Promenades dans Londres - Flora Tristan - E-Book

Promenades dans Londres E-Book

Flora Tristan

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Beschreibung

Ce livre c'est celui d'une figure, passionnée et passionnante, de pionnière de la libération des femmes et de championne d'un socialisme émancipateur et fraternel - ce socialisme qu'on a baptisé bien à tort " utopique ". Fascinée par le spectacle de l'Angleterre de la première révolution industrielle, que résume la capitale britannique, Londres la " ville monstre ", foyer du capitalisme et du paupérisme, Flora Tristan en a donné dans ses Promenades dans Londres (première édition en 1840, revue en 1842) un tableau puissamment évocateur. Mais, en même temps, elle porte son regard sur le monde des marginaux et des exclus : délinquants, malades mentaux, prostituées, ce qui nous vaut des chapitres foisonnant de vie sur les prisons, les asiles, les maisons de plaisir, les taudis.

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Table des matières

PRÉFACE.

COUP D’OEIL SUR L’ANGLETERRE.

CRAYONNAGES.

I. LA VILLE MONSTRE.

II. DU CLIMAT.

III. DU CARACTÈRE DES LONDONNIENS.

IV. LES ÉTRANGERS A LONDRES.

V. LES CHARTISTES.

VI. UNE VISITE AUX CHAMBRES DU PARLEMENT.

VII OUVRIERS DES MANUFACTURES.

VIII. FILLES PUBLIQUES.

IX. PRISONS.

X. PAROISSE SAINT-GILLES.(Quartier des Irlandais.)

XII. QUARTIER DES JUIFS.

XII. FOULARDS VOLÉS.

XIII. COURSES D’ASCOT-HEATH.

XIV. BETHLEHEM.

XV. THÉÂTRE ANGLAIS.

XVI. TRIBULATIONS DE LONDRES.

XVII. LES FEMMES ANGLAISES.

XVIII. SALLES D’ASILE.

XIX. OWEN.

AVERTISSEMENT GÉNÉRAL DU COMITÉ.

I. CLUBS.

II. LES POCHES.

III. UN MOT SUR L’ART EN ANGLETERRE.

IV. VOYAGE A BRIGHTON.

V. LA CUILLER DE FER.

PREFACE.

Quatre fois j’ai visité l’Angleterre, toujours dans le. but d’étudier ses mœurs et son esprit.—Enl826, je la trouvai très-riche—En1831, elle l’était beaucoup moins, et de plus je la vis très-inquiète.—En1835, la gêne commençait à se faire sentir dans la classe moyenne aussi bien que parmi les ouvriers.—En 1839, je rencontrai à Londres une misère profondé dans le peuple; l’irritation était extrême, le mécontentement général.

Dans l’ouvrage que j’offre au public, je n'ai pas la prétention de peindre toutes les misères du peuple anglais.—Il faudrait pour cela écrire de gros livres et la collaboration de plusieurs individus, ou la vie entière d’un seul.—Je veux seulement esquisser le peu de choses que j’ai vues dans ce pays, et faire connaître les impressions que j’ai éprouvées—Parlant avec franchise, sans crainte comme sans ménagement, j’ai espéré ouvrir la voie dans laquelle devront entrer ceux qui veulent réellement servir la cause du peuple anglais. Pour tarir la source des maux, discréditer les préjugés, faire cesser les abus, il faut, avec patience, remonter aux causes, ne reculer ni devant la fatigue, ni devant les sacrifices de tous genres, et donner à ses investigations la plus grande publicité, avec cette intrépidité qui est le caractère de l’apostolat. Je ne me suis pas laissé éblouir par l’apparence; je n'ai pas été séduite par les brillantes et riches décorations de la scène anglaise; j ai pénétré dans les coulisses, j ai vu le fard des acteurs, le cuivre de leurs galons, et entendu leur propre langage.—En face de la réalité, j’ai apprécié les choses à leur juste valeur.— Mon livre est un livre de faits, d’observations recueillies avec toute l’exactitude dont je suis capable; je me suis garantie, autant qu’il a dépendu de moi, de l’entraînement de l’enthousiasme ou de l’indignation—J’ai signalé les vices du système anglais, afin que sur le continent on s’applique à les éviter, et je me trouverais largement récompensée si je parvenais à détromper mes lecteurs des opinions erronées ou des idées fausses qu ils pourraient avoir adoptées légèrement sur un pays qu’on ne saurait connaître sans s’être imposé le pénible travail de l’étudier.

Un de mes amis, qui, pendant trente ans, a eu des rapports avec le gouvernement anglais, a écrit quelques aperçus sur la politique intérieure et extérieure de l’Angleterre, sur ses relations commerciales avec les nations étrangères et les peuples sous sa domination—Je place l’article de mon ami comme intro duction en tête de mon livre, parce que les idées qu’il contient sont en harmonie avec celles que j’ai émises dans le cours de mon ouvrage.

Dans un siècle ou l’anglomanie envahit nos mœurs et nos habitudes, il n’est pas sans importance de rappeler a 1’ attention les auteurs qui, en écrivant sur l’Angleterre, se sont fait distinguer par l’indépendance de leurs opinions. Je crois donc être utile aux personnes qui désirent s’instruire sur les mœurs, les usages et la politique de l’Angleterre, en leur donnant ici le titre de quelques-uns de ces ouvrages.

OUVRAGES FRANÇAIS.

L’ANGLETERRE VUE A LONDRES ET DANS SES PROVINCES;

par le maréchal de camp Pillet, 1815.

L’IRLANDE SOCIALE, POLITIQUE ET RELIGIEUSE;

par M. Gustave de Beaumont, 1839.

DE LA DÉCADENCE DE L’ANGLETERRE, ETC.;

par B. Sarrans jeune, 1839.

LA GRANDE-BRETAGNE EN MIL HUIT CENT TRENTETROIS;

par M. le baron d’Haussez.

LAZARE, poëme sur Londres;

par Auguste Barbier.

OUVRAGES ANGLAIS.

PROSTITUTION IN LONDON, 1839;

by M. Ryan.

A VINDICATION OF THE RIGHTS OF WOMAN (Défense des

droits de la femme);

by Mary Wollstonecraft, 1792.

COUP D’OEIL SUR L’ANGLETERRE.

SOMMAIRE.—Puissance de l’aristocratie.—Son système,—qui réduit à la misère et à la servitude les vingt millions de prolétaires des îles Britanniques et tous les peuples sous sa domination.— Ruine des nations qui font des traités de commerce avec l’Angleterre.—Traité de Mettuen,—,idem avec le Brésil,—idem avec l’Amérique du Sud.— Domination de l’oligarchie dans l’Inde,—dans le Canada.—Traité avec l’Autriche,—idem avec Naples,—idem avec la Turquie.— Tentatives faites par M. Villiers auprès du gouvernement espagnol, pour en obtenir un traité,—idem, auprès des douanes allemandes.— Intrigues dans le Caucase.—Expédition du Caboul.—Expédition contre la Chine.—Expédition de Khiva.—Intérêt qu’ont toutes les nations à fonder la réciprocité commerciale sur l’unité de droits pour les produits de toute nature.—

C’est l’aristocratie qui gouverne l’Angleterre; elle la gouverne uniquement dans son intérêt; le commerce se fait à son profit; pour elle toutes les sinécures et emplois lucratifs dans l’armée, l’Église et l’administration.

Nous pouvons suivre, dans l’histoire, la marche progressive de l’aristocratie anglaise et voir comment, en dernière analyse, les révolutions et les événements de tous genres tournent à son avantage. Il n’est pas besoin de remonter à la grande charte, arrachée par les barons au roi Jean, pour reconnaître l’habileté avec laquelle cette aristocratie s’est toujours servie du peuple pour lutter contre le pouvoir royal; à l’époque de la réforme religieuse, elle s’empare des biens des couvents, et c’est pour devenir sa proie d’une autre manière, que les biens et dîmes de l’Église romaine sont respectés. En effet, les nouveaux évêques sont pris parmi les familles puissantes, et ils partagent avec les propriétaires des terres nobles et la nomination aux cures et le revenu des dîmes—Le peuple, en Angleterre, n’ayant jamais été représenté, ses intérêts n’ont jamais été défendus. La chambre des communes, élue sous l’influence des propriétaires de terres, s’est constamment montrée dévouée à l’aristocratie, à laquelle presque tous ces propriétaires appartiennent.—Ainsi on la voit, sous le ministère de Pitt, n’appeler que les propriétaires au partage des communaux et en dépouiller les prolétaires, c’est-à-dire ceux pour qui les communaux avaient été établis. Cette assemblée a toujours prêté son appui aux ministres qui assuraient, par la guerre, des dépouilles et des pensions à la noblesse, des emprunts et des marchés aux capitalistes, et pour le peuple la dette croissante qu’il est invariablement condamné à payer sur le pain qu’il mange, la bière qu’il boit, le charbon qu’il brûle, le savon don t il use, l’air qu’il respire, enfin sur tout ce qui est nécessaire à son existence.

Les lois d’Angleterre ont concentré la propriété territoriale et le pouvoir politique dans un très-petit nombre de mains, et le progrès des richesses, en commerce et en industrie, a eu lieu dans le sens du principe sur lequel le gouvernement est fondé. Il s’est créé une aristocratie commerciale dont la puissance repose sur d’immenses capitaux, et qui fait cause commune avec l’aristocratie féodale. Il faut, dans le commerce, avoir une fortune si considérable pour dominer la concurrence, et les manufactures s’établissent sur de si grandes échelles, que la classe moyenne, hors d’état de lutter contre les capitalistes, émigré ou finit par se confondre dans la masse populaire.

Tout se réunit pour rendre tout-puissant le corps aristocratique31es hautes classes jouissent seules de l’éducation, universitaire; elles administrent la justice, commandent l’armée et la flotte, composent les deux chambres, imposent leur volonté au monarque et font supporter au peuple tout le poids des charges publiques. Enfin tel est le degré de puissance de l’aristocratie territoriale, qu’elle entre en partage de tous les salaires et de tous les bénéfices par le monopole qu’elle exerce sur les subsistances.

Ainsi placée et attirant à elle toutes les richesses commerciales, l’aristocratie a dû constamment prendre pour but de sa politique l’accroissement du commerce, afin de mettre les prolétaires et la classe moyenne à môme de pouvoir payer les taxes qu’elle leur impose. Le motif qu’elle indique est presque toujours destiné à masquer son véritable objet, qui n’est jamais autre que l’agrandissement de sa fortune. Au début de la révolution, le ministère anglais prodiguait l’or pour former des coalitions contre la France dont l’industrie, l’esprit d’entreprise formaient obstacle à la prépondérance commerciale de l’Angleterre; et ce n’est pas l’oppresseur de la liberté que les ministres anglais poursuivent dans Napoléon, mais bien l’homme qui, ayant compris l’intérêt du continent, l’interdit aux marchandises anglaises. Ce gouvernement, tout en étant l’allié des cortès libérales et de Ferdinand l’absolu, excite l’insurrection des colonies espagnoles, et à la paix il l’alimente de secours, poursuivant toujours le dessein de s’assurer du commerce de l’Amérique du Sud. Dans toutes ces circonstances, la politique anglaise est la même, que l’administration soit tory ou whig, et son but de détruire tout ce qui s’oppose au développement de l’industrie mercantile de l’Angleterre, à l’empire universel de ses manufactures, ne se dément jamais; au surplus, complètement indifférent à la cause de l’humanité, ce gouvernement a combattu pour le despotisme ou servi la liberté selon que l’avantage du commerce anglais le prescrivait.

L’Angleterre ne voulant recevoir sans droit que les produits du sol continental qui alimentent ses fabriques, et frappant les autres, importés chez elle, de droits exorbitants, il est bien évident que si les gouvernements du continent n’usent point de représailles et n’imposent pas, sur les marchandises anglaises, des droits égaux à ceux que l’Angleterre impose sur les grains, les vins, les huiles et les fruits du continent; il est bien évident, disons-nous, qu’avec l’application complète de son système l’aristocratie anglaise aurait constamment à sa disposition l’argent de toute l’Europe, voire même du monde entier; tandis que réglant chez elle le prix des salaires, au moyen des taxes sur les subsistances, elle s’est placée dans la meilleure situation pour combattre au dehors toute concurrence étrangère.

Ce système, sur lequel l’aristocratie anglaise persiste à vouloir que l’Angleterre fonde ses relations commerciales, est tellement oppressif qu’il est la cause de la ruine des nations auxquelles l’Angleterre s’est alliée par des traités de commerce, ainsi que de celles qu’elle a subjuguées; et qu’actuellement il plonge dans une misère affreuse, il réduit même en servitude les20millions de prolétaires des trois royaumes; car non-seulement l’aristocratie exige que par leur travail ces prolétaires payent700à800millions de taxe, mais, en outre, elle veut louer ses terres au prix le plus élevé auquel cette location puisse être portée; et, pour atteindre son but, elle doit frapper de droits exorbitants les provisions de toute nature, les vins et eaux-de-vie, les fruits et les grains, etc., en un mot toutes les substances venant du dehors qui servent ou peuvent servir à l’alimentation.

L’aristocratie a obtenu tout l’avantage possible de son système: les terres, dans les trois royaumes, se louent, terme moyen, 5à7fois autant que n’importe dans quel pays du continent.-80à100mille individus, membres de cette aristocratie, leurs domestiques ou leurs dépendants, vivent en permanence sur le continent; leur dépense peut être évaluée par personne à30francs par jour, terme moyen, et l’on demeure frappé d’étonnement devant l’immensité des richesses de cette aristocratie anglaise, et la prodigieuse habileté qu’elle a dû déployer pour faire tourner toute l’activité de la nation uniquement à l’augmentation de sa fortune; en sorte que c’est uniquement pour elle que fonctionnent tous ces milliers de machines, et que travaillent les20millions de prolétaires, ainsi que tous les peuples conquis.

Il est bien clair que si les oisifs de l’Angleterre, au nombre de80à100-mille, dépensent annuellement sur le continent de800millions à un milliard, c’est que l’Angleterre fait face à celte dépense, au moyen d’une importation, sur le continent, d’une valeur en marchandises excédant de toute la somme de800millions à un milliard les achats de marchandises qu’elle y fait; et que, si les Anglais sont détenteurs d’une masse énorme de fonds publics de l’Europe et de l'Amérique, ainsi que d’actions industrielles, c’est aussi parce que leurs exportations dépassent toujours considérablement leurs importations.

L’Angleterre, la première, a institué des prohibitions cl des droits prohibitifs: à partir du fameux acte de navigation de Cromwell, on voit le gouvernement anglais s’engager toujours plus avant dans cette voie hostile, et l’on pourrait démontrer que l’Angleterre n’est parvenue à cette prépondérance commerciale, qui écrase toutes les nations, que parce que les gouvernements de l’Europe continentale n’ont pas été assez attentifs à défendre les intérêts de leurs sujets respectifs.

Il semble même que l’effet du système continental établi par Napoléon ait été une révélation pour l’Europe. On vit les marchandises de l’Inde, les denrées du nouveau monde, les objets des fabriques anglaises s’entasser dans les magasins de l’Angleterre, et en même temps l’Angleterre éprouver la plus affreuse détresse, parce qu’elle ne pouvait avoir accès aux marchés du continent pour vendre ses marchandises de toute nature. Les marchandises anglaises et les produits des deux mondes font de la boue à Londres, disait Barrère, et il disait vrai. Pendant les années1811, 1812etl813, le change sur Londres cota la valeur de la livre sterling à14, 15 et16fr. L’Angleterre, loin d’avoir alors de l’argent à prêter au monde entier, n’en avait pas pour elle-même; on y vendait une guinée en or, valant21shillings, 30shillings en billets de la banque d’Angleterre; et cependant, dans l’espace qui s’écoula du commencement de1814à la fin de1815, le change sur Londres atteignit le pair de25francs, parce que les ports du continent étaient ouverts aux marchandises anglaises. Puis, au bout de quelques années de paix, celte même Angleterre qui, enl813, ne pouvant fournir des subsides en argent aux alliés, leur donnait des lettres de change à longues échéances, dont les provisions furent faites en marchandises sur le continent, celte même Angleterre, disons-nous, non-seulement fournissait un milliard pour la dépense annuelle des Anglais sur le continent, mais encore prêtait des sommes énormes aux États de l’Amérique méridionale, et entreprenait l’exploitation de toutes ses mines. Dès lors il fut bien démontré que c’était dans le commerce avec le continent que l’Angleterre trouvait d’inépuisables richesses, et que, si les conditions de ce commerce étaient aussi avantageuses au continent qu’à l’Angleterre, le gouvernement anglais n’aurait pas, pendant cinquante ans, exercé dans les conseils de l’Europe un irrésistible ascendant, et ne se croirait pas assez fort actuellement pour vouloir que sur toute chose des explications lui soient données, et prétendre en toutes questions faire prédominer sa volonté sur celle des grandes puissances européennes.

L’Angleterre abondant en fer, eu charbon de terre; possédant les mines d’étain et de cuivre les plus riches qui existent; ayant à vendre toutes les marchandises que lui donne le monopole de l’Inde, et primant toutes les nations de l’Europe par ses établissements manufacturiers, il est bien évident que si, par l’élévation des droits qu’elle impose sur les produits agricoles que ces nations ont à lui donner en échange, elle en restreint à son gré la consommation chez elle, il est bien évident que par la vente de ses marchandises elle absorbera alors le numéraire de ces nations, selon qu’il conviendra à ses intérêts de le faire, et cela aurait lieu actuellement, sans le séjour des rentiers anglais sur le continent.

La France et les nations du nord de l’Europe ont, pour leur défense respective, suivi plus ou moins heureusement l’exemple de l’Angleterre, et l’exagération des droits de douane a renversé l’équilibre établi par la Providence entre le Nord et le Midi.

Dans toutes ces contrées, qui forment le littoral de la Méditerranée, de Ceuta à Constantinople, du Bosphore à Gibraltar, l’expérience a appris à l’agriculteur qu’il doit planter des arbres dans ses champs pour éviter que l’ardeur du soleil n’en dessèche le sol. La culture des arbres fruitiers, entremêlée avec celle des céréales, du lin, du chanvre ou du coton, offre le plus riche système d’exploitation rurale des pays méridionaux; toutefois ce système n’est que partiellement adopté, et il ne saurait être généralement suivi que tout autant que la consommation des fruits ne serait pas limitée dans le Nord par des droits hors de toute proportion avec la valeur de ces fruits.

Lorsque dans les plaines d’Andalousie ou de Mauritanie on voit la quantité considérable de fruits dont les oliviers, les amandiers et les figuiers sont chargés, la grosseur des raisins, la beauté des mûriers et l’abondance des oranges, citrons, cédrats et autres fruits de cette espèce, et dans les villes d’Algérie ces nombreux chameaux qui apportent les dattes du désert; quand on songe que tous ces fruits pourraient facilement se transporter dans le Nord, qui en est privé, soit dans leur étal naturel ou transformés en boissons, ou rendus susceptibles de conservation, et que l’on considère que la plupart de ces fruits ne fournissent pas seulement à la sensualité de la table du riche, mais qu’ils sont encore substances alimentaires; que les vins et les huiles sont incontestablement dans celte catégorie, et que si les fruits secs ne sont pas, dans le Nord, vus sous cet aspect, c’est que leur cherté les met hors de la portée du prolétaire; quand, disons-nous, on voit ces populations de la Méditerranée couvertes de haillons et leurs plaines dépouillées d’arbres et sans culture; et que l’on entend les cris de famine des bords du Rhin, de l’Angleterre et de l’Irlande, dont les peuples meurent de faim sur des tas de tissus, de faïences et d’objets de toutes sortes de fabrique humaine; le cœur déborde de malédictions contre l’égoïsme monstrueux de ces propriétaires qui, pour louer leurs terres plus cher, affament les peuples, et, de la Baltique à la Méditerranée, paralysent le travail et arrêtent le progrès.

On n’a pas l’idée de l’abondance avec laquelle ces fruits viendraient à se produire, du bas prix auquel ils tomberaient, si les droits qui, dans le Nord, en restreignent l’importation, étaient ôtés; la culture alors en deviendrait générale, car on y serait encouragé par la fraîcheur que les arbres procurent au sol, et par la vente de leurs fruits: une livre de fruits secs exige moins de labeur qu’une livre de blé; une fois l’arbre venu, c’est la nature qui fait tout le travail.—Si la culture de la vigne se développait dans le Midi, les vins y seraient à des prix si bas, qu’il n’est guère de boisson fermentée qui pût être établie à si bon marché. Quelle augmentation de ressources pour le peuple des îles Britanniques, si les terres cultivées en orge l’étaient en blé ou en pommes de terre, ou si l’orge était transformée en pain au lieu de l’être en bière!— Qu’elle serait considérable la navigation que nécessiterait le transport des fruits et boissons du Midi dans le Nord! Quel immense accroissement de travail, manufacturier et agricole, naîtrait de la consommation, par les populations ouvrières du Nord, des boissons et fruits du Midi, et, par les populations ouvrières du Midi, des objets fabriqués dans le Nord, et quel bien-être général il en résulterait!

L’Angleterre, par ses tarifs, s’est constituée en hostilité permanente contre toutes les nations, et la quotité de ses droits est encore augmentée, dans la perception, par les évaluations exagérées des marchandises; cependant elle prétend faire recevoir à l’étranger les articles de ses manufactures, sous des droits de3, 5, 10ou25pourl00au plus. Quand les droits imposés sur ses marchandises dépassent ce dernier terme, le ministère anglais se récrie, fait des menaces, use d’arbitraire envers la nation qui a montré si peu de ménagement pour le commerce de l’Angleterre; tandis que les droits anglais sur les marchandises de fabrique étrangère sont de35à60pour100, et sur les produits agricoles du dehors qui ne sont pas nécessaires aux manufactures, les droits portés sur les tarifs anglais vont de100jusqu’à 600pour100.

Le traité de commerce de Mettuen a plus profondément ruiné le Portugal que ne l’eussent pu faire plusieurs invasions; le Portugal admettait les marchandises anglaises sous les droits de10pour100, en sorte que l’Angleterre lui fournissait tout ce qui se consommait en objets manufacturés, habillait depuis le nègre du Brésil jusqu’au grand seigneur de Lisbonne. Cependant, avec le droit de7àl3shillings par gallon (de8,75àl6, 25par demi-velte), la consommation du vin de Portugal était, par le fait, interdite à la masse de la population anglaise;-et l’Angleterre repoussait aussi de ses marchés les sucres et cafés des colonies portugaises, pour ne pas nuire aux productions semblables de ses propres colonies.—Il est résulté de ce système que ni les vins et les fruits du Portugal, ni l’or et les diamants de Brésil n’ont pu suffire à solder le commerce anglais, et que le tiers des terres du Portugal sont laissées en friche!

Depuis la paix, le gouvernement anglais n’a pas lui-même tenu la seule condition du traité de Mettuen en faveur du Portugal; condition par laquelle le droit sur la consommation des vins portugais en Angleterre ne devait jamais excéder le montant des deux tiers du droit le plus élevé établi sur les vins des autres provenances; les marchandises anglaises n’en ont pas moins continué à être reçues en Portugal sous des droits extrêmement faibles; et le Brésil, bien que séparé de la métropole, n’a pas cru non plus pouvoir cesser de favoriser les importations anglaises, tandis que le gouvernement anglais, qui a toujours usé, avec une extrême habileté, de la puissance pour acquérir des richesses, et des richesses pour obtenir de la puissance, n’a accordé ni au Portugal, ni au Brésil la plus légère réciprocité. Des relations commerciales aussi onéreuses ont épuisé les deux pays, toutes les ressources financières du Portugal sont absorbées par le déficit; quant au Brésil, que la nature a si richement doté, et dont les mines d’or rapportent annuellement un million sterling aux actionnaires de la compagnie anglaise qui les exploite, le Brésil est réduit à n’avoir pour toute monnaie qu’un papier discrédité; le manque de capitaux arrête le développement des cultures, et la gêne extrême résultant de cet état de choses provoque journellement des soulèvements dans les provinces.

Les cortès portugaises ont osé tenter un autre système; elles auraient voulu agir envers les nations étrangères, selon que ces nations en agiraient envers le Portugal; et, en exécution de ce dessein, les droits sur les marchandises anglaises avaient eu à subir quelques augmentations; mais le ministère anglais a sévèrement puni cette audace; il a pris le prétexte de la traite des nègres, et s’ingérant de faire la police chez les autres, il a établi une croisière devant les colonies portugaises de la côte d’Afrique. Les croiseurs anglais ont arrêté des navires portugais venant d’Angola chargés pour le compte français ou portugais, et les ont envoyés à Sierra-Leone ou même en Angleterre, bien qu’ils n’eussent pas un seul esclave à bord.—Comment s’étonner que les nations de l’Europe tolèrent cette piraterie, quand, pendant plusieurs siècles, elles se sont humiliées jusqu’à payer tribut aux cor saires barbaresques? —Il ne faudrait néanmoins livrer aucun combat pour mettre un terme aux tyrannies britanniques, il suffirait de s’entendre, et l’indépendance commerciale de chaque nation serait garantie par l’intérêt de toutes à la faire respecter.—Le continent interdirait ses marchés aux marchandises anglaises, que, loin de perdre, il gagnerait pendant l’interruption; car il est bien évident que, tant que le commerce anglais ne se fera pas à des conditions égales, il sera une calamité pour l’Europe.

Les contrées méridionales ont plus souffert qu’aucune autre de l’organisation actuelle du commerce; on s’en convaincra si l’on parcourt les pays que baigne la Méditerranée; si l’on compare ce qu’ils sont avec ce qu’ils étaient pendant le xviie et la première moitié du XVIIIe siècle, non-seulement les fabriques qui ont initié le nord de l’Europe dans les arts industriels n’existent plus, mais encore les produits territoriaux ont considérablement diminué.—L’Italie a moins déchu, parce qu’elle est continuellement visitée par la foule qui vient marcher sur le sol antique et s’inspirer, sous son beau ciel, du génie de ses grands hommes; mais qu’elle est loin de l’époque où Gênes résistait à Louis XIV et Venise arrêtait les progrès des Turcs! L’Espagne de la succession est un colosse de puissance et de richesse, si on l’oppose à l’Espagne de Ferdinand et de Christine; et, si nous suivons le littoral musulman de la Méditerranée, nous constaterons pareil déclin.—Le nord de l’Afrique produit beaucoup moins de grains et de fruits qu’autrefois; et l’Egypte était ruinée lorsqu’un Français l’a appelée à une nouvelle vie, en y introduisant la culture du coton: quant à la Syrie, à l’Asie Mineure, à la Turquie d’Europe, aux îles de l’Archipel, ces pays fournissent aussi beaucoup moins de denrées qu’au XVIIIe siècle; ils n’ont plus de numéraire, et les populations des provinces turques doivent avoir subi une forte diminution, si l’on en juge d’après la faiblesse comparative de l’empire.

C’est aux guerres et à l’oppression du gouvernement, dira-t-on, que ce déclin doit être attribué; mais les chrétiens ont eu plus de guerres que les musulmans, et ceux ci ne sont pas les seuls qui aient été régis despotiquement: aussi loin que remontent les documents historiques, nous voyons l’Orient gouverné toujours par le despotisme, sans qu’il offre, à aucune époque, une situation aussi déplorable qu’actuellement; il faut donc qu’il existe une cause générale qui ruine le Midi. La Servie, la Bosnie, la Transylvanie, la Valachie et la Moldavie, dont les territoires sont si fertiles, d’où l’on exportait tant de grains, n’en produisent plus assez pour la nourriture de l’empire, et ce sont les provinces russes qui l’alimentent; car la production du grain, comme toute autre, tombe toujours au-dessous des besoins, lorsqu’on n’est pas assuré de vendre le superflu.

Les traités de commerce aux quels le gouvernement anglais fit souscrire les républiques de l’ Amérique espagnole, au début de leur indépendance, n’ont pas moins complètement épuisé ces nouveaux États, que l’ont été le Portugal et le Brésil.— Dans toute l’Amérique du Sud, les marchandises anglaises sont reçues sous des droits excessivement bas, tandis qu’en Angleterre les cacaos, les sucres et cafés payent des droits exorbitants: le moyen que l’Amérique ne soit pas ruinée!

Maintenant jetons un rapide coup d’œil sur les pays soumis à la domination anglaise.

Si on lit avec attention les rapports des voyageurs et les documents publiés sur l’immense empire que les Anglais ont conquis en Asie, on verra, que cette splendide conquête montre partout les traces profondes de l’oppression.—Dans l’Inde, qui est en butte à tous les abus de la force et de l’autorité, le déficit du budget s’accroît annuellement—Dans la magistrature, l’administration et l’armée, règne une cupidité effrénée, et les cultivateurs, poussés au désespoir par les exacteurs, s’organisent en bandes de voleurs et d’assassins sur tous les points du vaste territoire régi par la compagnie.

L’impôt de l’Inde, qui ne s’élève, compris les tributs des princes asservis, qu’à600,000,000fr., ne semble pas énorme si on le compare aux chiffres de nos budgets européens; mais en Europe l’impôt n’est qu’une fraction du revenu disponible; dans l’Inde il fait plus que l’absorber, puisqu’il arrive fréquemment que la subsistance n’est pas laissée au cultivateur.—Le sol avait été confisqué par les conquérants musulmans, les conquérants anglais ont maintenu la confiscation, et la compagnie perçoit sur les terres un fermage en argent équivalent à la moitié du revenu, fermage que les exactions des percepteurs augmentent considérablement.—Dans les pays conquis sur les princes indigènes, le sol a été laissé aux cultivateurs et propriétaires qui le possédaient; mais ils ne gagnent rien à cette propriété nominale: la capitation et les taxes sur les villages se montent aussi haut que les fermages des provinces musulmanes, et ces taxes ne sont pas perçues d’une manière moins oppressive; c’est aussi à la moitié du revenu que les princes indiens sont contraints de taxer leurs sujets, pour satisfaire aux tributs que leur impose la compagnie.

Aucune partie de cet impôt, arraché par la violence, n’est employée dans l’intérêt du pays, et si l’on excepte une somme de66, 5531ivres sterl. (1, 664, 695fr.) destinée moins à l’instruction primaire de la population de130,000,000que contiennent les trois présidences, qu’à couvrir l’oppression d’un vernis philanthropique, sorte de charlatanisme dans lequel excellent les Anglais; excepté, disons-nous, cette somme, d’une insuffisance accusatrice, la totalité des 600,000,000est absorbée par l’armée et l’administration.

Ce pays est l’Eldorado de l’aristocratie anglaise; c’est là que les cadets de famille sont pourvus, que les influences parlementaires font placer leurs protégés—La Este que publiaient il y a quelque temps les revues anglaises, des monstrueux traitements que reçoivent ces honorables gentlemen, est curieuse.

Les Anglais en place dans l’Inde sont seulement titulaires des fonctions qu’on leur confie; comment pourraient-ils remplir ces fonctions? ils ne connaissent ni le langage, ni les mœurs du pays, et vivent entièrement séparés des populations qu’ils traitent avec le plus outrageant mépris. Ces fonction-naires sont tous dans la nécessité d’employer sous eux des agents pris parmi les Indiens; ainsi, en réalité, ce sont des Indiens qui exercent le pouvoir et qui gouvernent sous ces maîtres superbes: ces agents, sans crainte d’être l’objet d’aucune poursuite, se permettent toutes les concussions et, de même que leurs maîtres, accumulent des richesses.

Mais, quelque oppresseur que soi t ce monstrueux gouvernement, les lois commerciales de l’Angleterre le sont plus encore, et ruinent l’Inde comme si c’était le seul but qu’elles voulussent atteindre. Ainsi l’Angleterre, pour favoriser ses colonies occidentales, repousse presque totalement de sa consommation, par l’énormité des droits, les sucres et cafés dont l’Inde pourrait, pour peu que les cultures en fussent encouragées, fournir le monde entier.—L’indigo et la soie sont à peu près les seuls produits du sol indien dont le placement avantageux soit assuré sur les marchés de l’Europe; les cotons de l’Inde sont courts, peu propres à être filés à la mécanique; la plupart s’exportent en Chine, parce que là encore on les file à la main; sur les marchés d’Europe ils ne se vendent qu’à vil prix, en sorte que, tandis que l’agriculture indienne ne reçoit presque aucun encouragement du commerce extérieur, les importations anglaises anéantissent cette antique industrie de l’Inde qui, pendant des milliers d’années, a fait aboutir aux rives de l’Indus et du Gange les richesses du monde.—L’habileté de l’Indien ne peut lutter contre les mécaniques anglaises, et, bien que son salaire soit très-faible, les tissus de l’Inde reviennent beaucoup plus cher et ne soutiennent pas la concurrence de ceux de l’Angleterre.

Il est cependant une culture dans l’Inde à laquelle le gouvernement anglais prodigue les encouragements, c’est celle du poison!—L’opium, dont les Anglais empoisonnent les Chinois, forme l’objet d’une immense exploitation rurale: il est pour eux la source de trop abondantes richesses pour qu’ils consentent à y renoncer; sauf plus tard, quand, par la concurrence, la vente cessera d’en être avantageuse, à flétrir ce commerce par de belles déclamations! Ce sera: The most nefarious, the most obnoxious trade!!! Alors le gouvernement anglais assimilera ce commerce à la piraterie, et dans son zèle pour le salut des autres nations il établira des croisières pour les empêcher d’acheter et de vendre de l’opium.

Si les produits agricoles de l’Inde n’étaient assujettis en Angleterre qu’aux droits que payent les produits des manufactures anglaises dans l’Inde; si, au lieu d’abandonner en proie à des gentlemen oisifs, à des lords ruinés dans les tripots de Londres, les600millions arrachés aux sueurs des Indiens, on ne payait dans l’Inde que les fonctionnaires qui fonction nent, et que ces fonctionnaires ne fussent payés que proportionnément aux prix des subsistances et aux talents qu’exigent leurs fonctions; si enfin le gouvernement anglais voulait agir avec justice, défendre les peuples indiens contre les exactions, propager l’instruction parmi eux et les protéger comme des créatures humaines que Dieu lui a confiées, l’Inde alors prospérerait, et les trois quarts des600millions de taxe pourraient soulager les classes laborieuses des trois royaumes des charges accablantes sous lesquelles elles succombent.

Il ne suffirait pas, pour que dans finde l'agriculture prît de l’accroissement, que la consommation des produits agricoles indiens fût encouragée en Angleterre, il faudrait que le gouvernement anglais admît dans l’Inde les marchandises fabriquées par les autres nations de l’Europe, sous les mêmes droits que les marchandises anglaises; car il est bien évident que, si les marchandises des manufactures continentales continuent à être taxées, dans l’Inde, de droits prohibitifs, les gouvernements du continent, s’ils entendent leurs intérêts, encourageront la consommation des sucres et cafés, des pays où leurs marchandises seront admises sous le moindre droit, et frapperont, par représailles, les produits indiens qui ne seront pas nécessaires à leurs fabriques, de droits prohibitifs.

Ce n’est pas seulement dans l’Inde que le gouvernement anglais méconnaît les principes de morale universellement admis parmi les hommes, il en agit de même en vers les colonies issues de l’Angleterre, envers ses propres sujets nés sur le sol britannique, envers tous les peuples du monde. Jamais il n’a existé de gouvernement plus effrontément matérialiste dans sa conduite, sous des formes plus hypocrites.— Qu’on lise cette longue série de spoliations commises en Irlande, depuis Elisabeth jusqu’à nos jours; ces lois qui interdisent aux Irlandais de fabriquer des étoffes de laine, de commercer avec les colonies anglaises, de vendre leurs grains sur les marchés anglais, et cette oppression exercée par l’aristocratie irlandaise et l’Eglise anglicane sur une population catholique! oppression d’autant plus dure que cette aristocratie et cette Eglise, ayant toujours à leur disposition les forces de l’Angleterre, n’avaient, non plus que les fonctionnaires de l’Inde, rien à redouter des excès de leur tyrannie.— Quelles furent les causes de l’insurrection des États-Unis d’Amérique, si ce ne sont ces atroces iniquités fiscales, mercantiles et législatives du gouvernement et du parlement britanniques? N’est-ce pas à l’odieuse institution d’un corps de privilégiés qui remplissent toutes les places, échappent à tout contrôle, et qui annulent ou approuvent, selon la volonté du gouvernement anglais, les actes des assemblées coloniales; n’est-ce pas, disons-nous, à celte machiavélique institution, d’une chambre composée d’agents du gouvernement et nommée par le gouverneur, que doivent être attribués les derniers troubles du Canada? Dans cette lutte impie de la force contre les droits sacrés de l'humanité, avec quelle barbarie monstrueuse, au XIXe siècle, le ministère anglais, ces whigs, ces prétendus libéraux n’ont-ils pas versé le sang! Les échafauds élevés par le fanatisme politique ou religieux sont les déplorables effets de fièvres intellectuelles, et ceux qui se sont abandonnés à ces excès excitent plutôt notre pitié que notre haine; mais tout ce qu’il y a de noble dans notre nature se soulève à l’aspect de ces condamnations à mort, pour soutenir des monopoles, des sinécures, des concussions et souvent pour donner lieu à des confiscations.

Des confiscations! ce gouvernement, qui se dit libéral et s’offre à l'imitation du monde, laisse encore subsister dans ses lois cette arme du despotisme; et, pour punir un homme, il met sa famille sans pain! Le gouvernement anglais est incontestablement celui de tous les gouvernements européens qui, depuis cinquante ans, a fait le moins de progrès dans la carrière de la vraie liberté; il confisque encore en1840!!! Il vient de faire sa proie des propriétés des insurgés canadiens. —Dans le siècle dernier, il fit un fréquent usage de la confiscation; lors de la conquête du Canada, un nombre considérable de Canadiens furent dépouillés de leurs propriétés et expulsés du pays; une partie d’entre eux occupaient un quartier de Saint-Domingue, et plusieurs de leurs descendais figuraient encore sur les étals de secours à l’époque du directoire—A la prise de plusieurs de nos Antilles les Anglais ont agi de même; les conquérants s’emparaient non-seulement des sucres et cafés en magasin, mais encore confisquaient, sous divers prétextes, un grand nombre de sucreries et caféiers.—Au surplus, l’aristocratie anglaise ne conçoit pas plus aujourd’hui qu’elle ne le faisait au XVIIIe siècle et au moyen âge une guerre sans butin: qu’on interroge, si l’on en doute, ces familles si opulentes des lords, Clèves, Hastings et Wallesley, de cette foule de généraux et militaires de tous grades, qui ont pris leur part dans les grandes spoliations de l’Inde.

Le gouvernement anglais étant organisé dans l’intérêt exclusif de l’aristocratie, son système commercial sera maintenu tant que cette organisation subsistera. Cependant, pour maintenir ce système, le gouvernement est tenu d’ouvrir incessamment de nouveaux débouchés, parce que ceux dont le commerce anglais est en possession diminuent par l’effet de la concurrence des manufactures du continent, parce que l’accroissement de la population et de la misère porterait la taxe des pauvres à un taux où elle cesserait de pouvoir être payée, enfin parce que la révolte est imminente et menace de tout bouleverser.—L’esprit d’entreprise ne manque point au commerce anglais, et il exploite tous les débouchés où il peut avoir accès; ainsi donc pour arriver à de nouveaux marchés, il faut triompher des obstacles que les gouvernements opposent à l’admission des marchandises anglaises; il faut en triompher par l’intrigue, la corruption ou la force.

Depuis quelques années, le gouvernement de la Grande-Bretagne poursuit son but par tous les moyens avec une prodigieuse ardeur, et donne une extension démesurée à ses efforts; on l’a vu assaillir d’importunités incessamment renouvelées tous les gouvernements de l’Europe, et pour séduire l’opinion, répandre ses agents partout, acheter des proneurs et soudoyer la presse.—Il a réussi avec l’Autriche; cette puissance a souscrit avec l’Angleterre un traité de commerce.—Que l’habile Metternich nous dise donc s’il a obtenu des agents anglais, de ces rusés apôtres de libertés commerciales, que les vins et les grains de Hongrie, que les huiles et les fruits d’Italie fussent reçus en Angleterre sous les mêmes droits ad valorem que ceux sous lesquels les tissus anglais sont admis dans les possessions autrichiennes!—Il est bien évident que le défaut de cette réciprocité fera absorber le numéraire de l’Autriche.—A la vérité l’Angleterre le lui rendra en subsides le jour où elle la louera pour se battre dans la défense des intérêts anglais. —L’Autriche a donc gagné de très-utiles alliés par ses concessions; en effet, le ministère anglais a fait espérer qu’à la première occasion il lui prêterait son appui et l’aiderait à s’emparer des bouches du Danube, de la Valachie et de la Moldavie, afin de placer la puissance autrichienne entre la Turquie et la Russie; et les grands diplomates de la cour de Vienne se sont déjà crus maîtres de la route de Byzance.

A Madrid, M. Villiers, depuis lord Clarendon, pendant tout le temps qu’a duré son ambassade, a harcelé en vain de ses sollicitations le ministère espagnol pour en obtenir un traité de commerce. Les députés de la Catalogne, de Séville et de toutes les villes d’Espagne où subsiste encore l’industrie manufacturière, ont opposé d’insurmontables obstacles au commis-négociant de l’aristocratie anglaise.

M. Henderson, consul anglais à Carthagène, dans son ouvrage intitulé: l'Espagne, sa situation actuelle et future, publié en1839, évalue que, sous un droit de20pour100, les importations des marchandises anglaises en Espagne se monteraient annuellement à20millions sterling (500millions de francs). M. Henderson fait bien ressortir la grande différence de prix qui existe entre les marchandises catalanes et anglaises, mais il oublie de nous faire connaître avec quoi les Espagnols payeraient les20millions sterling de marchandises anglaises—Certes, un traité de commerce par lequel les marchandises anglaises de toute nature entreraient eu Espagne sous un droit de20pourl00, et tous les produits, tant du sol que de l’industrie espagnols, entreraient en Angleterre sous le même droit de20-pourl00, serait d’un immense avantage aux deux pays; mais ce n’est pas ainsi que l’entendent ni M. Villiers, ni M. Henderson; le traité proposé à l’Espagne était toujours rédigé d’après cette vieille jonglerie britannique, d’établir la réciprocité par espèce de marchandise, c’est-à-dire l’Angleterre recevrait de l’Espagne les cotonnades, les draps, la coutellerie, la faïence, les ouvrages en cuir, etc., sous le droit de20pour100, et l’Espagne recevrait les mêmes articles de l’Angleterre sous les mêmes droits—A l’égard des soieries, comme l’Espagne, pour certains articles, n’est inférieure à aucune nation, l’Aigleterre proposait de porter le droit, pour les soieries des deux pays, à40pour100; quant aux vins, aux eauxde-vie, aux figues, aux raisins secs, etc., c’était toujours sous des droits fixes, excédant la valeur de ces produits, et non sous des droits ad valorem, qu’ils eussent été admis en Angleterre, en sorte qu’ils s’y seraient trouvés hors de la portée de l’ouvrier anglais; tandis que la marchandise anglaise se serait introduite et chez le plus pauvre paysan espagnol et dans les palais de la grandesse.—Un pareil traité de commerce épuisait le numéraire de l’Espagne, ruinait ses manufactures sans pour cela développer son agriculture.—Au surplus l’Espagne sait à quoi s’en tenir sur l’amitié de l’oligarchie anglaise; elle connaît son amour désintéressé pour la liberté de l’Europe et de l’Amérique, et à défaut de leur propre expérience les cortès espagnoles n’ont-elles pas sous les yeux la brillante position où un traité de commerce avec l’Angleterre a fait arriver le Portugal, et ne sont-elles pas témoins des pirateries exercées par la marine anglaise sur le commerce portugais?

Les manœuvres anglaises, à Naples comme à Vienne, ont prévalu sur les intérêts du pays, qui n’ont pas été appelés à se faire entendre.—A peine le ministère anglais était-il en possession d’un traité de commerce, qu’il s’est élevé contre le monopole du soufre comme il l’avait fait auprès du Grand Seigneur contre les monopoles exercés par le pacha d’Egypte; c’est, il faut en convenir, une rare impudence de ce gouvernement, qui assujettit160millions d’Indiens au monopole de son commerce, d’intervenir dans l’administration intérieure des autres pays pour faire supprimer les monopoles qui lui nuisent.—Il y a quelques années, le pacha d’Egypte ayant expédié, de la mer Rouge pour l’Inde, une cargaison de coton filé, les douanes anglaises firent payer à cette cargaison un droit de60pour100.—Le pacha eût été dès lors dans son droit d’imposer les marchandises anglaises importées en Syrie et en Egypte à60pour100; mais il n’est pas assez fort pour user de représailles, et ainsi que les autres États faibles, il faut qu’il se soumette à être pressuré par le commerce anglais.

De toutes parts maintenant on le reconnaît, les richesses de l’Angleterre résultent beaucoup moins de son industrie productive que de l’oppression des peuples conquis, et des conditions toutes à son avantage sous lesquelles s’est toujours fait son commerce avec les nations indépendantes, et de l’ascendant tyrannique qu’elle exerce sur celles hors d’état de lutter contre elle.—Les propositions du gouvernement anglais ne sont plus écoutées en Europe qu’avec la plus extrême défiance; la confédération des douanes allemandes, avant de rien entendre, a exigé que les blés de la Baltique ne payassent pas plus de droits en Angleterre que les calicots anglais en Allemagne.

Ce n’est plus qu’en Orient que le ministère anglais rencontre cette bonne foi sans défiance, cette candeur, cette ignorance complète avec lesquelles il aime tant à avoir affaire. —Son traité de commerce avec la Porte n’impose que des droits de3ou5pour100, à l’entrée des marchandises anglaises sur le territoire ottoman, et ne stipule rien sur l’admission des produits turcs en Angleterre, qui continueront à être taxés au gré du gouvernement anglais.

L’Asie centrale offre au commerce anglais les mêmes avantages; Trébisonde en est l’entrepôt; les Anglais y expédient annuellement pour deux à trois millions sterling de marchandises.-C’est en1831que le gouvernement russe songea à défendre ses peuples contre l’invasion des marchandises anglaises; il les frappa d’un droit de transit lorsqu’elles traversèrent la Géorgie: par suite de cette mesure, le commerce anglais fut obligé de prendre une voie plus longue, et il diminua d’importance, tandis que le commerce russe avec Khiva, Bakkhara, Candahar et Caboul, s’accrut considérablement. Dès lors, le gouvernement anglais conçut la pensée d’anéantir le commerce russe dans l’Asie centrale et de le remplacer par le sien.

Depuis cette époque, ses agents, à Constantinople, ont cou-stamment expédié des armes aux populations du Caucase, et ses émissaires, dans la Circassie, dans le Turkestan, excité les tribus à la révolte, aux incursions sur le territoire russe et aux courses du brigandage. Le gouvernement anglais ne s’en est pas tenu là; la guerre des Persans dans l’Afghanistan, le refus du shah d’accorder un traité de commerce à l’Angleterre, bien qu’il admît les marchandises russes en Perse, ajoutèrent de nouveaux motifs au projet du gouvernement britannique de détruire l’influence russe dans l’Asie centrale, et déterminèrent l’expédition anglaise dans le Caboul.

Le gouvernement anglais avait envoyé de l’Inde des agents dans l’Asie centrale, afin de reconnaître les difficultés que l’expédition aurait à rencontrer, et se ménager des alliances. Nous voyons dans le rapport de Burnes, un de ses agents, publié pour l’instruction du commerce anglais, «que les «premiers négociants et le vizir de Bakkhara lui ont assuré «que des importations plus considérables de marchandises «anglaises, et surtout de toiles blanches, de mousseline de «coton et de laine, auraient pour résultat de détruire cette «spécialité du commerce russe.»

Jusqu’ici tout a réussi au gouvernement anglais; on concevra l’effet qu’a dû produire sur les imaginations la marche d’une armée qui en sept mois a parcouru plus de cinq cents lieues et renversé tous les obstacles opposés à son triomphe. Mais si20,000Anglais ont pu marcher de Bombay à Candahar et à Caboul, il est hors de doute que40, OOORusses peuvent marcher d’Astrakhan à Calcutta.

L’empereur de Russie, dans sa déclaration de guerre contre le kan de Khiva, annonce qu’elle a pour objet de fortifier la légitime influence de la Russie sur cette partie de l’Asie; on la dirait calquée sur celle de lord Auckland, car l’Angleterre se présente toujours comme protectrice des peuples qu’elle dépouille.

Par le traité du26juin1838, le shah Soodja, que les Anglais ont installé dans l’Afghanistan, s’oblige lui, ses héritiers cl successeurs, à n’entrer en négociation avec aucune puissance étrangère sans le consentement du gouvernement anglais, à défendre le territoire anglais, à recevoir les marchandises anglaises, et le shah s’engage encore à n’adopter, relativement au commerce qui pourrait s’ouvrir avec la Russie, que des mesures conformes aux intérêts anglais.

Les troupes de la compagnie des Indes se sont emparées de tout le cours de l'Indus; les obstacles qui entravaient les relations commerciales entre l’Inde anglaise et Caboul, par les droits exagérés que les chefs indigènes prélevaient sur la navigation du fleuve, viennent ainsi de disparaître; et le gouvernement anglais conçoit les plus belles espérances de sa nouvelle conquête.

A peine le gouvernement anglais a-t-il mis, par la force ou les traités, un nouveau pays à la disposition du commerce d’Angleterre, que les fabrications et les exportations anglaises se mettent de niveau avec le débouché ouvert, et que, peu d’années après, il faut entreprendre d’autres guerres et conquérir de nouveaux acheteurs.

Toutefois l’aristocratie anglaise déclame d’un ton d’autorité contre les idées d’agrandissement de la France et contre l’ambition de la Russie, et l’Europe abusée voit avec impassibilité se développer le monstrueux système de l’Angleterre. —Cependant la France et la Russie n’ont jamais conquis do peuples que pour les adjoindre à leur unité, sans établir de différence entre les vainqueurs et les vaincus; au lieu que l’oligarchique Angleterre envahit les peuples afin de s’enrichir, et les soumet à recevoir ses marchandises exclusivement, tant qu’il leur reste un sou pour les payer—L’Italie a prospéré sous la domination française, et d’immenses travaux d’art ont été exécutés sur son sol; la Crimée a fait de prodigieux progrès depuis qu’elle est annexée à la Russie; tandis que les peuples de l’Inde appellent de leurs vœux de nouveaux conquérants, afin d’être délivrés de l’horrible joug mercantile qui les opprime.

L’Inde anglaise, par les conquêtes faites sur les Birmans, touche au céleste empire, et maintenant l’Angleterre entreprend une expédition contre la Chine. C’est pour venger son honneur offensé! proclament ses ministres: l’honneur de l’Angleterre intéressé à l’empoisonnement des Chinois!!!— Ainsi ce gouvernement moral.... avoue sa connivence à la contrebande de l’opium que faisait le commerce anglais en Chine, et il a recours à la force pour obliger l’empereur do la Chine à tolérer ce commerce d’assassinats!... Jamais gouvernement entreprit-il une guerre dans une plus infâme intention?—L’aristocratie anglaise réussira, sans doute, à faire triompher ce qu’elle appelle son honneur; elle pourra continuer à s’enrichir par la vente du poison ; elle soumettra la Chine à recevoir l’opium et toutes les marchandises qu’il conviendra au commerce anglais d’y porter—Le gouvernement anglais fixera lui-même les droits d’importation de ses marchandises et ceux d’exportation des marchandises chinoises; et il n’est pas probable non plus qu’il s’abstienne de régler les droits de douane du commerce de la Chine avec les autres nations. Après avoir dépouillé de cette manière l’empereur du céleste empire de sa souveraineté, le ministère anglais, pour assurer l’exécution du traité, fera occuper les villes chinoises par une armée; puis les difficultés qui s’élèveront de l’exécution de ce traité entraîneront une nouvelle lutte par suite de laquelle la conquête complète de la Chine se réalisera—On dit, que comme l’Inde, la Chine formera trois présidences anglaises: que de places à donner aux membres des deux chambres!

L’Europe doit aux merveilleux progrès de sa fabrication le développement immense qu’ont pris ses exportations pour l’Asie orientale. L’Angleterre se réserve pour elle seule de fournir les objets manufacturés que consomment dans l’Inde 160millions d’habitants: le continent, privé du commerce avec l’Inde, se laissera-t-il aussi enlever celui de la Chine?— La Chine consomme dix fois plus de marchandises d’Europe que la Turquie, et la question nous paraît beaucoup plus importante que celle de Constantinople; la Turquie est impuissante pour se régénérer elle-même, et très-certainement il conviendrait mieux aux intérêts du continent que le passage des Dardanelles fut dans les mains de la Russie que de l’Angleterre.

Ainsi donc nous trouvons en tous lieux la preuve de notre assertion, que le système anglais est le fléau du monde: il réduit au désespoir160-millions d’Indiens, ruine les nations liées par des traités de commerce avec l’Angleterre, et impose le plus dur des esclavages aux20millions de prolétaires qui habitent les îles Britanniques.

Droit unique. —Les relations commerciales des nations ne seront également avantageuses pour toutes que lorsque les productions territoriales et les objets de fabrique passeront d’une nation à l’autre, soumis à un droit unique, le même chez toutes les nations.

Toutes les nations possédant des choses semblables et différentes en quantités diverses, il est bien évident que le système qui fixe des droits distincts pour chaque espèce de chose forme obstacle à ce que les choses se mettent de niveau entre les divers pays relativement à leurs besoins respectifs; en effet, les échanges ne peuvent se faire alors dans toute l’étendue de ces besoins, parce que la marchandise la moins taxée est prise en plus grande quantité et pour de plus fortes sommes que la marchandise surchargée de droits; d’où il résulte que la différence entre les échanges ne pouvant se solder qu’avec de l’argent, les nations sont exposées aux perturbations perpétuelles produites par la fluctuation du numéraire en circulation.

Il arrive donc, par les combinaisons de ce système, qu’une nation vend aux autres énormément plus qu’elle ne leur achète; qu’ainsi elle attire constamment le numéraire; que l’augmentation du numéraire chez elle, faisant augmenter les prix des choses, oblige une partie des citoyens à vivre dans les pays voisins; et, en Angleterre, le pouvoir social se trouvant placé dans les mains des propriétaires, ils réduisent, par ce système, les prolétaires à fuir, à mourir de faim ou à devenir leurs esclaves, et comme celte nation est parvenue, par ses progrès dans la mécanique et la puissance de ses établissements, à fabriquer à meilleur marché qu’aucune autre et à pouvoir fournir au monde entier des objets de sa fabrication, son gouvernement, par ce système, lient toutes les nations en échec, parce qu’aucune d’elles n’a recours complètement aux représailles.

Les produits du sol et de la fabrication forment les richesses mobilières d’un pays, et c’est avec ces richesses que se payent les droits, les taxes et impôts de toute nature. Le rapport de la totalité des impôts à la totalité des produits forme l’impôt moyen, dont la production est frappée. Le prix des salaires, des matières premières, des locations de terres et de bâtiments, et même le prix de l’intérêt des capitaux mobiliers, sont augmentés dans une proportion plus ou moins forte par les divers impôts, et conséquemment le prix de revient des produits se trouve ainsi augmenté de toute l’augmentation que les impôts font éprouver à tous ces éléments de production. Si donc le rapport du total des impôts au total des produits est comme15ou20à100, l’impôt moyen, qui pèse sur toute production, est de15ou20pour100.

Les économistes du siècle dernier ne voulaient d’autre impôt que l’impôt sur le sol, et dans ce système les douanes se trouvaient supprimées; mais il est bien évident que, tant que le genre humain sera partagé en nations, ayant chacune des charges légales plus ou moins lourdes à supporter, ce système ne pourra exister; en effet, le prix de production étant augmenté par les impôts, c’est à l’impôt de douane à égaliser entre les pays les charges légales qui pèsent sur la production.—Si les produits de l’étranger étaient admis sous un droit trop inférieur à l’impôt moyen du pays, le travail ne serait pas suffisamment protégé, comme aussi ce travail serait tout à fait sans protection, si les produits du pays n’étaient pas reçus par l’étranger sous le même droit sous lequel on reçoit les siens.

Il n’existe pas un pays en Europe dont le total des impôts excède guère la valeur du cinquième de tous les produits du territoire et de l’industrie; ainsi donc deux nations qui recevraient mutuellement tous les produits, l’une de l’autre, sous le droit de20pourl00ou plutôt de15-pour100, déplaceraient bien chez les deux le travail de quelques cultures et de quelques fabrications; mais ce droit n’étant pas élevé pour restreindre la consommation, la production de toute chose serait proportionnée à la population réunie des deux pays.

Dieu a équilibré les avantages respectifs des pays par la diversité des produits, et les avantages résultant des facultés corporelles et intellectuelles des nations par la diversité des aptitudes. Le commerce n’a lieu qu’en recevant tel article comme l’équivalent de tel autre; la loi ne saurait donc établir la réciprocité commerciale entre deux pays que par l’adop tion d’un droit unique pour les produits de toute nature, soit qu’ils proviennent directement du sol ou de l’industrie manufacturière, et aussi par cette égalité des droits de navigation. La réciprocité commerciale est alors vraie, parce qu’elle est fondée sur la loi providentielle! Il est impossible de l’établir entre deux pays par distinction de choses; car, pour arriver par cette voie à l’égalité, de part et d’autre, des ventes et des achats, d’où résulte l’égalité d’avantages, il faudrait d’abord apprécier d’une manière exacte les quantités et valeurs des articles de toute nature que les deux pays produisent, et ensuite la quantité et la valeur des articles que les deux pays consommeraient, avec le droit spécial qui serait fixé à chacun de ces articles; mais ces quantités et valeurs échappent à toute appréciation: ainsi donc, hors de l’ égalité des droits pour tous les articles, ce n’est entre deux pays qu’erreurs ou surprises intentionnelles, qui provoquent d’incessantes réclamations, font naître des rivalités, des haines, et portent les nations a s isoler par des prohibitions ou par des droits plus ou moins restrictifs,

Il est mathématiquement démontré que, par la réciprocité fondée sur l’unité du droit, les relations commerciales entre deux peuples prendraient tout le développement possible; et il est indubitable que l’immense avantage qui en résulterait pour chacun d’eux ferait universellement adopter cette réciprocité par les peuples civilisés; alors s’anéantiraient les préjugés hostiles qui existent entre nations; alors la propagation des découvertes de la science se ferait avec une extrême rapidité, et l’harmonie commencerait à régner parmi les hommes.

Si les gouvernements de l’Europe réfléchissent à la prodigieuse extension que prendrait, dans leur État respectif, la consommation du sucre, café, thé, cacao, vin, huile, fruits, etc.; si les droits étaient réduits à15pour100, qui est à peu près le terme moyen de l’impôt prélevé sur la production européenne; s’ils réfléchissent à l’accroissement de culture qui aurait lieu si les céréales, ainsi que tous les produits agricoles, étaient admis en tous pays sousl5pourl00, à l’impulsion que recevraient l’exploitation des mines et l’industrie manufacturière, ils reconnaîtront que cette mesure passe actuellement en importance toutes celles qui préoccupent la pensée.—En effet, avec cette modicité du droit, la consommation serait portée partout au maximum; les marchandises de toute nature atteindraient la plus grande circulation, les plus hauts prix et la plus prompte vente, d’où résulteraient la production la plus abondante et les prix de location les plus bas pour les deux principaux instruments du travail, les capitaux et la terre; car la prompte réalisation des marchandises fait baisser l’intérêt, et l’accès des marchés aux produits de l’agriculture étrangère diminue aussi infailliblement les fermages.

Les nations deviennent trop instruites sur leurs intérêts pour que bientôt elles ne reconnaissent pas que la réciprocité dans leurs relations commerciales est impossible autrement que par l’égalité du droit imposé sur les produits de toute nature; et comme la réciprocité est le droit inné de tous, et qu’une nation qui n’est pas assujettie peut toujours, dans ses relations commerciales, en amener une autre à la réciprocité, en usant de représailles envers elle, il est hors de doute qu’en définitive cette réciprocité, la seule qui ne soit pas illusoire, la seule qui laisse aux peuples la pleine et entière jouissance tant des avantages dont Dieu a doué les contrées qu’ils habitent que de ceux qu’ils ont conquis par le talent et le travail; il est impossible, disons-nous, que le progrès des peuples ne leur fasse successivement adopter pour leurs rapports commerciaux la seule réciprocité qui soit vraie.