Physiologie du rentier de Paris et de province - Ligaran - E-Book

Physiologie du rentier de Paris et de province E-Book

Ligaran

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Extrait : "Anthropomorphe selon Linné, Mammifère selon Cuvier, Genre de l'Ordre des Parisiens, Famille des Actionnaires, Tribu des Ganaches, le Civis inermis des anciens, découvert par l'abbé Terray, observé par Silhouette, maintenu par Turgot et Necker, définitivement établi aux dépens des Producteurs de Saint-Simon par le Grand-Livre."

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RENTIER

ANTHROPOMORPHE selon Linné , Mammifère selon Cuvier, Genre de l’Ordre des Parisiens, Famille des Actionnaires, Tribu des Ganaches, le Civis inermis des anciens, découvert par l’abbé Terray, observé par Silhouette, maintenu par Turgot et Necker, définitivement établi aux dépens des Producteurs de Saint-Simon par le Grand-Livre.

Voici les caractères de cette Tribu remarquable, adoptée aujourd’hui par les micographes les plus distingués de la France et de l’Étranger.

Le Rentier s’élève entre cinq à six pieds de hauteur ; ses mouvements sont généralement lents, mais la Nature, attentive à la conservation des espèces frêles, l’a pourvu d’Omnibus à l’aide desquels la plupart des Rentiers se transportent d’un point à un autre de l’atmosphère parisienne, au-delà de laquelle ils ne vivent pas. Transplanté hors de la Banlieue, le Rentier dépérit et meurt. Ses larges pieds sont recouverts de souliers à nœuds, ses jambes sont douées de pantalons à couleurs brunes ou roussâtres ; il porte des gilets à carreaux d’un prix médiocre ; à domicile, il est terminé par des casquettes ombelliformes ; au dehors, il est couvert de chapeaux à douze francs. Il est cravaté de mousseline blanche. Presque tous les individus sont armés de cannes et d’une tabatière, d’où ils tirent une poudre noire avec laquelle ils farcissent incessamment leur nez, usage que le fisc français a très heureusement mis à profit. Comme tous les individus du Genre Homme (Mammifères), il est septivalve et paraît avoir un système d’organes complets : une colonne vertébrale, l’os hyoïde, le bec coracoïde et l’arcade zygomatique. Toutes les pièces sont articulées, graissées de synovie, maintenues par des nerfs. Le Rentier a certainement des veines et des artères, un cœur et des poumons. Il se nourrit de verdure maraîchère, de céréales passées au four, de charcuterie variée, de lait falsifié, de bêtes soumises à l’octroi municipal ; mais, nonobstant le haut prix de ces aliments particuliers à la ville de Paris, le sang a chez lui moins d’activité que chez les autres espèces. Aussi présente -t-il des différences notables qui ont porté les observateurs français à en constituer un Genre.

Sa face pâle et souvent bulbeuse est sans caractère, ce qui est un caractère. Les yeux, peu actifs, offrent le regard éteint des poissons quand ils ne nagent plus, étendus sur le persil de l’étalage chez Chevet. Les cheveux sont rares, la chair est filandreuse ; les organes sont paresseux. Les Rentiers possèdent des propriétés narcotiques extrêmement précieuses pour le gouvernement, qui, depuis vingt-cinq ans, s’est efforcé de propager cette espèce : il est en effet difficile aux individus de la Tribu des Artistes, genre indomptable qui leur fait la guerre, de ne pas s’endormir en écoutant un Rentier, dont la lenteur communicative, l’air stupide et l’idiome dépourvu de toute signifiance sont hébétants. La science a dû chercher les causes de cette propriété. Quoique chez les Rentiers la boîte osseuse de la tête soit pleine de cette substance blanchâtre, molle, spongieuse, qui donne aux véritables Hommes, parmi les anthropomorphes, le titre glorieux de roi des animaux, qui semble justifié par la manière dont ils abusent de la Création, Vauquelin, d’Arcet, Thénard, Flourens, Dutrochet, Raspail, et autres individus de la Tribu des Chercheurs, n’y ont pas, malgré leurs essais, découvert les rudiments de la pensée. Chez tous les Rentiers distillés jusqu’aujourd’hui, cette substance n’a donné à leurs analyses que 0,001 d’esprit, 0,001 de jugement, 0,001 de goût, 0,069 de bonasserie, et le reste en envie de vivre d’une façon quelconque. Les phrénologues, en examinant avec soin l’enveloppe extérieure du mécanisme intellectuel, ont confirmé les expériences des chimistes : elle est d’une rondeur parfaite, et ne présente aucun accident bossu.

Un illustre auteur prépare un traité de Rienologie où les particularités de Rentier seront très amplement décrites, et nous ne voulons emprunter rien de plus à ce bel ouvrage. La science attend ce travail avec d’autant plus d’impatience, que le Rentier est une conquête de la civilisation moderne. Les Romains, les Grecs, les Égyptiens, les Perses ont ignoré totalement ce grand Escompte national, appelé Crédit. Jamais ils n’ont voulu croire (d’où crédit) à la possibilité de remplacer un domaine par un carré de papyrus quelconque. Cuvier n’a trouvé aucun vestige de ce Genre dans les gypses qui nous ont conservé tant d’animaux antédiluviens, à moins qu’on ne veuille accepter l’homme pétrifié découvert dans une carrière de grès et que les curieux ont été voir il y a quelques années, comme un spécimen du Genre Rentier ; mais combien de graves questions cette opinion ne soulèverait-elle pas ? Il y aurait donc eu des Grands-Livres et des agents de change avant le déluge ! Le Rentier ne remonte certainement pas plus haut que le règne de Louis XIV ; sa formation date de la constitution des rentes sur l’hôtel-de-ville. L’Écossais Law a beaucoup contribué à l’accroissement de cette Tribu dolente. Comme celle du ver à soie, l’existence du Rentier dépend d’une feuille, et comme l’œuf du papillon, il est vraisemblablement pondu sur papier. Malgré les efforts des rudes logiciens auxquels sont dus les travaux célèbres du Comité de Salut Public, il est impossible de nier ce Genre après l’érection de la Bourse, après les emprunts, après les écrits d’Ouvrard, de Bricogne, Laffitte, Villèle et autres individus de la Tribu des Loups-Cerviers et des Ministres spécialement occupés à tourmenter les Rentiers. Oui ! le faible et doux Rentier a des ennemis contre lesquels la Nature sociale ne l’a point armé. La Chambre des Députés leur consacre d’ailleurs, quoique à regret, un chapitre spécial au budget, tous les ans.

Ces observations sans réplique font justice des tentatives restées d’ailleurs sans succès des Producteurs, des Économistes, ces Tribus créées par Saint-Simon et Fourier, qui ne tendaient à rien moins qu’à retrancher ce Genre, considéré par eux comme parasite. Ces classificateurs ont été beaucoup trop loin. Ils n’ont pas tenu compte des travaux antérieurs du Rentier. Il est dans ce Genre plusieurs individus, notamment dans la Variété des PENSIONNÉS et des MILITAIRES, qui ont accompli des labeurs. Il est faux que, semblable à la poulpe trouvée dans la coque de l’Argonaute, les Rentiers jouissent d’une coquille sociale qui ne leur appartienne pas. Aussi tous ceux qui veulent supprimer le Rentier, et plusieurs économistes persistent malheureusement encore dans cette thèse, commencent-ils par vouloir coordonner autrement la science, et font-ils table rase en renversant la Zoologie politique. Si ces insensés novateurs réussissaient, Paris s’apercevrait bientôt de l’absence des Rentiers. Le Rentier, qui constitue une transition admirable entre la dangereuse Famille des Prolétaires et les Familles si curieuses des Industriels et des Propriétaires, est la pulpe sociale, le gouverné par excellence. Il est médiocre, soit ! Oui, l’instinct des individus de cette classe les porte à jouir de tout sans rien dépenser ; mais ils ont donné leur énergie goutte à goutte, ils ont fait leur faction de garde national quelque part.

D’ailleurs leur utilité ne saurait être niée sans une formelle ingratitude envers la Providence : à Paris, le Rentier est comme du coton entre les autres espèces plus remuantes qu’il empêche de se briser les unes contre les autres. Ôtez le Rentier, vous supprimez en quelque sorte l’ombre dans le tableau social, la Physionomie de Paris y perd ses traits caractéristiques.