Oeuvres - Antoine de Saint-Exupéry - E-Book
0,99 €

oder
-100%
Sammeln Sie Punkte in unserem Gutscheinprogramm und kaufen Sie E-Books und Hörbücher mit bis zu 100% Rabatt.
Mehr erfahren.
Beschreibung

Antoine Marie Jean-Baptiste Roger de Saint-Exupéry, né le 29 juin 1900 à Lyon et disparu en vol le 31 juillet 1944 en mer, au large de Marseille, Mort pour la France, est un écrivain, poète, aviateur et reporter français. Né dans une famille issue de la noblesse française, Antoine de Saint-Exupéry passe une enfance heureuse malgré la mort prématurée de son père. Élève peu brillant, il obtient cependant son baccalauréat en 1917 et, après son échec à l'École navale, il s'oriente vers les beaux-arts et l'architecture. Devenu pilote lors de son service militaire en 1921 à Strasbourg, il est engagé en 1926 par la compagnie Latécoère (future Aéropostale) et transporte le courrier de Toulouse au Sénégal avant de rejoindre l'Amérique du Sud en 1929. Parallèlement il publie, en s'inspirant de ses expériences d'aviateur, ses premiers romans : « Courrier sud » en 1929 et surtout « Vol de nuit » en 1931, qui rencontre un grand succès. À partir de 1932, son employeur entre dans une période difficile. Aussi Saint-Exupéry se consacre-t-il à l’écriture et au journalisme. Il entreprend de grands reportages au Viêt Nam en 1934, à Moscou en 1935, en Espagne en 1936, qui nourriront sa réflexion sur les valeurs humanistes qu'il développe dans « Terre des hommes », publié en 1939. En 1939, il sert dans l'armée de l'air où il est affecté dans une escadrille de reconnaissance aérienne. À l'armistice, il quitte la France pour New York avec pour objectif de faire entrer les Américains dans la guerre et devient l'une des voix de la Résistance. Rêvant d'action, il rejoint enfin, au printemps 1944, en Sardaigne puis en Corse, une unité chargée de reconnaissances photographiques en vue du débarquement en Provence. Il disparaît en mer avec son avion un P-38 Lightning F5B lors de sa mission du 31 juillet 1944. Son avion n'a été retrouvé qu'à partir de 2000 au large de Marseille. « Le Petit Prince », écrit à New York pendant la guerre, est publié avec ses propres aquarelles en 1943 à New York et en 1946 chez Gallimard, en France. Ce conte plein de charme et d'humanité devient très vite un immense succès mondial. Sommaire: - Le Petit Prince - Courrier sud - L'Aviateur - Lettre à un otage - Pilote de guerre - Terre des hommes - Vol de nuit

Das E-Book können Sie in Legimi-Apps oder einer beliebigen App lesen, die das folgende Format unterstützen:

EPUB
Bewertungen
0,0
0
0
0
0
0
Mehr Informationen
Mehr Informationen
Legimi prüft nicht, ob Rezensionen von Nutzern stammen, die den betreffenden Titel tatsächlich gekauft oder gelesen/gehört haben. Wir entfernen aber gefälschte Rezensionen.



Sommaire

Le Petit Prince

I

II

III

IV

V

VI

VII

VIII

IX

X

XI

XII

XIII

XIV

XV

XVI

XVII

XVIII

XIX

XX

XXI

XXII

XXIII

XXIV

XXV

XXVI

XXVII

Courrier sud

Première partie

I

II

III

IV

Deuxième partie

I

II

III

IV

V

VI

VII

VIII

IX

X

XI

XII

XIII

XIV

Troisième partie

I

II

III

IV

V

VI

VII

VIII

L'Aviateur

Lettre à un otage

I

II

III

IV

V

VI

Pilote de guerre

Chapitre I

Chapitre II

Chapitre III

Chapitre IV

Chapitre V

Chapitre VI

Chapitre VII

Chapitre VIII

Chapitre IX

Chapitre X

Chapitre XI

Chapitre XII

Chapitre XIII

Chapitre XIV

Chapitre XV

Chapitre XVI

Chapitre XVII

Chapitre XVIII

Chapitre XIX

Chapitre XX

Chapitre XXI

Chapitre XXII

Chapitre XXIII

Chapitre XXIV

Chapitre XXV

Chapitre XXVI

Chapitre XXVII

Chapitre XXVIII

Terre des hommes

I. La ligne

II. Les camarades

I

II

III. L’avion

IV. L’avion et la planète

I

II

III

IV

V. Oasis

VI. Dans le désert

I

II

III

IV

V

VI

VII

VII. Au centre du désert

I

II

III

IV

V

VI

VII

VIII. Les hommes

I

II

III

IV

Vol de nuit

Préface par André Gide

I

II

III

IV

V

VI

VII

VIII

IX

X

XI

XII

XIII

XIV

XV

XVI

XVII

XVIII

XIX

XX

XXI

XXII

XXIII

Notes

Le Petit Prince

À Léon Werth.

Je demande pardon aux enfants d’avoir dédié ce livre à une grande personne. J’ai une excuse sérieuse : cette grande personne est le meilleur ami que j’ai au monde. J’ai une autre excuse : cette grande personne peut tout comprendre, même les livres pour enfants. J’ai une troisième excuse : cette grande personne habite la France où elle a faim et froid. Elle a besoin d’être consolée. Si toutes ces excuses ne suffisent pas, je veux bien dédier ce livre à l’enfant qu’a été autrefois cette grande personne. Toutes les grandes personnes ont d’abord été des enfants. (Mais peu d’entre elles s’en souviennent.) Je corrige donc ma dédicace :

À Léon Werth quand il était petit garçon.

I

Lorsque j’avais six ans j’ai vu, une fois, une magnifique image, dans un livre sur la forêt vierge qui s’appelait Histoires vécues. Ça représentait un serpent boa qui avalait un fauve. Voilà la copie du dessin.

On disait dans le livre : « Les serpents boas avalent leur proie tout entière, sans la mâcher. Ensuite ils ne peuvent plus bouger et ils dorment pendant les six mois de leur digestion ».

J’ai alors beaucoup réfléchi sur les aventures de la jungle et, à mon tour, j’ai réussi, avec un crayon de couleur, à tracer mon premier dessin. Mon dessin numéro 1. Il était comme ça :

J’ai montré mon chef-d’œuvre aux grandes personnes et je leur ai demandé si mon dessin leur faisait peur.

Elles m’ont répondu : « Pourquoi un chapeau ferait-il peur ? »

Mon dessin ne représentait pas un chapeau. Il représentait un serpent boa qui digérait un éléphant. J’ai alors dessiné l’intérieur du serpent boa, afin que les grandes personnes puissent comprendre. Elles ont toujours besoin d’explications. Mon dessin numéro 2 était comme ça :

Les grandes personnes m’ont conseillé de laisser de côté les dessins de serpents boas ouverts ou fermés, et de m’intéresser plutôt à la géographie, à l’histoire, au calcul et à la grammaire. C’est ainsi que j’ai abandonné, à l’âge de six ans, une magnifique carrière de peintre. J’avais été découragé par l’insuccès de mon dessin numéro 1 et de mon dessin numéro 2. Les grandes personnes ne comprennent jamais rien toutes seules, et c’est fatigant, pour les enfants, de toujours leur donner des explications…

J’ai donc dû choisir un autre métier et j’ai appris à piloter des avions. J’ai volé un peu partout dans le monde. Et la géographie, c’est exact, m’a beaucoup servi. Je savais reconnaître, du premier coup d’œil, la Chine de l’Arizona. C’est utile, si l’on s’est égaré pendant la nuit.

J’ai ainsi eu, au cours de ma vie, des tas de contacts avec des tas de gens sérieux. J’ai beaucoup vécu chez les grandes personnes. Je les ai vues de très près. Ça n’a pas trop amélioré mon opinion.

Quand j’en rencontrais une qui me paraissait un peu lucide, je faisais l’expérience sur elle de mon dessin n°1 que j’ai toujours conservé. Je voulais savoir si elle était vraiment compréhensive. Mais toujours elle me répondait : « C’est un chapeau. » Alors je ne lui parlais ni de serpents boas, ni de forêts vierges, ni d’étoiles. Je me mettais à sa portée. Je lui parlais de bridge, de golf, de politique et de cravates. Et la grande personne était bien contente de connaître un homme aussi raisonnable…

II

J’ai ainsi vécu seul, sans personne avec qui parler véritablement, jusqu’à une panne dans le désert du Sahara, il y a six ans. Quelque chose s’était cassé dans mon moteur. Et comme je n’avais avec moi ni mécanicien, ni passagers, je me préparai à essayer de réussir, tout seul, une réparation difficile. C’était pour moi une question de vie ou de mort. J’avais à peine de l’eau à boire pour huit jours.

Le premier soir je me suis donc endormi sur le sable à mille milles de toute terre habitée. J’étais bien plus isolé qu’un naufragé sur un radeau au milieu de l’océan. Alors vous imaginez ma surprise, au lever du jour, quand une drôle de petite voix m’a réveillé. Elle disait :…

« S’il vous plaît… dessine-moi un mouton !

— Hein !

— Dessine-moi un mouton… »

J’ai sauté sur mes pieds comme si j’avais été frappé par la foudre. J’ai bien frotté mes yeux. J’ai bien regardé. Et j’ai vu un petit bonhomme tout à fait extraordinaire qui me considérait gravement. Voilà le meilleur portrait que, plus tard, j’ai réussi à faire de lui.

Mais mon dessin, bien sûr, est beaucoup moins ravissant que le modèle. Ce n’est pas de ma faute. J’avais été découragé dans ma carrière de peintre par les grandes personnes, à l’âge de six ans, et je n’avais rien appris à dessiner, sauf les boas fermés et les boas ouverts.

Je regardai donc cette apparition avec des yeux tout ronds d’étonnement. N’oubliez pas que je me trouvais à mille milles de toute région habitée. Or mon petit bonhomme ne me semblait ni égaré, ni mort de fatigue, ni mort de faim, ni mort de soif, ni mort de peur. Il n’avait en rien l’apparence d’un enfant perdu au milieu du désert, à mille milles de toute région habitée. Quand je réussis enfin à parler, je lui dis :

« Mais qu’est-ce que tu fais là ? »

Et il me répéta alors, tout doucement, comme une chose très sérieuse :

« S’il vous plaît… dessine-moi un mouton… »

Quand le mystère est trop impressionnant, on n’ose pas désobéir. Aussi absurde que cela me semblât à mille milles de tous les endroits habités et en danger de mort, je sortis de ma poche une feuille de papier et un stylographe. Mais je me rappelai alors que j’avais surtout étudié la géographie, l’histoire, le calcul et la grammaire et je dis au petit bonhomme (avec un peu de mauvaise humeur) que je ne savais pas dessiner. Il me répondit :

« Ça ne fait rien. Dessine-moi un mouton. »

Comme je n’avais jamais dessiné un mouton je refis, pour lui, l’un des deux seuls dessins dont j’étais capable. Celui du boa fermé. Et je fus stupéfait d’entendre le petit bonhomme me répondre :

« Non ! Non ! Je ne veux pas d’un éléphant dans un boa. Un boa c’est très dangereux, et un éléphant c’est très encombrant. Chez moi c’est tout petit. J’ai besoin d’un mouton. Dessine-moi un mouton. »

Alors j’ai dessiné.

Il regarda attentivement, puis :

« Non ! Celui-là est déjà très malade. Fais-en un autre. »

Je dessinai :

Mon ami sourit gentiment, avec indulgence :

« Tu vois bien… ce n’est pas un mouton, c’est un bélier. Il a des cornes… »

Je refis donc encore mon dessin :

Mais il fut refusé, comme les précédents :

« Celui-là est trop vieux. Je veux un mouton qui vive longtemps. »

Alors, faute de patience, comme j’avais hâte de commencer le démontage de mon moteur, je griffonnai ce dessin-ci :

Et je lançai :

« Ça c’est la caisse. Le mouton que tu veux est dedans. »

Mais je fus bien surpris de voir s’illuminer le visage de mon jeune juge :

« C’est tout à fait comme ça que je le voulais ! Crois-tu qu’il faille beaucoup d’herbe à ce mouton ?

— Pourquoi ?

— Parce que chez moi c’est tout petit…

— Ça suffira sûrement. Je t’ai donné un tout petit mouton. »

Il pencha la tête vers le dessin :

« Pas si petit que ça… Tiens ! Il s’est endormi… »

Et c’est ainsi que je fis la connaissance du petit prince.

III

Il me fallut longtemps pour comprendre d’où il venait. Le petit prince, qui me posait beaucoup de questions, ne semblait jamais entendre les miennes. Ce sont des mots prononcés par hasard qui, peu à peu, m’ont tout révélé. Ainsi, quand il aperçut pour la première fois mon avion (je ne dessinerai pas mon avion, c’est un dessin beaucoup trop compliqué pour moi) il me demanda :

« Qu’est ce que c’est que cette chose-là ?

— Ce n’est pas une chose. Ça vole. C’est un avion. C’est mon avion. »

Et j’étais fier de lui apprendre que je volais. Alors il s’écria :

« Comment ! tu es tombé du ciel !

— Oui, fis-je modestement.

— Ah ! ça c’est drôle… »

Et le petit prince eut un très joli éclat de rire qui m’irrita beaucoup. Je désire que l’on prenne mes malheurs au sérieux. Puis il ajouta :

— Alors, toi aussi tu viens du ciel ! De quelle planète es-tu ?

J’entrevis aussitôt une lueur, dans le mystère de sa présence, et j’interrogeai brusquement :

— Tu viens donc d’une autre planète ?

Mais il ne me répondit pas. Il hochait la tête doucement tout en regardant mon avion :

— C’est vrai que, là-dessus, tu ne peux pas venir de bien loin…

Et il s’enfonça dans une rêverie qui dura longtemps. Puis, sortant mon mouton de sa poche, il se plongea dans la contemplation de son trésor.

Vous imaginez combien j’avais pu être intrigué par cette demi-confidence sur « les autres planètes ». Je m’efforçai donc d’en savoir plus long :

— D’où viens-tu mon petit bonhomme ? Où est-ce « chez toi » ? Où veux-tu emporter mon mouton ?

Il me répondit après un silence méditatif :

— Ce qui est bien, avec la caisse que tu m’as donnée, c’est que, la nuit, ça lui servira de maison.

— Bien sûr. Et si tu es gentil, je te donnerai aussi une corde pour l’attacher pendant le jour. Et un piquet. »

La proposition parut choquer le petit prince :

« L’attacher ? Quelle drôle d’idée !

— Mais si tu ne l’attaches pas, il ira n’importe où, et il se perdra… »

Et mon ami eut un nouvel éclat de rire :

— Mais où veux-tu qu’il aille !

— N’importe où. Droit devant lui…

Alors le petit prince remarqua gravement :

— Ça ne fait rien, c’est tellement petit, chez moi !

Et, avec un peu de mélancolie, peut-être, il ajouta :

— Droit devant soi on ne peut pas aller bien loin…

IV

J’avais ainsi appris une seconde chose très importante : c’est que sa planète d’origine était à peine plus grande qu’une maison !

Ça ne pouvait pas m’étonner beaucoup. Je savais bien qu’en dehors des grosses planètes comme la Terre, Jupiter, Mars, Vénus, auxquelles on a donné des noms, il y en a des centaines d’autres qui sont quelquefois si petites qu’on a beaucoup de mal à les apercevoir au téléscope. Quand un astronome découvre l’une d’elles, il lui donne pour nom un numéro. Il l’appelle par exemple : « l’astéroïde 325 ».

J’ai de sérieuses raisons de croire que la planète d’où venait le petit prince est l’astéroïde B 612. Cet astéroïde n’a été aperçu qu’une fois au télescope, en 1909, par un astronome turc.

Il avait fait alors une grande démonstration de sa découverte à un congrès International d’astronomie. Mais personne ne l’avait cru à cause de son costume. Les grandes personnes sont comme ça.

Heureusement pour la réputation de l’astéroïde B 612, un dictateur turc imposa à son peuple, sous peine de mort, de s’habiller à l’européenne. L’astronome refit sa démonstration en 1920, dans un habit très élégant. Et cette fois-ci tout le monde fut de son avis.

Si je vous ai raconté ces détails sur l’astéroïde B 612 et si je vous ai confié son numéro, c’est à cause des grandes personnes. Les grandes personnes aiment les chiffres. Quand vous leur parlez d’un nouvel ami, elles ne vous questionnent jamais sur l’essentiel. Elles ne vous disent jamais : « Quel est le son de sa voix ? Quels sont les jeux qu’il préfère ? Est-ce qu’il collectionne les papillons ? » Elles vous demandent : « Quel âge a-t-il ? Combien a-t-il de frères ? Combien pèse-t-il ? Combien gagne son père ? » Alors seulement elles croient le connaître. Si vous dites aux grandes personnes : « J’ai vu une belle maison en briques roses, avec des géraniums aux fenêtres et des colombes sur le toit… » elles ne parviennent pas à s’imaginer cette maison. Il faut leur dire : « J’ai vu une maison de cent mille francs. » Alors elles s’écrient : « Comme c’est joli ! »

Ainsi, si vous leur dites : « La preuve que le petit prince a existé c’est qu’il était ravissant, qu'il riait, et qu’il voulait un mouton. Quand on veut un mouton, c’est la preuve qu’on existe », elles hausseront les épaules et vous traiteront d’enfant ! Mais si vous leur dites : « La planète d’où il venait est l’astéroïde B 612 » alors elles seront convaincues, et elles vous laisseront tranquille avec leurs questions. Elles sont comme ça. Il ne faut pas leur en vouloir. Les enfants doivent être très indulgents envers les grandes personnes.

Mais, bien sûr, nous qui comprenons la vie, nous nous moquons bien des numéros ! J’aurais aimé commencer cette histoire à la façon des contes de fées. J’aurais aimé dire :

« Il était une fois un petit prince qui habitait une planète à peine plus grande que lui, et qui avait besoin d’un ami… » Pour ceux qui comprennent la vie, ça aurait eu l’air beaucoup plus vrai.

Car je n’aime pas qu’on lise mon livre à la légère. J’éprouve tant de chagrin à raconter ces souvenirs. Il y a six ans déjà que mon ami s’en est allé avec son mouton. Si j’essaie ici de le décrire, c’est afin de ne pas l’oublier. C’est triste d’oublier un ami. Tout le monde n’a pas eu un ami. Et je puis devenir comme les grandes personnes qui ne s’intéressent plus qu’aux chiffres. C’est donc pour ça encore que j’ai acheté une boîte de couleurs et des crayons. C’est dur de se remettre au dessin, à mon âge, quand on n’a jamais fait d’autres tentatives que celle d’un boa fermé et celle d’un boa ouvert, à l’âge de six ans ! J’essaierai, bien sûr, de faire des portraits le plus ressemblants possible. Mais je ne suis pas tout à fait certain de réussir. Un dessin va, et l’autre ne ressemble plus. Je me trompe un peu aussi sur la taille. Ici le petit prince est trop grand. Là il est trop petit. J’hésite aussi sur la couleur de son costume. Alors je tâtonne comme ci et comme ça, tant bien que mal. Je me tromperai enfin sur certains détails plus importants. Mais ça, il faudra me le pardonner. Mon ami ne donnait jamais d’explications. Il me croyait peut-être semblable à lui. Mais moi, malheureusement, je ne sais pas voir les moutons à travers les caisses. Je suis peut-être un peu comme les grandes personnes. J’ai dû vieillir.

V

Chaque jour j’apprennais quelque chose sur la planète, sur le départ, sur le voyage. Ça venait tout doucement, au hasard des réflexions. C’est ainsi que, le troisième jour, je connus le drame des baobabs.

Cette fois-ci encore ce fut grâce au mouton, car brusquement le petit prince m’interrogea, comme pris d’un doute grave :

« C’est bien vrai, n’est-ce pas, que les moutons mangent les arbustes ?

— Oui. C’est vrai.

— Ah ! Je suis content ! »

Je ne compris pas pourquoi il était si important que les moutons mangeassent les arbustes. Mais le petit prince ajouta :

« Par conséquent ils mangent aussi les baobabs ? »

Je fis remarquer au petit prince que les baobabs ne sont pas des arbustes, mais des arbres grands comme des églises et que, si même il emportait avec lui tout un troupeau d’éléphants, ce troupeau ne viendrait pas à bout d’un seul baobab.

L’idée du troupeau d’éléphants fit rire le petit prince :

« Il faudrait les mettre les uns sur les autres… »

Mais il remarqua avec sagesse :

« Les baobabs, avant de grandir, ça commence par être petit.

— C’est exact ! Mais pourquoi veux-tu que tes moutons mangent les petits baobabs ? »

Il me répondit : « Ben ! Voyons ! » comme il s’agissait là d’une évidence. Et il me fallut un grand effort d’intelligence pour comprendre à moi seul ce problème.

Et en effet, sur la planète du petit prince, il y avait comme sur toutes les planètes, de bonnes herbes et de mauvaises herbes. Par conséquent de bonnes graines de bonnes herbes et de mauvaises graines de mauvaises herbes. Mais les graines sont invisibles. Elles dorment dans le secret de la terre jusqu’à ce qu’il prenne fantaisie à l’une d’elles de se réveiller. Alors elle s’étire, et pousse d’abord timidement vers le soleil une ravissante petite brindille inoffensive. S'il s'agit d'une brindille de radis ou de rosier, on peut la laisser pousser comme elle veut. Mais s’il s’agit d’une mauvaise plante, il faut arracher la plante aussitôt, dès qu’on a su la reconnaître. Or il y avait des graines terribles sur la planète du petit prince… c’étaient les graines de baobabs. Le sol de la planète en était infesté. Or un baobab, si l’on s'y prend trop tard, on ne peut jamais plus s’en débarrasser. Il encombre toute la planète. Il la perfore de ses racines. Et si la planète est trop petite, et si les baobabs sont trop nombreux, ils la font éclater.

« C’est une question de discipline, me disait plus tard le petit prince. Quand on a terminé sa toilette du matin, il faut faire soigneusement la toilette de la planète. Il faut s’astreindre régulièrement à arracher les baobabs dès qu’on les distingue d’avec les rosiers auxquels ils ressemblent beaucoup quand ils sont très jeunes. C’est un travail très ennuyeux, mais très facile. »

Et un jour il me conseilla de m’appliquer à réussir un beau dessin, pour bien faire entrer ça dans la tête des enfants de chez moi. « S’ils voyagent un jour, me disait-il, ça pourra leur servir. Il est quelquefois sans inconvénient de remettre à plus tard son travail. Mais, s’il s’agit des baobabs, c’est toujours une catastrophe. J’ai connu une planète, habitée par un paresseux. Il avait négligé trois arbustes… »

Et, sur les indications du petit prince, j’ai dessiné cette planète-là. Je n’aime guère prendre le ton d’un moraliste. Mais le danger des baobabs est si peu connu, et les risques courus par celui qui s’égarerait dans un astéroïde sont si considérables, que, pour une fois, je fais exception à ma réserve. Je dis : « Enfants ! Faites attention aux baobabs ! » C’est pour avertir mes amis du danger qu’ils frôlaient depuis longtemps, comme moi-même, sans le connaître, que j’ai tant travaillé ce dessin-là. La leçon que je donnais en valait la peine. Vous vous demanderez peut-être : Pourquoi n’y a-t-il pas dans ce livre, d’autres dessins aussi grandioses que le dessin des baobabs ? La réponse est bien simple : J’ai essayé mais je n’ai pas pu réussir. Quand j’ai dessiné les baobabs j’ai été animé par le sentiment de l’urgence.

VI

Ah ! petit prince, j’ai compris, peu à peu, ainsi, ta petite vie mélancolique. Tu n’avais eu longtemps pour distraction que la douceur des couchers de soleil. J’ai appris ce détail nouveau, le quatrième jour au matin, quand tu m’as dit :

« J’aime bien les couchers de soleil. Allons voir un coucher de soleil…

— Mais il faut attendre…

— Attendre quoi ?

— Attendre que le soleil se couche. »

Tu as eu l’air très surpris d’abord, et puis tu as ri de toi-même. Et tu m’as dit :

« Je me crois toujours chez moi ! »

En effet. Quand il est midi aux États-Unis, le soleil, tout le monde le sait, se couche sur la France. Il suffirait de pouvoir aller en France en une minute pour assister au coucher du soleil. Malheureusement la France est bien trop éloignée. Mais, sur ta si petite planète, il te suffisait de tirer ta chaise de quelques pas. Et tu regardais le crépuscule chaque fois que tu le désirais…

« Un jour, j’ai vu le soleil se coucher quarante-quatre fois ! »

Et un peu plus tard tu ajoutais :

« Tu sais… quand on est tellement triste on aime les couchers de soleil…

— Le jour des quarante-quatre fois tu étais donc tellement triste ? »

Mais le petit prince ne répondit pas.

VII

Le cinquième jour, toujours grâce au mouton, ce secret de la vie du petit prince me fut révélé. Il me demanda avec brusquerie, sans préambule, comme le fruit d’un problème longtemps médité en silence :

« Un mouton, s’il mange les arbustes, il mange aussi les fleurs ?

— Un mouton mange tout ce qu’il rencontre.

— Même les fleurs qui ont des épines ?

— Oui. Même les fleurs qui ont des épines.

— Alors les épines, à quoi servent-elles ? »

Je ne le savais pas. J’étais alors très occupé à essayer de dévisser un boulon trop serré de mon moteur. J’étais très soucieux car ma panne commençait de m’apparaître comme très grave, et l’eau à boire qui s’épuisait me faisait craindre le pire.

« Les épines, à quoi servent-elles ? »

Le petit prince ne renonçait jamais à une question, une fois qu’il l’avait posée. J’étais irrité par mon boulon et je répondis n’importe quoi :

« Les épines, ça ne sert à rien, c’est de la pure méchanceté de la part des fleurs !

— Oh ! »

Mais après un silence il me lança, avec une sorte de rancune :

« Je ne te crois pas ! Les fleurs sont faibles. Elles sont naïves. Elles se rassurent comme elles peuvent. Elles se croient terribles avec leurs épines… »

Je ne répondis rien. À cet instant-là je me disais : « Si ce boulon résiste encore, je le ferai sauter d’un coup de marteau. » Le petit prince dérangea de nouveau mes réflexions :

« Et tu crois, toi, que les fleurs…

— Mais non ! Mais non ! Je ne crois rien ! J’ai répondu n’importe quoi. Je m’occupe, moi, de choses sérieuses ! »

Il me regarda stupéfait.

« De choses sérieuses ! »

Il me voyait, mon marteau à la main, et les doigts noirs de cambouis, penché sur un objet qui lui semblait très laid.

« Tu parles comme les grandes personnes ! »

Ça me fit un peu honte. Mais, impitoyable, il ajouta :

« Tu confonds tout… tu mélanges tout ! »

Il était vraiment très irrité. Il secouait au vent des cheveux tout dorés :

« Je connais une planète où il y a un monsieur cramoisi. Il n’a jamais respiré une fleur. Il n’a jamais regardé une étoile. Il n’a jamais aimé personne. Il n’a jamais rien fait d’autre que des additions. Et toute la journée il répète comme toi : "Je suis un homme sérieux !  Je suis un homme sérieux !" et ça le fait gonfler d’orgueil. Mais ce n’est pas un homme, c’est un champignon !

— Un quoi ?

— Un champignon ! »

Le petit prince était maintenant tout pâle de colère.

« Il y a des millions d’années que les fleurs fabriquent des épines. Il y a des millions d’années que les moutons mangent quand même les fleurs. Et ce n’est pas sérieux de chercher à comprendre pourquoi elles se donnent tant de mal pour se fabriquer des épines qui ne servent jamais à rien ? Ce n’est pas important la guerre des moutons et des fleurs ? Ce n’est pas sérieux et plus important que les additions d’un gros monsieur rouge ? Et si je connais, moi, une fleur unique au monde, qui n’existe nulle part, sauf dans ma planète, et qu’un petit mouton peut anéantir d’un seul coup, comme ça, un matin, sans se rendre compte de ce qu’il fait, ce n’est pas important ça ! »

Il rougit, puis reprit :

« Si quelqu’un aime une fleur qui n’existe qu’à un exemplaire dans les millions et les millions d’étoiles, ça suffit pour qu’il soit heureux quand il les regarde. Il se dit : "Ma fleur est là quelque part…" Mais si le mouton mange la fleur, c’est pour lui comme si, brusquement, toutes les étoiles s’éteignaient ! Et ce n’est pas important ça ! »

Il ne put rien dire de plus. Il éclata brusquement en sanglots. La nuit était tombée. J’avais lâché mes outils. Je me moquais bien de mon marteau, de mon boulon, de la soif et de la mort. Il y avait sur une étoile, une planète, la mienne, la Terre, un petit prince à consoler ! Je le pris dans les bras. Je le berçai. Je lui disais : « La fleur que tu aimes n’est pas en danger… Je lui dessinerai une muselière, à ton mouton… Je te dessinerai une armure pour ta fleur… Je… » Je ne savais pas trop quoi dire. Je me sentais très maladroit. Je ne savais comment l’atteindre, où le rejoindre… C’est tellement mystérieux, le pays des larmes !

VIII

J’appris bien vite à mieux connaître cette fleur. Il y avait toujours eu, sur la planète du petit prince, des fleurs très simples, ornées d’un seul rang de pétales, et qui ne tenaient point de place, et qui ne dérangeaient personne. Elles apparaissaient un matin dans l’herbe, et puis elles s’éteignaient le soir. Mais celle-là avait germé un jour, d’une graine apportée d’on ne sait où, et le petit prince avait surveillé de très près cette brindille qui ne ressemblait pas aux autres brindilles. Ça pouvait être un nouveau genre de baobab. Mais l’arbuste cessa vite de croître, et commença de préparer une fleur. Le petit prince, qui assistait à l’installation d’un bouton énorme, sentait bien qu’il en sortirait une apparition miraculeuse, mais la fleur n’en finissait pas de se préparer à être belle, à l’abri de sa chambre verte. Elle choisissait avec soin ses couleurs. Elle s’habillait lentement, elle ajustait un à un ses pétales. Elle ne voulait pas sortir toute fripée comme les coquelicots. Elle ne voulait apparaître que dans le plein rayonnement de sa beauté. Eh ! oui. Elle était très coquette ! Sa toilette mystérieuse avait donc duré des jours et des jours. Et puis voici qu’un matin, justement à l’heure du lever du soleil, elle s’était montrée.

Et elle, qui avait travaillé avec tant de précision, dit en bâillant :

« Ah ! Je me réveille à peine… Je vous demande pardon… Je suis encore toute décoiffée… »

Le petit prince, alors, ne put contenir son admiration :

« Que vous êtes belle !

— N’est-ce pas, répondit doucement la fleur. Et je suis née en même temps que le soleil… »

Le petit prince devina bien qu’elle n’était pas trop modeste, mais elle était si émouvante !

« C’est l’heure, je crois, du petit déjeuner, avait-elle bientôt ajouté, auriez-vous la bonté de penser à moi…

Et le petit prince, tout confus, ayant été chercher un arrosoir d’eau fraîche, avait servi la fleur.

Ainsi l’avait-elle bien vite tourmenté par sa vanité un peu ombrageuse. Un jour, par exemple, parlant de ses quatre épines, elle avait dit au petit prince :

« Ils peuvent venir, les tigres, avec leurs griffes !

— Il n’y a pas de tigres sur ma planète, avait objecté le petit prince, et puis les tigres ne mangent pas d’herbe.

— Je ne suis pas une herbe, avait doucement répondu la fleur.

— Pardonnez-moi…

— Je ne crains rien des tigres, mais j’ai horreur des courants d’air. Vous n’auriez pas un paravent ? »

« Horreur des courants d’air… ce n’est pas de chance, pour une plante, avait remarqué le petit prince. Cette fleur est bien compliquée… »

« Le soir vous me mettrez sous un globe. Il fait très froid chez vous. C’est mal installé. Là d’où je viens… »

Mais elle s’était interrompue. Elle était venue sous forme de graine. Elle n’avait rien pu connaître des autres mondes. Humiliée de s’être laissé surprendre à préparer un mensonge aussi naïf, elle avait toussé deux ou trois fois, pour mettre le petit prince dans son tort :

« Ce paravent ? …

— J’allais le chercher mais vous me parliez ! »

Alors elle avait forcé sa toux pour lui infliger quand même des remords.

Ainsi le petit prince, malgré la bonne volonté de son amour, avait vite douté d’elle. Il avait pris au sérieux des mots sans importance, et était devenu très malheureux.

« J’aurais dû ne pas l’écouter, me confia-t-il un jour, il ne faut jamais écouter les fleurs. Il faut les regarder et les respirer. La mienne embaumait ma planète, mais je ne savais pas m’en réjouir. Cette histoire de griffes, qui m’avait tellement agacé, eût dû m’attendrir… »

Il me confia encore :

« Je n’ai alors rien su comprendre ! J’aurais dû la juger sur les actes et non sur les mots. Elle m’embaumait et m’éclairait. Je n’aurais jamais dû m’enfuir ! J’aurais dû deviner sa tendresse derrière ses pauvres ruses. Les fleurs sont si contradictoires ! Mais j’étais trop jeune pour savoir l’aimer. »

IX

Je crois qu’il profita, pour son évasion, d’une migration d’oiseaux sauvages. Au matin du départ il mit sa planète bien en ordre. Il ramona soigneusement ses volcans en activité. Il possédait deux volcans en activité. Et c’était bien commode pour faire chauffer le petit déjeuner du matin. Il possédait aussi un volcan éteint. Mais, comme il disait, « On ne sait jamais ! » Il ramona donc également le volcan éteint. S’ils sont bien ramonés, les volcans brûlent doucement et régulièrement, sans éruptions. Les éruptions volcaniques sont comme des feux de cheminée. Évidemment sur notre terre nous sommes beaucoup trop petits pour ramoner nos volcans. C’est pourquoi ils nous causent des tas d’ennuis.

Le petit prince arracha aussi, avec un peu de mélancolie, les dernières pousses de baobabs. Il croyait ne plus jamais devoir revenir. Mais tous ces travaux familiers lui parurent, ce matin-là, extrêmement doux. Et, quand il arrosa une dernière fois la fleur, et se prépara à la mettre à l’abri sous son globe, il se découvrit l’envie de pleurer.

« Adieu », dit-il à la fleur.

Mais elle ne lui répondit pas.

« Adieu », répéta-t-il.

La fleur toussa. Mais ce n’était pas à cause de son rhume.

« J’ai été sotte, lui dit-elle enfin. Je te demande pardon. Tâche d’être heureux. »

Il fut surpris par l’absence de reproches. Il restait là tout déconcerté, le globe en l’air. Il ne comprenait pas cette douceur calme.

« Mais oui, je t’aime, lui dit la fleur. Tu n’en a rien su, par ma faute. Cela n’a aucune importance. Mais tu as été aussi sot que moi. Tâche d’être heureux… Laisse ce globe tranquille. Je n’en veux plus.

— Mais le vent…

— Je ne suis pas si enrhumée que ça… L’air frais de la nuit me fera du bien. Je suis une fleur.

— Mais les bêtes…

— Il faut bien que je supporte deux ou trois chenilles si je veux connaître les papillons. Il paraît que c’est tellement beau. Sinon qui me rendra visite ? Tu seras loin, toi. Quant aux grosses bêtes, je ne crains rien. J’ai mes griffes. »

Et elle montrait naïvement ses quatre épines. Puis elle ajouta :

« Ne traîne pas comme ça, c’est agaçant. Tu as décidé de partir. Va t-en. »

Car elle ne voulait pas qu’il la vît pleurer. C’était une fleur tellement orgueilleuse…

X

Il se trouvait dans la région des astéroïdes 325, 326, 327, 328, 329 et 330. Il commença donc par les visiter pour y chercher une occupation et pour s’instruire.

Le premier était habité par un roi. Le roi siégeait, habillé de pourpre et d’hermine, sur un trône très simple et cependant majestueux.

« Ah ! Voilà un sujet ! » s’écria le roi quand il aperçut le petit prince.

Et le petit prince se demanda :

« Comment peut-il me reconnaître puisqu’il ne m’a encore jamais vu ! »

Il ne savait pas que, pour les rois, le monde est très simplifié. Tous les hommes sont des sujets.

« Approche-toi que je te voie mieux », lui dit le roi qui était tout fier d’être enfin roi pour quelqu’un.

Le petit prince chercha des yeux où s’asseoir, mais la planète était tout encombrée par le magnifique manteau d’hermine. Il resta donc debout, et, comme il était fatigué, il bâilla.

— Il est contraire à l’étiquette de bâiller en présence d’un roi, lui dit le monarque. Je te l’interdis.

— Je ne peux pas m’en empêcher, répondit le petit prince tout confus. J’ai fait un long voyage et je n’ai pas dormi…

— Alors, lui dit le roi, je t’ordonne de bâiller. Je n’ai vu personne bâiller depuis des années. Les bâillements sont pour moi des curiosités. Allons ! bâille encore. C’est un ordre.

— Ça m’intimide… je ne peux plus… , fit le petit prince tout rougissant.

— Hum ! Hum ! répondit le roi. Alors je… je t’ordonne tantôt de bâiller et tantôt de… »

Il bredouillait un peu et paraissait vexé.

Car le roi tenait essentiellement à ce que son autorité fût respectée. Il ne tolérait pas le désobéissance. C’était un monarque absolu. Mais comme il était très bon, il donnait des ordres raisonnables.

« Si j’ordonnais, disait-il couramment, si j’ordonnais à un général de se changer en oiseau de mer, et si le général n’obéissait pas, ce ne serait pas la faute du général. Ce serait ma faute. »

« Puis-je m’asseoir ? s’enquit timidement le petit prince.

— Je t’ordonne de t’asseoir », lui répondit le roi, qui ramena majestueusement un pan de son manteau d’hermine.

Mais le petit prince s’étonnait. La planète était minuscule. Sur quoi le roi pouvait-il bien régner ?

« Sire, lui dit-il… je vous demande pardon de vous interroger…

— Je t’ordonne de m’interroger, se hâta de dire le roi.

— Sire… sur quoi régnez-vous ?

— Sur tout, répondit le roi, avec une grande simplicité.

— Sur tout ? »

Le roi d’un geste discret désigna sa planète, les autres planètes et les étoiles.

« Sur tout ça ? dit le petit prince.

— Sur tout ça… », répondit le roi.

Car non seulement c’était un monarque absolu mais c’était un monarque universel.

« Et les étoiles vous obéissent ?

— Bien sûr, lui dit le roi. Elles obéissent aussitôt. Je ne tolère pas l’indiscipline. »

Un tel pouvoir émerveilla le petit prince. S’il l’avait détendu lui-même, il aurait pu assister, non pas à quarante-quatre, mais à soixante-douze, ou même à cent, ou même à deux cents couchers de soleil dans la même journée, sans avoir jamais à tirer sa chaise ! Et comme il se sentait un peu triste à cause du souvenir de sa petite planète abandonnée, il s’enhardit à solliciter une grâce du roi :

« Je voudrais voir un coucher de soleil… Faites-moi plaisir… Ordonnez au soleil de se coucher…

— Si j’ordonnais à un général de voler d’une fleur à l’autre à la façon d’un papillon, ou d’écrire une tragédie, ou de se changer en oiseau de mer, et si le général n’exécutait pas l’ordre reçu, qui, de lui ou de moi, serait dans son tort ?

— Ce serait vous, dit fermement le petit prince.

— Exact. Il faut exiger de chacun ce que chacun peut donner, reprit le roi. L’autorité repose d’abord sur la raison. Si tu ordonnes à ton peuple d’aller se jeter à la mer, il fera la révolution. J’ai le droit d’exiger l’obéissance parce que mes ordres sont raisonnables.

— Alors mon coucher de soleil ? rappela le petit prince qui jamais n’oubliait une question une fois qu’il l’avait posée.

— Ton coucher de soleil, tu l’auras. Je l’exigerai. Mais j’attendrai, dans ma science du gouvernement, que les conditions soient favorables.

— Quand ça sera-t-il ? s’informa le petit prince.

— Hem ! Hem ! lui répondit le roi, qui consulta d’abord un gros calendrier, hem ! hem ! ce sera, vers… vers… ce sera ce soir vers sept heures quarante ! Et tu verras comme je suis bien obéi. »

Le petit prince bâilla. Il regrettait son coucher de soleil manqué. Et puis il s’ennuyait déjà un peu :

« Je n’ai plus rien à faire ici, dit-il au roi. Je vais repartir !

— Ne pars pas, répondit le roi qui était si fier d’avoir un sujet. Ne pars pas, je te fais ministre !

— Ministre de quoi ?

— De… de la Justice !

— Mais il n’y a personne à juger !

— On ne sait pas, lui dit le roi. Je n’ai pas fait encore le tour de mon royaume. Je suis très vieux, je n’ai pas de place pour un carrosse, et ça me fatigue de marcher.

— Oh ! Mais j’ai déjà vu, dit le petit prince qui se pencha pour jeter encore un coup d’œil sur l’autre côté de la planète. Il n’y a personne là-bas non plus…

— Tu te jugeras donc toi-même, lui répondit le roi. C’est le plus difficile. Il est bien plus difficile de se juger soi-même que de juger autrui. Si tu réussis à bien te juger, c’est que tu es un véritable sage.

— Moi, dit le petit prince, je puis me juger moi-même n’importe où. Je n’ai pas besoin d’habiter ici.

— Hem ! Hem ! dit le roi, je crois bien que sur ma planète il y a quelque part un vieux rat. Je l’entends la nuit. Tu pourras juger ce vieux rat. Tu le condamneras à mort de temps en temps. Ainsi sa vie dépendra de ta justice. Mais tu le gracieras chaque fois pour l’économiser. Il n’y en a qu’un.

— Moi, répondit le petit prince, je n’aime pas condamner à mort, et je crois bien que je m’en vais.

— Non », dit le roi.

Mais le petit prince, ayant achevé ses préparatifs, ne voulut point peiner le vieux monarque :

— Si votre Majesté désirait être obéie ponctuellement, Elle pourrait me donner un ordre raisonnable. Elle pourrait m’ordonner, par exemple, de partir avant une minute. Il me semble que les conditions sont favorables… »

Le roi n’ayant rien répondu, le petit prince hésita d’abord, puis, avec un soupir, prit le départ...

« Je te fais mon ambassadeur », se hâta alors de crier le roi.

Il avait un grand air d’autorité.

Les grandes personnes sont bien étranges, se dit le petit prince, en lui même, durant son voyage.

XI

La seconde planète était habitée par un vaniteux :

« Ah ! Ah ! Voilà la visite d’un admirateur ! » s’écria de loin le vaniteux dès qu’il aperçut le petit prince.

Car, pour les vaniteux, les autres hommes sont des admirateurs.

« Bonjour, dit le petit prince. Vous avez un drôle de chapeau.

— C’est pour saluer, lui répondit le vaniteux. C’est pour saluer quand on m’acclame. Malheureusement il ne passe jamais personne par ici.

— Ah oui ? dit le petit prince qui ne comprit pas.

— Frappe tes mains l’une contre l’autre », conseilla donc le vaniteux.

Le petit prince frappa ses mains l’une contre l’autre. Le vaniteux salua modestement en soulevant son chapeau.

« Ça c’est plus amusant que la visite au roi », se dit en lui même le petit prince. Et il recommença de frapper ses mains l’une contre l’autre. Le vaniteux recommença de saluer en soulevant son chapeau.

Après cinq minutes d’exercice le petit prince se fatigua de la monotonie du jeu :

« Et, pour que le chapeau tombe, demanda-t-il, que faut-il faire ? »

Mais le vaniteux ne l’entendit pas. Les vaniteux n’entendent jamais que les louanges.

« Est-ce que tu m’admires vraiment beaucoup ? demanda-t-il au petit prince.

— Qu’est-ce que signifie admirer ?

— Admirer signifie reconnaître que je suis l’homme le plus beau, le mieux habillé, le plus riche et le plus intelligent de la planète.

— Mais tu es seul sur ta planète !

— Fais-moi ce plaisir. Admire-moi quand-même !

— Je t’admire, dit le petit prince, en haussant un peu les épaules, mais en quoi cela peut-il bien t’intéresser ? »

Et le petit prince s’en fut.

« Les grandes personnes sont décidément bien bizarres », se dit-il simplement en lui-même durant son voyage.

XII

La planète suivante était habitée par un buveur. Cette visite fut très courte, mais elle plongea le petit prince dans une grande mélancolie :

« Que fais-tu là ? dit-il au buveur, qu’il trouva installé en silence devant une collection de bouteilles vides et une collection de bouteilles pleines.

— Je bois, répondit le buveur, d’un air lugubre.

— Pourquoi bois-tu ? lui demanda le petit prince.

— Pour oublier, répondit le buveur.

— Pour oublier quoi ? s’enquit le petit prince qui déjà le plaignait.

— Pour oublier que j’ai honte, avoua le buveur en baissant la tête.

— Honte de quoi ? s’informa le petit prince qui désirait le secourir.

— Honte de boire ! » acheva le buveur qui s’enferma définitivement dans le silence.

Et le petit prince s’en fut, perplexe.

« Les grandes personnes sont décidément très très bizarres », se disait-il en lui-même durant le voyage.

XIII

La quatrième planète était celle du businessman. Cet homme était si occupé qu’il ne leva même pas la tête à l’arrivée du petit prince.

« Bonjour, lui dit celui-ci. Votre cigarette est éteinte.

— Trois et deux font cinq. Cinq et sept douze. Douze et trois quinze. Bonjour. Quinze et sept vingt-deux. Vingt-deux et six vingt-huit. Pas le temps de la rallumer. Vingt-six et cinq trente et un. Ouf ! Ça fait donc cinq cent un millions six cent vingt-deux mille sept cent trente et un.

— Cinq cents millions de quoi ?

— Hein ? Tu es toujours là ? Cinq cent un million de… je ne sais plus… J’ai tellement de travail ! Je suis sérieux, moi, je ne m’amuse pas à des balivernes ! Deux et cinq sept…

— Cinq cent un millions de quoi ? » répéta le petit prince qui jamais de sa vie n’avait renoncé à une question, une fois qu’il l’avait posée.

Le businessman leva la tête :

« Depuis cinquante-quatre ans que j’habite cette planète-ci, je n’ai été dérangé que trois fois. La première fois ç’a été, il y a vingt-deux ans, par un hanneton qui était tombé Dieu sait d’où. Il répandait un bruit épouvantable, et j’ai fait quatre erreurs dans une addition. La seconde fois ç’à été, il y a onze ans, par une crise de rhumatisme. Je manque d’exercice. Je n'ai pas le temps de flâner. Je suis sérieux, moi. La troisième fois… la voici ! Je disais donc cinq cent un millions…

— Millions de quoi ? »

Le businessman comprit qu’il n’était point d’espoir de paix :

« Millions de ces petites choses que l’on voit quelquefois dans le ciel.

— Des mouches ?

— Mais non, des petites choses qui brillent.

— Des abeilles ?

— Mais non. Des petites choses dorées qui font rêvasser les fainéants. Mais je suis sérieux, moi ! Je n’ai pas le temps de rêvasser.

— Ah ! des étoiles ?

— C’est bien ça. Des étoiles.

— Et que fais-tu de cinq cents millions d’étoiles ?

— Cinq cent un millions six cent vingt-deux mille sept cent trente et un. Je suis sérieux, moi, je suis précis.

— Et que fais-tu de ces étoiles ?

— Ce que j’en fais ?

— Oui.

— Rien. Je les possède.

— Tu possèdes les étoiles ?

— Oui.

— Mais j’ai déjà vu un roi qui…

— Les rois ne possèdent pas. Ils « règnent » sur. C’est très différent.

— Et à quoi cela te sert-il de posséder les étoiles ?

— Ça me sert à être riche.

— Et à quoi cela te sert-il d’être riche ?

— À acheter d’autres étoiles, si quelqu’un en trouve. »

« Celui-là, se dit en lui-même le petit prince, il raisonne un peu comme mon ivrogne. »

Cependant il posa encore des questions :

« Comment peut-on posséder les étoiles ?

— À qui sont-elles ? riposta, grincheux, le businessman.

— Je ne sais pas. À personne.

— Alors elles sont à moi, car j’y ai pensé le premier.

— Ça suffit ?

— Bien sûr. Quand tu trouves un diamant qui n’est à personne, il est à toi. Quand tu trouves une île qui n’est à personne, elle est à toi. Quand tu as une idée le premier, tu la fais breveter : elle est à toi. Et moi je possède les étoiles, puisque jamais personne avant moi n’a songé à les posséder.

— Ça c’est vrai, dit le petit prince. Et qu’en fais-tu ?

— Je les gère. Je les compte et je les recompte, dit le businessman. C’est difficile. Mais je suis un homme sérieux ! »

Le petit prince n’était pas satisfait encore.

« Moi, si je possède un foulard, je puis le mettre autour de mon cou et l’emporter. Moi, si je possède une fleur, je puis cueillir ma fleur et l’emporter. Mais tu ne peux pas cueillir les étoiles !

— Non, mais je puis les placer en banque.

— Qu’est-ce que ça veut dire ?

— Ça veut dire que j’écris sur un petit papier le nombre de mes étoiles. Et puis j’enferme à clef ce papier-là dans un tiroir.

— Et c’est tout ?

— Ça suffit ! »

« C’est amusant, pensa le petit prince. C’est assez poétique. Mais ce n’est pas très sérieux. »

Le petit prince avait sur les choses sérieuses des idées très différentes des idées des grandes personnes.

« Moi, dit-il encore, je possède une fleur que j’arrose tous les jours. Je possède trois volcans que je ramone toutes les semaines. Car je ramone aussi celui qui est éteint. On ne sait jamais. C’est utile à mes volcans, et c’est utile à ma fleur, que je les possède. Mais tu n’es pas utile aux étoiles… »

Le businessman ouvrit la bouche mais ne trouva rien à répondre, et le petit prince s’en fut.

« Les grandes personnes sont décidément tout à fait extraordinaires », se disait-il simplement en lui-même durant le voyage.

XIV

La cinquième planète était très curieuse. C’était la plus petite de toutes. Il y avait là juste assez de place pour loger un réverbère et un allumeur de réverbères. Le petit prince ne parvenait pas à s’expliquer à quoi pouvaient servir, quelque part dans le ciel, sur une planète sans maison ni population, un réverbère et un allumeur de réverbères. Cependant il se dit en lui-même :

Lesen Sie weiter in der vollständigen Ausgabe!

Lesen Sie weiter in der vollständigen Ausgabe!

Lesen Sie weiter in der vollständigen Ausgabe!

Lesen Sie weiter in der vollständigen Ausgabe!

Lesen Sie weiter in der vollständigen Ausgabe!

Lesen Sie weiter in der vollständigen Ausgabe!

Lesen Sie weiter in der vollständigen Ausgabe!

Lesen Sie weiter in der vollständigen Ausgabe!

Lesen Sie weiter in der vollständigen Ausgabe!

Lesen Sie weiter in der vollständigen Ausgabe!

Lesen Sie weiter in der vollständigen Ausgabe!

Lesen Sie weiter in der vollständigen Ausgabe!

Lesen Sie weiter in der vollständigen Ausgabe!

Lesen Sie weiter in der vollständigen Ausgabe!

Lesen Sie weiter in der vollständigen Ausgabe!

Lesen Sie weiter in der vollständigen Ausgabe!

Lesen Sie weiter in der vollständigen Ausgabe!

Lesen Sie weiter in der vollständigen Ausgabe!

Lesen Sie weiter in der vollständigen Ausgabe!

Lesen Sie weiter in der vollständigen Ausgabe!

Lesen Sie weiter in der vollständigen Ausgabe!

Lesen Sie weiter in der vollständigen Ausgabe!

Lesen Sie weiter in der vollständigen Ausgabe!

Lesen Sie weiter in der vollständigen Ausgabe!

Lesen Sie weiter in der vollständigen Ausgabe!

Lesen Sie weiter in der vollständigen Ausgabe!

Lesen Sie weiter in der vollständigen Ausgabe!

Lesen Sie weiter in der vollständigen Ausgabe!

Lesen Sie weiter in der vollständigen Ausgabe!

Lesen Sie weiter in der vollständigen Ausgabe!

Lesen Sie weiter in der vollständigen Ausgabe!

Lesen Sie weiter in der vollständigen Ausgabe!

Lesen Sie weiter in der vollständigen Ausgabe!

Lesen Sie weiter in der vollständigen Ausgabe!

Lesen Sie weiter in der vollständigen Ausgabe!

Lesen Sie weiter in der vollständigen Ausgabe!

Lesen Sie weiter in der vollständigen Ausgabe!

Lesen Sie weiter in der vollständigen Ausgabe!

Lesen Sie weiter in der vollständigen Ausgabe!

Lesen Sie weiter in der vollständigen Ausgabe!

Lesen Sie weiter in der vollständigen Ausgabe!

Lesen Sie weiter in der vollständigen Ausgabe!

Lesen Sie weiter in der vollständigen Ausgabe!

Lesen Sie weiter in der vollständigen Ausgabe!

Lesen Sie weiter in der vollständigen Ausgabe!

Lesen Sie weiter in der vollständigen Ausgabe!

Lesen Sie weiter in der vollständigen Ausgabe!

Lesen Sie weiter in der vollständigen Ausgabe!

Lesen Sie weiter in der vollständigen Ausgabe!

Lesen Sie weiter in der vollständigen Ausgabe!

Lesen Sie weiter in der vollständigen Ausgabe!

Lesen Sie weiter in der vollständigen Ausgabe!

Lesen Sie weiter in der vollständigen Ausgabe!

Lesen Sie weiter in der vollständigen Ausgabe!

Lesen Sie weiter in der vollständigen Ausgabe!

Lesen Sie weiter in der vollständigen Ausgabe!

Lesen Sie weiter in der vollständigen Ausgabe!

Lesen Sie weiter in der vollständigen Ausgabe!

Lesen Sie weiter in der vollständigen Ausgabe!

Lesen Sie weiter in der vollständigen Ausgabe!

Lesen Sie weiter in der vollständigen Ausgabe!

Lesen Sie weiter in der vollständigen Ausgabe!

Lesen Sie weiter in der vollständigen Ausgabe!

Lesen Sie weiter in der vollständigen Ausgabe!

Lesen Sie weiter in der vollständigen Ausgabe!

Lesen Sie weiter in der vollständigen Ausgabe!

Lesen Sie weiter in der vollständigen Ausgabe!

Lesen Sie weiter in der vollständigen Ausgabe!

Lesen Sie weiter in der vollständigen Ausgabe!

Lesen Sie weiter in der vollständigen Ausgabe!

Lesen Sie weiter in der vollständigen Ausgabe!

Lesen Sie weiter in der vollständigen Ausgabe!

Lesen Sie weiter in der vollständigen Ausgabe!

Lesen Sie weiter in der vollständigen Ausgabe!

Lesen Sie weiter in der vollständigen Ausgabe!

Lesen Sie weiter in der vollständigen Ausgabe!

Lesen Sie weiter in der vollständigen Ausgabe!

Lesen Sie weiter in der vollständigen Ausgabe!

Lesen Sie weiter in der vollständigen Ausgabe!

Lesen Sie weiter in der vollständigen Ausgabe!

Lesen Sie weiter in der vollständigen Ausgabe!

Lesen Sie weiter in der vollständigen Ausgabe!

Lesen Sie weiter in der vollständigen Ausgabe!

Lesen Sie weiter in der vollständigen Ausgabe!

Lesen Sie weiter in der vollständigen Ausgabe!

Lesen Sie weiter in der vollständigen Ausgabe!

Lesen Sie weiter in der vollständigen Ausgabe!