Opéron Jouvence - Christophe Fourrier - E-Book

Opéron Jouvence E-Book

Christophe Fourrier

0,0

Beschreibung

“– Oscar Péron, vous êtes médecin, chercheur, vous avez 41 ans. Vous avez fait vos études en France, puis vous vous êtes envolé pour les États-Unis où vous avez créé votre société, Opéron Jouvence, en 2025, il y a cinq ans donc. O-péron comme Oscar Péron, le mot opéron désignant une partie de l’ADN, je le précise pour que nos téléspectateurs goûtent ce jeu de mots. Je poursuis votre portrait : en 2027, c’est la stupeur dans le monde entier, vous apparaissez auprès d’un acteur d’Hollywood de 76 ans, disparu des écrans depuis plus de dix ans. Nous voyons la photo derrière moi, cet acteur semble n’avoir qu’une cinquantaine d’années, il est grand, musclé, bronzé. Il tient dans sa main un cadre photo de lui, image prise deux mois auparavant pour une avant-première… Et là le constat est stupéfiant : cet acteur a rajeuni, il a retrouvé son corps et son allure des années 2000, quand il enchaînait les superproductions de films d’action. Le monde entier s’interroge sur votre technique, votre société entre en Bourse (...)”

En cette année 2030, le premier traitement de rajeunissement existe. Issus de la thérapie cellulaire et génique, les résultats spectaculaires bouleversent la société. Et si, demain, votre père paraissait votre âge ?


À PROPOS DE L'AUTEUR


Christophe Fourrier est technicien dans le secteur des prélèvements et des greffes d’organes et de tissus. Il vient à l’écriture comme une activité personnelle et de soutien. Il commence par des journaux avant de se lancer dans les romans. En 2020 sort son premier titre. Aujourd’hui il poursuit dans la fiction en proposant des thrillers fantastiques et des romans d’anticipation. 'Opéron Jouvence' est son sixième roman.

Sie lesen das E-Book in den Legimi-Apps auf:

Android
iOS
von Legimi
zertifizierten E-Readern
Kindle™-E-Readern
(für ausgewählte Pakete)

Seitenzahl: 238

Das E-Book (TTS) können Sie hören im Abo „Legimi Premium” in Legimi-Apps auf:

Android
iOS
Bewertungen
0,0
0
0
0
0
0
Mehr Informationen
Mehr Informationen
Legimi prüft nicht, ob Rezensionen von Nutzern stammen, die den betreffenden Titel tatsächlich gekauft oder gelesen/gehört haben. Wir entfernen aber gefälschte Rezensionen.



 

 

Christophe Fourrier

Opéron Jouvence

 

Du même auteur

« Hadès » Mai 2020, éditions Prem édit.

 

« La poupée qui brillait dans le noir »

Mars 2021, éditions thyma

 

« Mannaz » 2021, éditions JDH

 

« Sauvegarde » 2021, 5 Sens éditions

 

« Version 2.0 » 2022, 5 Sens éditions

 

 

Nous menons notre vie quotidienne sans presque

rien comprendre au monde qui est le nôtre.

 

Stephen Hawking

Chapitre 1

Le générique de présentation est à peine terminé. Déjà le journaliste vedette prend la parole. Le décor est dépouillé, un large plateau de travail aux écrans de contrôle dissimulés, deux fauteuils, l’un pour le présentateur, l’autre pour l’invité. Il s’agit d’un quadragénaire, chemise blanche, veste grise, bien taillée, ajustée sur mesure. Petites lunettes fines, barbe courte soignée, l’homme ne semble nullement impressionné par ce studio de télévision. Pourtant ses apparitions médiatiques sont extrêmement rares, même aux États-Unis, pays dans lequel il réside depuis plusieurs années. La France le découvre, le redécouvre plutôt, puisque cet homme qui semble sage et poli est français, comme le rappelle l’animateur vedette de sa voix franche et grave, celle qui l’a rendu célèbre pour ses interviews sans complaisance.

 

– Bonsoir ! Émission exceptionnelle ce soir, puisque je reçois, pour la première fois dans un média français, celui qui déchaîne les passions depuis plusieurs années de l’autre côté de l’Atlantique, ce « french doctor » que nous ont ravi les Américains, celui qui a révolutionné la médecine du vieillissement, relégué la chirurgie esthétique au placard, j’ai nommé le Dr Oscar Péron. Bonsoir Docteur, bienvenue à vous !

– Bonsoir, répond humblement l’invité, seul son regard brillant trompe une indifférence feinte.

– Oscar Péron, vous êtes médecin, chercheur, vous avez 41 ans. Vous avez fait vos études en France, puis vous vous êtes envolé pour les États-Unis où vous avez créé votre société, Opéron Jouvence, en 2025, il y a cinq ans donc. O-péron comme Oscar Péron, le mot opéron désignant une partie de l’ADN, je le précise pour que nos téléspectateurs goûtent ce jeu de mots. Je poursuis votre portrait : en 2027, c’est la stupeur dans le monde entier, vous apparaissez auprès d’un acteur d’Hollywood de 76 ans, disparu des écrans depuis plus de dix ans. Nous voyons la photo derrière moi, cet acteur semble n’avoir qu’une cinquantaine d’années, il est grand, musclé, bronzé. Il tient dans sa main un cadre photo de lui, image prise deux mois auparavant pour une avant-première… Et là le constat est stupéfiant : cet acteur a rajeuni, il a retrouvé son corps et son allure des années 2000, quand il enchaînait les superproductions de films d’action. Le monde entier s’interroge sur votre technique, votre société entre en Bourse, levant plusieurs millions de dollars en une seule journée. Vous ouvrez deux établissements, l’un à Hollywood, l’autre sur la côte Est, à New-York. C’est la célébrité ! Vous « rajeunissez » donc de nombreuses actrices, des hommes d’affaires, des femmes et des hommes politiques. Fin 2027, les autorités fédérales vous interdisent d’exercer, puis finalement vous autorisent à reprendre votre programme après avoir examiné votre procédé, et surtout devant le tollé médiatique qui a suivi votre fermeture temporaire. Aujourd’hui vous êtes de retour en Europe, en France, votre terre natale, pour ouvrir le premier établissement Opéron du continent, ce qui nous le verrons, n’est pas sans causer quelques problèmes et réticences. Vous pesez trois milliards de dollars en Bourse, vous croulez sous les demandes de traitement, ma première question est simple : Pourquoi venir en France, alors que l’accueil des autorités est assez froid ?

– Tout d’abord, merci pour la présentation et de me recevoir ce soir. L’accueil n’est pas si froid que cela. L’ANSM, l’agence de sécurité sanitaire, nous a délivré une autorisation d’exercice en bonne et due forme il y a plus d’un an. D’un point de vue technique, médical, il n’y a aucune objection à notre installation en Europe en général, ni en France en particulier. C’est d’un point de vue idéologique que nous rencontrons des oppositions, que je ne comprends pas vraiment parce que notre traitement n’est imposé à personne, chacun est libre de s’y engager ou non, au même titre que la chirurgie ou la médecine esthétique, explique calmement l’invité.

– Oui, vous avez raison de le souligner. C’est en effet la nature du traitement que vous avez mis au point qui soulève, sinon des oppositions, du moins des interrogations. Pouvez-vous en dire plus à nos téléspectateurs ? En clair, comment ça marche ? demande le journaliste alors que la caméra zoome sur son regard qui fixe l’invité.

– La quête effrénée de la jeunesse, la lutte contre les effets du vieillissement ne sont pas nouveaux, je n’ai rien inventé sur le ressort, le besoin qu’impose notre société de rester toujours jeune, en bonne santé. Les liftings, la chirurgie, les implants, les injections d’acide hyaluronique ou de toxine botulique, toutes ces techniques ont en commun une vision qui est à l’encontre de la nôtre : il s’agit de corriger les effets du vieillissement d’une façon locale à chaque fois, sans concertation avec un ensemble, mais surtout de « l’extérieur ». Notre démarche est tout autre : nous agissons de « l’intérieur » du corps directement, depuis le cœur des cellules, de l’ADN du patient directement, commence le médecin.

– Justement, vos détracteurs vous accusent de manipulation de l’ADN, de transformer les gens, de créer des monstres, comme j’ai pu l’entendre, l’interrompt le journaliste.

– Ce sont des accusations primaires, faites par des ignorants. Nous ne « manipulons pas les gènes » comme je l’ai lu, d’abord qu’est-ce que cela voudrait dire ? Non, nous remettons simplement le patient en l’état de fonctionnement de son corps, ses cellules, qu’il avait voilà 20 années environ, c’est aussi simple que cela. Nous ne modifions rien, nous luttons contre le vieillissement programmé du corps, nous agissons directement sur les processus des réparations cellulaires, explique le médecin.

– Oui je me suis renseigné, il est question des télomèrases, ces hormones qui réparent les extrémités des chromosomes, responsables du vieillissement programmé de nos cellules, dit le présentateur d’un air de celui qui aurait tout compris.

 

Oscar Péron sourit, posant ses avant-bras sur le long bureau, gardant le silence pour le moment, comme s’il laissait tout son temps au journaliste pour étayer ses propos. À court d’explication, le présentateur se rend compte qu’il passe pour le dernier des pédants. Il essaie de se rattraper en vol dans sa chute médiatique.

 

– Sans doute est-ce trop simpliste, dit-il sans grande conviction.

 

Le médecin sourit, n’abusant pas de sa victoire, il cajole même un peu le journaliste ; il n’est pas question pour lui de se montrer trop professoral. Cette interview a été jugée utile par la conseillère en communication, il s’agit de déminer le terrain avant que le pouvoir politique ne revienne sur son autorisation par exemple, si d’aventure l’opinion publique basculait contre le procédé Jouvence. Les enjeux financiers sont colossaux.

 

– Je vois que vous vous êtes bien documenté, que vous avez préparé cette interview. En effet, notre procédé comporte l’utilisation des télomérases, entre autres choses, je dirais même entre autres et nombreuses choses. Il faut comprendre que notre biologie comporte en elle sa propre horloge, unique à chacun de nous. Certains vieillissent vite, perdent leurs cheveux, les voient blanchir, se rident plus ou moins lentement. Toutes ces manifestations sont issues de notre ADN, le programme contenu dans chacune de nos cellules. Pour vous donner une image, notre procédé agit sur ce programme, pour le faire revenir en arrière, comme si nous reculions de 20 à 25 années cette horloge biologique. L’horloge reprend alors son décompte, sa marche, mais avec 20 années de retard. Les cheveux repoussent, retrouvent leur couleur, les rides se comblent, les muscles se redéveloppent, voilà comment fonctionne notre traitement, explique le médecin.

– Vous me dites donc, pour prendre une autre métaphore : voici le livre de votre vie, moi Oscar Péron, je suis capable de tourner les pages en arrière, et de revenir 20 chapitres auparavant, c’est ça ? C’est correct ? demande fébrile le présentateur.

– Oui, en gros c’est cela. Je ne ferai pas de vous un surhomme, un être amélioré, comme j’ai pu le lire dans la presse, je vous rendrai votre apparence et surtout votre santé d’il y a 20 ans. Il n’y a pas de miracle absolu, conclut le médecin.

– Tout de même ! 20 ans plus jeune, j’appelle cela un miracle, moi. J’en connais qui aimeraient retrouver leurs 20 ans, rien que sur notre chaîne, plaisante le journaliste hilare.

– Attention, j’ai dit que nous ramenons de 20 ans en arrière, pas à l’âge de vos 20 ans, il y a une terrible nuance, précise Oscar Péron.

– Oui, j’entends bien. Mais 40-20 = 20, non ? rétorque le présentateur malicieusement.

– Non, ça ne marche pas comme cela. Notre traitement ne s’adresse pas à des gens qui sont encore « jeunes », 40 ans c’est très jeune. Le traitement est optimal entre 63 et 80 ans, nous ne l’engageons pas en dehors de cette fourchette d’âge, dit le chercheur.

– Tiens donc, pourquoi cela ? interroge le présentateur.

– Nous avons validé le process pour la tranche d’âge que j’ai indiquée. Avant 63 ans le traitement passerait inaperçu et n’aurait pas un bénéfice suffisant. Au-delà de 80 ans, cette fois ce sont les risques qui seraient trop importants, concède le médecin.

– Les risques ? Expliquez-nous cela, je croyais que votre procédé était justement garanti sans risque, dit le journaliste avec un air accusateur.

– Aucun traitement médical n’est sans risque. Nourrissez votre corps de grandes quantités de gras chaque jour ou d’alcool en excès et vous aurez des problèmes de santé. Notre traitement ne se résume pas à une petite injection anodine qui va vous regonfler en cinq minutes. Il s’agit de techniques très pointues de biologie cellulaire, de thérapies géniques, qui s’étalent sur cinq à six semaines parfois. Le corps réagit, doit lutter et réparer toutes les manifestations et carences liées à l’âge. Nous relançons des processus internes, de réparation et de reconstruction de nos organes et tissus, qui seraient difficilement supportables pour un organisme au-delà de 80 années, voilà pourquoi nous avons fixé cette limite, explique le médecin.

– J’ajouterai pour ceux qui nous regardent que ce traitement ne se commence pas sans au préalable une batterie poussée d’examens en tout genre, ce qui fait qu’il ne s’adresse qu’à une minorité de personnes, que vous dénommez… ? interroge le journaliste en levant ses fiches.

– … éligibles. Nous parlons d’éligibilité au traitement, complète le Dr Péron.

 

Le présentateur se tourne vers une autre caméra, signe qu’il va débuter une nouvelle série de questions, plus polémiques peut-être. Son langage corporel annonce une sorte d’engagement, une position plus agressive, moins soumise.

 

– Sans compter que le prix de votre traitement ne permet pas à tout un chacun de s’y soumettre, nous y reviendrons un peu plus tard si vous le voulez bien. D’abord je voudrais me faire l’avocat du diable, le porte-parole de vos détracteurs, et ils sont nombreux. Ainsi un député de la majorité, ancien Ministre de la Santé, a dit, je cite, qu’il trouvait « désolant qu’un chercheur formé par la France, dans nos universités et hôpitaux publics, la quitte, s’expatrie, travaille à l’étranger, pour finalement revenir monnayer ses travaux dans son pays d’origine ». Que répondez-vous à cela ? questionne le journaliste avec son célèbre « ton d’incorruptible ».

 

Oscar Péron ne se départit pas de son sourire discret, le regard froid, comme s’il attendait cette question. Il prend la parole l’air de proclamer que si ce sont là les seules critiques qui lui sont opposées, il peut dormir tranquille.

 

– Oui c’est vrai, j’ai été étudiant en médecine à Paris. Externe, interne, chef de clinique, j’ai passé un Master 2, puis mené une thèse, enfin une année post-doctorat aux États-Unis. Plus de douze années d’études, de gardes, de nuit écourtées, pour m’entendre dire qu’il n’y avait pas de poste pour moi dans la recherche publique. Purement et simplement. Vous arrivez à près de trente ans, vous avez un loyer à payer, comme tout le monde, une vie à construire, et on vous répond que vous ne pouvez travailler dans ce système public qui vous a formé, dit avec véhémence le chercheur.

– Vous n’aviez pas de poste ? ! s’exclame le journaliste.

– Non. J’ai été je crois le second médecin à s’inscrire à Pôle emploi. Le précédent était un chirurgien pédiatrique quelques années auparavant. Autant vous dire que mon conseiller ne pouvait rien pour moi. Que me restait-il à faire ? J’ai lâché mon appartement et je suis parti aux États-Unis effectivement, empruntant le prix de mon billet d’avion à ma tante. Voilà la réalité, conclut le médecin.

– Mais vous n’avez pas tenté un recours ? demande le journaliste abasourdi.

– Bien sûr. J’ai écrit à l’époque, beaucoup, même à mon Ministre de la Santé, qui m’a répondu qu’il ne pouvait rien faire pour moi, m’encourageant à trouver « d’autres solutions ». Voici cette lettre, je l’ai toujours gardée sur moi, dit le médecin en sortant une feuille pliée de sa veste.

 

Le journaliste la prend respectueusement, lisant rapidement, s’attardant sur la signature, ne pouvant contenir un cri de surprise.

 

– Mais c’est la signature du député en question ! ! Ancien Ministre de la Santé, mon Dieu, quelle arrogance ! Les téléspectateurs jugeront, dit le journaliste d’un air entendu en rendant la précieuse lettre.

 

En régie, le réalisateur jubile :

 

– Putain ! C’est le bon client celui-là ! On est en train de pulvériser l’audimat autant qu’il a ruiné le Ministre ! Les réseaux sociaux ne parlent que de cela ! Demain les chiffres d’audience vont être énormes !

 

Le journaliste poursuit avec ses questions sans concession, plus prudent cette fois, il a compris que le Dr Oscar Péron dispose d’arguments solides.

 

– Autre remarque acerbe : « C’est un traitement qui ne s’adresse qu’aux riches, et en plus, ils vivront plus longtemps, donc il faudra que la solidarité nationale paye plus longtemps leur retraite. » Que dites-vous ?

– Alors oui ce traitement a un coût, puisque bien entendu il n’est absolument pas pris en charge par la sécurité sociale. Nous sommes dans ce qui est nommé « un traitement de confort ». Alors oui, c’est aux patients de prendre en charge l’intégralité de leur traitement, qui soit dit en passant, les remettant en bonne santé, les rend moins dépendants à notre système de soin. Quant à ce surplus d’années à vivre, je ne sais ce que nos centenaires penseraient, si d’aventure on venait un jour à leur reprocher de vivre plus longtemps à la retraite qu’ils n’ont cotisé… Nous avions anticipé ce genre de médiocrités : pour éviter ces remarques, l’ensemble des citoyens français que nous avons traités ont averti leurs caisses de retraite, qui pour seule réponse ont suspendu les paiements. Alors oui, cela ne s’adresse qu’à des gens riches, de fait, reconnaît le médecin.

– Les caisses ont suspendu les paiements ! répète le journaliste.

– Oui, en attendant un avis de l’État, et dans le cas de l’une de nos patientes, celle-ci a été radiée purement et simplement par sa Caisse Régionale, avant même d’entreprendre la démarche. Nos patients ne peuvent plus faire valoir leurs droits, mais en revanche, leur état civil ne changeant pas, il leur est difficile, voire impossible, de travailler quand ils ont dépassé l’âge de 67 ans, à moins de créer leur propre affaire. C’est un peu la double peine : pas de retraite, pas de répartition malgré des cotisations effectuées toute leur vie professionnelle, mais pas de travail non plus… Je me demande ce qu’en penserait notre ancien Ministre des Solidarités, ironise le médecin.

 

En régie, c’est un festival.

 

– Oh, l’enculé de sa mère ! ! Missile droit au but ! Boum ! ! Dans sa gueule !

 

Sur le plateau, le journaliste continue son interview, désormais « rangé dans le camp » du médecin. Sur son écran, le réalisateur lui envoie des messages pleins de points d’exclamation.

 

– Et que répondez-vous à ceux qui vous reprochent d’employer des gens qui pourraient être utiles ailleurs, dans notre système de santé ?

– Les médecins que j’ai embauchés étaient tous sans affectation, en intérim ou contrats précaires. Les infirmières, les aides-soignants, les techniciens de laboratoire qui nous ont rejoints ont tous choisi de quitter le service public, fatigués des cadences infernales, pour des salaires qui leur permettent à peine de vivre. C’est la « loi de l’offre du marché » dont parlait l’ex-Ministre dans sa lettre, rétorque le médecin d’une voix ferme.

– Toutefois vos équipements dernier cri seraient sans doute utiles pour des « vrais » malades, si je puis m’exprimer ainsi.

– Même s’ils sont financés intégralement par des fonds privés, comme notre TEP-scan, et bien que les patients règlent une bonne partie de leur bilan initial, soit 3 000 euros, cela participe à la politique de santé publique. Nous avons diagnostiqué nombre d’affections qui n’auraient pas été découvertes à temps par le système de santé classique, qui se révèle finalement très faible en dépistage préventif. J’ai également proposé par deux fois aux autorités de mettre à disposition de la médecine de ville notre plateau technique, les samedis et dimanches, au tarif conventionné, afin de participer à l’offre de soins. Proposition restée lettre morte jusqu’à aujourd’hui, regrette le médecin.

– Eh bien, j’espère que vous serez enfin entendu ce soir, Dr Péron. Pour terminer ce tour complet de découverte de ce nouveau traitement révolutionnaire, quoi de mieux que d’en voir le résultat ?

 

Le présentateur se lève, marchant à l’encontre d’une caméra comme s’il allait effectivement au-devant de chaque téléspectateur, téléspectatrice surtout. Il est aisé de comprendre qu’il va accueillir un invité exceptionnel. Il poursuit de sa voix suave :

 

– Elle a choisi de suivre ce traitement, sa beauté légendaire est à jamais gravée sur la pellicule de ses nombreux films. Ce soir, elle témoigne pour nous, à visage découvert, si je puis dire. Française avant tout, elle arrive de New York où elle tournait, pour vous faire une surprise, Dr Péron. Pour notre plus grand plaisir, nous recevons ce soir… Jodie Quartermaster !

 

Dans le champ de la caméra apparaît une femme d’une quarantaine d’années, svelte et mince, en talons hauts. Elle porte un tailleur sombre qui marque sa taille, soulignant ses formes féminines. La caméra s’attarde un peu trop longuement sur l’actrice qui s’assoit sur un siège, ajouté lorsque le journaliste s’était levé. Puis c’est un gros plan sur le visage magnifique de cette femme âgée de 64 ans. Premier grand rôle à 15 ans en 1981, l’année de l’élection présidentielle française, les yeux bleus et le sourire ravageurs de cette femme blonde, élancée, ont accompagné des générations de Français. Les rides sont apparues, les paupières se sont affaissées, pourtant jamais Jodie, comme l’appellent les magazines people, n’eut recours à la chirurgie esthétique.

 

– Bonsoir Jodie ! Vous êtes superbe ! dit le présentateur, des étoiles dans le regard, tandis que la femme salue Oscar Péron et lui touche affectueusement les doigts à l’autre bout du grand bureau.

– Bonsoir, je vous remercie, répond l’actrice.

– Sur l’écran derrière moi s’affichent trois photos de vous. À droite l’une de 2008, à Berlin, au centre, celle d’il y a un an sur ce même plateau, puis à gauche, une photo prise par notre caméraman à votre arrivée parmi nous. Je crois que cela se passe de commentaire : vous êtes aujourd’hui aussi jeune et belle qu’en 2008, c’est… époustouflant ! s’exclame le présentateur.

– Merci, mais ce n’est pas moi qu’il faut complimenter, mais plutôt Oscar Péron, qui a rendu cette prouesse possible, dit Jodie Quartermaster en désignant le médecin d’une main dénuée de rides ou autres taches de vieillesse.

– Jodie, comment vous sentez-vous ? Y a-t-il, outre ce rajeunissement physique, d’autres manifestations, d’ordre psychologique, par exemple ? interroge le journaliste-présentateur sous le charme.

– Oui, une indéniable énergie. J’ai toujours été contre la chirurgie esthétique, j’avais en fait très peur d’un résultat peu naturel, voire pire, raté, n’ayons pas peur des mots. Je n’avais pas envie de me retrouver avec ce visage figé, commun à beaucoup d’actrices de ma génération. Mais au fond, les liftings ne changent rien, intrinsèquement. Avec le traitement du Dr Péron, j’ai « simplement », si je puis dire, retrouvé mon corps, mon visage, les miens, ceux que j’ai toujours eus, dit l’actrice très reconnaissante.

– Ce que Jodie ne dit pas, par modestie, c’est qu’elle a toujours entretenu ce corps. Le traitement a… capitalisé sur une base de santé et d’entretien de soi dont faisait preuve Jodie depuis des décennies. Nous lui avons permis de retrouver son physique d’il y a 20 ans, mais ce physique était déjà extraordinaire, dit le médecin en souriant à sa patiente.

– Vous avez parlé d’énergie tout à l’heure ? Pourriez-vous nous en parler davantage ? demande le présentateur.

– J’ai retrouvé mon allant, ma fougue des années 2000, c’est vrai, quand j’avais la quarantaine conquérante, si je puis dire. Je dors mieux, je récupère plus vite du décalage horaire, j’ai la tête pleine de projets, sans appréhension ni réticence que l’âge avait fait apparaître. Vous savez cette prudence qui s’installe parce que l’on prend conscience que 60 ans sont passés, que l’heure de la retraite approche. Et puis il y a aussi toutes ces petites douleurs anodines qui vous rappellent à l’ordre… Eh bien tout cela, c’est fini, la vitalité est là, de l’intérieur, confie Jodie l’air très heureuse.

 

En régie, le réalisateur est bouche bée :

 

– Saloperies à casquette ! Je l’ai croisée l’année dernière à Cannes, elle faisait « petite vieille ». Et là ! ! C’est le priapisme dans les chaumières ! ! On va déglinguer les scores !

 

Sur le plateau, l’ambiance est feutrée, légère, irréelle, tant l’actrice rajeunie dégage de la grâce. Oscar Péron explique que le traitement n’est pas « une partie de plaisir », ce que confirme avec un sourire amer Jodie. Mais sont-ils seulement entendus ? Le résultat irradie, attire le regard. Le présentateur est rappelé à l’ordre par son oreillette pour clore les débats.

 

– Notre émission touche à sa fin, je le regrette, j’aurais encore des tas de questions à vous poser. Je pourrais vous écouter des heures me parler de votre prodigieux traitement, mais il nous faut rendre l’antenne. Merci à vous, merci à…

 

Dans son salon, François vient de couper sa télévision. Sa femme Christine est déjà couchée, à l’étage de leur maison cossue de la banlieue ouest parisienne. L’homme sourit, il consulte son agenda sur son smartphone. Il vérifie l’heure du rendez-vous, 9 heures le lendemain, à l’institut flambant neuf Opéron Jouvence, Paris XVIe.

Demain c’est la consultation d’étape, celle du rendu des divers bilans et examens pratiqués par le couple. François a 70 ans. Il regarde son orteil tordu, qui chevauche son voisin.

Il est temps, se dit-il.

Chapitre 2

Le véhicule avec chauffeur dépose Christine et François devant l’établissement Opéron Jouvence. De l’autre côté de la rue se trouve une clinique esthétique, chirurgie et médecine.

« Pour le cas où tu rates en face ! » se dit François en souriant, n’osant dire cette blague à son épouse. Christine est tendue, elle a eu des scrupules à accepter la facture de 6 000 euros pour simplement les tests d’éligibilité. Alors deux millions d’euros pour les traitements !

François a dû batailler pour la convaincre.

 

– Nous les avons ces deux millions, il nous restera encore de quoi vivre confortablement, disait-il en rassurant sa femme.

– Tu ne veux pas que nous utilisions cet argent pour gâter nos petits-enfants et profiter avec eux, plutôt ? remarquait Christine.

– À quoi bon avoir de l’argent si c’est pour être cloué chez soi, parce qu’on n’a plus la santé ? J’ai bossé dur toute ma vie, on a mangé de la vache enragée au début de notre vie, souviens-toi comme c’était compliqué ; j’ai monté la société après l’école d’ingé’, ensuite nous avons perdu notre petite Edwige, la vie ne nous a pas épargnés ! Il faut faire attention à nous ! Moi je veux vivre ! Profiter de la vie ! plaidait François.

 

Christine a accepté, ils ont consulté une première fois à l’institut, passant la journée en tests et examens. Une semaine plus tard, ce sont les résultats. Le couple a ainsi mis à profit ces sept jours pour commander deux chèques certifiés auprès de leur banque. Chacun a le sien dans son dossier : Le chiffre 1 et six zéros derrière, un nombre astronomique. Même pour leur seconde maison, le chèque de l’apport personnel n’était pas si important…

 

– Christine ? Christine ? appelle François en souriant.

– Hein ? quoi ? répond son épouse, sortie de ses pensées.

– C’est à toi, la dame t’attend, dit gentiment François.

 

Une hôtesse conduit Christine dans le bureau de consultation médicale. Puis elle revient et demande à François de la suivre. Elle lui ouvre la porte d’un cabinet situé dans le couloir opposé à celui où est partie Christine. Le Dr De Montfort, un jeune médecin en chemise et cravate sous une blouse immaculée, aux armes de l’institut, sourit et invite François à s’asseoir. Le bureau est le même qu’il y a une semaine. Ce n’est pas le même médecin, celui plus âgé se charge d’annoncer les mauvaises nouvelles. Simple psychologie, mieux vaut un jeune médecin pour promouvoir le choix d’un traitement de rajeunissement. Un traitement avec dépôt d’un chèque d’un million d’euros à l’issue de la consultation.

 

– … Bien, maintenant que nous avons vérifié votre identité, passons aux résultats : tout va bien, dirons-nous. Un peu de cholestérol et de triglycérides, sous traitement, tension correcte, glycémie à jeun normale. Rien de suspect au body-scan…, énumère le médecin.

– Suspect ? Cancer, vous voulez dire ? l’interrompt François.

– Oui, c’est exact. J’ai vu dans votre dossier que vous avez malheureusement perdu une enfant d’une leucémie foudroyante, je suis désolé. Votre génotype a été analysé, de ce côté-là également les pourcentages de risque estimés sont inférieurs à 5 %. À l’échographie il y a quelques plaques calcifiées sur l’aorte, sans ulcération ni anévrysme, ni sténose ailleurs. Tout cela rentrera dans l’ordre lors du traitement, enchaîne le médecin très sûr de lui.

– Vous avez l’air si convaincu ! remarque François.

– Absolument. Votre dossier médical est très complet, votre médecin traitant avait tenu à jour le fichier d’une façon exemplaire. J’ai tenu à le remercier personnellement mais il est déjà en retraite, sourit le médecin.

– Oui, nous avons changé de référent l’année dernière.

– Son prédécesseur a fait un travail remarquable, croyez-moi. Nous avons retrouvé des bilans d’il y a 25 ans, des comptes-rendus de consultations. Vous aviez une santé excellente. Vous allez la retrouver, vous pouvez dire adieu à vos médicaments actuels. D’ailleurs il faut cesser de les prendre dès aujourd’hui. Vous allez être sous notre responsabilité, ne vous inquiétez pas, nous nous chargeons de tout, dit le médecin.

– Heu… ? Ça commence maintenant ? demande François incrédule.

– Oui, bien sûr, si vous êtes d’accord. Vous avez rapporté le protocole signé, il y a les sept jours de réflexion depuis la première consultation, votre bilan est réglé, je vois le chèque certifié, notre hôtesse m’a informé que vous aviez votre petit sac de voyage. Pour moi, tout est au vert. À vous de me dire maintenant : voulez-vous rajeunir de 20 ans ? demande le médecin avec un sourire parfait.

 

François ne peut s’empêcher de sourire. Il a beau avoir répété à sa femme qu’il ne s’emballerait pas, que c’est une démarche réfléchie, planifiée et contrôlée, sans impulsivité, François ne parvient pas à cacher sa joie, l’exaltation qui l’empoigne. La sonnerie de l’interphone retentit.

 

– Amaury ? demande une voix féminine.

– Oui ? répond le médecin.

– Tu pourrais venir ? Le labo a besoin que tu valides le comptage des cellules, demande la voix.

– Excusez-moi François. J’en ai pour une minute, je reviens tout de suite, dit le médecin à regret.

 

François, toujours souriant, en profite pour envoyer un message à Christine.

 

C’est bon pour moi ! ! Je me lance ! ! Et toi ? Tu commences aujourd’hui ?

 

La réponse ne se fait pas attendre.

 

Non, pas aujourd’hui, je rentre. Bravo pour toi.

 

Le médecin revient dans le bureau au moment où François s’apprête à répondre, demandant plus d’explications à son épouse. Il range son portable et écoute poliment.

 

– J’en ai profité pour « checker » votre chambre. Tout est disponible, c’est vous qui décidez, nous pouvons lancer le processus. Qu’en pensez-vous François ? demande le jeune médecin au sourire parfait.

– Banco ! On y va ! s’écrie François.

– Bien, je vous accompagne. Pour l’instant vous allez vous installer dans votre suite. Vous allez voir, c’est loin d’une chambre d’hôpital. Vous y disposez d’un petit salon également. En attendant de réaliser les biopsies de cellules, vous n’avez qu’une seule chose à faire : vous détendre. Vous avez le choix de commander ce qui vous fera plaisir sur la carte du room service. Oubliez votre cholestérol, ne vous en inquiétez pas, ce ne sera bientôt qu’un mauvais souvenir. Il y a des films à disposition, des jeux, des romans, des magazines…, explique le médecin en appuyant sur le bouton de l’ascenseur.

 

Dans le taxi qui la ramène chez elle, Christine regarde avec indifférence le paysage qui défile lentement. Ce sont les embouteillages sur le périphérique parisien. Elle n’a pas répondu au chauffeur qui a compris que la cliente préfère le silence à la conversation. Il se contente de conduire prudemment, la radio diffusant de la musique classique.

 

– J’ai la désagréable tâche de vous annoncer une mauvaise nouvelle, Madame, a dit le vieux médecin.

 

Risques de cancer : 98 %

Cellules atypiques détectées au TEP-scan.

Marqueurs tumoraux en taux anormalement élevé.

 

– À l’échographie, votre utérus présente une taille anormale pour quelqu’un de votre âge, je suis désolé chère Madame. Ces découvertes fortuites ne nous permettent pas d’envisager un protocole Jouvence. Je vous rends votre chèque de banque. La bonne nouvelle, c’est que nous avons détecté ce cancer bien avant ses manifestations cliniques. J’ai déjà rédigé un compte-rendu et une demande de prise en charge pour l’oncologue, je me suis permis de vous prendre rendez-vous pour la semaine prochaine. Mon collègue du CHU est très compétent, l’équipe chirurgicale très expérimentée, explique le vieux médecin.

– Il va falloir m’opérer ? demande Christine d’une voix paniquée.

 

Dans la voiture, la radio diffuse un morceau triste, Pavane pour une infante défunte, de Maurice Ravel. Christine replonge dans le passé de sa fille…