Physiologie du lion - Ligaran - E-Book

Physiologie du lion E-Book

Ligaran

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Beschreibung

Extrait : "Au commencement, une foule créature charmantes ornaient les diverses contrées du monde élégant. Et la Mode vit qu'il manquait un roi à tous ces êtres qu'avait formés son caprice. Et elle dit : « Faisons un lion à notre image et ressemblance. Que le boulevard soit son empire. Que l'Opéra devienne sa conquête. Su'il commande en tous lieux, du faubourg Montmartre au faubourg saint-Honoré.» Et le lion parut."

À PROPOS DES ÉDITIONS Ligaran

Les éditions Ligaran proposent des versions numériques de qualité de grands livres de la littérature classique mais également des livres rares en partenariat avec la BNF. Beaucoup de soins sont apportés à ces versions ebook pour éviter les fautes que l'on trouve trop souvent dans des versions numériques de ces textes.

Ligaran propose des grands classiques dans les domaines suivants :

• Livres rares
• Livres libertins
• Livres d'Histoire
• Poésies
• Première guerre mondiale
• Jeunesse
• Policier

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EAN : 9782335054354

©Ligaran 2015

CHAPITRE PREMIERIntroduction en style biblique

Au commencement, une foule de créatures charmantes ornaient les diverses contrées du monde élégant.

Et la Mode vit qu’il manquait un roi à tous ces êtres qu’avait formés son caprice.

Et elle dit :

« Faisons le lion à notre image et ressemblance.

Que le boulevard soit son empire.

Que l’Opéra devienne sa conquête.

Qu’il commande en tous lieux, du faubourg Montmartre au faubourg Saint-Honoré. »

Et le lion parut.

Alors il assembla ses sujets autour de lui, et donna à chacun son nom en langue fashionable.

Il appela les uns lionnes. C’étaient de petits êtres féminins richement mariés, coquets, jolis, qui maniaient parfaitement le pistolet et la cravache, montaient à cheval comme des lanciers, prisaient fort la cigarette, et ne dédaignaient pas le Champagne frappé.

Un chasseur gigantesque a coutume de les accompagner, simplement pour prévenir de dangereuses querelles entre lions et lionnes, en montrant les crocs de sa moustache, et éviter ainsi l’effusion du sang.

Il en nomma quelques-uns panthères : ces féroces Andalouses, aux allures ébouriffantes, à l’œil de feu, se font remarquer par l’étalage luxuriant de leurs coiffures, l’exagération de leurs crinolines, et cherchent incessamment sur l’asphalte des boulevards un équipage à conquérir et un cœur à dévorer.

Il y en eut auxquels il imposa la dénomination de tigres, sans qu’ils aient jamais mangé personne. Au contraire, l’obéissance, la soumission est leur première vertu. Leur chapeau à cocarde noire, leurs bottes à retroussis, leur veste bleue et leur gilet bariolé couvrent des gamins arrachés aux plaisirs de la pigoche.

Enfin d’autres reçurent le nom de rats : sylphes rongeurs, d’une nature extrêmement vorace, souples du reste, séduisants capricieux, que laisse tomber le ciel de l’Opéra sur l’asphalte du boulevard.

Et la Mode vit que son ouvrage était bon.

Alors on entendit résonner l’hymne suivant, que ces animaux terribles ou charmants chantaient à leur roi…

Mais je répéterai plus tard ces accords mélodieux.

Vite, mes bottes à l’écuyère, ma cravache et mon poney d’Écosse,

Que j’esquisse au galop le lion, cette individualité fringante dont j’ai raconté l’origine, et dépêchons ;

Car on ne l’arrête pas à poser longtemps devant l’artiste : elle s’enfuit à travers la vie comme un songe, et parcourt toujours la société à bride abattue.

CHAPITRE IIDéfinition

Qu’est-ce qu’un lion ?

Érudits de l’Institut, d’Hoziers modernes, et vous, ô Granier de Cassagnac, qu’en pensez-vous ?

Est-ce un bélître qui cherche à faire remarquer son costume par sa figure et sa figure par son costume ?

Est-ce un individu que la nature a doué de goûts excentriques, d’un caractère casseur, qui porte des habits à la mode, ne parle que chevaux, chiens et maîtresses, a des créanciers, et dans sa poche quelques billets de mille francs ?

Cette seconde définition me semble plus vraie, et surtout plus polie. La dernière condition qu’elle exige exclut, j’en conviens, de la classe des lions une multitude de personnes d’ailleurs fort recommandables ;

Mais pourquoi ne sont-elles favorisées d’aucune espèce de billets de mille francs ?

(Certes, voilà un pourquoi bien impertinent !)

Maintenant je reprocherais à ce dieu qui créa le lion français (si tant d’audace n’était un crime de la part d’un simple mortel), d’avoir manqué d’originalité dans sa création ;

D’avoir dérobé au génie britannique le feu dont il anima cette puissante royauté ;

Enfin d’avoir restreint parmi nous l’espèce léonine avec une légèreté intolérable.

En effet, le lion existe depuis longtemps en Angleterre, et toutes les sommités, non pas seulement celles de la mode, reçoivent ce titre glorieux. Byron jadis était lion littéraire ; O’Connell représente aujourd’hui le lion de la réforme, et Wellington celui des combats.

Je demande pour quelle raison nos Blummel jouissent du privilège exclusif de s’intituler lions ?

Bussy-Rabutin avait formulé le vaniteux libertinage des roués, Rousseau le déisme des premiers anglomanes, Fréron le sensualisme révolutionnaire de la jeunesse dorée ; ainsi la pensée de chaque siècle a dominé ses modes. C’est de notre mépris pour toute croyance, de nos passions inquiètes, de nos façons cavalières, dévergondées, que le lion du dix-neuvième siècle a su se faire la vivante expression. Combinez les fantaisies maladives de lord Byron et le cynisme fardé des Premières armes de Richelieu, et vous aurez au moral ces gentlemen mahométans qui fument en France le chibouque et s’étendent de travers sur les coussins de leurs divans.

Quant à l’extérieur, le lion, tel que nous avons le bonheur de le posséder en cette année de grâce 1841, n’aurait pas été déplacé chez la Parabère, au bon temps du régent. Sa chevelure ressemble presque à une perruque de Frison ; nos artistes tailleurs ont donné à son paletot je ne sais quelles manches dix-huitième siècle à larges parements de velours ornés de deux boutons géants, en ont drapé les basques autour de lui avec un chique éminemment rococo, coupent ses habits à la française, échancrent ses gilets à la financière, et en accommodent parfaitement l’ouverture au jabot de dentelle qui doit s’y montrer. Son pantalon à guêtres, étroitement serré au genou, remplace convenablement le bas de soie et la culotte à rosettes. Ajoutez à cela ses gants jaunes, sa canne à pomme d’or de Verdier, son chapeau de Bandoni, et vous trouverez peu de différence du lion au roué, pour le vêtement bien entendu.

La perplexité dans laquelle je me suis trouvé au commencement de ce chapitre m’engage à donner en le terminant à la haute fashion un conseil que je crois utile : c’est de rédiger ses assises, et de déterminer exactement les conditions requises pour devenir lion.

Elle préviendrait ainsi de fâcheuses méprises, et simplifierait la grave question que je viens de résoudre, en créant un principe immense qui la dominerait.

Les conditions seraient par exemple :

1° D’avoir au moins 40 000 livres de rentes, un emploi ou des talents artistiques éminents ;

2° De connaître toutes les variétés de panthères ou toutes les panthères des Variétés ;

3° De compter parmi les membres du Jockey’s-club ;

4° Parmi les abonnés de l’Opéra ;

5° De se tenir sur les limites les plus extrêmes de la mode ;

6° De se fournir chez des faiseurs approuvés ;

7° D’entretenir une fille de théâtre, ou tout autre individu du sexe féminin, peu estimable, mais très estimé… 500 francs par mois et au-dessus ;

8° De s’être cassé une ou plusieurs côtes dans les courses au clocher ;

9° De connaître à fond la cachucha appliquée à nos mœurs ;

10° D’avoir étudié le pugilat moderne, la canne, l’escrime et autres arts d’agrément ;

11° Et de ne jamais descendre à son dîner au-dessous du filet de bœuf et du rôti de venaison.

De plus, un symbole étant nécessaire à toute association, le lion devrait réciter soir et matin cette prière, qui me semble résumer assez bien sa foi.

« Notre père, qui n’êtes pas à Paris, que votre nom soit béni, que votre héritage m’arrive, qu’une place honorable vous soit accordée dans le ciel. Donnez-moi le pain quotidien et pas mal d’autres choses ; payez mes dettes, comme mon grand-père a dû payer les vôtres, et ne m’abandonnez pas aux Anglais ; mais surtout préservez-moi des gardes du commerce. Ainsi soit-il. »

CHAPITRE IIILa Fashion et la véritable Aristocratie

En 1815 le retour des Bourbons caressa l’anglomanie renaissante des promesses les plus flatteuses : elle espéra s’assimiler cette foule de marquis, de comtes, de futurs pairs, que les Cosaques nous apportaient en croupe, cette cohue tourbillonnante de héros redevenus à la mode que réclamait la vie fashionable et l’oisiveté des salons. Elle rêva des heureux disciples du comte de Lauraguais ; mais autres temps autres mœurs. Pour contrebalancer l’influence d’une opulente bourgeoisie, l’aristocratie devint intelligente ; elle affecta surtout de paraître morale, pour échapper aux dénonciations de la publicité, cet Asmodée infatigable, qui va partout soulevant de sa tête de démon curieux et ricaneur les rideaux des salons et les portières des petits appartements. Forcée de lutter dans la carrière des emplois publics, d’utiliser ses capitaux dans de hautes et lucratives industries, elle abandonna les folies renouvelées du marquis de Brunoy, les roueries, les façons d’agir compromettantes, aux prodigues abandonnés et à cette foule d’intrigants obscurs qui s’enrichissent des folies qu’ils ont partagées.