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Entre psychologie et fiction Ce qui reste de l'Humanité erre dans l'Espace étoilé. Les Isos s'interrogent sur les causes de la destruction de la Terre. A une autre époque, le destin d'un homme et d'un chien se confond avec cet univers. Dans cette mise en scène d'une hypersensibilité, des différences, d'une recherche identitaire et d'un regard particulier sur le Monde, l'auteur cherche à toucher celui qui se sent isolé dans sa façon de fonctionner, ainsi qu'à ouvrir les yeux au plus grand nombre. La singularité de l'âme et l'environnement y sont mis en avant. Parcours décalé, humour, mélancolie, symbolisme et mythologies orientales se fondent dans un patchwork coloré où l'imagination rapproche l'Homme des Mondes invisibles. " Et si j'écrivais un livre qui compile les types de sensibilité que je connais ? Je pourrais parler de la mienne et celles de mes amis... De mon parcours de vie, de mes pensées... Peut-être quelqu'un s'y retrouverait-il !?! " Alexis Martin
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Seitenzahl: 266
Veröffentlichungsjahr: 2023
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Posologie : À lire un peu tous les jours... Les chapitres sont des tableaux, ils se regardent individuellement. Posez le livre après la lecture de l’un d’eux, pour voir ce qu’il vous inspire…
Prologue
– Une idée de l’imaginaire –
– Tous sensibles et sensiblement différents –
– Peur de l’inconnu –
– Au fil du temps, on imagine ses tourments –
– Vers un Futur –
– On voit ce que l’on croit, on goute ce dont on doute –
– Divine Planète –
– La Vie est une vague, elle se révèle au bord du rivage –
– Aliénation –
– L’âme est une mémoire et seule la mémoire est éternelle –
– Question d’équilibre –
– Rien n’a de sens, hormis celui qu’on lui donne –
– Iso –
– Il est commode de simplifier ce qui est complexe à justifier –
– L’intérieur du dehors –
– La folie, c’est être libre des yeux de l’autre –
– Descente en hauteur –
– Éclaire ce qui est clair et cache ce qui est caché –
– Vision d’un rêve –
– Écouter et comprendre sont deux choses différentes –
– Cauchemar éveillé –
– On ne peut dire à celui qui voit qu’il n’a rien vu –
– Tétanie forcée –
– Une pierre m’a donné le sens de la vie, celui d’exister –
– Un partage –
– Écouter et entendre sont deux choses différentes –
– Moment chaud –
– Si tu veux vivre, tu dois mourir ; pour mourir, tu dois vivre –
– Libre-échange –
– L’Homme existe le temps qu’il reste en vie –
– L’ailleurs est ici –
– Temps, maitre autonome –
– Tempoconjonctions –
– Tu ne peux donner si tu ne te donnes rien –
– Prise de contact –
– La Vie est une friandise suave d’amertume –
– Débat des seize –
– Le rôle de l’Homme est de voir combien ce Monde est beau –
– Raisons funestes –
– Pour tous, rien de permanent ; il faut profiter du moment –
– Sans coeur, sans vie –
– Le Temps est une boucle aux courbures inexistantes –
– Objectif déraisonné –
Épilogue
– Au temps de la hache et de l’épée –
*
Semblable aux autres poissons, partageant la même eau, je peux donner l’image de quelqu’un d’épanoui. « Marre, putain…, marre de tout ! » Je scande ça à gorge déployée tandis que ma démarche nerveuse s’exécute entre les pierres. Je coupe au plus court, traversant le talus qui me sépare du parking.
Je démarre ma voiture, la gare un peu plus loin. Les deux mains sur le volant, je pense : « On ne me comprend pas… Pourquoi je suis né ? » Frappant le volant, blâmant celui-ci de mes coups, de cette violence jaillit une lave acide. Elle est destinée aux protagonistes coupables de me faire sentir si mutant dans cette vie. Je suis submergé par ces instances qui me culpabilisent, m’insultent, et dirigent mon attention sur le reste du monde. Prisonnier, sans réconfort, je reste dans l’isolement de ma douleur...
Dans l'habitacle, la sonnerie de mon téléphone résonne. C’est Werner... Il va me demander de revenir ?
Plus tard, je suis là, dans une salle du bâtiment que j’avais quitté plus tôt. Assis à une table, je sucre mon café ; Werner reste debout. L’homme est un collègue et un ami, il est à l’origine d’un concept alliant Nature et oeuvres artistiques. Ces dernières, réparties dans un square inondé de plantes et de briquaillons, cerclent la bâtisse où nous sommes. Cet artiste aime bousculer, mais il le fait avec bienveillance pour aider ses proches. Cette sensibilité est masquée par l’assurance d’une personne au caractère bien trempé. Batman de l’ombre, Werner est de ces personnes qui cachent sous une cape noire le coeur pur d’un justicier.
Guide-nature, j’étais arrivé ici avec l’envie de programmer des activités... Mes idées étaient peut-être trop établies. Les reproches formulés brusquement par mon ami m’avaient énervé.
Werner s’approche : « Alexis, tu es sensible, mais il te manque des armes pour te protéger… » Cette phrase met en évidence un manque de confiance en moi, elle s’immisce dans les entrenoeuds de mon esprit et cueille, au plus profond, les fruits du langage du corps... les sensations ! Fatigue, colère et stress marquent mon coeur. Mais il n’y a pas que cela, mon être s’interroge sur ce sentiment qui domine les autres : l’incompréhension !
Cette échauffourée avec Werner n’était que la goutte en trop... La vraie raison de mon énervement m’avait été donnée par ce moment d’introspection : le sentiment d’une différence et la difficulté à l’extérioriser. Pour me rassurer, Werner me dit : « A l’école de la différence, la singularité est source de créativité... trouve comment l’exprimer. »
Un peu plus tard, dans ma voiture, une phrase me traverse l’esprit : « Nous sommes tous sensibles… mais tellement différents ! » Pour exemple, l’ami que j’ai quitté à une sensibilité, mais une force... Moi, c’est autre chose !
Et si j’écrivais un livre qui compile les types de sensibilité que je connais ? Je pourrais parler de la mienne et de celle de mes amis... De mon parcours de vie, de mes pensées... Peut-être quelqu’un s’y retrouverait-il !?!
*
Dans l’Univers intersidéral, à des milliards d’années-lumière de la Terre, dans un vaisseau, trois hommes réalisent une expérience sur une machine capable d’incarner des humains d’un autre Temps. Nous sommes à une époque étrange… celle de notre impalpable destin, le Futur !
Au milieu du cortex de ces personnes, une voix synthétique résonne. L’information par onde mentale est devenue un moyen de communication appelé « Cérébro ». Ce canal d’échanges, régi par une entité artificielle, unifie les pensées...
Dans leur for intérieur, cette voix s’exprime de manière saccadée : « Codex douze point trente : Charge du lictère, augmentation des pressions tubulaires quatre à neuf... »
La main d’un homme en costume blanc se pose sur l’épaule d’un technicien. Ce geste est joint à une demande orale :
— Graven, tu peux stopper la session !
Un bras pousse un levier ; assis en face d’un écran, le technicien chargé du bon déroulement des opérations vient de couper l’alimentation. Derrière lui, les deux autres individus s’avancent vers la vitre qui sépare le poste de commande d’une grosse machinerie en contrebas. Cette dernière s’éclaire de lumières vives et d’arcs électriques qui diminuent depuis que Graven a mis la main sur ce levier. Le troisième homme, plus grand et sévère que les autres, regarde la machine en roulant dans ses mains une étrange sphère. Pour rendre toute son attention à son interlocuteur, Jack Deneve, le concepteur de ce dispositif tout de blanc vêtu, se lance dans quelques explications...
— Voilà, Logisticien Prevos, à la suite de l’action de Graven, toutes les données biologiques du lictère sont dirigées dans le Medinum. C’est lui qui permet aux personnes de s’incarner dans notre Temps...
Une nouvelle fois, la voix synthétique résonne en eux : « Codex douze point trente : Rassemblement des charges dans le Medinum... Signalement erreur... Charge du Medinum non conforme ! »
— Qu’est-ce qu’il y a encore, Idéaliste Deneve ?
— Rassurez-vous, Logisticien Prevos... il arrive que l’énergie karmique importe de la temporalité des éléments plus jeunes que ceux estimés. Bref, au lieu de trouver un adulte dans le Medinum, on peut y voir un nourrisson en train de gazouiller.
— Vous pouvez faire quelque chose ? lance sèchement l’homme aux traits sévères.
— Oui, Logisticien, nous allons le renvoyer dans son époque et le rechercher dans une autre plus avancée... C’est simple !
Depuis longtemps, les tempoconjonctions issues de l’étude karmique sont maitrisées. La société moderne ayant peu de ressources, elle puise son énergie dans d’autres dimensions. À cet effet, elle utilise des canaux appelés « lictères ». Ceux-ci sont des ponts spatiotemporels qui, disséminés mystérieusement dans l’Espace infini, permettent de réaliser ce travail... Les éléments de base, comme le minerai ou des matières organiques, sont notamment importés du Futur. Mais récemment, seize de ces canaux ont été découverts en un endroit. L’idée est venue d’exploiter ceux-ci de manière originale, en important cette fois des êtres humains du Passé. À cette fin, l’Idéaliste Jack Deneve a créé les billes campocinétiques et le Medinum... Content de sa réussite, il l’exprime à son supérieur :
— J’ai réussi ! Ce que tous attendaient, je l’ai réalisé ! Bientôt, les seize débattront sur les raisons de la destruction de notre mère : la Terre.
— Deneve, corrigez-moi d’abord cette erreur !
En disant ceci, celui qu’on nomme Prevos tend le bras pour rendre l’objet circulaire qu’on lui avait donné. Ce geste, réalisé rapidement, libère la sphère de sa main ; la bille campocinétique rebondit une dizaine de fois avant de se perdre sous un meuble. Peu ébranlé par cet incident, l’homme s’excuse pourtant. L’Idéaliste Deneve, lui, ne prête pas attention à la perte de ce bibelot, préférant se concentrer sur l’objet de son excitation.
— Vous vous en rendez compte ? Logisticien, nous n’avions jamais réussi la tempoconjonction de matières organiques vivantes ! Ces personnes arrivent avec leur mémoire et leurs vêtements. C’est... c’est tout simplement karmique !
— Oui, Deneve, et les faire débattre sans qu’ils sachent qu’ils sont dans une époque différente rend la diffusion sur le Cérébroréseau très lucrative ! Tiens, il me vient une idée... : allons voir l’enfant. S’il est en âge de parler, cela peut être utile de le garder.
Sans détour, le Logisticien fait volteface et appuie sur le commutateur d’un mur situé plus loin. Ouvrant ainsi un sas, il sort du poste de commande. Surpris par ce geste, Deneve prend un peu de temps pour se ressaisir. Il se lance ensuite à la poursuite de celui qui vient de quitter la pièce.
— Prevos, où allez-vous ? Vous n’y pensez pas… revenez ! s’écrie-t-il d’un air affolé.
Son supérieur est déjà dans une volée d’escaliers. Cette série de marches est accolée aux pilotis de soutien du bâtiment qu’ils viennent de quitter. Comme s’ils étaient dans un amphithéâtre au toit métallique, ils descendent les gradins menant à une arène qui, en contrebas, accueille le Medinum. Cette grosse coque de plus de dix mètres est un amas trapu relié à des boyaux ; les entrelacs de conduits qui l’entourent forment les fameux lictères. À l’intérieur de la coupole se trouvent le local où les personnes sont incarnées et la salle d’accueil que Prevos cherche à rejoindre.
— Deneve ! je n’interviens pas dans vos histoires de Karmamachin, alors laissez-moi profiter de ça.
— Mais Prevos, c’est impossible... c’est pas dans le protocole. Attendez-moi ! Fumerie de fumerie...
Accroché à la rambarde, Deneve lâche ses jurons en jetant un regard furtif sur celui qu’il pourchasse... Ayant déjà quitté l’escalier, le Logisticien, lui, termine sa marche devant la porte d’accès du Medinum.
Une boite métallique avec une optique sort du cadre de la porte... il la regarde agir ! Elle émet un faisceau de lumière verte qui parcourt son corps, semblant ainsi vérifier si tout est conforme. Se dressant dans ses habits, il se fige comme un chef d’Etat le ferait devant un objectif. Posant solennellement pour cette scanographie, ce petit chef attend la fin de l’analyse pour entrer...
Une nouvelle fois, la voix du Cérébro émet ces informations : « Accès à la salle d’accueil refusé. Veuillez revêtir les habits conformes au protocole. »
— Mince, j’ai oublié ces foutus vêtements !
Contrarié, il prend la direction d’un dressing, non loin de là. Ce faisant, il croise Deneve qui le rattrape. Suivant le pas de celui qui a un ascendant sur lui, Deneve se prépare lui aussi à changer de vêtements. Tous deux revêtus des textiles moulants de leur époque, ils se doivent de troquer les fines fibres qu’ils portent contre des fripes qu’ils jugent moins confortables.
L’Idéaliste cherche une dernière fois à convaincre :
— Logisticien… nous avons une liste de profils pour le huis clos ; pour ce sujet, les échanges peuvent être faussés...
— Je comprends, Deneve, mais laissez-moi d’abord voir l’enfant, je déciderai après !
L’homme autoritaire finit de fermer les boutons d’une chemise sobre et unie tout en lorgnant une paire de mocassins et un pantalon en flanelle qui devraient tous deux coller à son style.
Résolu, le deuxième protagoniste abandonne sa blouse blanche et se costume aussi. Équipé d’un survêtement, il parcourt la garderobe, torse nu. Il choisit un sweat rouge et une veste de cuir cirée. Déposant ces deux vêtements à son gout sur le sol, il sautille en enfilant sa première basket. Il chausse la suivante et rejoint son collègue déjà déguisé. L’autre attend devant le Medinum... Vient alors Deneve endossant sa belle veste de cuir craquelé.
Ils attendent ensemble le scan qui doit s’opérer ; le grand est sombre et statique, alors que le petit s’agite... Ici, ce châtain d’une quarantaine d’années contrôle sa grogne face à son supérieur. Même fâché, Jack garde une expression enfantine sur laquelle il n’a aucune emprise. Ses coquetteries demeurent lors de ses colères : l’épi dans ses cheveux, le dessin de ses pommettes et l’ovale de son visage en sont les témoins.
L’opération de contrôle s’enclenche, et peu à peu les tensions entre les deux hommes s’estompent, le calme revient. Le visage de Jack s’apaise. Quand sa mauvaise humeur ne le rend pas désagréable, on peut dire qu’il ne manque pas d’un certain charme !
Le faisceau de lumière verte finit ses vérifications : « Accès salle d’accueil confirmé. Veuillez vous en tenir au protocole d’accueil. »
La porte s’ouvre ; elle pivote vers l’extérieur, dégageant ainsi son revers habillé de boiseries. À l’intérieur de la salle, fauteuils, tapis, lustres et tables basses ne sont pas contemporains... Le décor est d’une autre époque, celle de l’enfant qu’ils s’apprêtent à connaitre.
— Tiens, il n’y a personne ici ! s’exclame Jack. Je vous l’avais dit, Logisticien, ça doit être un nourrisson incapable de bouger. Venez, il doit être dans le couloir ou le local d’incarnation.
La même ambiance règne dans le couloir derrière la salle… Un lambris couvre le plafond et le parquet verni de la grande pièce se poursuit dans ce passage coudé. Il débouche vite sur un petit cagibi étroit, un fauteuil rustique en occupe toute la largeur. Une fois remis de son voyage, c’est naturellement que « l’incarné » quitte ce siège pour rejoindre la salle d’accueil. À cet endroit, une comédie lui est alors jouée pour faire croire que tout est normal... Mais ici, les choses se passent autrement !
Arrivés devant le fauteuil, les deux hommes constatent, une nouvelle fois, qu’il n’y a personne.
— Deneve, il n’y a rien non plus ! Mais… attendez… il y a un bruit !
« Codex douze point trente : Poste de commande, message de Trévis Graven Inspirateur F3124. »
— Allo ? Jack, euh… je veux dire Idéaliste Deneve. Il y a un truc sur les moniteurs : quelque chose bouge dans la salle d’accueil... c’est pas humain, méfiez-vous !
*
Pour certains, être gothique ou vivre dans une cabane en bois montre une différence. Pernicieuse chez moi, elle prend le gout de l’invisible.
Juillet 2019...
Le ciel bleu m’enivre, je respire, je suis chez moi. Comme toujours, le décor est accueillant. Le coq chante et l’odeur du foin embaume l’atmosphère. J’habite à la campagne, dans un hameau aux bâtisses faites de pierres. Mon habitation ne dénote pas dans le décor ; avant, c’était la demeure d’un forgeron. Un terrain de quatre ares l’entoure : animaux de bassecour, ruches et herbes folles s’y épanouissent en un bouquet pastoral digne des peintres de la ruralité.
Mon chat m’accueille, il ronronne en longeant le mur. Je pousse la barrière qui me sépare de ma propriété. Comme d’habitude, cette femelle s’empresse de me devancer. Elle se couche sur le trajet de mon passage, m’invitant par son visage poupon au jeu des caresses. Mais il y a duperie ; une fois proche, elle se lève d’un bon et exécute le même cinéma plus loin. J’en ai vu plus d’un se perdre ainsi dans mon jardin. Telle la sirène attirant les compagnons d’Ulysse, la belle n’aura de cesse de conduire l’hypnotique au plus profond de ma closerie.
À l’intérieur, ma petite chienne Olympe est déjà là. Sa boule dans la gueule, elle tressaille à l’idée des caresses que je vais lui donner. Il s’agit d’un Border Terrier : l’épi ébouriffé sur le museau et ses yeux pleins de malice sont la marque de fabrique de sa race. Elle a les traits d’une loutre : son pelage noir rugueux, son corps massif et ses oreilles tombantes lui donnent un cachet rustique. C’est une Écossaise taillée pour la chasse, elle en garde une frénésie des lapins.
Assis dans mon canapé, je laisse Olympe terminer sa cérémonie de bienvenue. Grattant son échine je pense à mon avenir, à l’avenir de tous...
Un bruit de la rue résonne par la fenêtre, Olympe lève la tête. Mon regard plonge dans l’iris de ses yeux, je m’y perds, je m’y noie : « Petit chien, portes-tu au fond de toi la réponse à nos questions ? »
*
Dans le Medinum, le message du Cérébroréseau venant de Graven retentit : « Jack, Logisticien… Attention, la chose se rapproche ! »
Une peur frappe les deux hommes... Le Logisticien fixe la direction où le bruit se fait entendre.
— Qu’avons-nous rapporté depuis les couloirs du Temps... un monstre des profondeurs ? Il va nous dévorer, ou pondre en nous ses oeufs immondes ! s’exclame-t-il.
Des tintements de griffes claquent sur le parquet de la salle d’accueil. Ils arrivent jusqu’au bout du corridor, là où Jack et le Logisticien se trouvent. Serrés l’un contre l’autre, les mains ouvertes devant leur visage, ils marchent à reculons, horrifiés et courbés comme des vampires fuyant la lumière. Arrêtés par leurs talons butant contre la paroi du local d’incarnation, ils n’ont d’autre choix que d’attendre, cachés, la raison de ce qui glace leur sang ! Mais il n’y a pas place pour deux dans le cagibi... alors le grand chasse le petit ! Éjecté hors du nid comme l’est le culot par l’ainé des oisillons, Deneve se retrouve seul dans le couloir. Il colle une main transpirante sur le mur pour y adosser ensuite le reste de son corps... Ainsi immobile, il s’expose tout entier à ce qui est en train d’approcher !
L’oeil est rivé sur l’endroit où l’effroyable chose devrait apparaitre, là où la courbure du couloir met fin à la vision de sa profondeur. Le souffle est court et l’instant interminable. Il donne naissance à une terreur où la pulsion du sang sur les tempes étouffe jusqu’aux tintements qui s’approchent.
Le bruit s’arrête ! C’est alors qu’une ombre se dessine dans le bas du tournant.
— Ça y est, je vois ! s’écrie Deneve.
Décollant la tête du mur, il plisse les yeux pour ensuite leur faire prendre l’expression de l’étonnement. Il découvre une bestiole, qui, à son sens, ne pourra lui faire de mal !
Ce qui le fixe est une petite créature qui se tient sur ses quatre pattes. Celles de devant, un peu cagneuses, portent une bouille ébouriffée qu’une truffe illumine. Sans animosité, l’apparition s’étonne de la présence de cet homme immobile !
Rassuré par le ton de « l’oisillonexpulsé », Prevos sort la tête de sa cachette et étire son cou...
— Morbleu, s’étonne-t-il, c’est un chien !
Si, à cette époque, la seule compagnie de l’Homme est l’intelligence artificielle, le souvenir du fidèle compagnon n’en demeure pas moins présent... Les archives sur le cloud du Cérébroréseau gardent des données à ce sujet.
Explosant de rire, Prevos s’étonne :
— Vous avez fait venir un chien d’il y a quarante-mille ans !
Deneve est de nouveau contrarié :
— Logisticien, déconnectez-vous du Cérébro !
« — Codex AR deux-cent-soixante tiret trente : Alerte, infraction relevée, il est interdit de se déconnecter du Cérébroréseau. »
— Faites-le maintenant… je trouverai une excuse !
Bousculé par cette demande, Prevos s’exécute. Se concentrant suffisamment, ils réussissent tous deux à dissocier leur pensée du Cérébro.
— Prevos, il est impossible de faire venir autre chose. Chaque lictère est relié à une seule empreinte biologique. On aura beau renvoyer le chien, ce seizième canal donnera toujours naissance à cet animal.
— Et alors, pourquoi ça vous met en rage ?
— Eh bien, nous sommes dans un vaisseau au milieu de nulle part, et c’est ici que convergent seize canaux spatiotemporels. Ces lictères sont le lien entre notre Monde et la Terre... Vous pouvez voir ici la puissance du Karma !
L’orateur lève les bras, comme pour ajouter de la prestance à ses propos.
Dans ce Futur, la technologie a dépassé de loin les concepts de notre époque. L’étude quantique a donné une nouvelle impulsion à ce qu’on appelait, jadis, la Science. Le courant karmique se base sur un Univers régi par une conscience mystique qui surpasse l’entendement humain. Rien n’est le fruit du hasard, tout est géré en vue d’un équilibre... Mais pour certains, ce concept n’est qu’une illusion !
Deneve, moins envahi par ses émotions, reprend son discours :
— Prevos, pour la minorité Analyste, les captages temporels sont aléatoires. La base de notre projet repose sur l’énergie karmique... Toutes les tempoconjonctions humaines ont un message précis à nous donner. Cet animal peut être l’outil pour nous discréditer... Si c’est un accident, le Cérébro ne doit pas le savoir.
Tous deux regardent la bête qui s’avance, la queue dressée. Elle renifle leurs vêtements, tourne autour d’eux avant de s’assoir à leurs pieds... Le chien n’attend rien, ou peut-être une caresse. L’idée germe alors de faire croire que sa venue a été souhaitée. C’est là que Jack propose sa solution :
— Les Afro-Russes ont mis au point une machine capable de transcrire les pensées animales. Ils ont réussi à faire parler un Ornithopoulpe.
— Deneve, la solution est trouvée. Je vous charge de régler ça et de baratiner autour de cette histoire ! Tiens, ne devrait-on pas donner un nom à ce chien ? Olympus... comme le nom du vaisseau !
— C’est un peu bof, Prevos ! Allez, Olympe, viens ici… Vous y croyez, vous, à l’énergie du Karma ?
*
Ce matin d'aout est plus frais que les autres, des brumes spectrales tapissent la campagne, elles glissent lentement sur des cultures déjà fauchées. Des moisissures blanches se développent sur le feuillage lobé des chênes, saupoudrant la Nature d’une pruine légère. Ce discret changement sait se rendre perceptible à qui prend le temps de l’observer.
Je me rends dans un centre spécialisé pour passer un test original.
Je laisse le chien dans la voiture et cours au rendez-vous. Devant la porte du bâtiment, mes yeux accompagnent mon doigt dans sa recherche du carillon. Je presse une sonnette et pense : « Pas en avance, mais pas en retard ! »
Rien ne se passe ; aucun retour par le biais du parlophone, pas de claquement électrique pour libérer la gâchette.
Derrière une vitre, une ombre s’agite sans s’inquiéter de ma présence. Où je suis, elle doit me voir. Ma main se pose sur la poignée… La porte est ouverte : je peux entrer !
Je suis dans un hall devant un escalier en boiserie sombre. Sur le côté, un couloir donne sur une pièce ouverte. Allongeant le pas pour me rendre dans cette salle d’attente, j’aperçois une porte frappée de la mention « Privé ». Derrière se trouve le bureau du réceptionniste, cette ombre que j’ai vue se tortiller derrière le carreau.
Je me pose, je me concentre... En fait, non, je râle : « Moi, on m’ignore, on ne m’accueille pas ! »
Par une fenêtre, j’aperçois une voiture de l’autre côté de la route. Un enfant descend seul du véhicule et file à la porte. Entrant sans sonner, il me rejoint à grandes enjambées. Je me terre là, renfrogné sur une chaise trop petite, dans un inconfort tout tortueux. Je le salue, mais voilà qu’il me tourne le dos et disparait dans la cage d’escalier... Et là, la porte de la réception s’ouvre et une femme en sort pour l’accueillir :
— David, tu peux monter... On t’attend !
L’enfant file sans rien dire et la porte de la conciergerie se referme.
Dans ma tête, des instances se partagent le crachoir : « C’est pas grave, Alexis, ne le prends pas pour toi... Mais bon, c’est pas sympa, je suis invisible ou quoi ?!? »
Après ces ruminations, le moyen m’est donné de clore le débat : plus discrète, mon entrée n’a pas été remarquée ; l’enfant n’a pas sonné ; la sonnette est peut-être cassée ; la course du gamin et ses pas claquant sur le dallage ont dû avertir le cerbère.
« Alexis, tu peux passer outre l’écriteau privatif de la conciergerie et signaler ta présence ! »
Je me lève, ragaillardi, et pars frapper à cette porte dans le hall. Elle s’ouvre, une femme aux traits sévères sort !
Devant mes balbutiements, cette dernière exécute une étrange chorégraphie : elle pousse ses épaules en avant, me forçant à reculer. Attiré par la gestuelle d’un de ses bras, mon regard rejoint le sien au bout de la direction donnée par son doigt.
— La salle d’attente est par là, monsieur ! ordonne-t-elle.
Aussitôt, comme l’araignée tégénaire de nos caves surprise par l’éclairage, elle se fige un instant avant de disparaitre de sa toile. Seul devant une porte close, mon visage se crispe et je me referme... Le gout de l’amertume se manifeste, l’esprit boude ! Trainant le pas, je pars me rassoir.
À peine installé, un grincement dans mon dos m’interpelle, je me tourne et une porte s’ouvre... Échaudé, j’attends l’autorisation avant de me lever. De ma chaise, je regarde au loin le bureau et le fauteuil qui m’accueilleront pour ce test de détection des hauts potentiels. Passant dans l’embrasure de la porte, les hanches d’une forme humaine cachent ce que je regardais... je lève les yeux : « Horreur ! c’est l’araignée ! »
*
« Tik…tik…tik…tik… » : le bruit des ongles noirs se fait entendre dans les couloirs...
Alaya, petit chien, marche à pas ralenti et cherche ta meute ! Boule de poils, tu finis dans un halo de lumière où repose, endormi, un ami. Hume son haleine... Tu le connais ! Roule-toi en boule à ses côtés... Son odeur est depuis peu le seul réconfort dans cet infini.
Le temps s’est écoulé… Les deux protagonistes de notre histoire se sont quittés. Jack, que nous connaissons plus sous le nom de Deneve, a retrouvé Trévis Graven, le troisième homme qui était dans le poste de commande. Ils reparlent de l’épisode les ayant conduits à franchir l’Espace infini en vue d’une entrevue avec la matrone des Afro-Russes.
Leur navette est en autopilotage : elle a quitté l’Olympus depuis deux semaines et file vers sa destination. Tranquillement installés dans leur Koposphère de voyage, le corps en stase, ils restent conscients et communiquent par les relais mentaux du Cérébroréseau.
— Jack, tu fais quoi ?
— Je fais un puzzle…
— Pouh, pouh... ! Graven aime ponctuer ses phrases d’interjections. Tu as l’air de mauvaise humeur, toi ! Olympe est là ?
— Quoi, Olympe... ?!? répond Jack énervé.
— Ne me réponds pas comme ça, je m’inquiète, c’est tout !
— Trévis, j’en ai marre qu’on me parle de cette bête. Il n’y en a que pour elle !
— ... Mais tu es jaloux, Jack ?
Refusant le fait accompli, le faussaire se retranche derrière des explications d’hypocrite :
— Mais pas du tout, c’est juste que ce n’est qu’un imprévu ! Et puis les autres tempoconjonctions, on les a incarnées une fois pour vérifier. Mais elle...
— Jack... Je viens de vérifier, Olympe n’est plus dans sa Koposphère de stase. Elle s’est encore levée. Je me réveille et je vais la chercher ! Merde...
Par la pensée, Trévis ordonne à la machine d’extirper son corps de sa torpeur, il le fait sans se soucier de la fin des explications de son ami.
L’ordinateur obéit et enclenche le processus de réveil, tandis que Trévis, aux aguets, force l’organisme à s’activer. Mais comme le catatonique pris au piège d’un corps immobile, il ne peut rien faire... Il faut attendre !
La salive est déglutie, la gorge se met en mouvement : elle devient autonome par la libération des géocompensateurs d’équilibrage qui parcourent son corps. Toute une machinerie se rétracte autour de lui. Pour finir, le linceul qui couvre son anatomie se soulève, cette draperie lisse reste suspendue au-dessus de lui par quelques filaments. Pour l'instant, ce jeune homme nu mis en lumière ne semble pas vouloir se mouvoir. Le halo luminescent bleu disparait pour faire place à une autre longueur d’onde faite d’infrarouges. Les côtes latérales se dévoilent subtilement via la respiration, l’abdomen souligne sa tension par ses muscles bosselés qui se crispent. Au milieu de la ceinture abdominale, un sillon se dessine... Il varie, influencé par le mouvement des poumons. Le moteur de cette belle carrosserie se met en route, il chauffe, insuffle la pression du sang dans tous les membres ; certains réagissent, tressaillent, quand d’autres durcissent. Phénomène naturel au réveil, l’oeil s’entrouvre comme pour contrôler l’environnement. Un genou se plie, l’échine se lève... Depuis la nuque, une main ébouriffe une chevelure blonde, elle finit sa course sur une bouche entrebâillée... L’homme est enfin réveillé !
— Olympe ?
Trévis tire le drap suspendu au-dessus de lui comme pagne de fortune. Cette silhouette filiforme se déplace dans le vaisseau, une main sur le mur. Ses jambes sont encore un peu bancales à cause de la stase, mais il ne veut pas attendre ! Depuis quand le chien est-il réveillé sans boire ni manger ? Arrivé à la Koposphère de la bête, il cherche cet animal qui a pu une nouvelle fois se soustraire à son repos forcé : rien, il n’y a rien !
Tracassé par cette absence, il accélère ses mouvements. Il fouille dans tous les coins : il a peur de trouver un corps sans vie. Ses mains ouvrent des sas, ses jambes s’accroupissent pour regarder sous les meubles. Le drap qui recouvrait ses cuisses reste oublié sur le sol, quand Trévis, frénétique, se relève pour continuer ses recherches plus loin... C’est vrai, il s’est attaché à Olympe !
Au milieu d’un réfectoire, il place deux doigts sur une tempe et communique avec son partenaire.
— Allo ? Jack... je ne la trouve pas... Jack ?
Pas de réponse ; l’autre reste muet. Le garçon retourne dans la salle de repos, il se souvient d’une habitude de cette chienne... : elle n’aime pas dormir seule ! Il s’approche de sa propre Koposphère, cette coupole semi-ouverte tamisée d’une lumière rouge laisse entrevoir une petite matière sombre. Posant son assise sur un coin du matelas, il tourne le torse, se cambre et tend la main. Dans un soupir, Trévis touche le pelage touffu d’Olympe ! Soulagé, il communique de nouveau avec Jack, immobile un peu plus loin.
— Jack, je viens de la trouver couchée dans ma Koposphère... Jack ?
— Fumerie, Trévis... je n’en ai rien à foutre ! Tu ne m'écoutes pas et me coupes la parole. Tu...
La voix cybernétique du Cérébroréseau couvre à son tour les propos de l’orateur : « Nous entamons notre approche de la planète Meridon, fin des stases. Transposition du Cérébroréseau sur le serveur local : ATT-mère. »
Échappant aux râlements de Jack, Trévis s’habille tandis que le réveil s’enclenche pour son acolyte. À ses pieds, Olympe tressaille, une boule dans la gueule : c’est une bille campocinétique venue avec elle depuis la Terre. Ces billes sont envoyées dans le Passé pour marquer les personnes ciblées, elles jouent le rôle de pont entre elles et le Medinum. Cette boule lui a été laissée comme balle de jeu. À demi vêtu, Trévis la lui lance de temps en temps, tout en couvrant son corps d’un textile qui semble fait d’une matière qui n’existe pas encore.
À son tour, le deuxième membre d’équipage se lève. Il dévisage son compagnon qui rigole et ce chien qui aboie. Jaloux, sans dire un mot, il enfile ses habits serrés, s’adossant à cette scène qui lui déplait un peu.
Que vont-ils découvrir sur cette planète ? Actuellement, les animaux comme les humains sont inconscients du danger !
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