Pauline Jaricot - Marie Malcurat - E-Book

Pauline Jaricot E-Book

Marie Malcurat

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Beschreibung

Née dans une famille bourgeoise, Pauline Jaricot est une jeune fille insouciante et coquette qui aime les jolies tenues et les fêtes… Mais tout change à 15 ans ! Elle tombe gravement malade suite à une chute et sa vie en est bouleversée : finies les robes de soie, au placard les chapeaux élaborés ! Dorénavant, le Christ aura la première place dans son cœur et elle consacrera sa vie aux plus pauvres.


À PROPOS DE L'AUTEURE

Marie Malcurat est mariée et mère de sept enfants. Ancien professeur de lettres, elle se consacre désormais à l’écriture de scénarios de BD, de fictions, de vies de saints ou de livres de prières.

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Marie Malcurat

Pauline Jaricot

Conception couverture : © Christophe Roger

Illustration couverture : © Ixène

Picto tissu : © Can Stock Photo / PandaVector

Relecture : Le champ rond

Composition : Soft Office (38)

 

© Éditions Emmanuel, 2023

89, bd Auguste-Blanqui – 75013 Paris

www.editions-emmanuel.com

 

ISBN : 978-2-38433-073-7.

Loi n° 49-956 du 16 juillet 1949 sur les publications destinées à la jeunesse, modifiée par la loi n° 2011-525 du 17 mai 2011

Dépôt légal : 1er trimestre 2023

Deo gratias

22 juillet 1799

Lyon, Quartier de la Croix-Rousse

Chez Léon et Rosalie

Bistanclaque-pan*1 ! Bistanclaque-pan !

Sur les bords de la Saône, dans le petit atelier familial, Léon, courbé sur son métier à tisser, a mal au dos. Il faut dire que cela fait presque quatorze heures qu’il est penché sur son ouvrage. À la force de ses bras, il travaille et tisse avec agilité les fils de soie qui deviendront de magnifiques et précieux tissus. Près de lui, sa plus jeune fille lance la canette. Une commande a été passée en début de semaine par une grande princesse. Il ne faudrait surtout pas la faire attendre. La pièce de velours en fils d’or doit être livrée le plus rapidement possible. Léon est tellement absorbé par son travail qu’il n’entend pas son autre fille l’appeler :

— Papa ! Viens vite ! Maman a besoin d’aide !

François, le jeune apprenti qui travaille dans l’atelier de tissage familial, l’a entendue, lui. Il relève brutalement la tête du métier mécanique sur lequel il tisse une pièce de soie verte. Sautant prestement de sa banquette, il s’élance vers son patron.

— Votre épouse ! Le bébé…

Léon lève les yeux de son ouvrage, fronce les sourcils et peine à se redresser. Le bébé ? Le fils tant attendu, peut-être ? Une vague d’angoisse le submerge. Il connaît bien le danger encouru par son épouse. Chaque naissance comprend de grands risques. Les jeunes femmes mortes en couche sont légion dans le quartier. Encore la semaine dernière, la jeune et jolie Geneviève a rendu l’âme en mettant au monde ses jumeaux. Léon sent son cœur accélérer dans sa poitrine. Sa Rosalie, si fragile et si forte. Sa Rosalie à qui il aurait tant aimé pouvoir offrir une vie plus douce que celle d’une canuse*.

Léon quitte précipitamment le cœur de l’atelier où sont installés les trois métiers à tisser mécaniques qu’il a achetés et dont il est si fier ! C’est aussi là, dans cet atelier, qu’il vit avec son épouse, ses deux petites filles et son apprenti. Le concert des bistanclaque-pan a cessé. Le pépiement du petit oiseau dans sa cage a pris le relais. Sa présence bien vivante est rassurante : c’est le signe qu’aucun gaz toxique ne s’est infiltré dans l’atelier. Léon se hisse aussi vite que possible jusqu’à la paillasse où sa jeune femme enceinte est étendue. Dans la chaleur accablante de la soupente, Rosalie pousse de petits cris plaintifs. Son visage pâle dégouline de transpiration. Léon se tourne vers son apprenti, resté en contrebas, dans l’atelier :

— Va chercher la sage-femme, puis emmène Mathilde et Marie. Je ne veux pas qu’elles soient dans l’atelier durant la délivrance. Je viendrai vous chercher lorsque le petit sera là.

François obtempère et fait signe aux fillettes de le suivre.

***

Deux heures plus tard

Léon sourit en voyant ses filles au loin, accroupies le long d’un filet d’eau qui dégringole sur les pavés de la rue en pente. Après une journée harassante dans l’atelier, c’est toujours ici qu’elles viennent jouer. Là, elles oublient tout et redeviennent des enfants. Plus de canettes à faire glisser, plus de poussières de tissus, plus de bistanclaque-pan assommant. La course des petits bouts de bois flottant sur l’eau est leur jeu préféré.

— C’est une petite fille !

— Une petite sœur ?

— Oui ! Une de plus !

La voix de Léon résonne et son écho se répercute, rebondissant comme une balle contre les murs des hautes maisons serrées les unes contre autres. C’est sur ce versant de la colline lyonnaise que vivent les ouvriers de la soie. Bistanclaque-pan ! Bistanclaque-pan ! Les métiers à tisser seront en pleine action jusque tard dans la nuit et leurs chants monotones s’échapperont inlassablement par les hautes fenêtres des maisons. Léon parvient à sourire malgré sa grande déception. Il n’a pas de fils. Toujours pas. Pourtant, il l’a espéré de toutes ses forces. Cela n’a pas suffi. Il aurait tant aimé pouvoir compter sur un ouvrier qu’il aurait formé au tissage. Dans la famille, on est canut de père en fils. Visiblement, Dieu en a décidé autrement.

Mathilde et Marie sont en revanche folles de joie. Elles s’élancent vers leur père.

— Comment s’appelle-t-elle ?

— Madeleine.

Les deux sœurs battent des mains. Elles sont si heureuses que Léon se sent consolé. Les voir sautiller ainsi comme des cabris lui rappelle combien, dans un atelier de soierie, les filles sont tout de même précieuses. Leur agilité et leur finesse permettent de se faufiler derrière les métiers à tisser. Et puis, sans elles, qui tisseraient les pièces de soie unie que l’on teinte ensuite ? Dans quelques années, Madeleine pourra, à son tour, en produire. Léon se racle la gorge et lance :

— Rentrons ! Votre mère a hâte de vous présenter le bébé.

Joyeusement, les fillettes rejoignent leur père. François reste en retrait. Il va s’arrêter au café pour leur laisser un peu d’intimité. Et puis, boire un verre de vin avec les compagnons tisserands qui effectuent leur tour de France dans le quartier, c’est à coup sûr passer un excellent moment.

Après avoir quitté les ruelles étroites du quartier de la Croix-Rousse, Léon et ses filles s’engagent sur les pavés de la rue Tupin. En passant devant une belle maison bourgeoise, le père de famille s’arrête. Oh ! La jolie façade ! Quel bonheur ce doit être de vivre dans une si grande maison ! Avec une pointe d’amertume, Léon pense à son épouse étendue sur sa paillasse dans la soupente de l’atelier. « Ah ! Vraiment ! Nous ne sommes pas égaux, en ce bas monde ! »songe-t-il.

Tout à ses pensées, il sursaute en voyant la porte de la demeure s’ouvrir. Un homme vêtu de noir en sort. Léon le reconnaît. Il s’agit d’un prêtre réfractaire revenu d’exil récemment. Le brave homme de Dieu vit dans la clandestinité depuis que les religieux qui n’ont pas prêté serment à la Constitution civile du clergé, en 1790, ne peuvent plus exercer leur ministère dans une paroisse. Le prêtre referme discrètement la porte, jette un coup d’œil à droite et à gauche, puis s’élance dans la rue en rasant les murs. Sans réfléchir un instant, Léon lui emboîte le pas.

— Monsieur l’abbé, j’ai besoin de vous. Ma femme vient de donner naissance à une petite fille. Pouvez-vous venir la baptiser ?

Le vieux prêtre sourit. Il sait bien qu’il prend des risques en dispensant les sacrements en cachette, mais après tout, y a-t-il plus belle mission que celle-ci ? Il se penche et chuchote à l’oreille de Léon :

— Vous avez raison de vouloir baptiser votre enfant le jour de sa naissance. Je vous suis.

Léon bénit le Ciel pour ce prêtre rencontré providentiellement. Il ne connaît pas grand-chose aux querelles qui font rage dans l’Église et dans la société tout entière, mais une chose est sûre : ils ont été bien courageux, les religieux qui ont tenu bon et qui n’ont pas voulu abandonner leur sacerdoce. Pour sûr, la fidélité est une valeur qu’un simple ouvrier comme lui reconnaît.

***

Le même jour

Chez Jeanne et Antoine Jaricot

16, Rue Tupin

Alors que le prêtre vient tout juste de quitter la belle demeure familiale, Marie-Pauline dort profondément, pelotonnée au creux des bras de Laurette, sa sœur et marraine. Comme une milice d’anges gardiens, son père, ses trois frères, Paul, Narcisse et Philéas, et ses deux sœurs, Sophie et Laurette, l’entourent avec tendresse. Le bébé encore tout fripé, imperturbable, ne comprend pas qu’il vient de recevoir le sacrement du baptême.

Au même instant, dans sa chambre du premier étage, Jeanne Jaricot rend grâce pour ce septième enfant que Dieu leur confie. Quelle joie d’avoir pu lui donner naissance ici, dans la maison lyonnaise, juste à côté de la boutique d’Antoine ! Là est leur vie.

Jeanne ferme les yeux. Qu’elle fut longue, cette période durant laquelle il fallut s’exiler à la campagne à cause de la Terreur révolutionnaire !

Elle se retrouve en pensée quelques années auparavant, un matin d’août 1793. Les images de cette terrible journée, de leur fuite, défilent dans sa tête : enceinte de six mois, elle avait déjà trois jeunes enfants. La canonnade de la ville de Lyon fut épouvantable, la chasse aux royalistes battait son plein. Son Antoine, qui avait juste voulu défendre sa chère ville, allait payer le prix fort : c’était l’exil ou la mort. Il lui fallait désormais se cacher pour protéger sa vie.

Jeanne ouvre les yeux.

Pas question de s’apitoyer sur le passé. L’avenir s’éclaire de nouveau. Y a-t-il chose plus magnifique à vivre qu’une naissance ? À 36 ans, la jeune femme est gâtée. Ses six premiers enfants lui ont déjà apporté tant de bonheur.

La porte de sa chambre s’ouvre doucement. La silhouette de son époux se dessine dans l’embrasure. À pas feutrés, le voici qui s’approche du lit, tenant dans ses bras le nouveau-né emmailloté dans un lange blanc.

— Il me semble que notre nouvelle baptisée a faim.

Jeanne se redresse et s’installe confortablement pour recevoir le petit paquet que lui tend son époux. Ayant placé l’enfant contre elle de manière qu’elle puisse téter, Jeanne lève les yeux vers Antoine et murmure avec émotion :

— Puisse notre Pauline vivre longuement. Puissions-nous la voir grandir et devenir adulte.

La voix de Jeanne s’est brisée. Antoine s’assoit au bord du lit. Il comprend ce que ressent son épouse. La mort de leur petit Jean-Marie, âgé de 6 ans, fut la pire épreuve de leur vie. La blessure est toujours vive, même en ce jour où Pauline est venue agrandir la famille.

Antoine embrasse tendrement le front de son épouse :

— Ayons confiance en Dieu. Pauline est dans ses mains.

Jeanne approuve en caressant la joue du nouveau-né.

— Tu as raison. Elle ne nous appartient pas. Elle nous est juste confiée par le Seigneur.

Les parents restent un instant silencieux. Seul le bruit de succion que fait le bébé en tétant résonne dans la chambre. Antoine reprend :

— Je n’ai pour nos enfants qu’un seul désir : qu’ils aiment le Christ de toutes leurs forces. Il a donné sa vie pour nous sur la Croix.

Jeanne plonge son regard dans celui de son mari. Elle se souvient comme si c’était hier de leur toute première rencontre, lors du chemin de croix entre la cathédrale Saint-Jean et la cathédrale Saint-Irénée, sur la colline de Fourvière. Cette croix du Christ qu’ils ont souvent contemplée ensemble jusqu’au jour de leur mariage.

Antoine embrasse le front du bébé et se relève.

— Je vais retrouver nos grands. Ils doivent trépigner d’impatience au salon. Je leur ai promis que nous irions annoncer ensemble la nouvelle de la naissance de Pauline à nos commis.

Jeanne sourit. Les commis et les colporteurs qui travaillent pour eux font presque partie de la famille.

— Portez-leur un panier garni, en l’honneur de Pauline. Ils doivent partager notre joie dignement.

Antoine approuve. Juste avant de refermer la porte de la chambre, il se tourne vers sa femme et lance avec la spontanéité qui est la sienne :

— Tu te rends compte que Paul a déjà 16 ans ? J’ai l’impression qu’hier encore, nous le tenions ainsi dans nos bras.

Jeanne caresse le fin duvet qui recouvre la tête du bébé.

— Je suis heureuse qu’il soit le parrain du bébé. Pauline ! Quel joli prénom. Il a vraiment bien choisi.

Jeanne sent une vague de fatigue l’envahir tout à coup. Elle laisse reposer sa tête sur l’oreiller en plumes d’oie. Elle est heureuse. Son nouveau bébé apporte tellement de promesses d’avenir. Deo gratias !

1. Les mots suivis d’un astérisque sont expliqués dans le glossaire à la fin du livre.

Une rencontre inoubliable

1805

Chez Jeanne et Antoine Jaricot

Rose ouvre doucement la porte de la maison. Il est tôt. Comme tous les jours, Antoine et Jeanne se sont levés aux aurores pour se rendre à la messe célébrée à quatre heures du matin, tout près de chez eux. Ils ne devraient pas tarder à rentrer.

Pauline, qui a l’oreille fine et a entendu le grincement des gonds, descend les escaliers quatre à quatre.

— Rose, ma chère Rose ! s’écrie-t-elle tout essoufflée. Où vas-tu ?

— Mademoiselle Pauline ! Pourquoi êtes-vous déjà debout ?

— Si tu vas visiter les deux familles dont tu nous as parlé hier, je veux t’accompagner. Je pourrai t’aider et rendre quelques services.

La bonne, touchée par le cœur généreux de la fillette de 6 ans, lui ouvre grand les bras. Pauline court s’y blottir.

— Tu es comme maman, murmure l’enfant, câline. Tu ne veux laisser personne dans le malheur. Maman est toujours accueillante : dès qu’un pauvre frappe à notre porte, elle l’écoute et l’aide en lui offrant de la nourriture ou des vêtements.

Rose approuve.

— C’est certain. Vos parents sont généreux. Ils savent ce que c’est que la misère. Ce n’est pas pour rien que les gens ont surnommé votre mère « la bonne dame ».

— Alors ? Puis-je venir ?

Rose laisse échapper un soupir. Elle sait bien qu’il est inutile de refuser. Si Pauline n’arrive pas à ses fins maintenant, elle y parviendra plus tard. Vraiment, cette enfant si bonne et généreuse est capable de se montrer parfois têtue. Aucun obstacle ne doit se trouver sur son chemin. Rose hoche donc la tête en signe d’assentiment. Pauline a gagné. Une fois de plus !

Alors qu’elles s’apprêtent à franchir le pas de la porte d’entrée, Pauline fait subitement demi-tour et s’élance vers l’escalier.

— Attends-moi ! J’en ai pour un instant ! Il faut que Philéas vienne avec nous.

Quelques instants plus tard, le frère et la sœur descendent les marches. Philéas, les yeux encore engourdis de sommeil, porte à l’épaule une énorme besace.

— Qu’est-ce donc là ? demande Rose, en voyant le sac rempli.

Pauline explique :

— Maman nous a permis de mettre de côté certains de nos jouets pour les donner à des enfants qui n’en ont pas. Les familles que tu vas visiter ne doivent pas en posséder beaucoup.

Rose est émue. Philéas et Pauline sont si touchants. Avec eux, une idée n’attend pas l’autre. Leurs jeunes cerveaux sont tout le temps en ébullition. Ne les a-t-elle pas entendus l’autre jour qui se chicanaient avec la passion qui les caractérise tous les deux ?

— Moi, j’irai en Chine pour annoncer le Christ à tous ceux qui ne le connaissent pas ! s’était exclamé fougueusement Philéas. Je serai missionnaire.