Prostituées alimentaires - Alessandra d'Angelo - E-Book

Prostituées alimentaires E-Book

Alessandra d'Angelo

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Beschreibung

Le nouveau visage de la prostitution.

La crise économique que nous traversons fait peser sur une large tranche de la population un important risque de déclassement. Des femmes, jusqu’il y a peu à l’abri du besoin, découvrent une nouvelle précarité. Nombre d’entre elles, aux profils des plus variés, se retrouvent dans l’obligation, à leur corps défendant, de se prostituer. Ce sont aussi bien des mères célibataires, pour se nourrir et nourrir leurs enfants, des épouses, dans le but de tenter de boucler les fins de mois de leur couple, que de jeunes étudiantes, les fameuses « sugar babies », contraintes d’accompagner de riches hommes d’affaires pour financer leurs études. D’autres encore entrent dans la spirale infernale du « logement contre sexe » espérant, en couchant, obtenir un toit décent et ainsi héberger leur famille. Alessandra d’Angelo, journaliste d’investigation, est partie à la rencontre de ces nouvelles « vendeuses de charmes ». Elle lève le voile sur un tabou sociétal : le visage de la prostitution a changé. Quels sont ces nouveaux profils qui vendent leur corps ? Qui sont ces femmes qui optent pour la marchandisation de leur être ? Nietzsche affirmait que « le corps social sécrète de la moraline ». Cette morale doit être aujourd’hui adaptée pour faire face à des phénomènes contemporains nouveaux et interpellants : le sexe est devenu un outil de survie alimentaire.

Découvrez un ouvrage qui lève le voile sur un tabou social contemporain en étudiant les nouveaux profils de femmes contraintes à vendre leur corps.

EXTRAIT

La culture du corps libre, Dominique Alderweireld (68 ans), dit « Dodo La Saumure », la pratique lui aussi, ou plutôt, l’orchestre. Ce propriétaire de maisons closes devenu célèbre pour son implication supposée aux côtés de Dominique Strauss-Kahn80 dans l’affaire du Carlton de Lille se dit souteneur et non proxénète. Déjà à la tête de plusieurs antres de joie, salons de massage et bars montants, l’homme surfera sur la vague en 2014 et jouera la carte de la confusion. Il ouvrira, avec son associée et compagne Béatrice Legrain, un nouveau bar à hôtesses sur la commune de Blaton, près de Tournai : le DSK (Dodo Sex Klub), un « table dance » où les filles se trémoussent nues pour « présenter la marchandise avant » selon ses propres termes. Le décor est planté. « Mon surnom vient de la saumure, cette solution saline servant autrefois à conserver anchois, barbeaux, harengs et maquereaux. C’est l’espèce à laquelle j’appartiens ! Lorsque l’on a les arêtes qui poussent, on devient un mac et je prends ce sobriquet comme une marque de respect dans le milieu ». Et le milieu, Dodo le connaît comme sa poche depuis son premier bar, le « Gypsy Club », ouvert, en France, au début des années 70. « C’était un bar semi-montant. La loi française interdit les bordels. Les gâteries étaient par contre tolérées dans le salon et au bout d’une dizaine de bouteilles, on pouvait monter discrètement pour un moment d’intimité. Cocasserie, le bâtiment que je louais appartenait à l’époque à l’archevêché de Lille. J’ai même le souvenir d’un homme en soutane qui venait régulièrement nous rendre visite à vélo. »

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Seitenzahl: 201

Veröffentlichungsjahr: 2018

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© La Boîte à Pandore

Paris

http ://www.laboiteapandore.fr

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ISBN : 978-2-39009-306-0 – EAN : 9782390093060

Toute reproduction ou adaptation d’un extrait quelconque de ce livre par quelque procédé que ce soit, et notamment par photocopie ou microfilm, est interdite sans autorisation écrite de l’éditeur.

Alessandra d’Angelo

prostituéesalimentaires

épouses, mères, étudiantes

Le nouveau visage de la prostitution

« Nombre d’opinions, hier encore acceptables, voire recommandables, sont,

D’une génération à l’autre, happées par la désuétude.

La plupart des polémiques à la mode ont déjà les relents d’une querelle de bouffons »

(Rien n’est sacré, tout peut se dire - Raoul Vaneigem)

Note de l’auteur : cette photographie de notre paysage sexo-consumériste contemporain est le fruit de six années d’investigations et reportages. Pour des raisons de confidentialité évidentes, les noms de certains protagonistes rencontrés ont été modifiés.

Avant-propos

Parce que ces femmes évoluent dans un univers dont l’existence parallèle est sous-tendue par un cocktail fait d’interdits, de fantasmes et de jouissances, s’il est un métier qui suscite à la fois fascination et défiance, c’est bien celui de « prostituée ». Mais, avec une forte progression de l’inflation ces dernières années, cette indicible luxure séculaire ne peut plus se résumer, par un clivage simpliste et politiquement correct, à la traditionnelle alternative binaire qui opposerait le Vice à la Vertu.

Nietzsche affirmait que « Le corps social sécrète de la moraline ». Le héros, la femme honnête, la nonne et la putain, cette morale est aujourd’hui dépassée face à des comportements contemporains nouveaux, interpellant de par leur incidence socio-économique. « Vendre son corps » ne peut plus se réduire à une pure affaire de cuisses ouvertes pour satisfaire une « prise de corps » contre rémunération.

Selon l’Insee1, une personne est pauvre dans l’Hexagone si son niveau de vie est inférieur à 60 % du niveau de vie médian de la population française, soit mille huit euros mensuels par individu, ce qui représente neuf millions de personnes. En Belgique, 15,5 % de la population2 vit sous le seuil de pauvreté. Mille quatre-vingt-cinq euros par mois est le revenu moyen pour une personne isolée, en grande majorité des femmes.

En filigrane, une autre réalité économique : la génération Y, soit celle née entre les années 80 et les années 20003, est la première génération en Occident qui vit moins bien que ses propres parents. Nouvelle forme de vulnérabilité sociale : travailler ne protège plus de la précarité ! Cordons de la bourse tenus, tout un pan de la société frôle en permanence le déclassement. Le phénomène touche tous types de profils, tous milieux sociaux confondus. Ces nouveaux pauvres se nichent partout et sont, là aussi, essentiellement des femmes.4

Un divorce les laissant sans le sou, un licenciement, un problème de santé, avec la stagnation du pouvoir d’achat, ces femmes, souvent mères célibataires, se retrouvent dans l’obligation, a priori impensée, de pratiquer le « hard discount » – une prostitution occasionnelle – pour joindre les deux bouts et nourrir leurs enfants. De jeunes étudiantes, en mal d’un logement décent à prix raisonnable, rentrent quant à elles dans la spirale infernale du « logement contre sexe ». D’autres enfin, les « sugar babies », jouant la carte de leurs atours éphémères, accompagnent de riches hommes d’affaires dans leurs dîners mondains, afin de pouvoir, entre autres choses, financer leurs études.

Un tabou sexuel aux formes kaléidoscopiques qui pousse même certaines de ces femmes, qui n’ont pas l’autonomie financière de quitter leur conjoint, à rester dans le cadre d’un mariage qui n’emporte plus grande satisfaction. Décadence affective et désappropriation de leur être, elles se retrouvent contraintes, de par une carrière personnelle mise entre parenthèses au profit du ménage et de la maternité, de fournir des services intimes à ce mari qu’elles voudraient tant voir devenir « ex », en contrepartie de la garantie de compensations matérielles assurées, une forme de prostitution conjugale, osons la nommer !

Avec l’émergence de ces nouvelles « pauvres », le plaisir a fait place aux besoins et à ces divers modes de comblement par des comportements préprostitutionnels impactants. « Adultes consentantes » est l’argument légitimant de ceux-là même, business men, propriétaires et autres, qui exploitent cette détresse, brandissant une fausse philanthropie de l’entre-soi pour se donner bonne conscience. En bref, tout le monde y trouverait son compte…

Et pourtant, violence économique, violence masculine, la prostitution est rarement un acte choisi. Même « si » elle permet à une certaine catégorie de la population d’en acheter une autre à sa convenance, simplement parce que la première se trouve fragilisée. Elle donne le « pouvoir d’achat ». Zone de vulnérabilité sociale supplémentaire, la prostitution alimentaire, en particulier, est le résultat d’une rencontre inattendue entre l’adversité financière et son exploitation. Un dysfonctionnement institutionnel est en chantier.

Pauvreté ordinaire, saturation du marché de l’emploi, coût de l’employabilité, indépendantes précaires, aides sociales insuffisantes, familles monoparentales, étudiantes pauvres, mondialisation, téléphones portables, web X.0,à l’instar du marché noir pour cause de disette de la Seconde Guerre mondiale, c’est un vaste marché rose underground qui s’est installé. Une nouvelle forme d’esclavage moderne sur fond d’hypersexualisation des corps pour raisons marchandes. Une économie où la ration alimentaire ne se trouve plus à l’épicerie sociale, mais dans la prestation physique offerte. Un comportement éthologique lié à la nécessité de survivre et qui coûte immanquablement cher à la chair.

Dérive de la modernité et résultante infectieuse de cette malbouffe sexuelle, l’érotisme est devenu une valeur comme une autre et il a un prix. En apologie : sa dématérialisation, accélérateur de névroses. Avec Facebook, Tinder, Instagram, boostée par les nouvelles technologies et l’explosion des normes, une deuxième révolution sexuelle est en marche. L’idée qu’un sujet de désir soit mystérieux et patiemment courtisable appartient désormais à une autre époque.

Consommateur, consommable, consommant, consommé, l’économie a fait main basse sur notre sexualité, évacuant de facto la question de notre altérité. « Sacrifiant notre libido sur l’autel de la flexibilité et de laprécarité, il fait de la sexualité un loisir comme un autre et du sexe, une pièce détachée, formatée et optimisée à coup de coachs et de sex-toys. Le nouvel ordre sexuel est devenu un management […] qui reprend tous les paradigmes de l’économie de marché : performance, rendement, productivité, optimisation des résultats, instrumentalisation et réification »5, prévenait, déjà en 2008, l’essayiste Élisabeth Weissman.

Corps-marché, le libéralisme économique, dans sa version libertaire, a phagocyté notre sexualité et, par dommage collatéral, nos émotions. Le sexe se vit de la même façon que l’on écoute une musique ou que l’on déguste un plat : en pratiquant des comparaisons arrimées à un langage fondamentalement décomplexé.

Béquille technologique, « l’ultraspécialisation dans la rencontre virtuelle est devenue le nouveauparadigme, un communautarisme amoureux qui détruit toute logique d’ouverture spontanée à la pluralitéqu’offre le hasard d’un échange dans la vie réelle »6. Zapping relationnel, le cœur n’est plus qu’un muscle. Vices cachés, les relations capotent. Révolution ou misère sexuelle ? L’industrie du numérique est à tout le moins le grand gagnant de ce procédé.

1. « Les niveaux de vie en 2014 », Insee Première n° 1614, septembre 2016.

2. Annuaire de la pauvreté - 2016, commandité par le SPF Intégration sociale. Le rapport note aussi que 21,2% de la population belge (2 364 000 personnes) présente un risque de pauvreté ou d’exclusion sociale.

3.  L’origine du Y est attribuée à la phonétique anglaise « why » signifiant « pourquoi ? »

4. 41 % des femmes vivent en situation précaire contre 29 % des hommes.

5. « La nouvelle guerre du sexe », Élisabeth Weissman, Éditions Stock, 2008.

6. « Misère-sexuelle.com : le livre noir des sites de rencontre », Stéphane Rose, Éditions La Musardine, 2003.

« L’arène sexuelle est devenue une arène compétitive qui confère statut et capital érotique. »

(Eva Illouz)

1. Logement contre sexe

« Arrangement possible avec propriétaire », « Chambre gratuite 10 m2 contre menus services », « Vieil homme charmant héberge gratuitement jeune femme à l’esprit ouvert » : depuis 2011, des annonces immobilières d’un genre nouveau, suggérant un hébergement contre services rendus, ont fait leur apparition sur la Toile. Profitant honteusement de la crise du logement, certains propriétaires peu scrupuleux n’hésitent pas à proposer en ligne une colocation, un appartement gratuit ou un loyer réduit, en échange de faveurs sexuelles.

Endza est Arménienne. Seule à Bruxelles avec ses trois enfants, sa survie est son combat au quotidien. « Cela fait trois ans que je suis sur une liste d’attente pour obtenir un logement social. Chaque matin, je me lève, j’y crois et je me bats. Mais, quand les factures à payer sont là, le courage ne suffit plus. » Découragement, valse de sentiments mêlés, avec en point d’orgue celui d’être engagée dans une voie ne lui offrant pas d’autre issue, Endza s’est décidée, il y a un an, à répondre à une offre de logement un peu « différente ». Mais dans sa galère, elle ne s’attendait pas à subir le pire de ce qui lui semblait déjà être insupportable.

Un set de photos envoyé à une adresse mail titrée d’un pseudo, la mère de famille se présente à l’adresse indiquée en retour pour visiter le fameux bien. « J’ai dû d’abord retenir un haut-le-cœur. Les pièces que lepropriétaire me faisait découvrir étaient sombres et très sales. Les rares meubles présents ne tenaient pas debout. Les murs étaient envahis de champignons et transpiraient l’humidité. Dans la cuisine, pendouillait juste un robinet tout rouillé qui fuitait ouvertement. Une auge à cochons. C’était presque insultant ! »

Visite des lieux terminée, un « On baise et j’te passe les clés » sera la proposition d’entrée dans les lieux faite à Endza. « Il était petit et gros, pas très frais, et pas du tout le style d’homme qui me plaît. Et puis, je neconçois vraiment pas de faire l’amour comme ça ! » Et pourtant, acculée par les charges qui tourbillonnent dans sa tête, la jeune femme va accepter de se donner en partage. « Le pire, c’est qu’après être passée à lacasserole, il ne m’a jamais rappelée ! » Et la mésaventure va se reproduire trois fois avant qu’Endza ne tombe sur celui qui daigne respecter sa parole. « Il y en a même un qui m’a proposé de lui offrir la virginitéde ma fille aînée. Elle n’a que 14 ans. Ça, jamais ! Moi oui, mais pas elle ! J’ai d’ailleurs voulu aller dénoncerles faits ! » En vain. « Ce n’est ni de l’abus ni du sexe forcé, il ne vous a pas non plus violée ! Je considèrequ’il ne s’est rien passé. Vous êtes quelque part complice », lui répondra l’officier de police de son quartier, tout en lui refusant d’enregistrer sa déclaration.

Après moult déboires, Endza s’est enfin posée. Elle est aujourd’hui gardienne d’immeuble. Même si le premier échange virtuel avec son propriétaire actuel est éloquent quant à ses intentions, elle a passé avec succès l’« examen d’entrée » confirmant sa candidature.

— Tu aimes le sexe ?

— Normal…

— Tu sens des pieds ou pas ?

— Euh, j’crois pas…

— Tu attends quoi de moi ? Mis à part l’appartement. Une aide financière ?

— Juste le logement.

— Ok, mais j’ai une liste d’envies…

— C’est un peu de la prostitution, vu comme ça, non ?

— Je gagne bien ma vie. Si je peux t’aider !

La caution : un premier rapport sexuel. La seule garantie pour la suite : en échange de pouvoir vivre dans une pseudo conciergerie, Endza doit satisfaire le propriétaire des lieux une à deux fois par semaine.

Paupérisation et augmentation des loyers, celles qui rentrent dans ce système sont, à l’évidence, poussées dans l’agir sexuel par l’isolement administratif dans lequel elles se trouvent confinées. La barrière linguistique et culturelle est également un vecteur. Certaines de ces femmes s’expriment très mal en français et n’ont aucune notion des leviers d’aides sociales à pouvoir activer. Plus dramatique encore, d’autres, pour la plupart des Africaines et des Kosovares, sans aucune éducation à la contraception, tombent involontairement enceintes de leur propriétaire.

Si le phénomène prend incontestablement de l’ampleur, porter plainte reste délicat pour ces victimes considérées comme ayant agi en connaissance de cause, a fortiori lorsqu’elles sont en situation illégale et craignent l’expulsion. Ces femmes passent alors d’une situation de précarité économique à une situation de dépendance à un homme qui, au summum de la perversité, en demande toujours plus sexuellement, menaçant de les jeter à la rue si elles ne s’exécutent pas. Autre épée de Damoclès : le besoin de changement de ces exploiteurs insatiables qui n’hésitent pas, in fine, à jeter le fruit de leurs désirs défendus lorsqu’ils l’estiment suffisamment « consommé », pour en changer, le temps à nouveau que durera leur caprice. Seule invariabilité, le principe du contrat de bail : « Pas de limites physiques, à durée déterminée ».

« J’ai toujours mis un point d’honneur d’attendre d’avoir faim pour manger.

L’élégance, c’est ça : manger quand on a faim, boire quand on a soif.

Et baiser quand on bande. »

(Frédéric Beigbeder)

2. Avec toi pour un toit

Cela ressemble à une légende urbaine et pourtant, se prostituer est tout ce que Yolande, comptable de formation, aujourd’hui sans domicile fixe, a momentanément trouvé pour survivre. Elle végète, depuis deux ans, dans les replis de la gare du Nord, à Bruxelles.

« Basculer arrive plus vite que vous ne le pensez. Jamais je n’aurais imaginé vivre un jour sous les ponts. Ma descente aux enfers a débuté lorsque j’avais 38 ans. Après un grave accident de travail, je me suis retrouvée en incapacité d’exercer. Mon mari buvait et me frappait. J’ai donc fui le domicile conjugal. Mais, rapidement, mon allocation d’invalidité n’a plus suffi à couvrir mes frais. Avec six cent cinquante euros par mois, je n’ai plus su payer mes loyers. Et, de fil en aiguille, surendettement, huissiers, avis d’expulsion, je me suis retrouvée à la rue. La déchéance totale, enfin, je pensais. »

Être une femme SDF est très difficile. Yolande va vite le comprendre. Elle ne peut pas rester seule si elle veut assurer sa sécurité. « Je ne pouvais pas traîner indéfiniment, j’allais me faire agresser. L’instinct desurvie se met alors en route. J’ai donc sympathisé avec d’autres sans-abri. Essentiellement des hommes, simplement parce qu’il y a plus d’hommes que de femmes dans l’errance. Au début, ils me protégeaient effectivement, ils étaient aux petits soins avec moi. Mais ils ne m’ont pas protégée d’eux-mêmes bien longtemps. J’avais beau dire «Ça ne m’intéresse pas», «Ne me touche pas», j’ai rapidement été violée et à plusieurs reprises. Il faut savoir que dans la rue, toutes les SDF se font violer, sans exception ! Si l’appel de l’alcool est le plus fort, certains vous fichent la paix contre quelques euros pour aller acheter leur litron. Mais, il y en a toujours l’un ou l’autre qui voudra vous passer sur le corps. » Yolande va alors accepter la dépossession de soi. Elle est, à tout moment, une proie potentielle. « Cheveux très courts, une casquette,deux gros pulls et un pantalon de treillis kaki, je fais tout pour atténuer mon aspect féminin et passer inaperçue. La répugnance est aussi ma cartouche : odeurs, saleté, tout est bon pour rebuter leurs pulsions et repousser les assauts. » Et pourtant, tous les jours, à la tombée de la nuit, les angoisses montent. « Il y a très peu de lieux d’hébergement et même là, si ce sont des dortoirs mixtes, la sécurité n’est pas garantie à 100 %. »

Une énième agression va finalement pousser la jeune femme à faire d’autres choix. « Il était 4 heures dumatin. Je n’avais pas encore réussi à trouver un coin tranquille pour me reposer quelques heures. Deux jeunes toxicos sont arrivés. Ils m’ont pris mon sac et m’ont forcée à les suivre si je voulais le récupérer. Ils m’ont poussée sous le porche d’un restaurant fermé. L’un d’eux a sorti un couteau. Il voulait un rapport sexuel. La rue était déserte. Crier ou me débattre n’aurait servi à rien. Je me suis laissée faire… Et j’ai récupéré mes affaires. À partir de ce jour-là, je me suis dit que si les règles du jeu étaient celles-là, je ne serais plus le pion. Je voulais maîtriser la partie. Quitte à devoir y passer, autant choisir avec qui et pour un toit. Aujourd’hui, lorsque j’en ai assez de dormir dans la rue, surtout l’hiver, j’accepte de rendre des services sexuels à des vieux qui m’hébergent pour quelques jours, le temps de les divertir. Comme ils me disent : «Je fais la pute, je ferme ma gueule et je suis moins cher qu’une pute». Cela me choque profondément, mais quand on n’a pas le choix, on accepte très vite d’être humiliée et de s’humilier soi-même. »

Ces mains inconnues qui vous touchent, l’impression d’être un bout de viande, l’envie de vomir ne quittent jamais Yolande. « Les nerfs sont à fleur de peau, les ressentis à vif. En attendant, je peux me laver, je suis dans un vrai lit et quand j’ai un peu de chance, je repars avec un billet de vingt euros. Je ne sais pas de quoi demain sera fait. J’ai juste acquis une certitude : la frontière est très mince entre les murs de votre toit et les pavés du trottoir… »

« Gagner un toit gratuit pour un an » est le prix d’un concours de beauté outsider destiné aux sans-abri, organisé depuis 2010 par Mathilde Pelsers, infirmière sociale de formation. Scandale ou provocation salutaire, Miss SDF suscite, depuis son lancement, une vive polémique. Star Ac’ de la misère humaine, initiative marketing déplacée, exploitation voyeuriste de femmes vulnérables, nombreux sont ceux qui s’indignent. Sélectionner les plus démunis pour les faire défiler sur un podium relève du plus mauvais goût. Critiques balayées d’un revers de la main, une réalité s’affiche néanmoins évidente pour l’organisatrice de l’événement et Marie-Thérèse Van Belle (65 ans), sortie de la rue depuis six ans et élue Miss SDF 2010 : « Un tel concours ne devrait effectivement pas exister, mais il est symboliquement aveu d’échec de notre système de protection sociale, qui plus est pour les femmes. »

Phénomène inquiétant : depuis 2010, la proportion des femmes dans la rue est en augmentation constante. En France, elles représentent 40 % du total des sans domicile fixe7. Selon une enquête portant sur l’aide aux personnes sans-abri8, parmi les personnes sans « chez soi », 7 % sont des femmes, 20 % sont divorcées et 55 % ont moins de 30 ans. Facteur aggravant : même si elles tentent de fréquenter des lieux sûrs comme les bibliothèques, les centres commerciaux ou les parcs publics, leur quotidien est bien plus précaire que celuides hommes. Et si, lorsqu’elles font la manche, elles suscitent plus souvent l’empathie9, ce premier contact, sous le couvert de l’humain, est très souvent entrée en matière pour se voir proposer un rapport sexuel. Effet domino, faute de couverture contraceptive, le taux de grossesse est aussi en augmentation10. Certaines sans-abri y voient un moyen potentiel pour contourner les difficultés d’accueil. Lorsqu’une femme est enceinte, elle est prioritaire…

7. Selon l’Insee (2012), parmi les sans domicile, 48 % sont des femmes parmi les 18-29 ans et 31 % parmi les plus de 50 ans.

8. Enquête portant sur l’aide des CPAS aux personnes sans abri effectuée par le centre OASeS de l’Université d’Anvers et l’Institut des Sciences Humaines et Sociales de l’Université de Liège (2010).

9. Les femmes SDF gagnent, en moyenne, trois fois plus d’argent par jour que les hommes.

10. Le nombre de grossesse, en 2016, a progressé de 13 % pour s’établir à 17 grossesses, soit près d’une et demi par mois.

« Un SDF, tu l’assignes à résidence, il est content le mec ! »

(Jean-Marie Gourio)

3. Mes « chair » études

Le constat fait désormais l’unanimité, la précarisation des étudiant(e)s universitaires est en marche. En 2014, 68 % d’entre eux déclaraient devoir travailler toute l’année pour s’autofinancer. « Nos enfantsapprennent le sens du travail et se préparent à la vie active », répondent certains doctorants en Sciences de l’Éducation. Certes, mais lorsque le tribut à payer pour obtenir le diplôme tant convoité est corporel, où est la leçon ?

En 2010, « Mes chères études », un téléfilm français signé Emmanuelle Bercot, et adapté du livre éponyme et autobiographique, portera le fléau de la prostitution estudiantine à l’écran. Synopsis : Laura D. est étudiante en première année à l’université. Elle est issue d’un milieu modeste, mais n’a pas droit à une bourse universitaire. Sa famille n’arrive pas à joindre les deux bouts, ce qui finit par hypothéquer sérieusement la poursuite de sa formation. Alors qu’elle cumule les petits boulots difficiles et mal payés, s’épuisant chaque jour un peu plus, ce qui la met en difficulté sur les bancs de la fac, la jeune fille va découvrir un site Internet proposant des rencontres un peu particulières contre bonne rémunération. Piquée par la curiosité, elle répond à une offre d’un homme qui cherche une masseuse. En quelques clics, elle met le doigt dans l’engrenage de la relation sexuelle tarifée et s’enferme dans son secret, un tableau malsain fait de soustractions de factures à régler à chaque client assuré.

C’est en deuxième année d’études d’infirmière que Tania (21 ans) s’est décidée, il y a deux ans, à poster une offre coquine sur Internet. « On était à la fin de l’année scolaire. J’étais paumée, sans le sou. C’est la seulesolution rapide que j’ai trouvée pour tenir l’été et engranger suffisamment d’argent pour la rentrée académique suivante. L’homme qui m’a proposé de passer la nuit avec lui m’a fait comprendre qu’il y avait une jolie somme à la clef. Je n’ai pas hésité. On s’est d’abord rencontrés dans un café. Il m’a semblé correct. C’est un riche entrepreneur, marié, trois enfants et sa femme n’a plus envie de sexe. On s’est vus plusieurs fois durant les mois de juillet et août. À 125 euros la prestation, j’ai vite pu mettre suffisamment de côté. Pour le reste, j’ai essayé de ne pas me poser trop de questions sur la portée de mesactes. Je n’aijamais eu une vision misérabiliste de la prostitution. Cela évite de flancher. Je l’ai fait, parce que j’ai dû le faire. C’est tout. »

À faire ses premiers pas dans cet univers, Chloé (23 ans), plus candide, n’en garde pas le même souvenir que Tania. « Je viens d’un tout petit village près de Calais et les grandes villes, je ne connaissais pas. Je suis d’abord partie étudier sur Paris. Mais, mon école de commerce me coûtait quatre mille huit cents euros par an et mon loyer était de six cent soixante-dix euros par mois. J’ai donc pensé à la Belgique. C’est un peu fou, j’avais très peu d’économies devant moi. En arrivant sur Bruxelles, une vague connaissance m’a hébergée le temps que je trouve un logement. Mais, dès les premières recherches, je me suis vite rendu compte, aux prix affichés, que ce serait mission impossible. J’ai donc pensé à une formule d’échange et j’ai posté une petite annonce sur plusieurs sites Internet : «Jeune fille cherche hébergement gratuit contre services». Dans ma grande naïveté, j’espérais trouver un job de nounou, assurer le suivi scolaire d'enfants ou tenir une maison. » Chloé va rapidement recevoir beaucoup de réponses. Et pour cause ! « C’était essentiellement des hommes et ils m’ont tous clairement fait comprendre qu’ils voulaient de l’intime. Mettant cela sur le compte d’une méprise, j’ai alors reposté une seconde offre, précisant même que je pouvais être dog-sitter et promener des chiens. Vingt-quatre heures plus tard, je recevais des propositions identiques en retour, certaines encore plus franches, faisant même allusion aux compagnons à quatre pattes et aux postures que cela leur inspirait ! »

Décontenancée, Chloé ne va pourtant pas réfléchir longtemps. « J’étais vraiment aux abois. J’ai pris mon