Ouvre les yeux - Tome 1 - Marion Guilloteau - E-Book

Ouvre les yeux - Tome 1 E-Book

Marion Guilloteau

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Beschreibung

Parce que revoir un ex par le fruit du hasard peut être compliqué, se retrouver invitée à son mariage peut l'être tout autant... Déterminée à montrer que cette situation ne la touche pas, Ana va se rendre à ce mariage. Elle y fera une rencontre. Après une nuit brûlante, fidèle à elle-même, Ana disparaîtra sans laisser ni mot, ni numéro. Et tout se serait bien passé, si son amant d'un soir ne s'était pas retrouvé une fois de plus sur sa route. Coïncidence ou destin, Ana et son inconnu vont être amenés à se côtoyer plus souvent qu'elle ne le pense...


À PROPOS DE L'AUTEURE 


Attirée par la prose des mots dans les livres depuis le collège, c'est bien des années plus tard que Marion Guilloteau se décide à coucher sur le papier des petites histoires. Grâce à des personnages propres à son imaginaire, ses récits vont se transformer en roman. Avec une plume à la fois tranchante et délicate, Marion fait partie de ces jeunes auteurs dont l’influence ne cesse de croître au gré de leurs récits et qui ne demandent qu’à être découverts, au plus grand plaisir de tous.

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Marion Guilloteau

Ouvre les yeux

1ère partie

Roman

Cet ouvrage a été composé et imprimé en France par les

Éditions La Grande Vague

Site : www.editions-lagrandevague.fr

3 Allée des Coteaux, 64340 Boucau

ISBN numérique : 978-2-38460-049-6

Dépôt légal : Novembre 2022

Les Éditions La Grande Vague, 2022

Chapitre 1

Ana

Qu’on se le dise, dans la vie, il n’y a que trois choses qui peuvent me pourrir une belle journée ensoleillée comme celle d’aujourd’hui.

La première : Que les rayons de soleil qui filtrent à travers mes vitres se retrouvent brusquement effacés par d’épais nuages ; ce qui en soi me ferait perdre tout intérêt de sortir pour profiter du temps et lézarder quelque part dans le coin d’un parc noir de monde qui aurait eu la même idée que moi.

La deuxième : Recevoir un appel d’Eddy, mon crétin de patron misogyne qui m’ordonnera de venir faire des heures supplémentaires dans son restaurant vintage, où les adolescents des lycées environnants se réunissent en pensant faire plus vieux une bière à la main, dans l’espoir d’avoir une chance de mettre une femme plus âgée dans leurs lits bordéliques.

La troisième … Eh bien, elle est nouvelle celle-là ! Et elle gravit haut la main les échelons sur le tensiomètre. Tension qui est montée en flèche à l’instant où mes mains ont ouvert cette belle enveloppe mauve échouée à mes pieds.

Le bout de papier couleur blanc cassé, parfaitement lisse, glisse de mes mains pour finir sa chute sur le parquet de mon salon. Il atterrit sur le dos dans un fin silence, en évidence, pour me laisser encore apercevoir ce que je viens de lire.

J’incline la tête en avant, encore sous le choc par la nouvelle et les mots qui se remettent à me brûler les yeux. 

« Vous êtes cordialement invitée au mariage de Nathan Wine et Héléna Sanchez. »

Je lis et relis. Mon cerveau détache avec soin chaque syllabe pour m’aider à digérer la nouvelle. Je fais tout ce que je peux pour assimiler cette troisième chose qui peut et vient de me pourrir la journée. Nathan Wine, va se marier. Ok. C’est super. J’ai compris, tout va bien. Après tout, c’est moi qui l’ai plaqué, il n’y a pas de raison que je regrette quoi que ce soit ! C’est moi qui ai toujours refusé d’aller de l’avant, de m’engager sérieusement dans une relation quand l’autre l’a voulu. C’est moi qui préfère passer d’un mec à l’autre comme une abeille goûterait chaque fleur d’un vaste jardin, il n’y a aucun problème… vraiment…

Bordel de merde.

Non ça ne va pas ! J’ai cassé avec Nathan il y a quatre mois. Quatre petits mois ! Et dans ce laps de temps, il s’est trouvé une autre nana, et s’est fiancé avec ? Et par-dessus le marché, il m’invite ? C’est quoi ce délire ! Et j’ai fait quoi, moi, pendant ces quatre mois ?

Je m’y reprends à deux fois pour me pencher et attraper l’invitation qui me fuit et se coince dans un sillon du parquet. Aucun doute que cette invitation me fait un choc, mais dans le fond, en y réfléchissant bien, ai-je le droit de lui en vouloir ? Pas vraiment, non. Je n’ai pas le droit de lui reprocher le fait de vouloir m’étaler son bonheur sous le nez. Je marche jusqu'à mon petit canapé brun et me laisse tomber dessus de tout mon poids. Ok, peut-être juste un peu, car je trouve ça vraiment déplacé de m’inviter à son mariage alors que nous sommes des ex, et que je suis la plus récente de quatre mois. Que je suis sûrement sa dernière relation avant sa fiancée.

Je relève les yeux sur les murs de mon appartement en lâchant un soupir. Sérieusement, il a un problème ce gars. Qui invite son ex à son mariage ? Personne ne fait ça. Est-ce que c’est une sorte de punition qu’il souhaite m’infliger pour l’avoir largué ? Est-ce qu’il veut me prouver que j’ai fait une erreur en le laissant tomber ? Si c’est le cas, il ne me connaissait pas si bien que ça.

Nathan et moi, c’était fusionnel, au lit uniquement. Les rares fois où une discussion sérieuse sur notre relation s’immisçait sur l’oreiller, je faisais tout pour détourner son attention en plongeant sous la couette à la rencontre de son entrejambe. Si ça, ça ne lui a pas mis la puce à l’oreille, c’est qu’il est moins intelligent que ce que je pensais. Ou plus naïf, à voir. Et c’est bien à cause de cette insistance que j’ai fini par mettre fin à notre relation.

Parce que je ne suis pas du genre à me lancer dans une vraie relation. Je me l’interdis, parce que tôt ou tard, les gens finissent par se blesser, se faire du mal, et se retrouver démunis lorsque la bulle illusoire dans laquelle ils s’enferment explose.

Fatiguée de me tordre le cerveau, je jette le petit papier sur la table basse devant moi et me lève pour rejoindre la cuisine. Ni une ni deux, j’attrape mon téléphone posé sur le plan de travail.

Il n’y a qu’une personne à qui je peux en parler. Surtout que là, j’ai besoin de conseils. Pas une minute à perdre, je tape un message et l’envoie.

« Lâche ce que t’es en train de faire et viens à l’appart. Urgent. »

Je prépare deux tasses de café, et dans les minutes qui suivent, une tornade blonde débarque en talons aiguilles bleu marine, jean skinny et débardeur flottant. Je lève les yeux de ma tasse et tends l’autre à la belle blonde qui se tient devant moi, le regard intrigué. Sans plus attendre, elle l’attrape par l’anse et pose ses fesses près de moi sur le sofa.

— Alors, raconte, qu’est-ce qu’il y a de si urgent ?

Ambre croise élégamment ses jambes en se tournant vers moi, armée d’un large sourire. Trépignant d’impatience, elle tapote ma cuisse pour m’aider à lui annoncer la grande nouvelle.

Je ne dis rien et attends que ses lèvres se posent sur la tasse pour lâcher la bombe.

— Nathan va se marier.

Je n’ai pas besoin de lui en dire plus, car c’est lors d’une soirée qu’elle a organisée avec des connaissances à elle que je l’ai rencontré. Et qu’elle me l’a présenté. Sur ça, je n’ai pas besoin de m’étendre, mais les yeux arrondis d’Ambre qui me jette un regard en suspension me font délibérément comprendre qu'elle attend la suite qui ne tarde pas.

— Et il m’a invitée à son mariage.

Était-ce une bonne idée de lui annoncer ça alors qu’elle tentait d’avaler une gorgée de son café ? Certainement pas. Choquée par la nouvelle, elle recrache son café qui s’imprègne sur son débardeur et mon canapé, avant de se marteler la poitrine pour s’aider à avaler le reste de sa gorgée.

Je hurle en écartant mes bras.

— Merde, Ambre, regarde ce que tu fais ! Mon canapé… t’abuses !

Elle ne m’écoute pas et se contente d’ignorer mes plaintes en s’essuyant la bouche d’un revers de la main.

— Putain ! T’es sérieuse ?!

Elle s’interrompt pour jauger mon air dépité.

— Je veux dire, on parle bien du même Nathan ? tente-t-elle de me demander, me suppliant du regard comme si elle n’y croyait pas.
— Bah ouais, j’en connais pas quinze.
— La vache… ça pour une surprise, rétorque-t-elle la tête renversée, avant de revenir sur moi, lèvres pincées et le regard hésitant, et… comment tu le prends ?

Sans me laisser le temps de lui répondre, elle se lève et quitte la pièce pour rejoindre la cuisine à la recherche d’un rouleau d’essuie-tout dans les placards ; j’entends les portes s’ouvrir et claquer avec rage, me laissant penser que le poids de cette nouvelle s’est retiré de mes épaules pour aller se déposer sur les siennes. Je me penche pour attraper le carton d’invitation et le tends à Ambre qui revient avec des feuilles de sopalin. Nous faisons l’échange, et je profite de son occupation à lire les quelques mots pour tenter de nettoyer ses conneries. Ou les miennes.

— Tu ne m’as toujours pas répondu.
— À propos de quoi ?

Toujours le nez dans le carton, elle n’a pas besoin de me regarder pour savoir que je feins l’ignorance. Elle pousse un long soupir, exaspérée.

— Que Nathan se marie, ça va ? Tu te sens Ok ?
— Je ne vais pas sauter au plafond, ce n’est pas la nouvelle du siècle, c’est juste… enfin tu vois…
— Vois quoi ?

À mon tour de soupirer.

— Ça. Le fait qu’il m’invite moi à son mariage, je trouve ça dérangeant. Et trop bizarre.

Mes mains s’arrêtent d’elles-mêmes dans leur action. J’attends quelques secondes puis je chiffonne et mets en boule les feuilles de sopalin comme si elles étaient le carton, avant de les jeter sur la table basse.

— Oui, c’est quand même toi qui l’as largué, alors…

Je relève les yeux d’un regard mauvais vers Ambre qui s’arrête dans sa lecture. Tout en reposant le carton sur la table sans me quitter des yeux, elle me réprimande.

— Quoi ? C’est vrai, non ? Ça ne sert à rien de me faire ton regard noir.

Non c’est vrai, mais je ne peux pas m’en empêcher. C’est plus fort que moi. Face à sa réflexion et sa mine renfrognée, je m’efforce de sourire de toutes mes dents pour lui prouver que toute cette situation ne m’atteint pas plus que ça.

Évidemment, face à sa meilleure amie de longue date, ça ne fonctionne pas.

— Hé ! la pub de dentifrice Colgate, redescends sur terre, c’est moi, Ambre.

Elle réplique en claquant ses doigts devant mes yeux que je finis par lever au ciel.

Son sourire moqueur en ligne de mire, je roule des yeux et m’agace.

— Je l’ai largué oui, et après ? Honnêtement, je m’en fous, mais putain, ça, m’inviter moi à son mariage ! Tu ne trouves pas ça un peu… bizarre ?
— Plus que de larguer un mec parce qu’il veut se lancer dans une vraie relation ?

Des fois je me demande si elle est avec ou contre moi. Mise sur ressorts, je me lève pour faire quelques pas dans l’appartement sous le regard insistant et odieusement narquois d’Ambre. Silencieuse, son rictus au coin des lèvres parle à sa place.

— Oh ! la ferme !

Elle se met à ricaner lorsque je reviens sur le canapé. Mollement, je pose mon coude sur le dossier et ramène ma main vers moi pour caler ma tête contre ma paume.

— Tu vas y aller ? m’interroge-t-elle plus sérieusement.

Mes idées sont embrouillées. En fait, qu’il se marie me pique un peu au vif, je pense, mais ça n’est pas la fin de ma vie pour autant ; tant mieux pour lui s’il a pu avancer, trouver quelqu’un qui lui convient. Mais ça, m’inviter moi, j’ai le sentiment que je serais encore plus tordue que lui si j’acceptais.

— Je n’en sais rien. À ma place, tu irais, toi ?

Sans prendre le temps de réfléchir ne serait-ce qu’une seconde, elle répond comme si elle avait attendu la question.

— Bien sûr.

Elle me fixe dans un premier temps sans rien ajouter, mais la perplexité sur mon visage la pousse à poursuivre.

— Franchement, qu’est-ce que t’en as à foutre que ce soit ton ex ?

Elle lève le poing entre nos deux visages et nomme sur ses doigts les avantages.

— Il y aura de la bouffe gratuite, de la danse, de l’alcool et de beaux célibataires qui crèveront d’envie de tirer leur coup. C’est le jackpot ! Qu’importe qui t’invite.

Retenant un rire, ma mâchoire souffre d’un large sourire en la voyant secouer ses mains d’enthousiasme.

Je la reconnais bien là. Et sur ce point, nos pensées ne divergent pas beaucoup ; devant un verre, nous comparons nos ressentis sur les aventures que nous avons. Ce qui diffère pour Ambre, c’est la cherche dans ses aventures que le plaisir simple, alors que moi… Moi, c’est de me sentir vivante dans le regard des autres, de sentir que quelqu’un a besoin de moi, de sentir la domination me gagner en force lorsqu’ils me regardent. Apercevoir la crainte de me voir disparaître dans leurs yeux avant de tout arrêter par peur que tout ne change lorsque le partenaire décidera de modifier les règles. Comme Nathan a souhaité le faire. S’il ne l’avait pas fait, nous aurions peut-être pu continuer.

La tête dans les nuages, je vois les pensées d’Ambre défiler dans ses grands yeux bleus et titiller ma curiosité sur ce qui se passe sous cette tignasse vénitienne.

Je souris et reprends d’un ton innocent.

— Et pourquoi auraient-ils tant envie de baiser ?

Ma question amuse Ambre qui se redresse et se poste dans une position parfaitement symétrique à la mienne. Elle n’a pas besoin de parler, rien qu’à l’expression qu’elle affiche, je sais qu’elle trouve ma question idiote.

— Parce qu’ils seront déprimés d’être à un mariage avec pour seule compagnie leur deuxième cerveau ! me dit-elle, le doigt suggestif pointé vers son bassin.

Là, elle marque un point. S’il y a des célibataires, ce sera buffet à volonté.

— Je suppose qu’il ne me reste plus qu’à trouver une tenue adéquate et retourner le carton en précisant que oui, la garce d’ex que je suis va venir à son mariage !
— T’as tout compris !

Clin d’œil complice et nous rions de concert.

Je n’aurais jamais imaginé qu’un jour je me retrouverai invitée au mariage de l’un de mes ex. Cela dit, je n’ai jamais été invitée à ce genre d’événement, ce sera une première. Et même si c’est celui de Nathan, que l’idée de le voir dans son costume noir au côté de sa femme pour échanger leurs vœux me renvoie une drôle d’image gênante, j’avoue qu’Ambre m’a plutôt bien vendu le projet. L’idée me plaît.

— Bon, si c’est tout ce que tu avais à me dire, je vais te laisser. J’ai un rencard sur le feu. Et un vêtement à changer !

Elle se penche, me colle un baiser sur la joue, puis se lève.

Un rire coincé dans la gorge, je la regarde jurer contre son débardeur taché en marchant jusqu’à l’entrée. Ma tasse de café dans les mains, je me lève pour la raccompagner et m’accoude à l’encadrement.

— Tu me tiens au courant ? me demande-t-elle, piquée de curiosité.
— Comme toujours. Et garde ton téléphone sur toi, au cas où j’aie besoin que tu ramènes tes fesses pour me sortir de là.

Ambre acquiesce en me collant un dernier bisou sur la joue puis s’aventure dans le couloir. J’attends qu’elle entre dans l’ascenseur après m’avoir fait un bref signe de la main, pour refermer ma porte.

À nouveau seule, mes pensées reprennent immédiatement le dessus. Dans le fond, je ne vois pas pourquoi je devrais me sentir gênée d’aller au mariage de mon ex, nous ne nous sommes pas quittés en mauvais termes ou quoi que ce soit dans le genre. On a juste arrêté de se voir, on a laissé le temps nous éloigner. Je ne l’ai pas revu, et je ne lui ai même pas adressé la parole depuis, parce que je ne me voyais pas quoi lui dire, je ne me voyais pas revenir dans sa vie alors que depuis bien longtemps mes relations avec les hommes s’arrêtent à un plan cul ou tout du moins, à une relation basée sur le sexe. Autant dire que je n’ai aucun ami dans mon entourage.

Je marche jusqu’à ma chambre, attrape l’un de mes sacs à main que je dépose sur le lit. Sur le point de partir à la recherche de mon nécessaire pour profiter de ma journée et ainsi m’aider à digérer la nouvelle en me dorant la pilule, je m’arrête lorsque mes yeux tombent sur mon placard. Est-ce que j’ai au moins une tenue pour un mariage ?

Sans prendre le temps d’y réfléchir, j’ouvre les portes et examine mes robes. Je suppose que c’est le genre de vêtement qu’il faut. Elle devra être d’une teinte unie, ni trop courte, ni trop moulante. Une robe simple et à la fois élégante. Juste assez pour me fondre dans la masse des invités, et éviter d’attirer l’attention. Ce qui sera inévitable.

Du temps où nous « sortions » ensemble, Nathan m’avait présenté sa sœur, de deux ans sa cadette, lors d’une soirée. Maddy et moi, c’était compliqué. Compliqué parce qu’elle avait bien compris que je ne comptais pas m’aventurer dans une histoire, contrairement à son frère qui me dévorait du regard à chaque fois que ses yeux se posaient sur moi, et elle m’en a si souvent fait la remarque. Je doute qu’elle voie d’un bon œil que son frère m’invite à son mariage alors que je l’ai laissé tomber pour reprendre le cours de ma vie.

Je trouve finalement une petite robe d’été mignonne comme tout, enfouie dans un coin de mon placard. Je l’étale sur le lit. Les poings posés sur les hanches, je l’examine pour finalement me décider à enfiler cette robe dans un mois lorsque je devrai me rendre à cet événement qui ne me concerne pas, et dans lequel je n’ai certainement pas ma place.

— Tu es prête ?

Je change mon téléphone d’épaule et le coince en répondant :

— Ouais ouais, je suis en train de fermer ma porte là.

Ambre ricane d’excitation derrière son écran pendant que je me retiens d’enfoncer la porte à grands coups de talon. La clé refuse de tourner, et je sens mon angoisse me piquer dans l’estomac. J’y vois un signe : celui de renoncer à me rendre au mariage de mon ex.

La clé tourne et je lâche un soupir exaspéré.

Quelqu’un là-haut aura entendu mes pensées, et ne les aura certainement pas trouvées bonnes. Je dois être maudite. Si cette foutue clé n’avait pas souhaité m’obéir, j’aurais très bien pu prétexter un empêchement.

Merde.

— Ana ? Tu es toujours là ?
— Ouais, je t’écoute.
— Bon, alors, voilà le plan. Tu y vas, tu t’amuses, mais surtout, tu ne t’approches pas de Nathan. C’est très important !

Je ricane nerveusement en appuyant quinze fois sur le bouton d’appel de l’ascenseur.

— Qu’est-ce que tu racontes encore. Il ne va pas me bouffer.
— Non, mais sa femme pourrait le faire.

Les portes de l’ascenseur s’ouvrent et je m’engouffre dans la cabine. J’appuie sur le bouton du rez-de-chaussée et tourne le dos aux portes pour examiner mon reflet dans l’unique panneau miroir d’une paroi. Le téléphone toujours coincé entre mon épaule et mon oreille, je cherche au fond de mon sac mon rouge à lèvres.

— Ana, t’entends ce que je te dis !

Elle hurle dans mon oreille, faisant se crisper mes doigts sur le stick.

— Ambre, ne dis pas de conneries. Il ne m’aurait pas invitée sans en parler à sa femme.
— Ce que tu peux être naïve ma pauvre, soupire-t-elle.

L’ascenseur traîne en longueur et je commence à perdre patience.

Je termine de colorer mes lèvres, referme le stick et le jette en vrac dans mon sac avant de répondre.

— Je dois te laisser, je vais prendre le volant. Je t’appelle plus tard.
— Ok, mais je te préviens, méfie-toi de sa femme ! Et évite de dire à tout le monde que tu t’es envoyée en l’air avec le marié.
— Ambre, mais arrête putain ! Tu me stresses !
— Ok, j’arrête. Mais fais attention.

Je lui réponds d’un silence entendu avant de raccrocher.

Les portes s’ouvrent et je sors en replaçant nerveusement mon sac à main sur l’épaule. Bordel, je suis presque sûre que la mariée est moins nerveuse que moi. Cela dit, ma nervosité n’est pas injustifiée. Ambre est sûrement dans le juste lorsqu’elle affirme que Nathan n’a pas informé sa femme de ma venue. Le connaissant, il aura glissé mon nom entre deux mots, en négligeant le fait de l’informer que nous avons brièvement couché ensemble durant quelques mois. Et que je l’ai quitté par manque d’envie de m’aventurer dans une relation ennuyeuse et romantique malgré le mal qu’il s’est donné pour me faire changer d’avis. Autant dire que de nous deux, il y a plus de chance que ce soit lui qui tente de me mettre la main dessus sous la pulsion d’un souvenir trop grisant, trop frais de quatre mois.

La boule au ventre, j’ouvre ma portière et me glisse dans ma voiture. Je jette mon sac à main sur le siège passager avant de frotter mes mains comme si ce geste pouvait arrêter les tremblements avant de tenter de boucler ma ceinture de sécurité. Je dois m’y reprendre à trois reprises pour l’attacher. C’est un fait, j’ai beau me dire que tout va bien se passer, inconsciemment, mon corps me fait bien comprendre qu’il n’y croit pas.

Lunettes de soleil sur le bout du nez, accoudée à la portière, la fenêtre finement ouverte pour laisser passer un filet d’air dans l’habitacle, Sledgehammer résonne à fond dans mes oreilles et m’aide à évacuer le stress. Je roule comme ça durant de longues minutes, avalant les kilomètres de route et laissant ma belle ville de Pau pour rejoindre Biarritz, oubliant par la même occasion la raison qui me pousse à le faire. La boule dans mon estomac a disparu depuis plusieurs minutes déjà, et bon sang, qu’est-ce que ça fait du bien. J’écrase prudemment le frein en apercevant un attroupement face à un luxueux hôtel. Coups d’œil rapides à la foule : les visages ressemblent à des tableaux « contemporiens », aux sourires aussi euphoriques qu’hypocrites. Des hommes en costard-cravate à la Men in Black, de la dentelle blanche et des nœuds papillon roses sur les véhicules envahissent la place. Nul doute que je suis arrivée à destination en apercevant des robes de toutes couleurs, de toutes tailles et toutes formes en veux-tu en voilà, danser dans le paysage.

J’y suis.

Bordel de merde.

Les doigts crispés sur le volant, la boule dans mon ventre que je croyais effacée est encore bien là ; sa disparition n’était qu’une feinte de mon inconscient pour m’aider à garder les idées claires en conduisant. Une illusion qui s’est vite dissipée au moment précis où, en observant la foule s’écarter, une Mercedes noire trop tape-à-l’œil pour passer inaperçue, s’approche. La portière arrière s’ouvre, et je la sens grossir, cette foutue boule de nerfs dans mes entrailles. Elle impose sa place dans mon corps en apercevant le dos d’une large robe blanche, type princesse, se déployer sous les acclamations, suivie d’un magnifique jeune homme au teint pâle et dont le costard gris parfaitement taillé lui relève un charme particulier.

Au dernier souvenir que j’ai de Nathan, je ne l’ai jamais vu aussi bel homme. Rien d’étonnant à ça, Nathan et moi n’avons jamais eu l’occasion de nous mettre sur notre trente-un pour sortir se faire un restaurant ou quoi que ce soit qui en vaille la peine. Il a bien essayé, mais j’ai toujours décliné ses invitations.

Le plus souvent, nous rejoignions des amis communs sur la terrasse d’un café ou d’un pub dans lequel nous nous sommes d’ailleurs rapprochés. Les vêtements n’étaient que superflus, nous savions lui et moi qu’ils n’allaient pas rester bien longtemps sur nous. Et c’est tout ce que je demandais à Nathan, être un homme parfait et nu.

J’aperçois Nathan au loin. Sans trop savoir quoi faire, il prend les devants et mon corps se tend lorsqu’il me fait signe de venir, l’air de rien. Le moins qu’on puisse dire, c’est qu’il n’a pas l’air mal à l’aise, lui. Alors, pourquoi le serais-je ? Faisant comme si cette situation ne m’atteignait pas, comme si je ne venais pas de me pointer à sa fête de mariage sans avoir montré mon museau poudré à la cérémonie, je lui rends son signe de la main pour lui montrer que je l’ai vu, avant d’empoigner mon sac à main, farfouiller à l’intérieur, attraper mon téléphone rapidement coincé entre mes seins, remettre mon sac à sa place et verrouiller la voiture. Fin prête à rejoindre le troupeau qui suit gaiement Nathan et son épouse, je prends une profonde inspiration avant de me mettre en marche.

Bien.

Que la fête commence.

Orchestre, traiteur, serveurs bien taillés dans des costards… Apparemment, les parents des mariés ont vu les choses en grand. Je savais que ceux de Nathan étaient riches, diablement riches, mais là, c’est pire que ce que j’avais pu imaginer. Coincée dans un angle de la salle principale de l’hôtel Le Régina, une coupe de champagne à la main, je détaille les gens sans réellement les voir, entre deux gorgées de courage. Certains dansent, d’autres discutent affaires ou plaisantent dans leurs tenues hors de prix et une évidence me saute au visage. Je fais tache dans ma robe d’été choisi à l’arrache. Cette même robe qui m’a poussée à prendre la judicieuse décision de faire l’impasse sur la cérémonie d’échange de vœux. Et si je pensais qu’après ça mon envie de faire un effort et me mêler à la foule allait augmenter, elle n’a fait que diminuer depuis mon entrée dans la salle de réception. Cela va faire près de trois heures que je suis ici, dans cette salle spacieuse où je n’ai pas ma place, à me demander ce qui m’a pris de venir. Même pour moi qui apprécie la compagnie d’hommes pour un soir, aucun des men in black qui m’envoient des sourires ou me font signe, n’attire mon attention. Le buffet est bien maigre ; la moitié ayant déjà la corde au cou, l’autre est distinctement divisée en deux clans. Les moches et les fils à maman.

Je commence sérieusement à croire que ce n’était pas une bonne idée, lorsqu’involontairement mon regard tombe sur un petit groupe de quatre propres sur eux, intentionnellement mis à l’écart. Discutant ensemble, l’aura qui les entoure ne donne envie à personne de venir les déranger, moi la première en reconnaissant madame Wine dans sa robe portefeuille. Leurs regards perçants, ils sont tels des animaux à observer leur progéniture profiter de leur soirée, prêts à sauter à la gorge de quiconque viendrait détruire ce moment. Et comment leur en vouloir, ils ont mis le paquet pour cette journée.

La fête n’a pas seulement lieu dans une salle de l’hôtel préalablement réservée, c’est tout l’hôtel qui fait office de réception. Et d’après ce que j’ai compris, en attrapant un bout de conversation d’un couple à ma droite, les chambres sont également réservées pour la soirée. Honnêtement, même si je sais que la famille Wine ne fait jamais les choses à moitié, je trouve ça trop. Trop dingue, trop tape-à-l’œil, beaucoup trop. Et même si le luxe d’une nuit dans une chambre royale au prix de deux loyers de mon appartement avec un lit aussi confortable qu’un nuage me fait envie, je ne compte pas rester assez longtemps pour en profiter.

Je n’ai pas ma place ici, et ça, madame Wine et son regard glacial me le font bien comprendre. Il vaut mieux faire profil bas.

— Ana ?

Mon envie de continuer à passer inaperçue vient de tomber à l’eau. Je baisse le bras le long du corps pour voir un petit bout de femme absolument charmant, dans une robe évasée, jaune pâle, me foncer dessus.

— Tiens, bonsoir, Maddy.

Elle ne me laisse pas le temps de comprendre et plonge sur moi pour une accolade un peu trop affectueuse. Coincée dans ses bras menus, sa force me surprend et me prive deux secondes d’oxygène.

Bordel, mais c’est quoi ça ?! Elle veut m’étouffer ou me saluer ?

Je pose mes mains sur ses bras pour la repousser sans être trop brusque.

— Ok, Maddy, c’est bon là.

Elle se recule en riant et j’en profite pour la détailler. Une belle chevelure lisse et domptée, des yeux brillants de vie, elle n’a pas changé. Le col arrondi en dentelle de sa robe ajoute une touche d’innocence au visuel qui la représente plutôt bien, je dois dire. Pourtant, à y regarder de plus près, elle semble avoir perdu du poids, son visage s’en trouve plus affiné, mais il est facile de la reconnaître.

— Mon Dieu, ça fait un bail qu’on ne s’est pas vues !
— Ouais, ça fait longtemps…

Malaise pour moi, mais pas pour elle. Le sourire qu’elle arbore me ferait presque penser qu’elle est heureuse de me revoir, et peu surprise de me trouver ici.

— Je savais que tu étais invitée, je t’ai cherchée partout à la cérémonie, tu te cachais où ?

Tout s’explique.

Ses yeux de biche m’interrogent et je ne me sens pas capable de lui mentir. Je me penche pour murmurer et éviter que des oreilles curieuses m’entendent.

— En tant qu’ex, invitée au mariage, j’ai préféré ne pas venir à la cérémonie.

Je ris tandis que Maddy reprend son sérieux et se penche à son tour pour chuchoter.

— Tu sais, quand Nathan m’a dit qu’il comptait t’inviter, je lui ai conseillé de ne rien dire. Tu sais… pour toi... et lui...
— Minute. T’es en train de me dire que personne ne sait qui je suis ?
— C’est ça. Pour eux tu es juste une amie de Nathan.

Autrement dit, ce soir, je ne suis que moi ? Juste, Ana ?

Ne mettant pas en doute sa sincérité, je ne dis rien. Mais le rappel du sourire en coin sur les lèvres d’Elizabeth Wine lorsque nos regards se sont croisés, amène le doute. Ce sourire hypocrite pour faire bonne figure, et ce regard explicite, celui qui vous dit que vous n’êtes pas la bienvenue. Ou, si tant est que l’idée de briser le mariage de son fils ce soir me prît, c’est moi qu’elle briserait. Et le pire, c’est qu’elle en serait tout à fait capable. Elle en a les moyens, sur tous les plans, et le bras très long.

J’amène ma coupe à mes lèvres pour boire une gorgée avant de lancer :

— Mais tes parents me connaissent. Nathan leur a déjà parlé de moi, non ?

Maddy ignore ma remarque en me tournant le dos, ce qui a le don de m’agacer. Je la regarde lever son bras pour agiter sa main en guise de signe à sa mère, geste accompagné d’un sourire digne d’une comédienne hollywoodienne.

— Crois-moi, elle n’a aucune raison de t’en vouloir, bien au contraire.

Je lui demande, intriguée :

— Qu’est-ce que tu entends par là ?

Mais Maddy ne m’écoute déjà plus, ou du moins, fait semblant de ne pas m’entendre.

Elle ignore mon regard insistant en pivotant vers moi pour me sourire, avant de me lancer en s’éloignant à reculons :

— T’inquiète pas, profite. Et puis, on s’en fout maintenant, c’est du passé, amuse-toi bien ! On se voit plus tard !

Fantastique. Là tout de suite, je regrette d’être une adulte qui doit savoir se tenir en société et qui ne peut pas hurler en courant après cette petite blonde pour exiger des explications !

Sérieusement, c’est quoi cette histoire ? Quelle femme voudrait remercier l’ancien plan cul de son fils ? Ça n’a pas de sens ! Bon sang. Ça y est, j’ai envie de partir. Sans plus attendre, j’avale ma coupe d’une traite en me décollant de l’angle mort de la pièce pour me diriger vers le buffet le plus proche. Plus proche, mais pas plus libre. Je dois jouer des coudes pour espérer atteindre la table. Après m’être excusée à quatre reprises en évitant de regarder les invités, je réussis à reposer ma coupe sous le regard hautain d’une rouquine dont les sourcils haussés me font serrer les dents. Je n’ai décidément rien à faire ici. C’était une connerie malsaine de vouloir venir au mariage d’un ex.

Déterminée à partir, je pivote et bouscule sans le vouloir un inconnu. La chute presque imminente, une large main m’entrave le bras de justesse et me rattrape pour m’éviter de faire un strike dans la foule. Bien joué, Ana !

— Est-ce que tout va bien ?

Plaquée contre un torse viril, je me ressaisis rapidement en remarquant l’attention que certains peuvent me donner. Attention dont je n’ai franchement pas besoin. En tout cas pas ici, pas maintenant.

Je me détache du torse particulièrement tendu camouflé sous une chemise blanche, dont les boutons menacent de céder au moindre faux pas, avant de répondre.

— Ouais, tout va bien, merci…

La main étrangère, tatouée et ornée d’une chevalière tape-à-l’œil, me relâche tandis que je lève les yeux pour trouver une paire d’yeux d’un bleu aussi effrayant qu’intrigant. Ils ne sont pas foncés, ou marine, non, ils sont sombres, à la limite de l’obscur. Une fascinante obscurité. C’est comme si son regard tentait de m’attirer dans les abysses que ses yeux habitent. Je n’en ai jamais vu d’aussi beaux et troublants à la fois.

Finalement, je vais peut-être rester. Juste un peu.

— Je ne vous ai pas vue à la cérémonie, constate-t-il en me détaillant de la tête aux pieds pendant que je défroisse ma robe.

Totalement à l’opposé de son regard, sa voix se fait plus chantante. Je décèle un accent dans sa voix. Américain, peut-être. Je ne pense pas que ce soit le moment de le lui demander et me retiens de le faire. Il n’empêche que l’accent se fond en un millier de douceurs qui caressent mon ouïe.

Je souris en haussant les épaules.

— Il y avait sans doute trop de monde. Je devais être cachée dans la foule.

Il me rend mon sourire en imitant ma posture. Sa tête légèrement inclinée sur le côté, ses yeux me percent et continuent de m’analyser. Il a décidément un sacré charme ce beau brun à la Men in Black.

— Je ne pense pas, une aussi jolie femme, je ne serais pas passé à côté, c’est certain.

Un feu s’allume sur mes joues d’une manière incontrôlable sous l’écho de sa voix dangereusement sexy, associée à ce petit accent qui en fait pourtant tellement. Je sens mon visage se colorer lorsqu’il se met à rire. Je le regarde, fixement, et me retrouve sans voix lorsqu’il se penche vers moi.

— J’espère qu’on se reverra, me chuchote-t-il à l’oreille.

Il recule. Par réflexe, je pose ma main sur mon oreille en surchauffe sous son souffle brûlant. Mon Dieu... Interdite à l’idée de bouger ou parler, je le regarde me faire un clin d’œil prometteur avant de pivoter pour se mêler à la foule. Une foule fourmillante que je me refuse d’affronter une nouvelle fois. L’épreuve du buffet m’a amplement suffi.

Tentant de me redonner du courage à coups de claques mentales afin que me jambes daignent bouger, je tends le bras pour attraper une dose de courage liquide, pétillante, avalée d’une traite sous le regard ahuri des invités.

Ça ne me ressemble pas ça. Ana ne se paralyse pas pour un homme !

Chapitre 2

Ana

Assise sur un fauteuil situé à proximité de l’un des ascenseurs aux parois si reluisantes que l’on peut voir son reflet à la perfection, je sirote ce qui doit être ma septième coupe de champagne. Toujours loin des autres, seules la musique de la soirée et certaines voix plus bruyantes que les paroles parviennent jusqu’à mes oreilles. Ma flûte de champagne toujours en main, je la laisse tanguer pour admirer le mouvement des bulles pétillantes qui roulent contre le verre avant d’exploser, alors que mon autre main passe sous mes cheveux à la recherche du nœud dans mon cou. Je masse un instant ma nuque, insistant sur un mouvement lent de rotation de la tête avant de laisser mon bras retomber. Je m’ennuie, et rien ne va en s’arrangeant. Je n’ai pas revu mon men in black aux yeux bleus et à la voix chantante. Lui qui me donnait envie de rester, c’est raté.

C’était décidément une très, très mauvaise idée de venir ici ce soir. Mon seul compagnon de soirée se trouve être cet alcool pétillant dont les petites bulles qui éclatent par milliers contre ma langue me rendent plus ivre qu’ivre. Et pour couronner le tout, je n’ai personne à qui parler ni personne qui comprendrait ma situation pour le moins, anormale ? Surréaliste ? Malsaine… Bon sang, l’envie de partir est là, mais l’idée même de me tenir debout sur mes pieds calme mes ardeurs. D’autant plus qu’avec mon taux d’alcool, je ne dois pas être en état de reprendre le volant. Me retrouver coincée au mariage de mon ex sans moyen de fuite, c’est bien ma veine.

L’option de quitter la soirée exclue de ma tête, je me tourne vers la salle. Plus les heures passent, plus la piste de danse se vide et plus les sièges mis à disposition autour des tables se remplissent. À court d’idées après avoir compté le nombre de chaises, chanté en duo dans ma tête avec les chanteurs, mon attention se reporte sur les invités barbants. J’en vois certains, bien éméchés, quitter la salle en s’aidant mutuellement à tenir sur leurs jambes pour atteindre les ascenseurs. Moi qui pensais avoir remplacé mon sang par le champagne, ça me rassure d’en voir plusieurs ne pas tenir aussi bien debout que moi. 

Je laisse tomber ma tête en arrière avant de sentir ma poitrine se mettre vibrer. Ma poitrine qui vibre ? J’aurais trop bu de champagne ? Il faut que ma poitrine vibre une deuxième fois pour me rappeler pourquoi, mais surtout pour me rassurer. Je récupère en riant mon téléphone préalablement coincé entre mes seins. Je ne suis pas ivre à ce point, Dieu merci.

Un message d’Ambre.

« Salut ma belle ! Alors ? Comment ça se passe ?! Essaie de m’appeler, je veux tout savoir ! PS : essaie de tirer ton coup, on a qu’une vie ! »

Je ris en verrouillant mon téléphone avant de le remettre à sa place. J’aurais bien envie de lui répondre, elle serait sûrement la seule capable de comprendre, de compatir à ma solitude de ce soir, mais je n’ai pas les idées assez claires pour taper un sms. Je souris en me rappelant l’entrain de son message.

Elle m’a l’air bien allègre. À tous les coups, son rencard aura été un franc succès et elle aura sans aucun doute passé une meilleure soirée que la mienne ! Petit dîner, un dessert gourmand et en prime, une bonne partie de jambes en l’air qui, avec un peu de chance, aura été couronnée par un orgasme à s’en exploser les cordes vocales.

Bon sang, il faut vraiment que je pense à mettre la main sur un mec avant de décuver et de rentrer, sinon je sens que mon corps va s’embraser.

En parlant de feu, droit devant moi, appuyé contre le mur situé près des portes tournantes de l’hôtel, un homme me fixe en jouant avec un briquet. Il l’allume puis laisse la flamme disparaître en me voyant relever les yeux sur lui. J’ai l’impression qu’il l’a fait exprès pour attirer mon attention, et si c’est le cas, il a réussi : je lui cède toute mon attention. Oh oui, vraiment toute. Bon sang, je ne l’avais pas remarqué avant, pourtant, comment oublier ce regard sombre. C’est lui, ce type contre qui je me suis vautrée tout à l’heure dans la salle.

De loin, sa silhouette est encore plus agréable à regarder. Je penche la tête en avant, en pensant que cela va m’aider de plisser les yeux pour mieux l’admirer. Les épaules carrées, ses jambes ont l’air aussi musclées que le reste de son corps, parfaitement entravé dans un costume bleu nuit. Je dirais un mètre quatre-vingts, un mètre quatre-vingts de force brute et de testostérone ne demandant qu’à être assouvies. Un rictus taquin au coin de ses lèvres, je le regarde sortir un paquet de cigarettes de sa poche, en prendre une puis l’amener à ses lèvres pour la coincer avant de la faire coulisser, en éloignant son paquet d’un geste assuré. Malgré la distance, je sens son regard me dévorer, impossible pour moi de le quitter des yeux. Comme une réponse à mon appel, je le vois me faire signe de le rejoindre d’un coup de tête vers la sortie, avant de l’emprunter, non sans me donner un dernier coup d’œil insistant, troublant, fascinant.

Dans toute situation, attisée par la curiosité de ce bellâtre aux doigts tatoués, je me serais jetée à corps perdu vers la sortie. Mais il y a toujours un mais, et celui-là, je ne l’aime pas. Je commence à me lever, en essayant de ne penser à rien d’autre qu’à mon appétit féroce de me rassasier physiquement, avant de m’immobiliser. Un sourire forcé sur les lèvres, je regarde celui plus franc de Nathan qui s’arrête net devant moi.

— Nathan.

Un sourire gêné, les deux boutons de sa chemise sont défaits alors que son nœud papillon a disparu je ne sais où.

— Ne sois pas surprise de me voir, tu es tout de même à mon mariage, me sourit-il en glissant ses mains dans les poches.
— Je ne suis pas surprise.
— Tu en as l’air.
— Pas du tout.

Le silence souhaitant s’installer, je reprends :

— Toutes mes félicitations.

S’efforçant de faire bonne figure, je vois son embarras en essayant de cacher sa main. Je le vois à sa façon d’enfoncer sa main gauche dans sa poche pour retirer de ma vue l’éclat de son alliance fraîchement installée à son annulaire.

Bien que j’espère me tromper, je vois clair dans son regard, dans cette façon qu’il a de bomber fièrement le torse. Mais il en est hors de question, Nathan est mon passé, et il est marié. Et par pitié, nous sommes à sa réception de mariage, à quelques pas à peine de sa femme qui glousse avec des amies à elle, près du buffet !

— Merci d’être venue… je suis vraiment content que tu sois là.

Nathan retire sa main droite de sa poche pour effleurer mon avant-bras.

Je lui ordonne en retirant sèchement sa main de mon bras :

— Oublie, tout de suite.
— Ça aurait pu être notre jour. Tu aurais pu être à sa place, Ana.

Non, en aucune façon j’aurais pu. Je ne suis pas de ce genre-là. Je ne fais pas partie de ces femmes qui rêvent d’un grand mariage, d’une belle réception. Je ne rêve pas d’un homme qui partagerait ma vie, avec les conditions qui s’imposeraient. Du sexe amusant dans un premier temps, avant de devenir ennuyant, presque mécanique. Je ne suis pas de celles qui acceptent d’être entravées par une alliance, marquées comme du bétail, menottes aux poignets, simplement pour faire comme tout le monde.

— Je dois y aller, encore toutes mes félicitations. J’espère que tu seras heureux avec Héléna, elle a l’air d’être une femme charmante.

Je m’efforce de sourire en tapotant du bout des doigts son épaule avant de faire un pas vers la porte de sortie. La seule direction qui semble envisageable dans cette situation.

— Ana, attends...

Nathan s’élance, prêt à me retenir. Putain, il ne veut pas lâcher l’affaire celui-là ?!

— Chéri ?

Son bras en suspens, Nathan replie sans attendre ses doigts pour faire face à sa femme venue nous trouver. Ses joues roses et son teint pâle ne lui font pas honneur. Mais après tout, c’est le jour de son mariage, grand bien lui fasse si elle veut se retourner le cerveau.

— Je te cherche partout depuis dix minutes !

Elle ronchonne, visiblement pompette et mécontente, avant de se rendre compte de ma présence :

— Tu ne me présentes pas ton amie ?

Et voilà, ce que je voulais éviter le plus en mettant les pieds ici est en train d’arriver. La rencontre avec la mariée de l’ex.

Elle me jette un regard curieux, un brin hostile compte tenu de la situation. Crispée, je tente de rester sur mes deux jambes en pivotant vers la belle brune et ses boucles parfaitement désordonnées.

— Toutes mes félicitations pour votre mariage, je lui souris en lui tendant ma main, je m’appelle Ana.

Elle l’attrape et me lance un sourire satisfait en entendant mes mots. Ce qui me pousse à croire que Maddy et Ambre avaient raison.Elle ignore qui je suis, je le devine à son manque de réaction lorsque j’ai dit mon prénom.

— Merci ! Vous êtes gentille ! hurle-t-elle en insistant sur les voyelles, je ne pense pas vous avoir vue à la cérémonie… s’empresse-t-elle de rajouter.

Du coin de l’œil, Nathan observe notre échange, la mâchoire crispée par sa désapprobation du moment qui continue.

— Oui je... j’étais au fond de la salle, c’est sans doute pour ça. Et puis je ne suis pas bien grande, je disparais facilement dans une foule.

Elle glousse.

— Je comprends, il y avait beaucoup de monde ! Vous vous connaissez depuis longtemps avec Nathan ?

Elle ne perd pas de temps. Le sourire qu’elle m’offre me pince le cœur et les cordes vocales.

— On peut dire ça.

Je ne peux décemment pas lui dire que j’ai couché avec son mari, que notre relation se limitait à ça, durant de longues semaines. Ni que pendant un temps son mari a souhaité transformer cette relation en quelque chose de beaucoup trop sérieux pour moi. Même si je n’ai rien contre le fait de voir Nathan subir une scène de sa femme, pour son bien à elle et le mien, je ne peux pas faire ça.

C’est chouette ! Il est rare de nos jours de garder des amitiés de longue date. Vous vous êtes connus où ? continue-t-elle.

La gorge toujours nouée, je jette un regard noir à Nathan, l’incitant à couper court à cet échange que je n’approuve pas plus que lui.

— Ne l’embête pas avec tes questions, ma chérie.

Héléna continue de me fixer, en attente d’une explication. Je laisse Nathan prendre les choses en main, un sourire de situation vissé sur le visage.

— Nos invités nous attendent, de plus Ana allait partir.

Battant des cils, l’air désorienté, Héléna se tourne vers Nathan puis vers moi en posant sa main sur mon épaule. Lui me fusille du regard.

— J’espère que nous aurons l’occasion de nous revoir et discuter plus longuement.

Non, ça, c’est pas une bonne idée. Je n’en ai pas la moindre envie, et de tout mon cœur, j’espère que non. Mais je lui souris, poliment, et lui affirme que nous discuterons plus longuement une prochaine fois pour qu’elle me lâche l’épaule.

— Ce sera avec plaisir.
— Tu viens, ma chérie...

Nathan l’agrippe par le bras et l’entraîne avec lui sans ménagement avant de se tourner une dernière fois vers moi.

— Nous reparlons une prochaine fois, Ana.

Certainement pas.

Ma mâchoire commence à trouver le temps long. Forcée de garder le sourire le plus hypocrite que je connais, je lui réponds.

— Bien sûr.

Je ne préfère pas continuer de les regarder et me tourne vers la sortie pour enfin arracher ce stupide sourire de mon visage. Concentrée sur les mouvements de mes jambes, je passe les portes de sortie pour prendre une grande bouffée d’air frais. Personne, aucun bruit, aucune voix. Après des heures passées dans cette bulle luxuriante, j’apprécie enfin ma soirée sous le vent glacé de la nuit.

Héléna semblait vraiment ravie et comblée. Même si je n’y connais pas grand-chose, je ne pense pas me tromper en affirmant qu’elle l’aime. Ça ne fait aucun doute à sa façon de regarder Nathan, de s’être inquiétée de le voir en ma présence. Elle s’est montrée courtoise, par la bonne éducation qu’elle a reçue, mais je ne suis pas dupe, elle a vu en moi une rivale, un obstacle à son bonheur naissant. Malheureusement, je connais Nathan, il a beau être un bel homme bien éduqué avec des règles de bonne conduite, je n’ai pas jeté mon dévolu sur lui à notre rencontre pour rien. Nathan est un tombeur et un beau-parleur, il aime la compagnie des femmes autant que moi celle des hommes. Ce mariage est une connerie.

Une connerie ? Je suis mal placée pour juger. Après tout, Nathan a peut-être raison, si je n’étais pas si braquée, aurais-je été à la place d’Héléna ? Aurais-je été capable de dire oui ? Aurais-je fini pas regretter si j’avais dit oui ? Où aurais-je eu le même regard étoilé qu’Héléna ?

Dans la vie, j’ai toujours fait ce que bon me semblait sans réfléchir aux conséquences. Certains choix auraient été à revoir bien sûr, et après tout, personne n’est parfait. J’ai lâché mes études un peu trop tôt, décevant mes parents au passage, qui n’ont pourtant pas cherché à m’accorder autant d’attention que je l’aurais souhaité malgré les nombreuses frasques, malgré les nombreux appels au secours pour reprendre les mots du psychologue scolaire. Alcool, absences scolaires, mises en garde… Ils ne l’ont pas écouté, trop occupés par leurs propres problèmes, et j’ai fini par dérailler doucement, me laissant entraîner par le courant de la vie, sans rochers auxquels me raccrocher. Une vie franchement triste et monotone avant de tomber sur l’annonce d’un emploi de serveuse.

Tout s’est fait rapidement, et à la première paye je suis partie, j’ai quitté la cage familiale dans laquelle j’étais enfermée, pour aller embrasser ma liberté en logeant dans la chambre miteuse d’un hôtel quelconque, des rêves plein la tête. À y repenser, elle n’était vraiment pas terrible cette chambre, je croisais régulièrement les dealers qui faisaient des va-et-vient en bas de l’immeuble, les évitant du regard pour ne pas avoir de problèmes, sans oublier les hurlements extérieurs qui perçaient au travers des murs aussi fins que du papier. Un envol, loin d’être doré. J’étais seule face au monde, brisée, ignorante des différentes formes d’affection qu’il était possible de recevoir. Le tout écrasant les doux rêves illusoires que je m’étais faits de l’indépendance.

Pourtant, c’est bien grâce à ce manque, qu’à partir de là, une autre forme de liberté s’est offerte à moi. Comment est-elle arrivée ? Lorsque mon cœur brisé s’est figé en bloc de pierre, lorsque j’ai réalisé qu’avec un minimum d’attention pour soi, une femme pouvait jouer de ses charmes et obtenir une attention diablement agréable et terriblement jouissive, sans obligation de souffrir.

J’ai enchaîné les conquêtes sans lendemain, juste pour le plaisir d’être désirée, rattrapant ces longues années de manque d’attention de ma propre famille. Au début, la honte me retrouvait dans le reflet du miroir, au côté de cette solitude qui me tenait la main depuis mon plus jeune âge, puis finalement, j’ai réalisé que la phrase « on n’a qu’une vie » ne devait pas s’arrêter à de simples mots. De temps en temps, je me permettais même d’en revoir certains, parce qu’il faut bien l’avouer, certaines attractions méritent un deuxième tour.

Certains diront que c’est une forme de maladie, moi je le vis et j’affirme que cela tire plus d’une dépendance, d’un besoin d’attention que je n’ai pas su obtenir dans mon enfance et que les hommes dégageant un taux important de testostérone sont prêts à combler. Même si j’apprécie le mal qu’ils se donnaient à me mettre en confiance, à tenter de percer mon cœur, je finissais par lâcher le mâle alpha lorsque mon sixième sens me le criait. L’angoisse d’être abandonnée me ramenait sans cesse à la raison et à transformer plus d’hommes en enfoirés finis qu’en princes charmants.

Ambre appelle ça le trouble borderline. J’aurais tendance à dire que je souffre d’un gros bordel mental.

Absorbée par mes pensées, une odeur de nicotine, mélangée à une plus forte déferlante de parfum musqué, vient caresser mes narines. Je tourne la tête pour sentir un sourire distrait se loger au coin de mes lèvres en trouvant le men in black de ma soirée. Une boule de chaleur dans l’estomac, des picotements dans le bas ventre, l’envie de redevenir celle que je suis revient au galop, aussi sûrement que lui aussi souhaite me voir perdre le contrôle en s’approchant de moi d’une dangereuse démarche assurée. Lorsqu’il arrive à ma hauteur, me surplombant de sa taille, je regarde la malice danser dans ses yeux bleus. Tout en effleurant délicatement du bout des doigts la rondeur de mes seins brillamment mis en avant, je le laisse glisser un « pass » dans mon décolleté, sans un mot.

Qu’est-ce que m’a dit Ambre déjà ?

Ça y est, je m’en souviens…

Je me demande encore comment j’ai fait pour grimper les marches menant au premier étage, ou pourquoi je n’ai pas pris l’ascenseur. Ma tête me lance, mes jambes tremblent, tout mon corps est devenu le pantin de ces nombreuses coupes de champagne aux contrecoups traîtres, pourtant, je garde les yeux ouverts, rivés sur le lustre de la chambre au-dessus de l’épaule du man in black au regard sombre qui prend son temps pour lécher mon cou du bout de sa langue fiévreuse. Je ne lui ai même pas demandé son nom, d’habitude, je fais au moins l’effort de savoir comment appeler celui avec qui je couche, mais pas cette fois. Alors qu’il joue à me rendre aussi brûlante que lui en effleurant ma peau de sa langue agile, mes souvenirs s’embrouillent. Je ne me rappelle pas avoir utilisé le pass, ni même avoir passé le seuil de la porte, en vérité. Et encore moins avoir retiré ma robe toujours à mes pieds, encerclant mes chevilles. Me piégeant dans ce moment de plaisir trouvé, de réconfort.

— Tu sens très bon... me murmure-t-il avant de mordre un grand coup à la base de mon cou.

Je couine sous le choc, mais je prends sur moi pour garder les yeux ouverts.

— Tais-toi et continue de me lécher.