Philippe II - Emile Verhaeren - E-Book

Philippe II E-Book

Emile Verhaeren

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Beschreibung

Extrait : "DON CARLOS. Dieu ! que mon corps est triste et languissant, ce soir, Et qu'est triste là-bas, sur la campagne, La lumière des nuits d'Espagne. L'Escurial rigide et noir Jette une ombre plus funèbre et plus sombre, Parmi tant d'autres ombres Que je regarde et qui me voient mourir..."

À PROPOS DES ÉDITIONS LIGARAN :

Les éditions LIGARAN proposent des versions numériques de grands classiques de la littérature ainsi que des livres rares, dans les domaines suivants :

• Fiction : roman, poésie, théâtre, jeunesse, policier, libertin.
• Non fiction : histoire, essais, biographies, pratiques.

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Seitenzahl: 58

Veröffentlichungsjahr: 2016

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Au poète Stuart Merrill

Personnages

PHILIPPE II : roi d’Espagne.

DON CARLOS : infant, prince des Asturies.

LA COMTESSE DE CLERMONT : dame d’honneur de la cour.

FRAY BERNARDO : confesseur du roi.

DON JUAN D’AUTRICHE.

DON FRANCISCO DE HOYOS : notaire du roi.

FRAY HIERONIMO.

COMTE DE FERIA.

SOLDATS ET MOINES.

Tous les actes se passent à l’Escurial.

Premier acte

Une terrasse. À gauche, le pavillon de DON CARLOS. Au fond, de la scène l’Escurial où seulement une fenêtre, celle de la chambre de PHILIPPE II, est éclairée. Entre le fond et la terrasse les jardins du palais. Deux escaliers, l’un à droite, l’autre à gauche, descendent de la terrasse aux jardins.

DON CARLOS
Dieu ! que mon corps est triste et languissant, ce soir,
Et qu’est triste là-bas, sur la campagne,
La lumière des nuits d’Espagne.
L’Escurial rigide et noir
Jette une ombre plus funèbre et plus sombre,
Parmi tant d’autres ombres
Que je regarde et qui me voient mourir…
Oh ! mon rêve fermé que j’ai peur d’entrouvrir,
Oh ! mes désirs : chevaux cabrés dans l’or des gloires…

Il marche vers le bord de la terrasse et attend.

Hier, j’étais ferme et clair, tout mon être vibrait
Tel un glaive planté sur sa victoire ;
J’étais comme affolé ; mes pas entraient
Dans l’avenir immense, avec une ardeur telle
Que mon aïeul lui-même en eût aimé l’élan.
Et me voici, comme autrefois, morne et dolent,
Sans croire à mon triomphe…

Se tournant du côté d’où viendra la comtesse.

Hélas ! que ne vient-elle ?

Tout à coup, violent.

Que ne vient-elle enfin, puisqu’ainsi je le veux !
LA COMTESSE, apparaissant à l’escalier de gauche.
Carlos ! mon roi Carlos ?
DON CARLOS, se jetant dans ses bras.
Ô toi, la bien-aimée !
Ô douceur de ta voix ! ô beauté de tes yeux !
LA COMTESSE, rapidement.

La marquise d’Amboise est sauvée. À cette heure, elle traverse la mer. Les réformés d’Angleterre l’attendent. Tes ordres ont été suivis. Oh ! la bonne action que tu fis là, mon roi !

DON CARLOS, distrait.
Ah !
LA COMTESSE
Regretterais-tu ?
DON CARLOS
Oh ! que mon corps est las et malade, ce soir !
Mon torse pâle est l’abreuvoir
Que dessèchent les douleurs et les fièvres.
Le mal sournois me tient, la mort hante mes lèvres
Mon ancienne blessure est ardente toujours.
Ô bien-aimée ! Oh la clarté de nos amours
Et les gouttes de vie en tes baisers scellées !
LA COMTESSE
Carlos !
DON CARLOS
Oh ! que n’es-tu sans cesse auprès de moi,
Avec ton âme et ta beauté comme étoilées,
Avec ta quiétude, avec ta large foi
Dans mon ardeur qui choit, mais toujours se relève
Pour resurgir encore et s’enivrer d’orgueil.
Je suis Carlos d’Espagne – et je porte le deuil
Et la douleur et la splendeur morne d’un rêve
Impatient que je nourris depuis des ans
Et qui reste captif en mon cœur bondissant
Vers la gloire rapide et les triomphes proches.
Je n’ai pas, moi, le temps de m’attarder : les cloches
Qui sonneront ma mort
Doivent d’abord
Crier ma délivrance et ma grandeur au monde.
Oh ! Charles-Quint, je suis une pierre en ta fronde,
Je suis une arme ardente et qui prétend servir !
LA COMTESSE

Enfin, tu te souviens, Carlos !

DON CARLOS

Tout à l’heure je fuyais tes paroles. J’étais sans vie. Je n’osais plus songer à l’audace de mes projets. Et pourtant, dès demain, ils se réaliseront. Tout est fixé, promis, convenu. Seule, l’aide de Don Juan me manque encore.

Un repos.

Il t’avait promis de sauver avec nous la marquise d’Amboise. L’a-t-il fait ?

LA COMTESSE

Quand la marquise eut atteint la Guipuscoa, elle gagna Renteria et Passagès. Don Juan, général de la mer, grâce à un ordre fortuit reçu du roi lui-même, éloigna ses navires. Les côtes étaient libres. Une barque fut amenée. La marquise put s’enfuir d’Espagne. Ainsi, sans avoir l’air de nous protéger, Don Juan nous aida.

DON CARLOS

C’est bien.

LA COMTESSE

Vous savez comme j’aime la marquise, et comme je tremblais de la savoir à Madrid. Le roi Philippe l’entourait d’embûches, il la soupçonnait d’hérésie…

DON CARLOS

Ce n’était pas mon père qu’il fallait craindre, c’étaient les moines, eux seuls sont redoutables.

LA COMTESSE

Hélas !

DON CARLOS, brusque.

Non pas, non pas ! Ils sont l’assise divine où mon pouvoir s’appuie, ils sont le sang, le cœur, la force de l’Espagne. Si jamais le remords m’assaille d’avoir sauvé la marquise, c’est eux qui le réveilleront… Vraiment, il faut que je vous aime plus que moi-même, que je vous aime en aveugle, que je vous aime comme un péché…

LA COMTESSE, tendre.

Pardonnez-moi.

DON CARLOS
Viens plus près de mon cœur et de mes lèvres pour que j’oublie…
Vois-tu, le Saint-Office est le salut : la lie
Du monde est déversée en ses brassins de feu,
Et s’y perd, et s’y brûle, à la face de Dieu
Qui fait la flamme afin que l’univers se sauve.
Il ne faut point trembler devant la grandeur fauve
De l’Église, qui s’est faite lionne et court
Avec terreur, avec angoisse, avec amour,
Mordre la chair impie avec ses dents brûlantes.
Son droit est souverain, si sa force est sanglante
Rome est utile à tous, à tous, surtout aux rois,
Tous la craignent et la suivent – il n’est que moi
Qui porte au cœur assez d’ardeur qui fertilise
Pour être en même temps et l’Espagne et l’Église
Et le monde à moi seul.
LA COMTESSE
Tu t’enivres, Carlos !
DON CARLOS, furieux.
Non, non, non, non !… Ma tête est battante de flots
Si merveilleux d’orgueil qu’il n’est rien que je craigne.
La puissance des rois datera de mon règne.
Ce palais qu’on achève est comme un mont géant
Trop large pour mon père, et construit à ma taille.
On peindra sur ses murs l’élan de mes batailles
Et de mes vaisseaux d’or, trouant les Océans
Et les horizons fous des bonds de leurs conquêtes ;
Un bruit de gloire immense accueillera mes pas.
La mer et le soleil sont miens, la terre est prête
Et je ne mourrai point, puisque je ne veux pas…
LA COMTESSE, presque avec pitié.

Carlos ! Carlos !

DON CARLOS, se calmant.

Demande à Don Juan quels rêves nous fîmes ensemble, et combien nos cœurs ont foi dans nos destins. Nous nous sommes promis la gloire l’un à l’autre et tous les deux nous l’obtiendrons.

LA COMTESSE

Viendra-t-il ?

DON CARLOS, fait signe que oui et continue.

Avec quelle joie, il suivra ma fortune. Il soupçonne depuis longtemps mon désir, mais il ignore encore ce que je veux tenter, sans hésiter, demain.

Tout à coup énervé.

Je n’en puis plus… Je n’en puis plus… Il faut que je m’enfuie sur l’heure et que j’arrive en Flandre.

LA COMTESSE, l’entraînant vers le bord de la terrasse. La lampe s’éteint à la fenêtre du roi.
Regarde au loin comme est belle et grande la nuit
Et comme le silence est divin sur la terre !
DON CARLOS, se laissant persuader.
Ô l’apaisante, et pure, et sereine lumière !
Ô la splendeur des montagnes pâles, là-bas !
L’Escurial sommeille et ses jardins sont las
D’avoir été trop beaux, sous les midis de flamme.
Madrid est blanche et les clochers de Notre-Dame