Oeuvres complètes - Paul Verlaine - E-Book

Oeuvres complètes E-Book

Paul Verlaine

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Beschreibung

Sommaire :Premiers vers - Poèmes saturniens - Fêtes galantes - La Bonne chanson - Contribution à l'«Album zutique» - Romances sans paroles - Sagesse - Reliquat de «Cellulairement» - Jadis et naguère - Amour - Parallèlement - Dédicaces - Bonheur - Chansons pour elle - Liturgies intimes - Odes en son honneur - Élégies - Le Livre posthume - Dans les limbes - Épigrammes - Chair - Invectives - Biblio-sonnets - Poèmes divers

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Table of Contents

Page de titre

Poèmes saturniens

Prologue

Melancholia

Résignation

Nevermore

Après trois ans

Vœu

Lassitude

Mon rêve familier

À une femme

L’angoisse

Eaux-Fortes

Croquis parisien

Cauchemar

Marine

Effet de nuit

Grotesques

Paysages tristes

Soleils couchants

Crépuscule du soir mystique

Promenade sentimentale

Nuit du Walpurgis classique

Chanson d'automne

L’heure du berger

Le rossignol

Caprices

Femme et chatte

Jésuitisme

La chanson des Ingénues

Une grande dame

Monsieur Prudhomme

Initium

Çavitri

Sub urbe

Sérénade

Un dahlia

Nevermore

Il bacio

Dans les bois

Nocturne parisien

Marco

César Borgia

La mort de Philippe II

Épilogue

Fêtes galantes

Clair de lune

Pantomime

Sur l’herbe

L’allée

À la promenade

Dans la grotte

Les ingénus

Cortège

Les coquillages

En patinant

Fantoches

Cythère

En bateau

Le faune

Mandoline

À Clymène

Lettre

Les indolents

Colombine

L’amour par terre

En sourdine

Colloque sentimental

La Bonne Chanson

I – Le soleil du matin doucement chauffe et dore

II – Toute grâce et toutes nuances

III – En robe grise et verte avec des ruches

IV – Puisque l’aube grandit, puisque voici l’aurore

V – Avant que tu ne t’en ailles

VI – La lune blanche

VII – Le paysage dans le cadre des portières

VIII – Une Sainte en son auréole

IX – Son bras droit, dans un geste aimable de douceur

X – Quinze longs jours encore et plus de six semaines

XI – La dure épreuve va finir

XII – Va, chanson, à tire-d’aile

XIII – Hier, on parlait de choses et d’autres

XIV – Le foyer, la lueur étroite de la lampe

XV – J’ai presque peur, en vérité

XVI – Le bruit des cabarets, la fange des trottoirs

XVII – N’est-ce pas ? en dépit des sots et des méchants

XVIII – Nous sommes en des temps infâmes

XIX – Donc, ce sera par un clair jour d’été

XX – J’allais par des chemins perfides

XXI – L’hiver a cessé : la lumière est tiède

Romances sans paroles

I – C’est l’extase langoureuse

II – Je devine, à travers un murmure

III – Il pleure dans mon cœur

IV – Il faut, voyez-vous, nous pardonner les choses

V – Le piano que baise une main frêle

VI – C’est le chien de Jean de Nivelle

VII – Ô triste, triste était mon âme

VII – Dans l’interminable

IX – L’ombre des arbres dans la rivière embrumée

Paysages belges

Walcourt

Charleroi

Bruxelles simples fresques

Bruxelles chevaux de bois

Malines

Birds in the night

Aquarelles

Green

Spleen

Streets

Child wife

A poor young shepherd

Beams

Sagesse

I – Bon chevalier masqué qui chevauche en silence

II – J’avais peiné comme Sisyphe

III – Qu’en dis-tu, voyageur, des pays et des gares

IV – Malheureux ! Tous les dons, la gloire du baptême

V – Beauté des femmes, leur faiblesse, et ces mains pâles

VI – Ô vous, comme un qui boite au loin. Chagrins et Joies

VII – Les faux beaux jours ont lui tout le jour, ma pauvre âme

VIII – La vie humble aux travaux ennuyeux et faciles

IX – Sagesse d’un Louis Racine, je t’envie !

X – Non. Il fut gallican, ce siècle, et janséniste !

XI – Petits amis qui sûtes nous prouver

XII – Or, vous voici promus, petits amis

XIII – Prince mort en soldat à cause de la France

XIV – Vous reviendrez bientôt les bras pleins de pardons

XV – On n’offense que Dieu qui seul pardonne

XVI – Écoutez la chanson bien douce

XVII – Les chères mains qui furent miennes

XVIII – Et j’ai revu l’enfant unique

XIX – Voix de l’Orgueil ; un cri puissant, comme d’un cor

XX – L’ennemi se déguise en L’Ennui

XXI – Va ton chemin sans plus t’inquiéter !

XXII – Pourquoi triste, ô mon âme

XXIII – Né l’enfant des grandes villes

XXIV – L’âme antique était rude et vaine

I – Ô mon Dieu, vous m’avez blessé d’amour

II – Je ne veux plus aimer que ma mère Marie

III – Vous êtes calme, vous voulez un vœu discret

IV – Mon Dieu m’a dit : Mon fils, il faut m’aimer. Tu vois

I

II

III

IV

V

VI

VII

VIII

IX

I – Désormais le Sage, puni

II – Du fond du grabat

III – L’espoir luit comme un brin de paille dans l’étable

IV – Je suis venu, calme orphelin

V – Un grand sommeil noir

VI – Le ciel est, par-dessus le toit

VII – Je ne sais pourquoi

VIII – Parfums, couleurs, systèmes, lois !

IX – Le son du cor s’afflige vers les bois

X – La tristesse, langueur du corps humain

XI – La bise se rue à travers

XII – Vous voilà, vous voilà, pauvres bonnes pensées !

XIII – L’échelonnement des haies

XIV – L’immensité de l’humanité

XV – La mer est plus belle

XVI – La « grande ville ». Un tas criard de pierres blanches

XVII – Toutes les amours de la terre

XVIII – Sainte Thérèse veut que la Pauvreté soit

XIX – Parisien, mon frère à jamais étonné

XX – C’est la fête du blé, c’est la fête du pain

Jadis et naguère

Jadis

Prologue

Sonnets et autres vers

Pierrot

Kaléidoscope

Intérieur

Dizain mille huit cent trente

À Horatio

Sonnet boîteux

Le clown

Le squelette

Art poétique

Le pitre

Allégorie

L’auberge

Circonspection

Vers pour être calomnié

Luxures

Vendanges

Images d’un sou

Les uns et les autres

Scène I

Scène II

Scène III

Scène IV

Scène V

Scène VI

Scène VII

Scène VIII

Scène IX

Scène X

Vers jeunes

Le soldat laboureur

Les loups

La pucelle

L’Angélus du matin

La soupe du soir

Les vaincus

I

II

III

IV

À la manière de plusieurs

I. La princesse Bérénice

II. Langueur

III. Pantoum négligé

IV. Paysage

V. Conseil falot

VI. Le poète et la muse

VII. L’aube à l'envers

VIII. Un pouacre

IX. Madrigal

Naguère

Prologue

Crimen amoris

La Grâce

L’impénitence finale

Don Juan pipé

Amoureuse du diable

Page de copyright

 

Poèmes saturniens

Prologue

Dans ces temps fabuleux, les limbes de l’histoire,

Où les fils de Raghû, beaux de fard et de gloire,

Vers la Ganga régnaient leur règne étincelant,

Et, par l’intensité de leur vertu, troublant

Les Dieux et les Démons et Bhagavat lui-même,

Augustes, s’élevaient jusqu’au néant suprême,

Ah ! la terre et la mer et le ciel, purs encor

Et jeunes, qu’arrosait une lumière d’or

Frémissante, entendaient, apaisant leurs murmures

De tonnerres, de flots heurtés, de moissons mûres,

Et retenant le vol obstiné des essaims,

Les Poètes sacrés chanter les Guerriers saints,

Ce pendant que le ciel et la mer et la terre

Voyaient – rouges et las de leur travail austère –

S’incliner, pénitents fauves et timorés,

Les Guerriers saints devant les Poètes sacrés !

Une connexité grandiosement calme

Liait le Kchatrya serein au Chanteur calme,

Valmiki l’excellent à l’excellent Rama :

Telles sur un étang deux touffes de padma.

– Et sous tes cieux dorés et clairs, Hellas antique,

De Sparte la sévère à la rieuse Attique,

Les Aèdes, Orpheus, Akaïos, étaient

Encore des héros altiers et combattaient,

Homéros, s’il n’a pas, lui, manié le glaive,

Fait retentir, clameur immense qui s’élève,

Vos échos, jamais las, vastes postérités,

D’Hektôr, et d’Odysseus, et d’Akhilleus chantés.

Les héros à leur tour, après les luttes vastes,

Pieux, sacrifiaient aux neuf Déesses chastes,

Et non moins que de l’art d’Arès furent épris

De l’Art dont une Palme immortelle est le prix,

Akhilleus entre tous ! Et le Laëtiade

Dompta, parole d’or qui charme et persuade,

Les esprits et les cœurs et les âmes toujours,

Ainsi qu’Orpheus domptait les tigres et les ours.

– Plus tard, vers des climats plus rudes, en des ères

Barbares, chez les Francs tumultueux, nos pères,

Est-ce que le Trouvère héroïque n’eut pas

Comme le Preux sa part auguste des combats ?

Est-ce que, Théroldus ayant dit Charlemagne,

Et son neveu Roland resté dans la montagne

Et le bon Olivier et Turpin au grand cœur,

En beaux couplets et sur un rythme âpre et vainqueur,

Est-ce que, cinquante ans après, dans les batailles,

Les durs Leudes perdant leur sang par vingt entailles,

Ne chantaient pas le chant de geste sans rivaux,

De Roland et de ceux qui virent Roncevaux

Et furent de l’énorme et suprême tuerie,

Du temps de l’Empereur à la barbe fleurie ?

– Aujourd’hui l’Action et le Rêve ont brisé

Le pacte primitif par les siècles usé,

Et plusieurs ont trouvé funeste ce divorce

De l’harmonie immense et bleue et de la Force.

La Force qu’autrefois le Poète tenait

En bride, blanc cheval ailé qui rayonnait,

La force, maintenant, la Force, c’est la Bête

Féroce bondissante et folle et toujours prête

À tout carnage, à tout dévastement, à tout

Égorgement d’un bout du monde à l’autre bout !

L’Action qu’autrefois réglait le chant des lyres,

Trouble, enivrée, en proie aux cent mille délires

Fuligineux d’un siècle en ébullition,

L’Action à présent, – ô pitié ! – l’Action,

C’est l’ouragan, c’est la tempête, c’est la houle

Marine dans la nuit sans étoiles, qui roule

Et déroule parmi des bruits sourds l’effroi vert

Et rouge des éclairs sur le ciel entrouvert !

– Cependant, orgueilleux et doux, loin des vacarmes

De la vie et du choc désordonné des armes

Mercenaires, voyez, gravissant les hauteurs

Ineffables, voici le groupe des Chanteurs

Vêtus de blanc, et des lueurs d’apothéoses

Empourprent la fierté sereine de leurs poses :

Tous beaux, tous purs, avec des rayons dans les yeux,

Et sur leur front le rêve inachevé des Dieux,

Le monde que troublait leur parole profonde,

Les exile. À leur tour ils exilent le monde !

C’est qu’ils ont à la fin compris qu’il ne faut plus

Mêler leur note pure aux cris irrésolus

Que va poussant la foule obscène et violente,

Et que l’isolement sied à leur marche lente.

Le Poète, l’amour du Beau, voilà sa foi,

L’Azur, son étendard, et l’Idéal, sa loi !

Ne lui demandez rien de plus, car ses prunelles,

Où le rayonnement des choses éternelles

A mis des visions qu’il suit avidement,

Ne sauraient s’abaisser une heure seulement

Sur le honteux conflit des besognes vulgaires,

Et sur vos vanités plates ; et si naguère

On le vit au milieu des hommes, épousant

Leurs querelles, pleurant avec eux, les poussant

Aux guerres, célébrant l’orgueil des Républiques

Et l’éclat militaire et les splendeurs auliques.

Sur la kitare, sur la harpe et sur le luth,

S’il honorait parfois le présent d’un salut

Et daignait consentir à ce rôle de prêtre

D’aimer et de bénir, et s’il voulait bien être

La voix qui rit ou pleure alors qu’on pleure ou rit,

S’il inclinait vers l’âme humaine son esprit,

C’est qu’il se méprenait alors sur l’âme humaine.

– Maintenant, va, mon Livre, où le hasard te mène.

Melancholia

À Ernest Boutier

IRésignation

Tout enfant, j’allais rêvant Ko-Hinnor,

Somptuosité persane et papale,

Héliogabale et Sardanapale !

Mon désir créait sous des toits en or,

Parmi les parfums, au son des musiques,

Des harems sans fin, paradis physiques !

Aujourd’hui plus calme et non moins ardent,

Mais sachant la vie et qu’il faut qu’on plie,

J’ai dû réfréner ma belle folie,

Sans me résigner par trop cependant.

Soit ! le grandiose échappe à ma dent,

Mais fi de l’aimable et fi de la lie !

Et je hais toujours la femme jolie !

La rime assonante et l’ami prudent.

IINevermore

Souvenir, souvenir, que me veux-tu ? L’automne

Faisait voler la grive à travers l’air atone,

Et le soleil dardait un rayon monotone

Sur le bois jaunissant où la bise détone.

Nous étions seul à seule et marchions en rêvant,

Elle et moi, les cheveux et la pensée au vent.

Soudain, tournant vers moi son regard émouvant :

« Quel fut ton plus beau jour ! » fit sa voix d’or vivant,

Sa voix douce et sonore, au frais timbre angélique.

Un sourire discret lui donna la réplique,

Et je baisai sa main blanche, dévotement.

– Ah ! les premières fleurs qu’elles sont parfumées !

Et qu’il bruit avec un murmure charmant

Le premier oui qui sort de lèvres bien-aimées !

IIIAprès trois ans

Ayant poussé la porte étroite qui chancelle,

Je me suis promené dans le petit jardin

Qu’éclairait doucement le soleil du matin,

Pailletant chaque fleur d’une humide étincelle.

Rien n’a changé. J’ai tout revu : l’humble tonnelle

De vigne folle avec les chaises de rotin…

Le jet d’eau fait toujours son murmure argentin

Et le vieux tremble sa plainte sempiternelle.

Les roses comme avant palpitent ; comme avant,

Les grands lys orgueilleux se balancent au vent.

Chaque alouette qui va et vient m’est connue.

Même j’ai retrouvé debout la Velléda,

Dont le plâtre s’écaille au bout de l’avenue.

– Grêle, parmi l’odeur fade du réséda.

IVVœu

Ah ! les oarystis ! les premières maîtresses !

L’or des cheveux, l’azur des yeux, la fleur des chairs,

Et puis, parmi l’odeur des corps jeunes et chers,

La spontanéité craintive des caresses !

Sont-elles assez loin toutes ces allégresses

Et toutes ces candeurs ! Hélas ! toutes devers

Le Printemps des regrets ont fui les noirs hivers

De mes ennuis, de mes dégoûts, de mes détresses !

Si que me voilà seul à présent, morne et seul,

Morne et désespéré, plus glacé qu’un aïeul,

Et tel qu’un orphelin pauvre sans sœur aînée.

Ô la femme à l’amour câlin et réchauffant,

Douce, pensive et brune, et jamais étonnée,

Et qui parfois vous baise au front, comme un enfant.

VLassitude

A batallas de amor campo de pluma.

GONGORA

De la douceur, de la douceur, de la douceur !

Calme un peu ces transports fébriles, ma charmante.

Même au fort du déduit, parfois, vois-tu, l’amante

Doit avoir l’abandon paisible de la sœur.

Sois langoureuse, fais ta caresse endormante,

Bien égaux tes soupirs et ton regard berceur.

Va, l’étreinte jalouse et le spasme obsesseur

Ne valent pas un long baiser, même qui mente !

Mais dans ton cher cœur d’or, me dis-tu, mon enfant,

La fauve passion va sonnant l’oliphant

Laisse-la trompeter à son aise, la gueuse !

Mets ton front sur mon front et ta main dans ma main,

Et fais-moi des serments que tu rompras demain,

Et pleurons jusqu’au jour, ô petite fougueuse !

VIMon rêve familier

Je fais souvent ce rêve étrange et pénétrant

D’une femme inconnue, et que j’aime, et qui m’aime,

Et qui n’est, chaque fois, ni tout à fait la même

Ni tout à fait une autre, et m’aime et me comprend.

Car elle me comprend, et mon cœur, transparent

Pour elle seule, hélas ! cesse d’être un problème

Pour elle seule, et les moiteurs de mon front blême,

Elle seule les sait rafraîchir, en pleurant.

Est-elle brune, blonde ou rousse ? – Je l’ignore.

Son nom ? Je me souviens qu’il est doux et sonore,

Comme ceux des aimés que la Vie exila.

Son regard est pareil au regard des statues,

Et, pour sa voix, lointaine, et calme, et grave ; elle a

L’inflexion des voix chères qui se sont tues.

 

VIIÀ une femme

À vous ces vers, de par la grâce consolante

De vos grands yeux où rit et pleure un rêve doux,

De par votre âme, pure et toute bonne, à vous

Ces vers du fond de ma détresse violente.

C’est qu’hélas ! le hideux cauchemar qui me hante

N’a pas de trêve et va furieux, fou, jaloux,

Se multipliant comme un cortège de loups

Et se pendant après mon sort qu’il ensanglante.

Oh ! je souffre, je souffre affreusement, si bien

Que le gémissement premier du premier homme

Chassé d’Éden n’est qu’une églogue au prix du mien !

Et les soucis que vous pouvez avoir sont comme

Des hirondelles sur un ciel d’après-midi,

– Chère, – par un beau jour de septembre attiédi.

VIIIL’angoisse

Nature, rien de toi ne m’émeut, ni les champs

Nourriciers, ni l’écho vermeil des pastorales

Siciliennes, ni les pompes aurorales,

Ni la solennité dolente des couchants.

Je ris de l’Art, je ris de l’Homme aussi, des chants,

Des vers, des temples grecs et des tours en spirales

Qu’étirent dans le ciel vide les cathédrales,

Et je vois du même œil les bons et les méchants.

Je ne crois pas en Dieu, j’abjure et je renie

Toute pensée, et quant à la vieille ironie,

L’Amour, je voudrais bien qu’on ne m’en parlât plus

Lasse de vivre, ayant peur de mourir, pareille

Au brick perdu jouet du flux et du reflux,

Mon âme pour d’affreux naufrages appareille.

Eaux-Fortes

À François Coppée

ICroquis parisien

La lune plaquait ses teintes de zinc

Par angles obtus.

Des bouts de fumée en forme de cinq

Sortaient drus et noirs des hauts toits pointus.

Le ciel était gris, la bise pleurait

Ainsi qu’un basson.

Au loin, un matou frileux et discret

Miaulait d’étrange et grêle façon.

Moi, j’allais, rêvant du divin Platon

Et de Phidias,

Et de Salamine et de Marathon,

Sous l’œil clignotant des bleus becs de gaz.

IICauchemar

J’ai vu passer dans mon rêve

– Tel l’ouragan sur la grève,

D’une main tenant un glaive

Et de l’autre un sablier,

Ce cavalier

Des ballades d’Allemagne

Qu’à travers ville et campagne,

Et du fleuve à la montagne,

Et des forêts au vallon,

Un étalon

Rouge-flamme et noir d’ébène,

Sans bride, ni mors, ni rêne,

Ni hop ! ni cravache, entraîne

Parmi des râlements sourds

Toujours ! toujours !

Un grand feutre à longue plume

Ombrait son œil qui s’allume

Et s’éteint. Tel, dans la brume,

Éclate et meurt l’éclair bleu

D’une arme à feu.

Comme l’aile d’une orfraie

Qu’un subit orage effraie,

Par l’air que la neige raie,

Son manteau se soulevant

Claquait au vent,

Et montrait d’un air de gloire

Un torse d’ombre et d’ivoire,

Tandis que dans la nuit noire

Luisaient en des cris stridents

Trente-deux dents.

IIIMarine

L’Océan sonore

Palpite sous l’œil

De la lune en deuil

Et palpite encore,

Tandis qu’un éclair

Brutal et sinistre

Fend le ciel de bistre

D’un long zigzag clair,

Et que chaque lame,

En bonds convulsifs,

Le long des récifs,

Va, vient, luit et clame,

Et qu’au firmament,

Où l’ouragan erre,

Rugit le tonnerre

Formidablement.

IVEffet de nuit

La nuit. La pluie. Un ciel blafard que déchiquette

De flèches et de tours à jour la silhouette

D’une ville gothique éteinte au lointain gris.

La plaine. Un gibet plein de pendus rabougris

Secoués par le bec avide des corneilles

Et dansant dans l’air noir des gigues nonpareilles,

Tandis que leurs pieds sont la pâture des loups.

Quelques buissons d’épine épars, et quelques houx

Dressant l’horreur de leur feuillage à droite, à gauche,

Sur le fuligineux fouillis d’un fond d’ébauche.

Et puis, autour de trois livides prisonniers

Qui vont pieds nus, un gros de hauts pertuisaniers

En marche, et leurs fers droits, comme des fers de herse,

Luisent à contresens des lances de l’averse.

VGrotesques

Leurs jambes pour toutes montures,

Pour tous biens l’or de leurs regards,

Par le chemin des aventures

Ils vont haillonneux et hagards.

Le sage, indigné, les harangue ;

Le sot plaint ces fous hasardeux ;

Les enfants leur tirent la langue

Et les filles se moquent d’eux.

C’est qu’odieux et ridicules,

Et maléfiques en effet,

Ils ont l’air, sur les crépuscules,

D’un mauvais rêve que l’on fait :

C’est que, sur leurs aigres guitares

Crispant la main des libertés,

Ils nasillent des chants bizarres,

Nostalgiques et révoltés ;

C’est enfin que dans leurs prunelles

Rit et pleure – fastidieux –

L’amour des choses éternelles,

Des vieux morts et des anciens dieux !

– Donc, allez, vagabonds sans trêves,

Errez, funestes et maudits,

Le long des gouffres et des grèves,

Sous l’œil fermé des paradis !

La nature à l’homme s’allie

Pour châtier comme il le faut

L’orgueilleuse mélancolie

Qui vous fait marcher le front haut.

Et, vengeant sur vous le blasphème

Des vastes espoirs véhéments,

Meurtrit votre front anathème

Au choc rude des éléments.

Les juins brûlent et les décembres

Gèlent votre chair jusqu’aux os,

Et la fièvre envahit vos membres,

Qui se déchirent aux roseaux.

Tout vous repousse et tout vous navre,

Et quand la mort viendra pour vous,

Maigre et froide, votre cadavre

Sera dédaigné par les loups !

Paysages tristes

À Catulle Mendès

ISoleils couchants

Une aube affaiblie

Verse par les champs

La mélancolie

Des soleils couchants.

La mélancolie

Berce de doux chants

Mon cœur qui s’oublie

Aux soleils couchants.

Et d’étranges rêves,

Comme des soleils

Couchants, sur les grèves,

Fantômes vermeils,

Défilent sans trêves,

Défilent, pareils

À des grands soleils

Couchants, sur les grèves.

IICrépuscule du soir mystique

Le Souvenir avec le Crépuscule

Rougeoie et tremble à l’ardent horizon

De l’Espérance en flamme qui recule

Et s’agrandit ainsi qu’une cloison

Mystérieuse où mainte floraison

– Dahlia, lys, tulipe et renoncule –

S’élance autour d’un treillis, et circule

Parmi la maladive exhalaison

De parfums lourds et chauds, dont le poison

– Dahlia, lys, tulipe et renoncule –

Noyant mes sens, mon âme et ma raison,

Mêle, dans une immense pâmoison,

Le Souvenir avec le Crépuscule.

IIIPromenade sentimentale

Le couchant dardait ses rayons suprêmes

Et le vent berçait les nénuphars blêmes ;

Les grands nénuphars entre les roseaux,

Tristement luisaient sur les calmes eaux.

Moi j’errais tout seul, promenant ma plaie

Au long de l’étang, parmi la saulaie

Où la brume vague évoquait un grand

Fantôme laiteux se désespérant

Et pleurant avec la voix des sarcelles

Qui se rappelaient en battant des ailes.

Parmi la saulaie où j’errais tout seul

Promenant ma plaie ; et l’épais linceul

Des ténèbres vint noyer les suprêmes

Rayons du couchant dans ses ondes blêmes

Et des nénuphars, parmi les roseaux,

Des grands nénuphars sur les calmes eaux.

IVNuit du Walpurgis classique

C’est plutôt le sabbat du second Faust que l’autre.

Un rythmique sabbat, rythmique, extrêmement

Rythmique. – Imaginez un jardin de Lenôtre,

Correct, ridicule et charmant.

Des ronds-points ; au milieu, des jets d’eau ; des allées

Toutes droites ; sylvains de marbre ; dieux marins

De bronze ; çà et là, des Vénus étalées ;

Des quinconces, des boulingrins ;

Des châtaigniers ; des plants de fleurs formant la dune ;

Ici, des rosiers nains qu’un goût docte effila ;

Plus loin, des ifs taillés en triangles. La lune

D’un soir d’été sur tout cela.

Minuit sonne, et réveille au fond du parc aulique

Un air mélancolique, un sourd, lent et doux air

De chasse : tel, doux, lent, sourd et mélancolique,

L’air de chasse de Tannhauser.

Des chants voilés de cors lointains où la tendresse

Des sens étreint l’effroi de l’âme en des accords

Harmonieusement dissonants dans l’ivresse ;

Et voici qu’à l’appel des cors

S’entrelacent soudain des formes toutes blanches,

Diaphanes, et que le clair de lune fait

Opalines parmi l’ombre verte des branches,

– Un Watteau rêvé par Raffet ! –

S’entrelacent parmi l’ombre verte des arbres

D’un geste alangui, plein d’un désespoir profond ;

Puis, autour des massifs, des bronzes et des marbres

Très lentement dansent en rond.

– Ces spectres agités, sont-ce donc la pensée

Du poète ivre, ou son regret, ou son remords,

Ces spectres agités en tourbe cadencée,

Ou bien tout simplement des morts ?

Sont-ce donc ton remords, ô rêvasseur qu’invite

L’horreur, ou ton regret, ou ta pensée, – hein ? – tous

Ces spectres qu’un vertige irrésistible agite,

Ou bien des morts qui seraient fous ? –

N’importe ! ils vont toujours, les fébriles fantômes,

Menant leur ronde vaste et morne et tressautant

Comme dans un rayon de soleil des atomes,

Et s’évaporent à l’instant

Humide et blême où l’aube éteint l’un après l’autre

Les cors, en sorte qu’il ne reste absolument

Plus rien – absolument – qu’un jardin de Lenôtre,

Correct, ridicule et charmant.

VChanson d’automne

Les sanglots longs

Des violons

De l’automne

Blessent mon cœur

D’une langueur

Monotone.

Tout suffocant

Et blême, quand

Sonne l’heure,

Je me souviens

Des jours anciens

Et je pleure ;

Et je m’en vais

Au vent mauvais

Qui m’emporte

Deçà, delà,

Pareil à la

Feuille morte.

VIL’heure du berger

La lune est rouge au brumeux horizon ;

Dans un brouillard qui danse, la prairie

S’endort fumeuse, et la grenouille crie

Par les joncs verts où circule un frisson ;

Les fleurs des eaux referment leurs corolles,

Des peupliers profilent aux lointains,

Droits et serrés, leurs spectres incertains ;

Vers les buissons errent les lucioles ;

Les chats-huants s’éveillent, et sans bruit

Rament l’air noir avec leurs ailes lourdes,

Et le zénith s’emplit de lueurs sourdes.

Blanche, Vénus émerge, et c’est la Nuit.

VIILe rossignol

Comme un vol criard d’oiseaux en émoi,

Tous mes souvenirs s’abattent sur moi,

S’abattent parmi le feuillage jaune

De mon cœur mirant son tronc plié d’aune

Au tain violet de l’eau des Regrets,

Qui mélancoliquement coule auprès,

S’abattent, et puis la rumeur mauvaise

Qu’une brise moite en montant apaise,

S’éteint par degrés dans l’arbre, si bien

Qu’au bout d’un instant on n’entend plus rien,

Plus rien que la voix célébrant l’Absente,

Plus rien que la voix, – ô si languissante ! –

De l’oiseau qui fut mon Premier Amour,

Et qui chante encor comme au premier jour ;

Et, dans la splendeur triste d’une lune

Se levant blafarde et solennelle, une

Nuit mélancolique et lourde d’été,

Pleine de silence et d’obscurité,

Berce sur l’azur qu’un vent doux effleure

L’arbre qui frissonne et l’oiseau qui pleure.

Caprices

À Henry Winter

IFemme et chatte

Elle jouait avec sa chatte ;

Et c’était merveille de voir

La main blanche et la blanche patte

S’ébattre dans l’ombre du soir.

Elle cachait – la scélérate ! –

Sous ces mitaines de fil noir

Ses meurtriers ongles d’agate,

Coupants et clairs comme un rasoir.

L’autre aussi faisait la sucrée

Et rentrait sa griffe acérée,

Mais le diable n’y perdait rien…

Et dans le boudoir où, sonore,

Tintait son rire aérien,

Brillaient quatre points de phosphore.

IIJésuitisme

Le chagrin qui me tue est ironique, et joint

Le sarcasme au supplice, et ne torture point

Franchement, mais picote avec un faux sourire

Et transforme en spectacle amusant mon martyre,

Et sur la bière où gît mon Rêve mi-pourri,

Beugle un De profundis sur l’air du Traderi.

C’est un Tartufe qui, tout en mettant des roses

Pompons sur les autels des Madones moroses,

Tout en faisant chanter à des enfants de chœurs

Ces cantiques d’eau tiède où se baigne le cœur,

Tout en ami donnant ces guimpes amoureuses

Qui serpentent au cœur sacré des Bienheureuses,