Nouvelles de Douala - Franklin Nyamsi Wa Kamerun - E-Book

Nouvelles de Douala E-Book

Franklin Nyamsi Wa Kamerun

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Beschreibung

Plongez-vous dans la culture et l'histoire passionnante du Cameroun des années 90 !

Franklin Nyamsi Wa Kamerun est né en 1972 au Cameroun. Professeur agrégé dans l’Académie de Rouen, Docteur en philosophie de l’Université française, il a publié une vingtaine d’ouvrages, depuis près de 25 ans, dans les domaines de la littérature, de l’analyse politique et de la philosophie. Il publie ici son second recueil de nouvelles littéraires. L’auteur nous replonge dans son Cameroun d’enfance. On y voit quasiment naître, sous des angles de vues surprenants, les limons de ses engagements actuels dans le monde.

Franklin Nyamsi Wa Kamerun nous partage son regard, les sons et les couleurs de son pays natal

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Franklin Nyamsi Wa Kamerun

Nouvelles de Douala

(1990-1994)

À ma regrettée mère bien-aimée, Naomie Ngo Bassong épouse Nyamsi (1943-2019). Maman, igni, ton moindre souvenir me rappelle Douala, telle une ville éternelle. Et tu aimais tellement mes histoires. En voici encore quatre.

Préface

J’ai traîné depuis les années 90 dans mes bagages ou dans ma mémoire, les nouvelles que je publie enfin ici. Elles racontent mes souvenirs de ma vie d’enfance et de ma ville d’enfance à Douala au Cameroun. Elles retracent avec la puissance et la faiblesse de ma fort sélective mémoire, les émotions fondamentales de mon pays natal qui me traversent encore et contribuent, tels d’invisibles alluvions, à nourrir le fleuve coulant de mavie.

En publiant ces histoires, à la limite du biographique, du vécu, de l’imaginaire et du surnaturel, je ne fais qu’exercer une pulsion venue des tréfonds de ma personnalité. Très tôt, j’ai éprouvé le besoin de graver par écrit mes émotions, mes idées, mes peurs, mes fantasmes, et même mes intuitions.

Lectrices, lecteurs, à vous de jouer. Faites-en ce que vous voulez, faites-en ce que vous pourrez. Pour moi, il aura suffi de vous dire cette part du monde enfoui en moi, de vous inviter à visiter mon inaccessible étoile. La voir de loin, la sentir ou la deviner, c’est déjà participer à une quête commune de sens. Pour celle-ci, il vaut toujours la peine d’écrire.

Franklin Nyamsi Wa Kamerun

Mont-Saint-Aignan, France

le 12 avril2021.

L’Osiris Chukambele ou la dernière grève de lafinNouvelle,1993

Il n’y avait apparemment plus de quoi douter de la vie. Les chaînes de radio et de télévision du pays crépitaient d’une information de taille : l’élite de l’opposition nationale avait enfin trouvé, aux termes d’une réunion tripartite avec le régime au pouvoir et la société civile, un accord historique qui fonderait à jamais la démocratie et le multipartisme dans notre pays, le Cameroun.

Tout le monde était content. Le gazouillis des oiseaux, les jappements du bétail et les rires hilares des filles faisant « bon-bon-kalabot » dans nos marigots de campagne à Bassa chantaient à l’unisson.

Tout le monde se félicita d’un aussi bon augure. Cela faisait pratiquement trente ans que ce pays partait à vau-l’eau, sans que nul ne semble en mesure d’arrêter sa descente aux enfers.

Sous les pieds des gens du Cameroun, des centaines de milliers de morts sans sépultures s’étaient cruellement endormis, victimes des massacres coloniaux français et des troupes supplétives d’Afrique, souvent constituées d’individus décérébrés par la religion, l’idéologie et la technologie coloniale.

Quand même, comment avait-on cru que ce pays se relèverait après avoir abandonné près d’un million d’âmes sur le carreau, sans honorer vraiment les vies ainsi écrasées par la barbarie de la « mission civilisatrice », drapée en plus dans l’humanisme très satisfait de la religion missionnaire ?

Bientôt, clamait-on, des monuments dédiés aux vrais héros de la guerre d’indépendance, les maquisards, tant maudits par la propagande néocoloniale officielle, orneraient désormais toutes les rues, avenues et boulevards du Cameroun. En lieu et place des De Gaulle, Leclerc, et autres Mesmer, en lieu et place des Ahidjo et autres collabos de la même espèce, on enseignerait enfin Um, Ouandié, Ossendé, Moumié, Kingué, Marthe Moumié, aux enfants dès le Cours Préparatoire, afin de faire de ce pays, une terre insoumise à jamais à quelque nouvel imperium.

La vieille Ngo Njap, qui vendait le iwomi au marché de Bom-Iléké, demanda à brûle-pourpoint, entre deux calomnies bien épicées :

–Je dis que hein, pourquoi on n’a pas fait çà depuis mille neuf cents hooko 1dans ce pays-ci même ! A loga son !

Sous les pieds des gens de ce pays, des torrents de sang innocent séché avaient coulé, sans que rien ni personne n’y puisse rien faire. C’était la force de l’ordre impérial. La magie des blancs, disait-on. Une affaire de canons, de ruses, de manipulations ethniques et de fausses promesses n’engageant que ceux qui y croient.

Les femmes – et bon nombre de filles de joie déguisées parmi elles - avaient sorti leurs kabagondos, sous lesquels il n’y avait pas souvent grand-chose, pour fêter l’annonce du succès de la tripartite. Les bars étaient remplis d’hommes ivres, entassés derrière de longues files de bières vouées à être vidées dans des estomacs sans fond, pissées à volonté, agrémentées de la viande pimentée et du poisson braisé dont raffolent les buvards de cheznous.

–Wèè, dis donc, ce pays est sauvé, disait DunamoZaka.

–A chouè di Gott,2 on est sauvés, répétait Emmanuel Kateu, son pote de beuveries, entre deux rots bruyants de vin rouge frelaté.

Les baffles crépitaient à mort des musiques de toute l’Afrique. Les oreilles se faisaient tympaner à volonté.

Du Zaiko Langa Langa au Zouglou, du Makossa à l’Assiko, sans oublier le Mangambeu sophistiqué et le «Bikutsi qui se danse avec deux ou trois cavalières… Le Cameroun en est la base de cette cadence… le Bikutsi à jamais… » Il y avait tout le patati-patata de cette ambiance brouillonne qu’on connaît depuis longtemps dans ce pays, où tout d’un coup, toutes les vaches sont noires dans la nuit noire, quand il s’agit pourtant de réfléchir.

Le pays était avachi dans la jouissance. L’instinct dans l’instant. Telle était devenue la devise nationale, depuis que les brasseries étaient davantage prisées que les librairies dans ce pays.

La démographie allait être dopée ce soir-là, vrai de Dieu. Qui n’avait pas envie ? Il avait force croupes et utérus à bourrer.

Enfin, on aurait de vraies élections, de vrais dirigeants, de vraies institutions sociales, économiques, culturelles, politiques, au service des Camerounais.

On entendait les gens rêver à haute voix dans les bars. Comme d’habitude. D’ailleurs, c’est toujours dans un bar qu’un homme bien rempli d’effluves, avait solennellement dit, après avoir requis le silence de toute l’assemblée ébahie :

–Le mont Cameroun appartient au Gabon ! Que celui qui doute de ça vérifie d’abord s’il est plus fort que moi !

Et contemplant ses muscles saillants de sueur, ses poings de frappeur de parpaings, tout le monde avait fermé sans bouche dans une rumeur vague…

Puis, la conversation rebondit sur la Tripartite de Yaoundé :

–Tu te rends compte, le président va enfin déclarer son patrimoine dans ce pays ! disait encore Dunamo Zaka, toujours pressé pour croire aux anges.

Et son pote Kateu de renchérir, faisant usage des restes de jugeote sauvés de son vin bizarre :

–Moi-même, je n’en reviens pas ! Il a vraiment accepté çà, alors que nous-mêmes ne sommes pas prêts à révéler le montant de nos salaires à nos femmes ?

Pendant près d’une année auparavant, la majorité des Camerounais avaient offert une résistance épique au pouvoir Biya. C’étaient les Villes Mortes. Après la mascarade électorale de 1992, qui avait vu le dictateur de succéder à lui-même, alors même que les urnes du pays avaient incontestablement parlé contre lui. Massivement, les Camerounais avaient voté pour le candidat de l’Union pour le Changement, un libraire venu de Bamenda. Le Chairman Ni John FruNdi.

Biya, fidèle à l’esprit de l’engeance coloniale française qui l’avait formé, coopté, introduit dans l’élite vassale et préparé à succéder à Ahidjo, avait ouvertement, platement triché. Aidé par les Français, l’armée et les fragilités de l’opposition camerounaise, mais aussi par l’impact durable du tribalisme dans le comportement des populations de ce pays, Biya avait réussi in extremis à sauver son régime en faisant un semblant d’ouverture.

Une espèce de grand-messe politique se tint à Yaoundé, où les principaux partis politiques, les principales figures de la société civile, s’adonnèrent à cœur joie aux épanchements les plus ardents.