec les normes hiérarchiquement supérieures est requise tant qu’ils sortent leurs effets21.

La hiérarchie des normes se caractérise encore par la teneur et la rigidité des actes. Plus un acte se situe à un degré élevé dans la hiérarchie des normes, plus le libellé de son dispositif est, en principe, censé être général et abstrait et sa procédure d’élaboration longue et complexe, requérant l’intervention d’un nombre plus important d’organes et des procédures de prise de décision plus élaborées.

4Il revient aux cours et tribunaux de sanctionner le non-respect de la hiérarchie des normes. Ainsi, la Cour constitutionnelle est appelée à examiner la conformité des dispositions législatives avec la Constitution, tandis que les juridictions ordinaires statuent sur la conformité des dispositions réglementaires à la Constitution et aux lois, ainsi que sur celle des normes nationales, y compris la Constitution, avec les règles internationales applicables au Luxembourg. Les dispositions qui ne sont pas ou plus conformes avec les normes supérieures ne sont pas appliquées par le juge, voire annulées si le juge s’est vu attribuer ce pouvoir. La déclaration de non-conformité d’une disposition par rapport à une norme supérieure entraîne la non-application, voire, le cas échéant, l’annulation, par le juge des normes prises sur base de la disposition viciée.22

5En exigeant que les normes soient conformes à celles ayant une force supérieure et non pas à celles situées à un rang égal ou inférieur dans la hiérarchie, le principe de la hiérarchie des normes ne trouve pas à s’appliquer dans l’hypothèse où le législateur ou l’autorité réglementaire compétente ne respecte pas une règle de forme ou de procédure qu’il a lui-même établie en l’absence de toute obligation résultant d’une norme supérieure. Il en est ainsi lorsqu’à l’occasion de la confection d’une loi l’avis des chambres professionnelles principalement intéressées n’est pas demandé, contrairement à ce qui est requis par les lois organiques de ces organes, ou lorsqu’un projet de loi est adopté en violation des règles internes de votation des lois, arrêtées par la Chambre des députés dans son règlement.

Le non-respect par le législateur d’une formalité substantielle prévue par une loi ou par le Règlement de la Chambre des députés est toutefois susceptible de contrevenir au principe patere legem quam ipse fecisti. Ce principe, qui veut que toute autorité soit liée par la règle qu’elle a elle-même édictée, peut se déduire pour les députés de la formule de serment inscrite à l’article 57, paragraphe 2, de la Constitution, par laquelle chaque membre de la Chambre des députés jure obéissance non seulement à la Constitution, mais également aux lois de l’État. Le contrôle juridictionnel du respect de ce principe relève nécessairement de la compétence du juge ordinaire, étant donné que la Cour constitutionnelle a pour compétence d’examiner les lois par rapport à la Constitution, et ne saurait donc se voir saisie, en l’espèce, que d’une question ayant trait à la conformité de la loi par rapport aux prescriptions constitutionnelles concernant la confection des lois.

En ce qui concerne les règlements, le tribunal administratif applique le principe patere legem quam ipse fecisti aux autorités réglementaires qui ignorent leurs propres règles de procédure, tout comme il sanctionne le non-respect de ce principe lorsque l’auteur d’un règlement prend un acte individuel qui n’est pas conforme au règlement qu’il a lui-même adopté.23

Section 2

CONFLITS DES NORMES JURIDIQUES DANS LE TEMPS

6En règle générale, les actes normatifs cessent leurs effets, entièrement ou en partie, par l’effet d’un autre acte normatif postérieur de même niveau ou de niveau supérieur dans la hiérarchie des normes. En vertu du principe selon lequel la loi postérieure prime la loi antérieure, le juge n’applique que la volonté la plus récente du législateur ou de l’autorité réglementaire compétente24.

Cette volonté peut être soit explicite, lorsque l’auteur de l’acte énonce explicitement les actes ou les dispositions abrogés, soit implicite. Dans ce dernier cas, l’abrogation résulte d’une incompatibilité des dispositions de l’acte nouveau avec les dispositions antérieures.25

7En cas de conflit entre le contenu d’une règle générale et celui d’une règle spéciale, c’est-à-dire d’une règle qui concerne une hypothèse particulière ou une situation précise, le principe selon lequel la loi spéciale déroge à la loi générale impose que c’est la règle particulière qui prime, laissant à la règle générale la valeur d’une règle résiduelle26. Il s’en déduit que les actes qui établissent ou modifient des dispositions de droit commun ne remettent pas d’office en cause les règles spéciales alors même qu’elles sont antérieures à la nouvelle norme générale et qu’elles se situent au même niveau. À moins d’être abrogées formellement, les dispositions spéciales antérieures ne disparaissent que

lorsqu’elles sont absolument inconciliables avec les dispositions de la loi générale nouvelle ou lorsque cet effet est produit par l’intention de l’auteur de l’acte, résultant clairement de l’objet ou de l’esprit de la loi générale nouvelle, ou

lorsque la loi générale postérieure contient un règlement complet de la matière couverte par la loi spéciale.27

8Les engagements internationaux contractés par le Grand-Duché de Luxembourg priment toujours les normes nationales même postérieures ou d’ordre public28.

Section 3

LOI FORMELLE ET LOI MATÉRIELLE

9Le terme « loi » peut prendre deux acceptions :

dans un sens matériel, la loi constitue une règle de droit abstraite et impersonnelle ;

dans un sens formel, la loi est définie par l’organe qui l’élabore.

Ainsi, par exemple, la notion de « loi » à laquelle se réfèrent la Convention européenne des droits de l’homme et ses protocoles est entendue dans son acception « matérielle » et non « formelle ». D’après la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme, cette notion inclut l’ensemble constitué par le droit écrit, y compris les textes de rang infralégislatif, ainsi que la jurisprudence qui l’interprète29.

Dans le cadre de la Constitution luxembourgeoise, en revanche, la « loi » n’est pas définie par son contenu, mais par les organes qui concourent à sa confection et par les procédures qui sont imposées à ces fins.30

Il s’ensuit qu’en droit public luxembourgeois une loi ou un règlement est un acte qui émane du pouvoir constitutionnellement compétent pour le faire, indépendamment de son objet et de son contenu. Il en est ainsi même dans l’hypothèse où la Constitution permet au législateur d’arrêter des mesures individuelles à travers une loi31, ou confère au Grand-Duc le pouvoir de prendre des règlements dérogatoires à des lois32.

Cette approche formelle est également celle de la Cour constitutionnelle, qui considère que la séparation des pouvoirs, telle qu’organisée par la Constitution, implique qu’aucun des organes étatiques exerçant respectivement les pouvoirs législatif, exécutif et juridictionnel ne saurait exercer les pouvoirs dévolus par la Constitution aux autres organes. Aux yeux de la Cour, le législateur peut donc exercer sa compétence non seulement moyennant fixation de règles générales et impersonnelles, mais également par des mesures concrètes et individuelles.33

10Quant au contenu des lois et des règlements, la jurisprudence et la doctrine distinguent entre « lois normatives » et « lois de forme ».34

Les lois normatives ont une portée générale et impersonnelle. Elles ont pour objet la création de normes, autrement dit la fixation de règles de conduite, de droits et d’obligations.

Les lois de forme ne posent pas de règle juridique. Ce sont des textes appelés « loi » ou « règlement » qu’à cause du pouvoir dont ils émanent et de la procédure qu’ils parcourent, mais qui ne possèdent pas les caractères de commandement et de généralité des lois normatives35. Il s’agit avant tout d’actes de haute administration, auxquels la collectivité nationale entière est intéressée, ou de haute tutelle, faits en forme de loi ou de règlement. En règle générale, ils n’ouvrent qu’une faculté à ceux auxquels ils s’adressent ou se bornent à agréer, préalablement ou a posteriori, des actes d’autres organes publics36. Les lois de forme ne contiennent aucune disposition de nature à modifier l’ordonnancement juridique.37

Il en est ainsi, par exemple :

des lois autorisant le Gouvernement à faire procéder à la construction d’un immeuble important ou des lois portant approbation de traités internationaux38 ;

des lois destinées à proroger, en vertu de l’article 32, paragraphe 4, de la Constitution, l’état de crise au-delà de dix jours ;

des lois conférant la nationalité luxembourgeoise à des personnes qui rendent ou ont rendu des services signalés à l’État ;

des règlements qui déclarent d’obligation générale les conventions collectives de travail ou qui déclarent obligatoires les plans d’occupation du sol ;

de certains règlements pris sur base de l’article 32, paragraphe 4, de la Constitution, comme le règlement grand-ducal du 14 octobre 2011 autorisant le Gouvernement à octroyer une garantie financière dans le cadre de la restructuration ordonnée du groupe bancaire Dexia ;

des règlements grand-ducaux qui approuvent un règlement d’ordre intérieur, comme tel est le cas pour celui du Conseil d’État.

Afin de satisfaire au principe patere legem quam ipse fecisti, une loi de forme doit être prise dans le respect du cadre tracé par la loi normative. L’auteur d’une loi de forme est en effet tenu de se conformer aux règles qu’il s’est lui-même données à travers une loi normative39. Les lois de forme ne sauraient dès lors abroger implicitement une loi normative ou y déroger40.

Ne contenant pas de disposition normative, une loi de forme ne saurait donner ouverture à l’émission de règlements41.

En principe, la loi de forme ne fait pas non plus l’objet d’une abrogation42, ni d’une modification, étant donné qu’elle épuise ses effets par la réalisation de l’objet pour lequel elle a été conçue. Ainsi, par exemple, une loi par laquelle la Chambre des députés approuve un traité international, épuise ses effets par la ratification de ce traité par le Grand-Duc43.

1. P. PESCATORE, Introduction à la science du droit, éd. 1960, no 119 ; Explicitement affirmé par la Cour d’appel (civil), dans l’arrêt du 24 juin 1992, Pas. lux. 29, p. 8.

2. Cour const., arrêts du 19 mars 2013, nos 76/13 à 95/13 (Mém. A no 54 du 29 mars 2013, p. 681).

3. Voy. Art. 29 de la loi communale du 13 décembre 1988 ; Conseil d’État (Comité du contentieux), arrêt du 14 mars 1928, Langsam c. Ville de Luxembourg, Pas. lux. 11, p. 481.

4. Cass. (commercial), arrêt du 23 septembre 2010, no 54/10.

5. Cass. (bail à loyer), arrêt du 26 octobre 2017, no 74/17.

6. P. MARCHAL, Principes généraux du droit, 2014, éd. Larcier, no 12, p. 20.

7. P. KINSCH, « Le rôle du droit international dans l’ordre juridique luxembourgeois », Pas. lux. 34, pp. 410 et s. ; L. HEUSCHLING, « Les origines au XIXe siècle du rang supra-constitutionnel des traités en droit luxembourgeois : l’enjeu de la monarchie », in Liber amicorum Rusen Ergeç, éd. Pasicrisie luxembourgeoise, 2017, pp. 157 et s.

8. Cass., arrêt du 14 août 1877, Pas. lux. 1, p. 370 ; Cour d’assises, arrêt du 3 février 1879, Pas. lux. 1, p. 531 ; Cour d’appel, arrêt du 11 mars 2009, no 34284.

9. Cour const., arrêts du 16 juin 2017 (Mém. A no 589 du 21 juin 2017) et du 8 décembre 2017 (Mém. A no 1042 du 12 décembre 2017).

10. Conseil d’État (Comité du contentieux), arrêts du 22 février 1872, Chemin de fer de l’Est c. Directeur général des finances, (Journal des décisions du Conseil d’État, éd. 1874, no 97, p. 239) et du 28 juillet 1951, Dieudonné c. Administration des contributions, Pas. lux. 15, p. 263 ; Cass., arrêts des 8 juin 1950, Pas. lux. 15, p. 41 et 14 juillet 1954, Pas. lux. 16, p. 151.

11. Cour d’appel, arrêt du 13 novembre 2001, no 396/01 V, Annales du droit luxembourgeois, 2002, éd. Bruylant, p. 456.

12. Cour sup. de justice (assemblée générale), arrêt du 5 décembre 2002, no 337/02, Annales du droit luxembourgeois, 2003, éd. Bruylant, p. 683.

13. C. adm., arrêt du 21 juin 2016, no 37592C.

14. Cour d’appel, arrêt du 15 mars 2017, no 117/17 X.

15. Conseil d’État (Comité du contentieux), arrêt du 21 novembre 1984, Bellion et consorts, Pas. lux. 26, p. 174.

16. Cour sup. de justice (assemblée générale), arrêt du 5 décembre 2002, no 337/02, Annales du droit luxembourgeois, 2003, éd. Bruylant, p. 683.

17. CEDH, arrêt Open Door et Dublin Well Woman c. Irlande du 29 octobre 1992.

18. CJUE, arrêt du 17 décembre 1970, Internationale Handelsgesellschaft mbH, aff. C-11/70, point 3.

19. Premier Ministre, Secrétariat général du Gouvernement, et Conseil d’État de la République française, Guide de légistique, La documentation Française, 3e éd., 2017, p. 39.

20. Cass. (pénal), arrêts du 28 janvier 2010, no 4/2010 et du 10 janvier 2013, no 2/2013, Pas. lux. 36, p. 191 ; T.A. Lux., jugement du 8 octobre 2008, no 2875/2008 ; Bull. d’info. sur la jurisp. de la Conférence du jeune barreau 2/2009, p. 39 ; Cour adm., arrêt du 10 avril 2008, no 23737C ; Trib. adm., jugements du 13 décembre 2006, no 21616, et du 9 décembre 2013, no 29910 ; Avis du Conseil d’État du 19 février 2008 sur le projet de loi portant introduction d’un statut unique pour les salariés du secteur privé (Doc. parl. no 57505, p. 3).

21. Cour sup. de justice (cassation criminelle), arrêts du 17 janvier 1957, Pas. lux. 17, p. 105 et du 20 juin 1963, Pas. lux. 19, p. 151.

22. C. adm., arrêt du 4 juillet 2013, no 32132C.

23. Conseil d’État (Comité du contentieux), arrêt du 11 avril 1934, Directeur général des Travaux publics c. Chambre des comptes ; Trib. adm., jugements du 5 mai 1997, no 9666, et du 20 janvier 2003, no 15054.

24. Cour sup. de justice, arrêt du 14 juillet 1954, Pas. lux. 16, p. 150.

25. P. PESCATORE, Introduction à la science du droit, éd. 1960, no 211.

26. C. adm., arrêt du 15 mars 2001, no 12937C ; Trib. adm., jugement du 27 mars 2006, no 20395.

27. P. PESCATORE, Introduction à la science du droit, éd. 1960, no 220 ; Cour sup. de justice, arrêts du 16 février 1923, Pas. lux. 11, p. 425 et du 13 janvier 1966, Pas. lux. 20, p. 107.

28. Cass., arrêts des 8 juin 1950, Pas. lux. 15, p. 41 et 14 juillet 1954, Pas. lux. 16, p. 151 ; Conseil d’État (Comité du contentieux), arrêt du 28 juillet 1951, Dieudonné c. Administration des contributions, Pas. lux. 15, p. 263 ; T.A. LUX. (civil), jugement du 14 juin 1995, Banque nationale de Paris Luxembourg S.A. c. A.V., E.S. et D.D., Annales du droit luxembourgeois, 1996, éd. Bruylant, p. 514.

29. CEDH, arrêt Fédération nationale des associations et syndicats de sportifs (FNASS) et autres c. France du 18 janvier 2018.

30. Avis du Conseil d’État du 8 février 1946 sur le projet de loi concernant l’abrogation des lois de compétence de 1938 et 1939 et l’octroi de nouveaux pouvoirs spéciaux au Gouvernement (Doc. parl. no 111, p. 3).

31. Cour const., arrêt du 1er octobre 2010, no 57/10 (Mém. A no 180 du 11 octobre 2010, p. 3004).

32. Voy. article 32, paragraphe 4, de la Constitution.

33. Cour const., arrêt du 1er octobre 2010, no 57/10 (Mém. A no 180 du 11 octobre 2010, p. 3004).

34. T.A. LUX. (civil), jugement du 29 janvier 1930, confirmé sur ce point par la Cour sup. de justice (cassation civile), arrêt du 23 février 1933, Pas. lux. 13, p. 1 ; P. PESCATORE, Introduction à la science du droit, éd. 1960, no 86 ; Arrêt de la Cass. belge du 17 mai 1963, conclusions de l’avocat général W.J. Ganshof van der Meersch, Pas. belge, I, 1963, p. 992 ; D. BATSELÉ, T. MORTIER et M. SCARCEZ, Manuel de droit administratif, éd. Bruylant, 2010, no 27.

35. Cass., arrêt du 2 août 1895, Pas. lux. 3, p. 572 ; T.A. Lux. (commerce), jugement du 4 octobre 1947, Pas. lux. 14, p. 384.

36. T.A. LUX. (civil), jugement du 29 janvier 1930, confirmé sur ce point par la Cour sup. de justice (cassation civile), arrêt du 23 février 1933, Pas. lux. 13, p. 1 ; Avis du Conseil d’État du 8 mars 2016 sur le projet de loi autorisant le Gouvernement à participer au financement des travaux nécessaires à l’extension et à la modernisation de la station de traitement du Syndicat des Eaux du Barrage d’Esch-sur-Sûre (SEBES) et modifiant la loi modifiée du 31 juillet 1962 ayant pour objet le renforcement de l’alimentation en eau potable au Grand-Duché de Luxembourg à partir du réservoir d’Esch-sur-Sûre (Doc. parl. no 69063, p. 2); P. PESCATORE, Introduction à la science du droit, éd. 1960, no 86.

37. P. PESCATORE, Introduction à la science du droit, éd. 1960, no 86 ; Arrêt de la Cass. belge du 17 mai 1963, conclusions de l’avocat général W.J. Ganshof van der Meersch, Pas. belge, I, 1963, p. 992 ; D. BATSELÉ, T. MORTIER et Ma. SCARCEZ, Manuel de droit administratif, éd. Bruylant, 2010, no 27.

38. Note, partie III, de F.W., Pas. lux. 18, p. 440 ; Rapport de la Commission pour la révision constitutionnelle du 5 mars 1956 sur la proposition de loi concernant la révision de la Constitution et la modification de la loi électorale (Doc. parl. no 5165, p. 9).

39. Voy. no5.

40. Cour d’appel, arrêt du 2 mai 1985, Pas. lux. 26, p. 273.

41. Avis du Conseil d’État du 27 juillet 2018 sur le projet de règlement grand-ducal portant abrogation du règlement grand-ducal du 22 avril 1974 portant création de l’Institut Universitaire International de Luxembourg (CE no 52.993, p. 1) ; J. OLINGER, « Éléments de finances publiques », in Études fiscales, no 213 ; Arrêt de la Cass. belge du 17 mai 1963, Pas. belge, I, 1963, p. 987.

42. Avis du Conseil d’État du 26 février 2013 sur le projet de loi relatif à la construction d’une nouvelle Bibliothèque nationale à Luxembourg-Kirchberg (Doc. parl. no 65161, p. 4) et du 12 novembre 2013 sur le projet de loi portant approbation de la Convention sur l’interdiction de la mise au point, de la fabrication, du stockage et de l’emploi des armes chimiques et sur leur destruction, faite à Paris, le 13 janvier 1993 (Doc. parl. no 64901, p. 1).

43. Avis du Conseil d’État du 12 novembre 2013 sur le projet de loi portant approbation de la Convention sur l’interdiction de la mise au point, de la fabrication, du stockage et de l’emploi des armes chimiques et sur leur destruction, faite à Paris, le 13 janvier 1993 (Doc. parl. no 64901, p. 1).

CHAPITRE 2

Lois

SECTION 1. LOISDERÉVISIONCONSTITUTIONNELLE

SECTION 2. LOISORDINAIRES

Section 1

LOIS DE RÉVISION CONSTITUTIONNELLE

11En ce qui concerne la procédure et la forme, la pratique assimile les actes portant révision de la Constitution aux lois ordinaires1.

D’un point de vue procédural, le constituant applique aux révisions constitutionnelles les principales règles de procédure établies par la Constitution pour l’élaboration des lois (initiative gouvernementale ou parlementaire, consultation du Conseil d’État, amendements gouvernementaux ou parlementaires, les différents votes requis de la Chambre des députés, promulgation par le Grand-Duc et publication au Journal officiel du Grand-Duché de Luxembourg).2

Les révisions constitutionnelles sont toutefois soumises au respect de conditions de procédure particulières, imprégnant aux dispositions constitutionnelles une rigidité et partant une certaine immutabilité, qui la distinguent d’autres dispositions normatives, et lui confèrent une suprématie par rapport à celles-ci3. Ainsi l’article 114 de la Constitution4 pose deux conditions particulières pour l’adoption des textes constitutionnels. Il exige en effet une majorité qualifiée des deux tiers des suffrages des membres de la Chambre des députés, les votes par procuration n’étant pas admis, et deux votes successifs de la Chambre dans un intervalle d’au moins trois mois, le dernier vote pouvant être remplacé par un référendum décisionnel. Cette dernière condition est inhérente à la procédure de révision constitutionnelle.

Pour la présentation et la confection des actes portant révision de la Constitution, dénommés traditionnellement « lois », le constituant recourt encore aux mêmes règles de forme et de rédaction que celles applicables aux lois ordinaires. Toutes les révisions constitutionnelles se présentent d’ailleurs sous la forme d’une modification expresse de la Constitution et non pas sous celle d’un acte autonome distinct, qui la modifierait implicitement ou y ajouterait des dispositions supplémentaires.

12La Chambre des députés est souveraine pour donner au texte constitutionnel la teneur qui lui paraît opportune. Même dans l’hypothèse d’un référendum, le texte arrêté par la Chambre lors du premier vote ne peut être qu’accepté ou rejeté à la majorité des suffrages exprimés par les électeurs. Il ne saurait être modifié par les citoyens, étant donné que la Constitution ne leur confère pas le droit d’initiative en la matière, celui-ci étant réservé, comme pour les lois ordinaires, au Grand-Duc et à la Chambre.

Le texte constitutionnel peut fixer des règles abstraites et impersonnelles ou des dispositions concrètes et individuelles, surtout en relation avec le chef de l’État. En règle générale, la Constitution luxembourgeoise énonce cependant les grands principes et confie à la loi ordinaire le soin de les mettre en œuvre5. La Constitution comporte ainsi les droits fondamentaux et les libertés des personnes et organise le fonctionnement de l’État. Les dispositions constitutionnelles concernant les institutions sont largement conçues dans une optique organique, en ce qu’elles énoncent les institutions, tout en déterminant avant tout les pouvoirs que celles-ci sont appelées à exercer, contrairement à une approche fonctionnelle, décrivant le fonctionnement des institutions6.

Comme tout autre acte normatif, le texte constitutionnel est soumis au respect des engagements internationaux du Luxembourg, et notamment du droit de l’Union européenne7.

13Pendant une régence, l’article 115 de la Constitution exclut toute révision constitutionnelle ayant trait aux prérogatives constitutionnelles et au statut du Grand-Duc, ainsi qu’à l’ordre de succession au trône.

Section 2

LOIS ORDINAIRES

SOUS-SECTION 1

DÉFINITION

14En droit constitutionnel luxembourgeois, la loi se définit comme l’acte voté par la Chambre des députés et promulgué par le Grand-Duc8.

Il est fait référence à l’article 99 de la Constitution9, qui a trait à certaines autorisations du législateur en matière financière de l’État, à la notion de « loi spéciale ». Cette notion ne vise cependant que la forme de la loi, à savoir une loi particulière. En employant cette notion, l’intention du constituant a en effet été d’exclure, pour des raisons de transparence, la possibilité pour le législateur de faire figurer de telles autorisations dans le corps d’un texte de loi concernant d’autres matières, dont la portée dépasse le cadre de l’autorisation.10

SOUS-SECTION 2

COMPÉTENCEDULÉGISLATEUR

15D’un point de vue matériel, la loi peut intervenir dans tous les domaines non réservés par la Constitution aux pouvoirs exécutif et judiciaire11. Dans ces domaines, le pouvoir législatif a en vertu du principe de la plénitude d’attributions du législatif le droit souverain et exclusif de prendre des initiatives12.

Le législateur est libre de donner à la loi tout contenu qui lui semble opportun, à condition de respecter les normes supérieures. Sa compétence s’exerce moyennant fixation de règles abstraites et impersonnelles ou par des mesures concrètes et individuelles13. La loi peut ainsi disposer en créant des règles de conduite, contenir une règle ou une disposition individuelle, être durable ou limitée dans le temps, ordonner directement ou se borner à créer des facultés d’ordonnancement pour les autorités réglementaires. De même, le législateur peut conférer force obligatoire à un acte juridique fait par autrui14.

Aux termes de l’article 48 de la Constitution15, il est encore de la compétence exclusive du législateur d’interpréter par voie de disposition générale, c’est-à-dire de manière uniforme et obligatoire pour tous, des dispositions législatives peu claires, susceptibles d’interprétations divergentes. Dans le respect du parallélisme des formes, il exerce cette compétence par le biais d’une loi16.

Le législateur ne saurait toutefois disposer du pouvoir qu’un autre organe détient directement de la Constitution17. Si, par exemple, le pouvoir législatif est en droit de disposer lui-même au sujet de l’exécution de la loi, il ne peut pas déléguer l’exécution de la loi au mépris des termes de la Constitution, en chargeant par exemple un membre du Gouvernement de prendre des actes réglementaires18. De même, le législateur ne saurait procéder à la modification explicite des règlements d’exécution de la loi, étant donné que cette compétence est, de par la Constitution, propre à l’exécutif19. Sont encore, entre autres, soustraites à l’action du législateur l’organisation du Gouvernement et la nomination de fonctionnaires, domaines qui sont réservés en vertu des articles 76 et 35 de la Constitution au Grand-Duc, chef du pouvoir exécutif.

16Seule la Chambre des députés est détentrice du pouvoir législatif, ce qui implique que la loi doit son existence exclusivement au vote parlementaire. La Chambre des députés a pour compétence propre de déterminer de façon discrétionnaire et définitive la teneur de la loi. Aucune autre autorité ne saurait altérer cette compétence. Ainsi, la promulgation de la loi par le Grand-Duc ne peut pas remettre en cause la volonté du législateur. Même le pouvoir judiciaire ne saurait former ex ante obstacle à l’exercice des prérogatives de la Chambre des députés. S’il appartient aux juridictions de vérifier la conformité des lois adoptées et promulguées avec les normes supérieures, elles ne peuvent pas ériger de barrières à l’exercice par le pouvoir législatif de ses prérogatives.20

Hormis les cas limitativement déterminés par la Constitution dans lesquels une majorité des deux tiers des membres de la Chambre est requise, les textes de lois sont adoptés à la majorité simple. Même si la Constitution requiert pour l’adoption de certaines lois une majorité qualifiée, elle ne leur reconnaît aucune valeur juridique supérieure à celle des autres lois. Il en va de même a fortiori d’une loi votée à une majorité renforcée en dehors des hypothèses expressément prévues dans la Constitution. Étant donné qu’un tel vote n’a qu’une valeur politique, la loi qui en résulte pourra toujours être modifiée ou abrogée par une loi ultérieure votée à une majorité simple.21

SOUS-SECTION 3

MATIÈRESRÉSERVÉESÀLALOI

17En règle générale, le législateur est libre de déterminer les portions respectives des compétences retenues et des attributions concédées. Il lui est loisible d’agir lui-même ou de subordonner l’application de la loi à des règlements ou à des mesures ou décisions administratives.22

La Constitution soumet cependant une série de matières spécifiques au domaine de la loi formelle. Il s’agit en principe de matières particulièrement sensibles pour les libertés fondamentales ou importantes pour le fonctionnement de l’État. Ces matières dites « réservées à la loi » réclament l’intervention de la Chambre des députés, représentative de la volonté populaire, et une discussion publique permettant le contrôle du corps électoral23.

Relèvent, à titre d’exemple, du domaine de la loi formelle en vertu de la Constitution et selon l’interprétation qui en est faite par le Conseil d’État et les juridictions nationales :

l’octroi de l’exercice de droits politiques à des non-Luxembourgeois (article 9, alinéa 3) ;

les exceptions à la garantie de la protection de la vie privée (article 11, paragraphe 3) ;

les libertés syndicales et le droit de grève (article 11, paragraphe 4) ;

la sécurité sociale, la protection de la santé en général, les droits des travailleurs, la lutte contre la pauvreté et l’intégration sociale des personnes atteintes d’un handicap (article 11, paragraphe 5) ;

les restrictions à la liberté du commerce et de l’industrie, l’exercice de la profession libérale et du travail agricole – la détermination des conditions d’agrément pour l’exercice d’une profession et la mise sur le marché de produits – la détermination de la finalité, des conditions et des modalités de la délivrance d’un agrément24 (article 11, paragraphe 6) ;

la détermination des infractions et la fixation des peines , même administratives et disciplinaires25 (article 14) ;

le changement dans les attributs de la propriété qui est à tel point substantiel qu’il prive celle-ci d’un de ses aspects essentiels26 (article 16) ;

l’organisation de l’enseignement – préparation à l’admission définitive des enseignants stagiaires dans les carrières enseignantes de l’enseignement27 (article 23, alinéa 3) ;

la création d’une administration ou de fonctions publiques (article 35, alinéa 2, et article 99, 7e phrase) ;

l’approbation des traités internationaux (article 37, alinéa 1er) ;

l’organisation du Conseil d’État et la manière d’exercer ses attributions (article 83bis, alinéa 2) ;

la création d’une juridiction (article 86) ;

la fixation des traitements des membres de l’ordre judiciaire (article 92) ;

la nature d’un recours administratif – recours en réformation ou en annulation (article 95bis, paragraphe 4) ;

les conditions de recrutement, de formation et d’avancement des militaires28 (article 96) ;

l’organisation et les attributions des forces de l’ordre – octroi de pouvoirs de police administrative et judiciaire29 (article 97) ;

la fixation des règles essentielles concernant l’assiette, le taux et le recouvrement des impôts30 (article 99, 1re phrase) ;

l’aliénation d’immeubles appartenant à l’État (article 99, 3e phrase) ;

l’acquisition d’une propriété immobilière importante, la réalisation d’un grand projet d’infrastructure ou d’un bâtiment considérable, l’engagement financier important de l’État, allant au-delà des seuils fixés par l’article 80 de la loi modifiée du 8 juin 1999 sur le budget, la comptabilité et la trésorerie de l’État (article 99, 5e phrase) ;

l’établissement d’une charge grevant le budget de l’État pour plus d’un exercice – la fixation des traitements des fonctionnaires de l’État (article 99, 7e phrase) ;

la détermination des conditions et limites d’exonérations fiscales (article 101) ;

la fixation des taxes de quotités, qui constituent la contrepartie d’un service obligatoire mis à disposition, sans qu’il y ait nécessairement équivalence entre le coût du service et le prélèvement opéré, et qui de ce fait revêtent une nature fiscale, contrairement aux taxes de répartition ou de remboursement, qui sont limitées à la dépense engagée pour un service rendu et obligatoire31 (article 102) ;

les conditions d’octroi et la fixation de subventions et d’aides financières à charge du Trésor32 (article 103) ;

la détermination des attributions des organes communaux (article 107, paragraphe 5).

Certaines conventions internationales renvoient également à la notion de « loi » pour établir des restrictions aux droits ou aux libertés qu’elles comportent. Le plus souvent ce terme vise la loi au sens matériel. Tel est le cas pour ce qui est de la Convention européenne des droits de l’homme et de ses protocoles33. Dans certains cas, le terme « loi » vise toutefois la loi au sens formel. Il en est ainsi de la Charte européenne de l’autonomie locale, qui exige notamment que les compétences des communes ne peuvent être mises en cause ou limitées par une autre autorité que dans le cadre de la loi, en l’occurrence, d’après le rapport explicatif de cette convention et la lecture de la Cour constitutionnelle, par le législateur34.

18Les matières réservées à la loi sont soumises à une compétence retenue, obligatoire pour le législatif. Le législateur ne saurait pas se dessaisir de ces matières et en charger une autorité réglementaire ou administrative, voire des parties à un contrat.35

Tandis que dans les matières libres la compétence conférée par le législateur à l’exécutif peut être générale et s’étendre au principe et aux principales modalités de ces matières, l’exécutif ne saurait être autorisé dans les matières réservées à la loi à prendre l’initiative et partant à apprécier discrétionnairement l’opportunité des mesures à prendre36. Pour satisfaire à une réserve constitutionnelle, la loi ne doit toutefois pas tout régler jusque dans le moindre détail. En effet, il suffit, mais il faut aussi, que la loi détermine les éléments essentiels de la matière, tandis que les éléments moins essentiels peuvent être relégués au pouvoir exécutif37.

19En ce qui concerne les règlements grand-ducaux, l’article 32, paragraphe 3, de la Constitution règle explicitement l’intervention du Grand-Duc dans les matières réservées à la loi.

Originairement, ce paragraphe avait été introduit par la loi du 19 novembre 2004 portant 1. révision des articles 11, paragraphe (6), 32, 36 et 76 de la Constitution ; 2. création d’un article 108bis nouveau de la Constitution, dans le but de contrer le risque d’une interprétation juridique stricte de la part de la Cour constitutionnelle en relation avec les matières réservées, qui aurait pu avoir pour effet d’écarter pour ces matières toute intervention du pouvoir réglementaire du Grand-Duc38. Cette crainte n’était toutefois pas justifiée, étant donné que dans un arrêt du 21 novembre 2003 la Cour constitutionnelle avait considéré, avant l’introduction de l’article 32, paragraphe 3, dans la Constitution, qu’il était satisfait à la réserve constitutionnelle si la loi se bornait à tracer les grands principes tout en abandonnant au pouvoir réglementaire la mise en œuvre du détail39. La Cour constitutionnelle avait ainsi fait sienne la position du Conseil d’État, qui considérait depuis 1946 que si les matières réservées ne pouvaient faire l’objet d’une habilitation générale, il n’était pas nécessaire que la loi se charge de la réglementation intégrale, jusque dans les derniers détails de la matière. Aux yeux du Conseil d’État, il suffisait que le principe et les modalités substantielles de la matière réservée fussent retenus par la loi, tandis que toutes les modalités secondaires, à savoir les détails techniques et autres, pouvaient être abandonnées à l’action de l’exécutif.40

Suite à l’introduction du paragraphe 3 de l’article 32 de la Constitution41, la Cour constitutionnelle jugeait que dans les matières réservées à la loi l’essentiel du cadrage normatif devait résulter de la loi, y compris les fins, les conditions et les modalités suivant lesquelles des éléments moins essentiels pouvaient être réglés par des règlements du Grand-Duc42.

Depuis la révision du 18 octobre 2016 de l’article 32, paragraphe 3 de la Constitution43, la Cour constitutionnelle considère que dans les matières réservées les éléments essentiels sont du domaine de la loi, tandis que les éléments moins essentiels peuvent être relégués à des règlements et arrêtés pris par le Grand-Duc44. Elle fait ainsi sienne la position du constituant, partagée par le Conseil d’État, qui consiste à assurer au pouvoir exécutif la faculté de régler les détails des matières réservées, les principes et les points essentiels restant du domaine de la loi. D’après le constituant, de simples lois-cadres fixant quelques grands principes et abandonnant l’essentiel des règles de fond et de forme aux règlements d’exécution ne satisfont pas à ces exigences constitutionnelles. Si les éléments essentiels sont du domaine de la loi, les mesures d’exécution, c’est-à-dire des éléments plus techniques et de détails, peuvent être du domaine du pouvoir réglementaire grand-ducal.45

En vertu de l’actuel article 32, paragraphe 3, de la Constitution, il appartient encore au pouvoir législatif d’apprécier librement s’il entend fixer des conditions au pouvoir réglementaire dans le texte de la loi46. La fixation de telles conditions dépendra in fine de la technicité de la matière et de l’impact politique de la législation en cause47. Quant à la nature de ces conditions, le législateur peut déterminer les circonstances dans lesquelles le règlement pourra être pris ou imposer une procédure particulière. Il lui est par exemple loisible de faire dépendre l’autorisation d’un élément déclencheur ou soumettre le règlement à l’assentiment de la Conférence des présidents de la Chambre des députés ou à l’avis obligatoire du Conseil d’État.48

Dans les matières réservées à la loi, le Grand-Duc ne peut intervenir que si le législateur l’y a autorisé de manière formelle et ponctuelle. L’attribution au Grand-Duc du pouvoir d’intervenir dans une telle matière doit en effet toujours être expresse, spéciale et spécifique49. Elle ne saurait se faire en vertu d’une disposition générale50. Il faut qu’une disposition légale particulière fixe de manière précise l’objectif du règlement à prendre par le Grand-Duc en la matière.

20Les éléments essentiels d’une matière réservée à la loi ne doivent pas nécessairement figurer exclusivement dans la loi nationale, mais peuvent résulter, à titre complémentaire, d’une norme européenne ou internationale, directement applicable ou non51. Dans le cadre de la transposition d’une directive de l’Union européenne, la Cour constitutionnelle a en effet considéré que le législateur avait à suffisance déterminé le principe et les modalités substantielles de la matière réservée en énumérant de façon détaillée dans la loi les livraisons de biens et les prestations de services exonérées de la taxe sur la valeur ajoutée, tout en confiant au pouvoir réglementaire le soin de déterminer les limites et les conditions de ces exonérations. Dans la mesure où la directive transposée enjoignait aux États membres de l’Union de fixer les conditions en vue d’assurer l’application correcte et simple des exonérations et de prévenir toute fraude, évasion et abus éventuels, le cadrage des limites et conditions de l’exonération résultait pour le juge constitutionnel du texte de la directive européenne52.

Dans une matière réservée à la loi, il n’est pas non plus indispensable que la loi autorisant le Grand-Duc à prendre un règlement comporte elle-même tous les éléments essentiels. Une loi peut valablement renvoyer à une autre loi pour ce qui est des éléments essentiels manquants. La Cour constitutionnelle examine en effet si la loi générale à laquelle renvoie une loi spéciale comporte les éléments essentiels susceptibles de compléter ceux figurant dans la loi spéciale afin de satisfaire aux exigences constitutionnelles en la matière.53

21Dans les matières réservées à la loi, une autorité administrative ne saurait se voir accorder par le législateur un pouvoir d’appréciation sans limite pour prendre des décisions ou des mesures administratives. La loi doit définir les éléments essentiels de la matière avec une netteté suffisante pour écarter tout pouvoir discrétionnaire absolu de la part de l’administration.54

Le législateur ne peut pas non plus investir, dans ces matières, une autorité administrative du pouvoir d’accorder discrétionnairement des dérogations individuelles au respect des conditions légales55.

Même dans les matières réservées à la loi, il n’est cependant pas nécessaire que le législateur désigne l’autorité compétente pour prendre une décision administrative individuelle si celle-ci est censée être prise par un membre du Gouvernement dans une matière relevant des attributions tombant sous la compétence de son ministère. La Cour administrative considère en effet que cette compétence résulte à suffisance de l’ordonnancement juridique concernant la mise en place de la structure du Gouvernement, c’est-à-dire de l’article 76 de la Constitution, de l’arrêté royal grand-ducal modifié du 9 juillet 1857 portant organisation du Gouvernement et de l’arrêté grand-ducal portant constitution des ministères56.

22D’un point de vue formel, rien n’empêche le législateur de faire figurer dans une même loi des dispositions relevant d’une matière réservée à la loi et d’autres qui ne font pas partie d’une telle matière.

SOUS-SECTION 4

CONTRÔLEJURIDICTIONNELDESLOIS

§ 1. Contrôle de constitutionnalité57

23L’article 95ter de la Constitution58 confère à la Cour constitutionnelle la compétence exclusive de statuer a posteriori, par voie d’arrêt, sur la conformité des lois ordinaires à la Constitution. En instituant la Cour constitutionnelle, le constituant a ainsi soustrait de manière formelle le contrôle de la constitutionnalité des lois à la connaissance du juge ordinaire.

Avant la création de la Cour constitutionnelle par la loi du 12 juillet 1996 portant révision de l’article 95ter de la Constitution, les cours et tribunaux refusaient régulièrement de contrôler la constitutionnalité des lois, au motif du respect du principe de la séparation des pouvoirs, qui oblige le juge ordinaire à appliquer la loi sans avoir le droit de la contrôler, et de l’article 237 du Code pénal, interdisant aux juges de s’immiscer dans l’exercice du pouvoir législatif59. Les juridictions judiciaires considéraient toutefois que ce principe ne s’appliquait pas aux lois de forme ayant pour seul but de donner l’approbation du législateur à un contrat civil, qui ne pouvait devenir parfait qu’à cette condition60.

D’après le texte de l’article 95ter de la Constitution, le contrôle de la Cour constitutionnelle porte uniquement sur les normes législatives au sens propre du terme. D’autres actes normatifs pouvant émaner du Parlement, comme le Règlement de la Chambre des députés, ne sont pas visés par cet article61.

Les lois portant approbation de traités internationaux sont formellement exclues du champ d’application de l’article 95ter