Ouvre les yeux - Tome 2 - Marion Guilloteau - E-Book

Ouvre les yeux - Tome 2 E-Book

Marion Guilloteau

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Beschreibung

Ana a tout fait pour garder les hommes loin de son cœur. Mais quand une aventure d'un soir met ses sentiments à nu, tout devient compliqué. C'est alors qu'entre trahison et chagrin, elle va continuer d'expérimenter les chemins tortueux de ses émotions. Seulement, qui aurait cru que l'amour compliquerait autant les choses ?

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Marion Guilloteau

Ouvre les yeux

2nd Partie

Roman

 

 

 

 

 

 

De la même auteure

Ouvre les yeux, 1ére Partie

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Cet ouvrage a été imprimé en France par Copymédia

Et composé par Les Éditions La Grande Vague

3 Allée des Coteaux, 64340 Boucau

Site : http://editions-lagrandevague.fr/

 

ISBN numérique : 978-2-38460-083-0

Dépôt légal : Mars 2023

Les Éditions La Grande Vague

 

Chapitre 13

Ana

 

Depuis le départ de Nathan, un silence sommeille dans les lieux. Un silence macabre qui plane et sonne comme des heures interminables de torture pour mon cœur. Je n’ose pas le rompre, trop concentrée sur la retenue de mes larmes, contrairement à Scott, qui lui a eu la force de bouger pour récupérer son large sac délaissé dans le couloir pour le ramener dans sa chambre. Tout ça, sans m’adresser un seul regard. Son sac en place, après une halte dans la salle de bain pour troquer sa tenue contre un jean et une chemise, il est revenu dans l’entrée. Il est de retour, mais rien n’a changé, seul son dos s’offre à mes yeux.

La sensation d’un cœur écrasé, la distance mise entre nous provoque une énergie palpable identique à l’avertissement d’une tempête. Au-delà de mon choix d’avoir refusé de suivre Nathan, l’idée de le rejoindre au-dehors m’a, je l’avoue, effleuré l’esprit. Parce que là, ici, je me sens aussi à l’aise qu’une souris en cage et que Scott est le cerbère de cette foutue cage.

Sa carrure écrasante, son silence tortueux, sa colère feutrée… je sais qu’il nous a entendus, Nathan et moi. Il sait que je sais. Mais que je sais quoi, au juste ? Qu’un homme que j’ai osé espérer faire mien ne m’a en réalité attirée dans ses filets que dans le but de faire du mal à un autre ? Je le pensais plus mûr que ça, tout du moins, plus que Nathan. Pathétique.

Tout autant que de retenir ses larmes comme une gamine trop fière pour montrer ses blessures. Je ferais sans doute mieux de partir…

— Tu dois être… tu dois être fatigué de ton voyage. Je vais y aller, lancé-je, sans conviction.

Est-ce qu’il va au moins essayer de me retenir ? Il y a tellement de questions que j’aimerais lui poser, mais je ne pense pas avoir la force de le faire, ni celle d’endurer les réponses.

Je ravale une nouvelle partie de mes larmes lorsque Scott semble enfin prendre en compte ma présence, lorsqu’il réalise la portée de mes mots et ce qu’ils signifient. Le haut de son corps tourne, le bas pivote et suit le mouvement. Mon esprit enregistre ce moment… lentement… et c’est là que nos regards se croisent à nouveau. Mon cœur se crispe. Il crépite, craque de rage et de mal-être en trouvant la lueur de regret dans l’océan assombri de ses iris. Les cernes sous ses yeux fatigués me mordent le ventre. A-t-il dormi hier soir ? Est-ce que lui aussi a eu du mal à trouver le sommeil, trop en proie à l’impatience de nos retrouvailles prévues ?

J’aurais aimé ne jamais rien savoir, juste une soirée de plus, parce que là, tout de suite, je ne veux que l’embrasser. Goûter à ses lèvres qui m’ont tant manqué. Ce corps que j’ai attendu de voir me revenir, en oubliant que tout ça, toute cette attraction, cette dépendance qu’il a créée et imposée à mon corps pour le sien, n’était que pour mieux faire mal.

Je n’étais qu’un dommage collatéral.

Me faisant complètement face, je commets l’erreur de poser mon regard sur sa bouche. Il m’étudie brièvement avant de retenir mon attention sur ses lèvres charnues, comme un appel. Prise de court, je m’arrête de respirer lorsque sa bouche s’abat sur mes lèvres. Sans perdre de temps, il plaque sa main derrière ma nuque, emportant mes cheveux pour m’attirer plus violemment à lui en m’immobilisant.

Soudain, une bataille intérieure me déchire les entrailles. Lui rendre son baiser, me laisser aller à sentir sa langue s’immiscer dans ma bouche, le laisser prendre possession de mon corps qui hurle son désir et transpire l’ivresse du moment, ou le rejeter… Lui demander de me lâcher, d’arrêter de jouer à ce petit jeu avec moi… Est-il seulement sincère dans son baiser ? J’aimerais croire que dans celui-là, il l’est.

Une larme solitaire passe la barrière de mes yeux en l’écoutant me parler, ses lèvres effleurant les miennes.

— Ne pars pas, s’il te plaît. Tu m’as tellement manqué.

Je répète, sans vraiment comprendre pourquoi, alors que ma voix intérieure hurle.

— Je t’ai manqué…

Menteur. Sale hypocrite !

— Je n’ai pensé qu’à toi la nuit dernière…

Sa voix dynamique et le mélange subtil de son savon et de son parfum boisé sur ma peau m’évoquent des images de sexe à répétition. J’ai envie de lui. Je veux qu’il me prenne dans ses bras, qu’il me dise combien ses mots sont sincères. Je voudrais tellement pouvoir croire en la sincérité de ses mots. Bien que je ne le fasse pas, que je m’oblige à ne pas y prêter une seconde d’attention, les frissons d’extase que me procure son accent se multiplient et raniment en moi le feu de la passion aux creux de mes reins.

— J’ai tellement attendu pour te retrouver…

Les poumons compressés, ses mots deviennent mon air, ma puissance, et ma violence à le repousser brutalement. Deux mains plaquées sur son torse, je l’écarte de mon corps pour retrouver ma respiration, mes esprits, et la haine qui a grandi entre les morceaux de verre de mes organes vitaux. Mes cheveux glissent entre ses doigts, c’est la dernière sensation que mon cœur enregistre.

— Ana ?

Ne me parle pas comme ça… Ne me parle pas comme si mon état t’importait vraiment. Je ne veux pas de ça.

— Dis quelque chose, me supplie-t-il, à mi-voix.

Jaugeant mes lèvres dans l’attente d’une réponse, Scott perd pied et patience à force d’observation. Mais je ne dois pas lui répondre. Serrant les poings, je piège mes mots à l’intérieur pour m’empêcher de dire des choses que je regretterai, des mots qui ricocheraient contre les siens. Scott a ce pouvoir sur moi. Il me fait dire des choses inavouées, des choses qu’il n’a pas le droit d’entendre après s’être servi de moi. Je ne me ferai plus avoir ; si c’est ce qu’il espère, il peut espérer encore longtemps.

En glissant contre le mur pour m’écarter, je l’informe :

— Je vais rentrer chez moi.

Vite. Je dois m’éloigner de lui, prendre mes jambes à mon cou avant de céder à mes pulsions.

Impuissant, Scott me suit du regard avant de revenir sur moi.

— Pourquoi ?

Il me capture entre ses bras forts et pleins de chaleur. Ses mains empoignant mon corps, c’est mon cœur qui se retrouve écrasé.

— Je…

J’essaie de répondre, mais à nouveau je croise son regard en sentant une pluie parsemer mes joues d’une triste mélodie ingérable.

— Dis-moi pourquoi tu veux rentrer.

Sa voix devient brusquement autoritaire. Elle souligne cette part sombre qui sommeille en chacun, et qu’il n’a pas pu empêcher d’éclater au grand jour.

Une part de moi a subitement peur, vraiment peur pour la première fois de cet homme, mais une autre plus enragée prend le dessus.

— Ne me touche pas !

Faisant abstraction de toute crainte, je le repousse pour la seconde fois.

— Je t’interdis de me toucher !

Mon geste le surprend. Il se retrouve, le temps d’une seconde, déstabilisé par mon comportement, si bien que ses mains relâchent mon corps… Mais dans l’instant qui suit, il m’agrippe de nouveau le poignet pour m’empêcher d’atteindre le couloir menant à sa chambre. Il tente de me retourner pour mieux voir mon visage, mais je ne l’y autorise pas.

Enracinée dans le sol, je ne bouge pas, je préserve mes forces pour rester le dos tourné et garder en tête mon objectif : récupérer mes affaires.

— Ana, qu’est-ce qui te prend !

Il hausse le ton, brise sa promesse de ne jamais lever la voix sur moi…

— Laisse-moi récupérer mes affaires.
— Pas avant que tu m’aies donné une bonne raison.
— Je ne te dois rien, putain ! Je veux rentrer chez moi !

Les épaules rentrées, la tête repliée, je hurle dans tout l’appartement.

Ma voix résonne tandis que Scott me transmet les spasmes recouvrant son corps au travers de sa force exercée sur mon poignet.

—  Ana !

Je me retourne brutalement. Je n’ai pas le temps de trouver un moyen de cacher mes larmes et les lui offre sur un visage blafard. Mon masque de femme forte tombe au sol sans que je puisse le retenir, ou avoir le temps d’en construire un autre. Scott tente d’amener sa main vers mon visage, pour prendre en otage ma faiblesse, capturer mon chagrin et en effacer les larmes. Je l’en empêche en faisant un pas terrifié en arrière, terrorisée à l’idée d’avoir enfin compris ce que je ressentais pour cet homme. Alarmée à l’idée d’avoir laissé tomber mes barrières, mes protections qui me servaient à me préserver. J’ai tout laissé tomber pour un homme qui ne mérite pas un quart de l’attention que je lui porte. Je ne suis peut-être pas parfaite, j’ai sans doute brisé des cœurs, froissé des fiertés, mais il ne me mérite pas.

Ses yeux bleus plantés dans les miens, une lueur de remords passe dans son regard tandis que ses mains retombent le long de son corps, vaincu. Du moins, c’est l’impression qu’il donne.

— Non, Ana. Tu ne rentres pas chez toi, tu restes là.
— Pardon ?

Abasourdie, je le regarde incliner la tête en avant, juste assez pour me foudroyer. C’est troublant, cette peur de me voir partir qui se lie à son envie de garder le contrôle dans le bleu noirci de ses yeux. Il pense pouvoir encore l’avoir, mais je ne me laisserai plus faire.

Je force un rire, du mieux que je peux.

— Tu penses qu’en le disant à haute voix, c’est ce qu’il va se passer, Scott ? Tu rêves.

Il dévisage ma réponse comme l’ennemi à abattre, et instantanément, je perds tout moyen.

En un quart de seconde, tout vrille dans ma tête. Je veux le prendre dans mes bras, trouver l’origine de sa tristesse, et tellement plus encore. C’est fort. Ça me secoue de l’intérieur. C’est comme recevoir la foudre lors d’une nuit de songes. J’oublie qui je suis, mais pas ce que mon cœur ressent pour lui après s’être fait briser à grands coups.

Je ne céderai pas. Par respect pour moi, pour ma personne, je ne le ferai pas.

— Rien de ce que tu veux ne deviendra réalité. Regarde-moi faire, je vais récupérer mes affaires, passer le pas de la porte, et tu ne me verras plus ! Non, en vérité, tu n’auras plus aucun contact avec moi, je disparaîtrai et… 

À court d’oxygène, je m’arrête pour récupérer un semblant d’air lorsqu’à son tour, il prend la parole.

— Je ne te demande pas ton avis ! Tu restes là, Ana !

Son souffle refroidit les traînées de larmes sur mes joues. Je dévisage son cou, accentué de veines prêtes à bondir, en essayant de mettre de côté les envies de lui sauter dessus. Même comme ça, il me donne envie.

Non, en fait, c’est bien pire. Bordel, qu’est-ce qui ne tourne pas rond chez moi ?!

— Je ne te demande pas ta permission, Price !

À force de crier, comme si l’on se disputait l’oxygène ambiant, comme s’il n’y en avait pas assez pour nous deux, mon souffle finit par se couper.

Un muscle sur sa mâchoire tressaille sous son mécontentement. Il ne me laissera pas faire, il est décidé, mais j’ai moi aussi pris ma décision, et je peux affirmer que le mal qu’il se donne, qui le déchire, pour me faire rester, est maintenant le seul réconfort dans mon cœur maladroitement reconstruit au-dessus des hurlements.

Scott fait un grand pas vers moi pour mieux s’imposer et m’effrayer.

— Tu m’es dévouée ! Tu as oublié ?! Il me reste des semaines de possession sur toi, tu dois faire ce que je te demande !

Il va réellement jouer cette carte-là, maintenant ?

— Mais bordel, qu’est-ce que tu ne comprends pas dans ce que je te dis ?! Je m’en vais et tu ne me feras pas changer d’avis !
— Je te l’interdis !

Je ris nerveusement.

— Tu me l’interdis ? Tu es malade ! Je ne suis pas un jouet !
— Mais tu m’es dévouée ! Est-ce que tu y as seulement pensé une seconde avant de proclamer ta fuite ?!

Profitant d’une secousse de sa tête, je dévie de son regard et me libère pour courir jusqu’à sa chambre. La discussion ne mènera à rien. En deux secondes chronométrées à la hâte, je cherche mes affaires. J’attrape mon sac, pose un regard dans la direction de la salle de bain, puis me ravise. Tant pis pour la brosse à dents et le reste, je les récupérerai plus tard quand il ne sera plus là, ou plus calme. Dans l’immédiat, ce n’est pas le plus important.

Toujours planté dans l’entrée, Scott me regarde revenir, mon sac à la main. Il n’a pas l’air d’avoir changé d’avis, et moi non plus. Ses yeux brûlent mon sac comme s’ils voulaient le faire disparaître, puis l’ignorent, comme s’ils avaient réussi. Comme si je n’étais pas prête à partir. Comme si j’allais rester avec lui, lui obéir et me soumettre à son aura pour satisfaire son égo. Il relève lentement la tête, trop pour dégager de la colère, donnant l’impression de s’être calmé le temps que je disparaisse de sa vue.

J’ai les yeux plissés, et les siens se rouvrent doucement lorsqu’il soupire.

— Ne pars pas, Ana.

Un souffle au cœur m’empêche de lui répondre sur l’instant. Sans doute trop troublée par le timbre mielleux et enroué que vient de prendre sa voix. Mon talon décolle du sol, mes yeux trouvent la porte d’entrée tentatrice grande ouverte. J’ai l’impression qu’elle me crie de venir la traverser, de la pénétrer de toutes mes forces, mais mon pied se repose au sol à l’instant où je perçois ces perles d’eau rouler sur le visage de Scott. Il pleure… Il… pleure.

Je me pince les lèvres en le regardant faire comme si ses larmes n’existaient pas. Pourtant, elles existent. Elles sont devenues l’ouragan dans ma tête qui m’empêche de réfléchir sainement face à cette situation. Elles sont l’averse dans mes poumons qui bloque toute possibilité à l’air de venir jusqu’à eux et la tempête dans mon corps qui me supplie de me jeter sur cet homme pour effacer le chagrin sur son visage.

— Je ne resterai pas, Scott. Je veux partir, je refuse de rester une minute de plus.

J’ai prononcé mes mots d’une voix plus calme pour ne pas déclencher un nouvel éclat de voix, tandis qu’il plaque l’une de ses mains sur son visage, désarçonné, avant de la faire glisser jusque dans sa chevelure. Il empoigne ses cheveux, cherche quelque chose, avant de s’avancer vers moi d’une démarche incertaine en les relâchant.

— Ana… j’ai… j’ai besoin que tu restes… j’ai besoin… de toi, murmure-t-il doucement.

Un éclat de lueur dans le bleu fébrile paralyse mon corps qui ne réagit plus que par instinct. Il a besoin de moi… tandis que ses mots résonnent en moi, mon corps se colle lascivement au sien. J'ai la tête et le cœur en bataille, mon esprit toujours en proie à l’idée de s’échapper à tout moment, mais Scott m’enlace pour me garder contre lui, comme s’il lui était possible de lire la plus petite pensée que je pourrais avoir.

J’aimerais avoir la force d’être celle qui mène la danse, mais je ne suis plus maître de mon corps. Je glisse mes bras derrière sa nuque et colle mon front à ses pectoraux, pour mieux le sentir contre moi. Sa chaleur m’a manqué, c’est indéniable, je ne peux pas le refouler, elle remplace la tristesse gelée semée dans mon cœur pour la faire tomber à mes pieds.

Depuis le début, je le savais que je ne partirai pas sans l’avoir touché. Parce que je ne peux pas, c’est comme vouloir empêcher l’attraction de deux aimants. Impossible. Nous sommes comme ça, des amants aimantés depuis la première fois où nos regards se sont accrochés.

— S’il te plaît, Ana, reste là. Passe cette nuit avec moi, murmure-t-il à mon oreille, avant d’enfouir son visage dans mon cou, de désespoir. Je ferai et dirai tout ce que tu veux, mais je t’en prie, reste…

Après la colère, il tente la voix affectueuse. Je sais qu’il y a une part de vérité dans ce que Nathan m’a dit, mais dans le fond, ne m’a-t-il pas parlé d’un Scott plus jeune et insouciant ? Il a pu changer… Ses sentiments aussi ont pu changer.

Je serais une idiote de croire l’un ou l’autre, je le sais bien, mais… je le serais d’autant plus en ne redevenant pas cette même idiote égoïste avide d’hommes que j’ai toujours été, pour le posséder une nouvelle fois… juste un peu... encore un peu… avant de tout arrêter pour de bon. Je suis déjà restée trop longtemps accrochée à des sentiments qui n’auraient jamais dû passer la barrière de la réalité. Alors, juste pour ce soir, juste pour un instant, est-ce que je peux laisser toutes ces émotions danser dans mon ventre ? Mon corps me réclame le sien, indéniablement. C’est le sien, le seul que mon corps peut à ce point désirer posséder. Il est le seul à pouvoir me faire sentir si vivante.

Je cherche la force future de me reconstruire une barrière intérieure, et je trouve déjà celle qui me fait relever les yeux et oblige Scott à quitter mon cou pour me faire face. Nos regards se croisent, et cette fois, nous le savons, il n’est pas question de réflexion, mais d’une simple action.

Un souffle ardent passe ses lèvres pour venir effleurer les miennes, il les réchauffe tendrement. C’est exaltant. L’impatience mord mes entrailles, mais je ne précipite rien, je veux déguster ce moment, l’imprimer en moi pour y repenser et me rappeler qu’un jour, j’ai pu ressentir cette force brutale rugir en moi. Mes mains caressent la carrure de son dos, délient les nœuds, insufflent à son corps le désir de passer ses bras autour de ma taille sans craindre que je le repousse. Tout se fait en douceur. Trop peut-être… Mon cœur bat à tout rompre tant le supplice est extrême.

Sa tête se penche pour embrasser le coin de ma bouche, et c’est un nouveau supplice qui m’étreint en me retenant de plaquer mes lèvres contre les siennes. Je me retiens pour profiter de ces battements délicieux sous ma poitrine lorsque la pulpe de sa lèvre inférieure masse ma bouche, mais surtout, parce que pour la première fois, je réalise réellement qu’avant moi, c’est Héléna qu’il embrassait, et que cette pensée ne peut plus me quitter depuis que Nathan m’a parlé de cette foutue demande en mariage que Scott avait prévue pour elle…

Est-ce que c’était doux ? Passionné ? Est-ce qu’il émettait la même tendre lenteur ? Je l’imagine la prendre dans ses bras, la câliner du bout des doigts avant de laisser sa main impatiente dévier sur sa hanche, revenir plus aventureuse vers le bas de son dos lorsqu’il exécute ce mouvement sur mon corps… La sensation émoustille mes sens, autant qu’elle râpe ma peau à coups de lame de rasoir aiguisée en l’imaginant reproduire des gestes déjà exécutés.

La douleur est purement psychologique. J’aurais préféré qu’elle soit physique. Qu’on me poignarde le cœur plutôt que de le sentir étouffer dans un nuage noir de haine brute. L’envie de pleurer brûle mes yeux… Qu’est-ce que je suis en train de faire…

— Touche-moi, Ana.

De sa voix éraillée et faible, il supplie contre mes lèvres, inquiet de me voir incapable de le toucher. À sa demande, je mets mon cerveau sur off et laisse ma main descendre de ses épaules pour venir contre son torse. Il est en feu. Du moins, c’est la sensation que j’ai sur mes paumes à mesure que j’approche de sa ceinture. Elles sont prêtes à s’enflammer, me brûlant d’une douleur sourde. Une main posée méticuleusement sur la boucle, le métal incendie mes doigts en tirant sur le cuir pour l’ouvrir. Scott tente une respiration qui se saccade et chute sur la racine de mes cheveux, alors que mon regard se braque sur le détachement de sa ceinture.

Le son sec du cuir glissant contre les passants du jean devient le seul bruit.

D’instinct, je lève les yeux sur Scott pour trouver la suite des événements dans les siens. J’ai l’impression que plus rien n’est naturel, tout est calculé dans ma tête, presque mécanique. Je tire sur son caleçon, libérant sa barre chaude qui claque contre le V de la chute de ses abdos. Dure et puissante, elle se tient fièrement entre nous, m’intimant de l’aider à donner le meilleur d’elle-même. Je l’encercle avec souplesse.

— C’est ça… touche-moi comme tu sais le faire…

Il répète les mêmes mots, incapable de dire autre chose, les yeux fermés dans l’espoir de sentir mon toucher plus franc. Chose que je fais.

— Qu’est-ce que tu veux ?

Ma question ouvre les yeux de Scott alors que je serre les lèvres en me concentrant sur la retenue de mes larmes. Même dans ma bouche, à ce moment précis, cette phrase ne rime à rien. Mais il est hors de question que je lui offre plus qu’une main ou une bouche, je n’ouvrirai pas les jambes pour lui.

En proie au mutisme, seuls les muscles de sa mâchoire remuent durement. Un éclair de surprise traverse ses yeux, cherchant quelque chose à faire ou à dire, mais il ne bouge pas, raidi sur place, alors que ses mains relâchent mon corps pour tomber le long du sien.

Sans même reconnaître ma voix, je lui demande :

— Réponds-moi. Dis-moi ce que tu veux.

Mais tout ce que j’entends c’est : touche-moi Scott… Parce que j’aimerais qu’il me prouve par son toucher que c’est de moi dont il a envie, pas de son passé, pas d’Héléna. Je voudrais être sûre que c’est à moi qu’il pense en ce moment, sentir sa chaleur dominatrice, son contrôle sur mon corps assoiffé d’une douce soumission, mais je ne peux pas oublier ma putain de conversation avec Nathan. Elle ne veut pas sortir de ma tête. Putain, elle ne me quitte plus !

Je continue à mouvoir ma main sur son sexe, le motivant à me donner une réponse après un long râle.

— Tes lèvres… donne-moi tes lèvres, Ana.

Sa voix m’électrise jusqu’entre mes cuisses.

— Bien.

Ma main gauche lâche sa verge et tire sur le tissu de ma robe pour m’aider à m’agenouiller sans le quitter des yeux. Scott me regarde le reprendre à deux mains, le guidant vers ma bouche pour l’y enfoncer. Nouveau râle sourd. Mon Dieu… pourquoi faut-il qu’il fasse autant d’effet à mon corps alors que mon cœur se serre en imaginant Héléna à genoux devant lui, le suçant avec tendresse et force… Mes yeux me brûlent un peu plus à cette pensée…

Les bruits de son sexe entre mes lèvres se mêlent aux râles rauques s’échappant de sa bouche grande ouverte, en pleine appréciation des caresses de ma langue. Je le suce alors avec plus de force et ses doigts viennent dans ma masse de cheveux pour me donner le rythme.

— Putain, bébé... vas-y… plus fort…

Le surnom qu’il me donne fait exploser en moi le volcan de mon désir. Les yeux arrondis, Scott me regarde d’abord surpris, avant de faire naître le désir dans ses grandes pupilles. Je réalise grâce à ça que, sans même m’en être rendu compte, ma main droite est sous les pans de ma robe pour caresser mes lèvres intimes. Merde… ça ne m’était jamais encore arrivé d’en venir aux mains sur mon propre corps alors qu’un sexe fier et dur est prêt à le faire pour moi.

Gémissant autour de son membre, je ferme les yeux en lissant le sillon de mon jardin intime pour atteindre mon clitoris.

— Tu en as rentré combien ? me demande-t-il en aspirant sa lèvre inférieure.

Je sais parfaitement ce que son regard signifie, mais je n’ai pas envie de le sentir en moi. Ou bien si, j’en ai envie, terriblement envie, mais j’ai peur de ne pas pouvoir retenir mes larmes si ça continue… Si je le laisse me prendre comme il prendrait n’importe quelle femme.

Je lui réponds en me pénétrant d’un second doigt.

— Un seul... bientôt deux…

Mon gémissement s’étouffe contre sa verge humide et tendue dans ma main.

Je m’apprête à la remettre en bouche, déterminée à lui donner ce dont il a envie, tout ce dont il a envie, pour enfin quitter cet appartement où règne mauvaise nouvelle et torture mentale autant que sentimentale, lorsque subitement, ses mains empoignant mes cheveux déclenchent une douleur lancinante sur tout le crâne. C’est une nouvelle blessure, mais rien de plus douloureux que les craquements sous ma poitrine. Ignorant toutes ces souffrances, je relève la tête et immédiatement, j’ai la sensation d’avoir quitté une déchirure pour une autre en croisant le regard de Scott.

Pourquoi me regarde-t-il comme ça ? Pourquoi tant d’émotions ? Je ne suis même pas sûre de savoir quoi y lire, ni d’être assez objective pour le deviner. J’aimerais tellement voir des émotions de culpabilité que je serais capable de me les imaginer.

Sa main relâche mes cheveux pour se poser sur ma joue.

— Ana…

Il prononce mon nom comme si c’était la chose la plus difficile au monde.

Je déglutis, puis ferme les yeux en sentant son pouce ramasser une perle égarée sous mon œil. Je ne m’étais même pas rendu compte que je pleurais jusqu’à ce qu’il fasse ce geste.

— Pourquoi est-ce que tu pleures ?
— Pour rien.

Dans la logique, ce n’est pas pour rien, personne ne pleure pour rien. Mais cette fois, je ne saurais pas dire pourquoi. La fatigue y a peut-être son rôle, la colère épuisée sûrement, la tristesse sans aucun doute, bien que je pense avoir réussi à l’enfouir sous ma colère noire.

— Tu as raison, on va arrêter là, me dit-il en détachant sa main de ma joue.

Je rouvre les yeux et les baisse aussi sec en entendant le froissement du jean de Scott. Il se rhabille sous mes yeux, rattache son bouton doré avant de s’attaquer à sa braguette qui se coince et me permet de prendre plus de temps pour moi et mes réflexions.

Qu’est-ce que je vais faire lorsqu’il aura terminé ? C’est la question qui se met à tourner en boucle dans ma tête comme un vieux disque rayé. Elle m’assomme d’une envie de prendre mes jambes à mon cou en me rappelant la raison première qui nous a poussés à nous retrouver dans son appartement ce soir.

Cette raison n’existe plus, la passion des retrouvailles s’est essoufflée, et le rêve de voir un peu plus de complicité se créer entre lui et moi s’est évaporé à travers le hurlement sourd de nos cœurs.

— Tu veux manger quelque chose avant d’aller te coucher ?

Double mauvaise pioche pour lui. Je ne peux pas manger, et le fait qu’il me parle d’aller dormir aussi naturellement me tord un peu plus les entrailles. Putain, je vais finir par vomir si ça continue. Je me surprends à baisser les yeux sur ma robe rouge, coinçant le tissu entre mes doigts fébriles et encore chauds, puis je soupire. Hors de question de vomir dessus, sur une robe aussi chère, jamais de la vie.

Je secoue négativement la tête, sans envie aucune de lui parler. J’ai la gorge trop sèche, et trop nouée pour ça.

— Tu veux prendre une douche peut-être ? Ou boire quelque chose ?

Il me parle, ou plutôt me questionne comme si deux minutes avant son sexe n’avait pas été dans ma bouche. Comme si je n’avais pas commencé à pleurer. Et le pire de tout, comme si j’étais capable de lui répondre sans craindre un flot de larmes honteux. Et puis de toute façon, à quoi ça servirait ? Il n’y a aucun sens logique à nos ébats, et il n’y a rien qui pourrait faire changer les choses. Euphorie, désir, colère, cris et passion… Rien ne va, c’est comme mélanger des pâtes et du Nutella, ça ne va pas ensemble, et le résultat vous laisse un goût amer dans la gorge avant d’avoir des aigreurs d’estomac. C’est écœurant, et ça fait mal.

Je donnerais n’importe quoi pour effacer cette soirée, rayer du temps le moment où Nathan a décidé de tout détruire dans mon cœur en venant ici.

— Scott.

Je prononce son nom, le murmure d’un souffle étouffé par la main de l’angoisse qui commence son ascension sur mon corps. Je ne suis même pas certaine qu’il m’ait entendue.

Bordel, je ne suis même pas certaine d’avoir envie que ma voix soit parvenue jusqu’à son ouïe en me décidant à relever la tête. Me forçant à lui faire face, je frémis en croisant son regard. Il m’a entendue. Inquiet et fébrile, le bleu de ses yeux se noie dans la profondeur de ses pupilles dilatées.

— Je t’écoute… Qu’est-ce que je peux faire pour toi ? Dis-moi…

Sa voix n’est pas spécialement audible non plus, mais je l’entends un bref instant lorsqu’elle s’échappe de ses lèvres, avant de s’évaporer dans la pièce. Le peu d’aplomb dans ses cordes vocales souligne son envie de ne pas me tenir tête. Je crois qu’il a enfin compris, mais je n’en suis pas sûre lorsque je le vois se diriger vers la cuisine.

Ce serait le bon moment pour lui poser les questions qui me trottent dans la tête, mais je m’y refuse. Les bras raides devant moi, je lui réponds.

— Je n’ai pas changé d’avis. Je veux partir. Je veux rentrer chez moi.

Ma voix est sèche, directe, elle n‘autorise aucun refus. C’est parfait !

Avec attention, j’observe l’écarquillement de ses yeux. Ça ne dure que deux secondes tout au plus, mais la surprise est clairement visible, à tel point qu’elle se fige sur les traits de son visage crispé.

— Il est tard, tu ne préfèrerais pas dormir ici ? tente-t-il en frottant nerveusement ses mains contre les poches de son jean.

La robe se froisse entre mes mains.

Rester ? Dormir avec lui ? Une bouffée de chaleur étreint mon corps aussi sûrement que mon cœur refuse de se laisser berner et se prend un souffle de glace. Je m’y refuse. Mon regard se pose un bref instant près de son épaule. Si mon corps ressent la chaleur, mon esprit lui est incontestablement en plein tournage. Il imagine, caresse le désir de voir ses grands bras m’entourer la taille pour me rapprocher contre son torse chaud et dur.

Je frémis en décollant mon regard de la porte de la chambre. Stop le tournage, fini les scénarios, cette fois je dois rester sur mes positions sans défaillir. La brève fellation est terminée, tout comme ce jeu stupide dans lequel je me suis laissée embrigader jusqu’à maintenant. Mes larmes me l’ont bien fait comprendre. Je ne peux pas rester une minute, une seconde de plus près de lui.

Je lui réponds avec force, comme un avertissement.

— Non, je vais récupérer mes affaires et rentrer.

J’ai même du mal à me reconnaître moi-même, alors j’imagine bien le choc que Scott vient de recevoir. Néanmoins, je ne me fais pas de film, je sais parfaitement que je pourrais lui cracher au visage tous les mots du monde, je garderais cette peur à l’idée qu’il se serve de notre accord en me regardant prendre du recul. Mes mois de dévotion sont la rampe qui me sauvera d’un remboursement que je ne pourrai de toute façon pas faire vu mon modeste mode de vie, quoique, depuis le temps, la dette a bien dû baisser ? Je ne lui ai pas donné trois mois, pourtant une bonne partie quand même ! Mais est-ce que ça suffit ? Visiblement non, ce n’est pas assez pour me donner du courage, car mes jambes se mettent à trembler.

Je fais deux pas en arrière, le regard bloqué dans le sien, je le jauge une petite minute comme ça, prête à repartir vers mes affaires laissées dans l’élan de l’action dans un coin de l’entrée. J’attends de voir s’il a baissé les bras pour de bon, ou s’il va tenter une fois encore de m’en empêcher. Non pas que ça me plairait, bien au contraire, car je ne veux plus de cris, de déchirure, mais je l’avoue, une part de moi espère dans le fond qu’il m’intercepte une dernière fois pour me supplier à genoux de rester. Et voir naître la peur et l’angoisse dans ses yeux pour me soulager.

Mais rien de ça ne se passe, Scott ferme ses paupières puis acquiesce silencieusement d’un hochement de tête qui se résume en un coup fatal derrière son crâne lorsque sa tête se penche d’un coup sec en avant, juste après le premier hochement. Ma poitrine me brûle. Je n’ai pas l’habitude de le voir si désarmé. Le voir si faible face à moi est un mélange d’une douce allégresse, autant qu’une puissante pensée pour ses ivres caresses qui vont me manquer lorsque je partirai.

— Je… Je ne… dormirai pas tout de suite, si… si tu veux revenir, tu as… tu as un double de clés, me lance-t-il en bégayant.

En silence, je le regarde se reculer d’un pas lorsqu’il me voit prendre d’une main fébrile mon sac à bout de bras, prête à quitter ce maudit appartement. Le sac pèse une tonne, je ne réalise que maintenant que j’avais peut-être vu trop grand. Ou peut-être est-ce dû à la fatigue et au choc des questions qui sont nées ce soir. Je sens déjà un mal de crâne pointer le bout de son nez.

J’ouvre la porte, puis quitte le seuil, sans me retourner ni penser à la refermer derrière moi. Il ne faut pas que je me retourne. Je dois lui tenir tête et lui montrer qu’il n’a pas le droit de se moquer de moi impunément.

Une horloge sonne vingt-deux heures dans la ville endormie. Je lève les yeux pour chercher le haut de l’église Saint-Martin qui dépasse au-dessus des pavillons et des commerces de la rue. Je réajuste mon sac à main en m’engageant dans l’allée pavée. Je n’ai pas eu le courage de rentrer chez moi, j’ai presque honte de l’admettre, mais la première idée qui me soit venue en quittant l’immeuble fut celle de grimper dans ma voiture et rouler jusqu’au premier bar que je pourrai trouver après avoir envoyé un message d’urgence.

Je pousse la porte d’un petit bar à la devanture rendue discrète sous les vignes grimpantes. Je ne suis pas une habituée des lieux, c’est un petit établissement que j’ai connu un soir, par pur hasard. Mais ce soir, ce n’est pas pour me bourrer la gueule et rentrer au bras d’un homme que je suis là.

Je cherche Ambre du regard qui relève la tête après avoir entendu la porte se refermer. Installée sur une chaise haute autour d’une petite table ronde dans le fond de salle, elle me fait un rapide signe de la main pour que je la repère, ce qui n’est pas nécessaire vu le manque de clients.

— Ana, par ici.

La voix ensommeillée de ma meilleure amie me fait immédiatement sourire ; la pauvre, je l’ai quand même appelée bien tard pour me rejoindre. Et honnêtement, j’ignore encore pourquoi, je n’ai pas la moindre idée de ce que je veux lui dire, de ce que j’ai besoin de lui dire, ou d’entendre. L’étirement de mes lèvres ne dure malheureusement pas assez longtemps pour faire bonne figure. Et après tout, face à Ambre, je n’ai pas besoin de me cacher, de montrer un autre visage. Je me résous à ne pas forcer un sourire en prenant place sur la chaise face à elle.

De toute façon, je n’ai vraiment pas envie de sourire, malgré le chignon débraillé qui tombe sur le côté droit de la tête blonde de mon amie lorsqu’elle la bouge… et lorsqu’elle s’empresse de faire glisser un verre devant moi.

Je le pointe par le dessus, l’air renfrogné, en marmonnant.

— Ne me dis pas qu’il y a de l’alcool là-dedans.
— Aucun risque, me répond-elle en pointant le second verre qui lui fait face, juste à côté d’un pichet en verre à la paroi rafraîchie.

J’attrape le verre, et en bois une gorgée silencieuse en regardant partout, sauf sur Ambre qui me fixe.

Le verre à peine décollé de mes lèvres, elle se décide à ouvrir la bouche.

— Tu veux en parler ?

Sa voix est douce, ou plutôt, fatiguée.

Et même si je décèle une pointe d’agacement dans sa voix, je suis heureuse qu’elle soit là. Il m’arrive de me plaindre d’elle, de ses gueulantes, de ses plans foireux, mais elle a plus de qualités que de défauts. Elle seule est capable de m’aider à m’apaiser, la plupart du temps.

Je soupire.

— Ana, ma belle, tu ne m’as pas appelée à cette heure-ci pour ne rien dire ?

Je trouve son regard lorsqu’elle se met à bâiller, ce qui provoque des larmes au coin de ses yeux.

— Je t’écoute, vas-y, vide ton sac.

Son bâillement fait plisser ses yeux avec force, ses pommettes proéminentes remontent joliment. J’essaie de ne regarder que ça lorsqu’elle pose sa main devant sa bouche. Trop tard, j’en ai déjà trop vu. Berk.

Je me crispe en serrant mon verre, avant de lâcher la bombe.

— Je… J’ai vu Nathan, ce soir…

Silencieuse, elle se met à me dévisager. Et pour une fois, aucune envie de se moquer ne pointe le bout de son nez, sans doute à cause de la détresse que même moi je surprends dans ma voix.

— Tu ne devais pas voir Scott ? Il y a eu un changement ?

La sienne, sonne la surprise. Son regard me cloue sur ma chaise, l’expression logée à l’intérieur me perd, je ne sais pas si elle est en colère ou déçue par cet aveu.

Je me racle la gorge, cherche ma salive en lapant mon palais. Pas moyen, ma cavité buccale est sans conteste desséchée à l’idée de reparler de ma soirée. Je ne veux pas la revivre, que ce soit physiquement ou oralement, je ne veux pas.

— Du changement, ça, il y en a eu.

La main d’Ambre vient me chercher de l’autre côté de la table. Je baisse les yeux sur son avant-bras étalé sur le bois, sur son poignet, puis sur sa main venue se poser sur la mienne qu’elle prend, afin de me témoigner de son soutien moral.

— Raconte-moi tout, ma chérie.

Je soupire plus que de raison.

— J’étais chez Scott, j’avais préparé le repas, j’attendais plus que lui quand on a toqué à la porte. Et là, j’ai ouvert et… et je me suis retrouvée nez à nez avec… avec lui et…

Ambre ne me laisse pas le temps de chercher mes mots ou finir mon explication et m’interrompt.

— Attends, attends…

Elle grimace, les sourcils froncés en passant sa seconde main dans son chignon fouillis.

— Nathan est venu toquer chez Scott ? Mais pourquoi ?

Ambre a l’air aussi stupéfaite que moi, et moins en colère. Mais entendre ce qui s’est passé dans sa bouche, avec cette expression sur son visage, tout ça sonne de façon encore plus insensée. Mon cœur se serre dans ma poitrine, quelque chose se passe à l’intérieur de moi, mais je suis incapable de mettre un mot sur cette douleur.

— Je ne sais pas… J’en sais rien…

Je détourne le regard, cherche sur le mur de briques encadrant les fenêtres une évasion.

— Ana, tu ne me dis pas tout.

Je soupire.

— Ana !
— Ok ! Ok…

Je serre sa main avec plus de force, sans doute pour l’aider à encaisser le choc qu’elle va subir lorsque je lui avouerai ce que je sais sur eux. Je n’en ai pas envie, mais je n’ai pas le choix. Elle doit tout savoir, pour me donner un possible avis.

— La femme que Nathan a épousée c’est… Bon sang, même en le répétant un millier de fois je trouverai ça toujours aussi tordu… Celle qu’il a épousée, c’est l’ex petite amie de Scott.

Ambre ne prend pas la nouvelle comme j’ai pu la prendre ; il est évident qu’en passant autant de temps avec Scott, en l’ayant vu en présence d’Héléna, je ne me la suis pas prise comme Ambre, en pleine face comme un choc. Une surprise si violente qu’elle marque ses traits, figés au contour de sa bouche grande ouverte.

— Waouh… Je... Waouh ! répète-t-elle, la voix maintenue plus haut que la fois précédente. Alors ça, je dois dire… je ne m’y attendais pas à celle-là, c’est… Waouh !
— Tu l’as déjà dit, lancé-je, en essayant un sourire qui ne tient qu’en façade.

Ambre se redresse brutalement, plus à l’écoute.

— Mais toi, tu ne me l’avais pas dit, ça ! Tu m’as parlé de votre nuit à Scott et toi, j’étais au courant de l’accord et tout et tout, mais putain, ça ! Tu le sais depuis quand au juste ?!

Son sourire en coin amène le mien, plus vrai cette fois.

— Il me l’a dit le soir de la fête foraine, après qu’on ait croisé Nathan et sa femme dans la foule.

Je roule des yeux après lui avoir répondu.

— Vous les avez croisés ? Pourquoi tu ne me l’as pas dit ça ?!

Je hausse une épaule et elle soupire, dépitée.

Franchement, même maintenant je trouve que cette rencontre sonne vraiment comme une foutue mauvaise blague, un traquenard qu’on nous aurait tendu pour nous obliger à nous dévoiler. Et tout ça pour quoi, au final ? Pour que je me retrouve emportée dans la tempête d’un triangle amoureux ? Merci, c’est vrai que j’en avais besoin, destin moqueur, j’avais besoin de me sentir aussi brisée qu’un squelette jeté du haut d’un building.