Psychologie sociale, perspective multiculturelle - Serge Guimond - E-Book

Psychologie sociale, perspective multiculturelle E-Book

Serge Guimond

0,0

Beschreibung

L'influence de la psychologie sur les sciences sociales et les communautés culturelles.

Au carrefour d'une préoccupation pour les phénomènes psychologiques et pour les faits de société, la psychologie sociale occupe une place privilégiée parmi les sciences humaines et sociales. Dans un langage simple et accessible, cet ouvrage en expose les principes fondamentaux et offre, pour la première fois en langue française, une perspective multiculturelle sur les objets d'études de la psychologie sociale. Une telle perspective qui place l'influence de la culture au centre de l'analyse est devenue incontournable. Les recherches réalisées au cours des 30 dernières années ont en effet convaincu les psychologues sociaux, en Amérique comme en Europe, qu'il n'est plus possible de prétendre développer des théories générales du comportement humain tout en étudiant les phénomènes psychologiques au sein d'une seule culture.

Considérer le rôle de la culture, c'est questionner le fondement même de la discipline : les lois de la psychologie sociale sont-elles universelles ? Les phénomènes de conformisme ou d'influence étudiés classiquement en psychologie sociale prennent-ils des formes différentes selon le contexte culturel ? La culture exerce-t-elle une influence déterminante sur le fonctionnement psychologique ? Les stéréotypes culturels ont-ils un fondement dans la réalité ? Quels sont les moyens d'améliorer les relations entre les membres de communautés culturelles distinctes ?
En dix chapitres, ce volume fait le point sur ces questions en introduisant les principales théories et recherches de la psychologie sociale, en évaluant leur validité interculturelle, et en élaborant les questions à approfondir. Il offre ainsi une perspective d'intégration qui s'avère essentielle face à l'accroissement des connaissances dans les sciences humaines et sociales.

Cet ouvrage de référence permet de mieux percevoir l'apport de la psychologie sociale dans la recherche en sciences humaines et en anthropologie.


CE QU'EN PENSE LA CRITIQUE

Un ouvrage bien utile pour ne pas aborder en naïf les débats sur les stéréotypes, l’intégration ou l’identité. - Cerveau & Psycho, n°41

À PROPOS DE L'AUTEUR

Serge Guimond est professeur de Psychologie Sociale à l'Université Blaise Pascal de Clermont-Ferrand et directeur de recherche au sein du laboratoire CNRS de Psychologie Sociale et Cognitive.

Sie lesen das E-Book in den Legimi-Apps auf:

Android
iOS
von Legimi
zertifizierten E-Readern

Seitenzahl: 457

Veröffentlichungsjahr: 2013

Das E-Book (TTS) können Sie hören im Abo „Legimi Premium” in Legimi-Apps auf:

Android
iOS
Bewertungen
0,0
0
0
0
0
0
Mehr Informationen
Mehr Informationen
Legimi prüft nicht, ob Rezensionen von Nutzern stammen, die den betreffenden Titel tatsächlich gekauft oder gelesen/gehört haben. Wir entfernen aber gefälschte Rezensionen.



À Marité, Antoine et Caroline.

«… la lucidité apportée par la science peut être le levier décisif. Car ce qui est révolutionnaire n’est pas seulement, comme le disait Gramsci, la vérité, c’est la lucidité, et celle-ci ne peut être partagée qu’en diffusant les fragments de compréhension péniblement obtenus par l’effort des chercheurs»

ALBERT JACQUARD, La science à l’usage des non-scientifiques, 2001, p. 21.

Introduction

Cet ouvrage présente un ensemble de théories et de recherches en psychologie sociale qui visent à comprendre et à expliquer les comportements humains en tenant compte de facteurs psychologiques mais aussi de facteurs sociaux et culturels. C’est un sujet que chacun peut maîtriser aisément. Pour comprendre le fonctionnement de systèmes complexes, une procédure scientifique de base consiste à réduire les éléments de ce système à leur plus simple expression. Cette procédure a permis de progresser dans la compréhension des principes de régulation d’un univers en apparence chaotique et désordonné.

La psychologie sociale a pour objectif de comprendre et d’expliquer le comportement des individus en tenant compte de l’influence de la présence réelle, symbolique ou imaginaire d’autrui (Allport, 1968). Dans la poursuite de cet objectif, la réduction de la complexité que représentent les interactions sociales en une série d’unités circonscrites a également servi les scientifiques. Elle a permis à l’esprit humain d’atteindre une meilleure compréhension du comportement social.

Ainsi, la procédure classique de l’expérimentation en psychologie consiste à faire varier une unité, une caractéristique très bien circonscrite, afin d’observer son influence sur les comportements. Par exemple, lorsqu’on demande à quelqu’un qui utilise une photocopieuse si on peut prendre sa place pour faire quelques copies, cette demande a plus de chance d’être acceptée si on donne une raison pour justifier notre demande (Langer, Blank & Chanowitz, 1978). Mais la nature de la raison invoquée, c’est-à-dire le contenu spécifique de la justification, n’a pas grande importance. Même les raisons qui ne sont pas pertinentes augmentent les chances d’une réponse positive comparativement au fait de ne donner aucune raison. Nos comportements peuvent ainsi prendre la forme de réactions quasi-automatiques, et non réfléchies, sur la base de ce qui semble a priori acceptable ou approprié. Mais certains indices fondamentaux doivent néanmoins être présents, dans ce cas-ci, l’idée que la personne a «une raison» pour passer avant nous.

L’examen de certaines conduites anodines, en fonction de variables simples pour ne pas dire simplistes, comme dans cette expérience, révèle pourtant toute une mécanique complexe conduisant à la mise en œuvre des comportements sociaux. Elle ouvre la porte à une série de réflexions sur la nature même de l’être humain et de sa psychologie. De toute évidence, nous sommes souvent portés à agir en fonction de certaines habitudes et de certaines routines. Quotidiennement, nous devons exécuter certains comportements qui se produisent avec une telle régularité qu’il n’est plus guère nécessaire de réfléchir pour les produire. Personne ne peut en douter. La psychologie sociale a fait d’énormes progrès dans l’analyse de l’automaticité des comportements (Bargh & Williams, 2006; Schadron & Morchain, 2008). C’est dire combien est efficace cette technique de simplification, de réduction de la complexité, pour améliorer notre compréhension des principes qui guident nos comportements. C’est aussi ce qui explique sans doute que pendant de nombreuses années, des notions complexes, floues et mal définies, telles que la culture, les idéologies ou les systèmes de valeurs, ont eu très peu d’importance en psychologie sociale (pour une exception qui confirme la règle, voir les travaux de Deconchy, 1980, 1984, 1989, 1995 sur l’orthodoxie idéologique).

En effet, d’un point de vue scientifique, la culture semble un concept trop nébuleux pour être utile. Ainsi, pendant des décennies, certains chercheurs comme Berry et Dasen (1974), Triandis (1972), Jahoda (1979), ou Faucheux (1976) ont soutenu, sans que personne y porte grande attention, que pour développer des principes généraux du comportement humain, il était capital d’étudier les phénomènes psychologiques à travers les cultures et pas simplement au sein de l’une d’entre elle. Les arguments avancés ont trouvé bien peu d’écho auprès des psychologues sociaux. Trente ans plus tard, les choses ont considérablement évolué. Faisant l’historique de la psychologie sociale, Vallerand (2006) soulignait récemment que parmi les nouvelles tendances de cette discipline, un des faits marquants à partir des années 2000 est sans contredit «la mise en évidence de l’influence de la culture sur le comportement social» (p. 24).

En effet, il est devenu fréquent de trouver, dans les principales revues de psychologie sociale, des études concernant les similitudes et les différences culturelles. La Revue Internationale de Psychologie Sociale a par exemple publié en 2005 un numéro spécial consacré à la culture (Paez & Smith, 2005). De nombreux ouvrages et manuels en langue anglaise se sont intéressés spécifiquement au rôle de la culture en psychologie sociale (Guimond, 2006a; Moghaddam, Taylor & Wright, 1993; Smith & Bond, 1999). Des programmes de recherches ambitieux ont été axés sur l’étude des différences entre les cultures par ceux et celles qui étaient pourtant les plus identifiés au travail expérimental classique (i.e. Fiske & Cuddy, 2006; Hilton & Liu, 2008; Nisbett, 2003). Faut-il se réjouir de ces développements? Le fait de prendre en considération les similitudes ou les différences culturelles permet-il de réels progrès pour une discipline comme la psychologie sociale? Quelle est la portée des influences culturelles sur le fonctionnement psychologique des individus? Est-il vraiment nécessaire de les prendre en considération? Il existe maintenant un nombre important de travaux qui comparent le comportement d’individus issus de dix, vingt ou même cinquante pays différents. Aucun ouvrage existant en langue française n’a véritablement mesuré les implications, pour la psychologie sociale, de cette nouvelle tendance. Ce livre a comme objectif de faire le point sur cette problématique en examinant les progrès accomplis mais aussi les difficultés liées à cet effort sans précédent visant à intégrer le rôle des variables culturelles en psychologie sociale.

ORGANISATION ET STRUCTURE

Le chapitre 1 examine la notion de culture et montre comment cette notion peut être fondamentale pour la psychologie sociale mais à la fois, comment la psychologie sociale peut servir de base pour mieux comprendre ce qu’est la culture. Le chapitre 2 est consacré à fixer des repères théoriques et méthodologiques pour l’étude de la culture en psychologie. En effet, s’intéresser à la culture peut constituer le meilleur piège vers un ethnocentrisme scientifique et la justification de nos pires stéréotypes (cf. Heine & Norenzayan, 2006). Parmi les travaux existants, on trouve une variété d’orientations théoriques et méthodologiques de qualités inégales. Ce chapitre offre une analyse de ces grandes orientations et informe par rapport aux principaux biais méthodologiques à éviter dans ce domaine.

Le chapitre 3 examine les processus de transmission culturelle. En effet, on peut estimer que la culture influence les comportements par l’intermédiaire des mécanismes de transmission que sont la socialisation et l’acculturation (Dasen, 1998). Les processus de socialisation sont examinés dans le chapitre 3 et ceux d’acculturation, impliquant une socialisation au contact d’une nouvelle culture, sont étudiés dans le chapitre 10. Il est en effet important de distinguer les questions relevant de l’influence de la culture sur l’individu de celles qui mettent en jeu la présence ou le contact entre individus appartenant à deux ou plusieurs cultures. Le chapitre 4 offre les éléments à prendre en compte pour effectuer ce passage de l’analyse des relations intraculturelles (ou intra-groupes) à l’analyse des relations interculturelles (ou inter-groupes).

Le chapitre 5 présente les principaux travaux de psychologie culturelle comparative qui, depuis l’étude gigantesque de Hofstede (1980) auprès de plus de 100 000 personnes réparties dans une cinquantaine de nations, n’ont cessé d’influencer les théories et les recherches récentes. C’est à partir de ces travaux qu’une longue série de recherches ont été menées sur la distinction entre cultures individualistes et cultures collectivistes. Parmi ces recherches, celles qui sont reliées à la personnalité et au concept de soi sont introduites dans le chapitre 6 alors que les implications de cette distinction pour la compréhension des différences psychologiques entre les hommes et les femmes sont élaborées dans le chapitre 7.

Les trois derniers chapitres sont consacrés à des questions de contacts entre les cultures comme la communication et le langage (chapitre 8), les préjugés et les politiques d’intégration et d’immigration du point de vue des groupes majoritaires composant les sociétés d’accueil (chapitre 9) et du point de vue des groupes minoritaires en situation d’acculturation (chapitre 10).

Chapitre 1

Qu’est-ce que la culture?

Ce chapitre propose une définition de la notion de culture. Il vise à illustrer l’importance de ce concept pour la psychologie sociale et à montrer, en retour, comment la psychologie sociale peut améliorer notre compréhension de ce qu’est la culture. Prenons d’abord un exemple pour fixer les idées.

Heine, Kitayama, Lehman, Takata, Ide, Leung et Matsumoto (2001) ont étudié la réaction des individus face à la réussite et face à l’échec et comparé des participants canadiens et japonais à cet égard. Suite à une première tâche mesurant la créativité, la moitié des participants se voient attribuer, au hasard, un feedback de réussite ou d’échec. Il est alors annoncé que pour la deuxième phase de la recherche, les participants doivent compléter un test informatisé d’intelligence émotionelle. En mettant en route ce test, l’expérimentateur, d’un air découragé, feint l’existence d’un problème technique très embêtant et insurmontable. Il offre alors aux participants, en expliquant très clairement que cela ne fait pas partie de la recherche, de travailler à un autre test de créativité semblable à celui qu’ils viennent de compléter, en attendant que le problème soit résolu. L’expérimentateur court alors à toute vitesse, apparemment pour chercher un collègue. En réalité, l’expérimentateur se déplace dans la salle voisine et observe le comportement des participants au travers d’une glace sans tain. Les résultats sont clairs. Les Canadiens abandonnent rapidement cette nouvelle tâche si on leur a dit qu’ils avaient échoué précédemment, mais pas s’ils ont réussi. C’est la psychologie de la glorification de soi: lorsqu’on réussit dans un domaine, et donc qu’il est possible de se valoriser, on s’y intéresse. Mais si on échoue, on ne veut plus rien savoir. La réaction des étudiants japonais est diamétralement opposée. Ils persistent plus longtemps dans la nouvelle tâche, de leur propre chef, lorsqu’on leur a dit qu’ils avaient échoué précédemment plutôt que réussi. C’est la psychologie de l’amélioration de soi. En effet, ces résultats suggèrent, en accord avec d’autres études, que les Japonais sont motivés à redoubler d’effort pour s’améliorer. L’échec les informant d’un domaine où il y a place pour des améliorations, ils persistent plus longtemps dans la tâche.

De toute évidence, cette recherche révèle une différence culturelle importante dans les comportements et dans la motivation qui guide ces comportements. Une théorie générale de la motivation qui ne tient pas compte de la culture risque donc d’être inadéquate. Plus généralement, une psychologie sociale qui ne tient pas compte de la culture ne semble pas en mesure de prétendre au développement de principes généraux du comportement humain. Mais qu’est-ce qui est culturel? En quoi les étudiants canadiens de cette recherche se distinguent-ils des étudiants japonais? Il n’existe pas de définition toute faite de la notion de culture qui nous permettrait de répondre à ces questions. Cependant, un bref examen de la psychologie des groupes, étudiée depuis de nombreuses années en psychologie sociale, permet d’identifier, comme on le verra, certaines caractéristiques fondamentales de la culture.

LA PSYCHOLOGIE DES GROUPES ET LA CULTURE

De manière analogue à la notion de représentations sociales (Doise, 2005), la culture est un concept polysémique qui ne peut se définir aisément. Un ouvrage classique de Kroeber et Kluckhohn (1952), publié il y a une cinquantaine d’années, avait déjà recensé auprès des spécialistes plus de 160 définitions différentes. Bien que les psychologues sociaux ne se soient véritablement intéressés à la culture que de manière récente, ils ont développé, en revanche, une documentation abondante à propos de la psychologie des groupes (voir Aebischer & Oberlé, 1998, Guimond, 2006b; Hogg & Tindale, 2003). En effet, la question de l’influence du groupe sur l’individu a toujours occupé une place importante dans cette discipline en ce qu’elle représente, en quelque sorte, le problème à l’origine même de la psychologie sociale. Or, cette question permet d’arriver à cerner plusieurs éléments essentiels de la notion de culture.

Il y a cependant différentes manières de conceptualiser le groupe et de définir ses rapports avec les individus. Elles ne sont pas toutes équivalentes pour ce qui est de nous informer sur ce qu’est la culture. D’une part, on peut penser que le groupe n’est rien d’autre qu’une somme d’individus. Si on arrive à bien expliquer le comportement des individus, un à un, on devrait alors pouvoir expliquer le comportement des groupes puisqu’ils sont composés de ces individus. De ce point de vue, le groupe peut être réduit aux individus qui le composent et la psychologie sociale est une partie de la psychologie individuelle. Ainsi F. H. Allport écrit en 1924: «Il n’y a pas de psychologie de groupes qui n’est pas essentiellement et entièrement une psychologie d’individus. La psychologie sociale ne doit pas être vue en opposition à la psychologie de l’individu; c’est une partie de la psychologie de l’individu» (p. 4, italique dans l’original). Cette perspective, toujours présente en psychologie sociale, offre peu d’intérêt face au concept de culture.

Il existe une seconde perspective dans l’étude des groupes selon laquelle le groupe est plus que la somme des individus qui le composent (Oakes, Haslam & Turner, 1994). De cette perspective, des phénomènes nouveaux émergent lorsqu’on se retrouve en groupe, des phénomènes qui ne peuvent pas être bien compris si on étudie uniquement les individus pris séparément. Les recherches expérimentales de Sherif (1936) ont très bien illustré ce point de vue. Il place des sujets dans une situation ambiguë. Dans une salle totalement obscure, ils doivent fixer un point lumineux. Ils croient voir bouger cette source lumineuse alors qu’elle est en réalité immobile, une illusion d’optique connue de longue date sous le nom d’effet autocinétique. La tâche des participants est de donner oralement une estimation du déplacement dans l’espace de ce point lumineux. L’intérêt de la recherche est de comparer les réponses que donnent les individus lorsqu’ils sont seuls ou en groupe. Sherif (1936) montre que lorsqu’ils sont en groupe, les individus s’influencent mutuellement pour arriver à faire converger leur jugement vers une position commune au groupe, une norme. Cette position commune peut être très différente d’un groupe à un autre. Surtout, les observations montrent que l’addition des jugements individuels dans la condition où les individus répondent à plusieurs reprises en étant seuls ne permet pas d’arriver au jugement collectif des individus de la condition où ils sont réunis en groupe. Autrement dit, et contrairement à la position d’Allport (1924), le comportement du groupe ne se réduit pas à une addition de comportements émis par des individus isolés. Enfin, en examinant les sujets qui effectuent des estimations d’abord de façon groupée et ensuite de manière isolée, Sherif (1936) montre que la position commune élaborée en groupe dans la première phase de l’expérience guide toujours le comportement des individus même lorsqu’ils ne sont plus en présence du groupe, dans la deuxième phase.

En adoptant cette seconde perspective par rapport aux phénomènes de groupe, on s’aperçoit rapidement que le rapport entre le groupe et l’individu est finalement assez analogue au rapport entre la culture et la psychologie (Berry, et al., 1992). On a dit, suivant Sherif, que le groupe ne se réduit pas aux individus qui le composent, qu’il implique un niveau d’analyse différent. La même chose s’applique au concept de culture. On peut dire que la culture est un phénomène collectif qui ne se réduit pas aux individus. Il y a plusieurs années, Kroeber (1917) a présenté deux arguments importants pour soutenir ce point de vue:

1 Les individus passent mais la culture reste. Malgré le va-et-vient au niveau de la population, malgré les changements au niveau des individus qui composent chaque nouvelle génération, la culture et ses institutions demeurent relativement stables et inchangées. Par conséquent, la culture ne dépend pas de la présence de certains individus particuliers pour exister, elle a une vie autonome au niveau collectif du groupe;

2 Aucun individu ne possède toute la culture du groupe dont il est membre. La culture dans son ensemble est portée par la collectivité. Aucun individu ne connaît toutes les lois, ou toutes les institutions politiques ou économiques existantes même si elles ne représentent qu’un secteur limité de la culture.

Ces deux raisons permettent donc de considérer que les phénomènes culturels sont des phénomènes collectifs dont l’existence va au-delà des individus concernés. La conclusion simple mais fondamentale à retenir est donc que la culture est une caractéristique des groupes sociaux. Un bref examen des principaux «processus de groupe», phénomènes qui émergent de la réunion des individus en groupe et de leurs interactions, révèle effectivement que la culture fait partie intégrante de la vie en groupe.

LES PROCESSUS DE GROUPE EN PSYCHOLOGIE SOCIALE

Les normes

Tous les groupes ont des normes, y compris ceux qui affirment ne pas en avoir. Les normes peuvent se définir comme des règles, habituellement implicites et non-écrites, qui prescrivent un code de conduite aux membres du groupe. Elles indiquent ce qui est approprié et ce qui ne l’est pas, du point de vue du groupe. Les comportements des membres du groupe peuvent varier et tant qu’ils se situent à l’intérieur des frontières de ce qui est défini comme acceptable, il n’y a aucun problème. Cependant, lorsque quelqu’un va au-delà de ce qui est permis, il y aura une réaction des autres membres du groupe, ce qu’on peut appeler du contrôle social (voir Brauer & Chaurand, 2009; Chaurand & Brauer, 2007; Chekroun, 2008). Cette réaction indique de façon explicite où se situe la limite (Sherif, C.W., 1976). C’est donc souvent uniquement lorsqu’on enfreint une norme que l’on prend conscience de son existence.

Les normes ne s’appliquent pas nécessairement à tout ce que fait le groupe. Les groupes prennent part à une grande variété d’activités dans divers contextes et apprécient la nouveauté, le changement. Il n’est pas nécessaire d’avoir des normes pour chacune des actions émises. Il demeure cependant que dans n’importe quel groupe, on trouve des normes et les membres du groupe vont développer des normes pour les activités qui sont fréquentes ou qui sont jugées importantes parce qu’elles ont des conséquences pour les membres du groupe et les relations à l’intérieur du groupe (Sherif, C.W., 1976). Ainsi, il n’est sans doute pas surprenant de constater que pour des étudiants d’université, il existe une norme concernant la consommation d’alcool. Prentice et Miller (1993) ont interrogé des étudiants de deuxième année à l’université au sujet de leur propre sentiment face à la consommation d’alcool à l’université (position personnelle) et au sujet des sentiments de la plupart des étudiants à l’université (position normative du groupe). Ils observent à plusieurs reprises que tous perçoivent les autres étudiants comme beaucoup plus tolérants face à la consommation d’alcool qu’ils ne le sont en réalité. La norme du groupe est perçue de manière erronée, elle ne correspond pas vraiment à la position de la plupart des étudiants. Néanmoins, cette norme influence les étudiants. Au bout du compte, ils en viennent à consommer plus d’alcool qu’ils ne le souhaitent, tout simplement parce qu’ils croient qu’une telle conduite est largement acceptée dans leur environnement.

Comme l’a montré Sherif (1936), les normes émergent de l’interaction entre les membres du groupe et régulent les actions de ceux-ci même lorsqu’ils sont seuls. Or, étant donné que les normes, par définition, permettent de caractériser une certaine uniformité dans les conduites des membres d’un groupe, et donc de caractériser le groupe lui-même, les normes sont une première caractéristique fondamentale de la culture. Comme Schaller, Conway et Crandall (2004) le remarquent: «parmi les éléments qui impliquent la notion de culture se retrouvent ce que les psychologues appellent collectivement “les normes”» (p. 8).

Le conformisme

Qui dit norme, dit conformisme. Il y a conformisme «quand un individu modifie son comportement ou son attitude afin de le mettre mieux en harmonie avec le comportement ou l’attitude d’un groupe» (Levine & Pavelchak, 1984, p. 26). C’est ce qui a été démontré dans les études classiques de Asch (1956). Dans les études de Sherif (1936), le stimulus était ambigu, et il y a eu influence du groupe. Le but de Asch était de montrer qu’avec des stimuli non ambigus, la longueur de différentes lignes, les gens ne seraient probablement pas influencés par les réponses d’autrui. Ses recherches mettent donc en opposition la réponse correcte telle que perçue par nos sens et la réponse du groupe qui est de toute évidence erronée. En effet, il demande aux participants de juger oralement de la longueur de différentes lignes alors que la bonne réponse est assez évidente. Les individus participent en groupe de sept ou huit personnes et doivent donner leur réponse à tour de rôle au cours de plusieurs essais.

Sans le savoir, le véritable participant à cette recherche est placé au septième rang autour de la table de sorte qu’il entendra les réponses de six autres personnes avant de donner la sienne. Sans le savoir également, ces six autres personnes sont de connivence avec l’expérimentateur et doivent, au cours de certains essais, donner la même réponse incorrecte. L’expérience débute et pour les premiers essais, tous les «participants» donnent la même réponse qui visuellement semble être la bonne et donc, tout va bien. Sauf qu’à un autre essai, le véritable participant s’agite de plus en plus sur sa chaise en entendant tour à tour chacun de ses six «collègues étudiants» donner une réponse incorrecte. La mesure du conformisme consiste donc à voir si, dans un tel cas, la réponse du véritable participant ira ou non dans le sens de celle qui est donnée par le groupe de compères. Même dans ces conditions dépourvues d’ambiguïté, Asch (1956) fut le premier étonné de constater qu’il y a bel et bien une influence du groupe sur l’individu. Cette influence bien réelle n’est pas totale. Le taux de conformisme est d’environ 30%, c’est-à-dire que le participant naïf se conforme au groupe, en moyenne, dans un essai sur trois. Ce fait indique que même avec la pression du groupe, il n’est pas possible de faire croire n’importe quoi aux gens. Il y a des choses auxquelles les gens vont résister. En revanche, il faut se souvenir que dans la réalité, les choses sont souvent beaucoup moins évidentes ou claires qu’elles ne l’étaient dans les expériences de Asch. Par conséquent, le pouvoir du groupe sur l’individu peut certainement être vu comme important. Mais à quoi tient ce pouvoir? Pourquoi se conforme-t-on? En partie à cause de l’influence des normes. Lorsqu’on désire s’intégrer dans un groupe, on cherche à se conformer aux coutumes du groupe. Par peur d’être rejeté, on change notre comportement pour qu’il s’accorde avec les demandes du groupe. C’est ce qu’on appelle l’influence normative. Dans l’étude de Asch, les sujets ont suivi la norme du groupe, qui était de donner une réponse incorrecte, pour éviter la désapprobation et l’hostilité qui aurait pu en résulter. C’est ce que les sujets ont dit à la fin de l’expérience. Lorsqu’ils exprimaient un désaccord avec la majorité, ils se sentaient exclus et rejetés. On peut voir que l’influence normative va de pair avec une acceptation publique de la réponse d’autrui mais pas nécessairement une acceptation privée. Les sujets de Asch savaient que le groupe donnait une mauvaise réponse. Ils ont choisi de s’y conformer publiquement sans nécessairement changer leur perception. Ainsi, lorsqu’on demande aux sujets de répondre par écrit, en privé, il y a une nette diminution du taux de conformisme.

Mais il y a une autre raison majeure pour laquelle les gens se conforment: l’influence informationnelle (Deutch & Gerard, 1955; Leyens & Yzerbyt, 1997). Les sujets tiennent compte de l’information transmise par autrui. Lorsque l’on se conforme en pensant que les autres ont raison, on parle d’influence ou de dépendance informationnelle. Si je perçois le groupe comme étant bien informé, il a accès à de l’information que je n’ai pas, je me conforme. C’est sans doute l’influence de l’information qui peut expliquer les résultats de Sherif. La situation était ambigüe et les sujets étaient incertains, alors ils se sont conformés. Mais cette influence était aussi présente dans l’étude de Asch. Après l’expérience de Asch, certains sujets ont dit qu’ils en sont venus à douter de leur propre perception et à penser que l’opinion erronée, mais unanime, de la majorité était en réalité exacte. En fait, l’unanimité de la majorité est un facteur déterminant dans l’influence du groupe (cf. Moscovici, 1976, 1979). Un groupe unanime est un groupe qui offre à l’individu une définition de la réalité à laquelle il est difficile d’échapper.

Si tous les groupes ont des normes et que les normes sont des éléments fondamentaux de la culture qui régulent les comportements individuels, faut-il s’attendre à des différences de comportements selon la culture? Devrait-on observer des variations interculturelles importantes sur le plan du conformisme? Ces questions nous conduisent à noter que les normes peuvent être très différentes d’un groupe à un autre et que c’est précisément lorsque les normes permettent d’identifier un groupe dans un espace géographique délimité et de le distinguer d’autres groupes partageant d’autres normes liées à d’autres types d’environnement, que nous allons parler de culture et de groupe culturel.

Ainsi, dans l’une des premières études de psychologie sociale mettant en évidence l’influence de la culture sur les comportements, Berry (1967) a postulé que des pratiques de socialisation et des normes distinctes peuvent se développer en fonction des particularités de l’environnement ou du contexte écologique auquel le groupe doit s’adapter. Il a comparé deux populations non-industrialisées et a tenté de démontrer que la variation dans les comportements sociaux (caractéristiques psychologiques) de ces deux populations était reliée à des normes et des pratiques de socialisation différentes qui elles-mêmes étaient fonction d’un contexte écologique particulier (voir la Figure 1.1).

L’une de ces deux populations, les Temne de la Sierra Leone, a une économie basée sur l’agriculture. De ce fait, ils constituent une communauté très interdépendante, chacun ayant besoin de la coopération des autres pour arriver à réussir la plantation, la récolte et le stockage de la nourriture. Dans ce type de culture, les individus devraient donc accorder beaucoup d’importance à ce que les membres de la communauté se conforment aux normes du groupe. Effectivement, des données anthropologiques suggèrent que les fermiers Temne imposent une discipline sévère à leurs enfants. Ils valorisent l’obéissance et punissent l’expression de l’individualité. En revanche, les Inuit de la terre de Baffin, la deuxième communauté étudiée par Berry, vivent de chasse et de pêche. Cette activité économique implique que chacun peut obtenir de la nourriture par ses propres efforts individuels, à tout moment de l’année, et qu’il n’y a pas lieu de concentrer tous les efforts de la communauté vers la réussite de la seule récolte de l’année. Par conséquent, ce sont des normes d’indépendance et d’autonomie individuelle qui devraient se développer au sein de cette communauté. Les études anthropologiques suggèrent de fait que les Inuit sont très peu sévères envers les enfants et qu’ils valorisent l’initiative individuelle et l’autonomie. Berry a donc soumis des membres de ces deux communautés à une tâche visant à mesurer le conformisme, inspirée du paradigme de Asch, et il a observé comme prévu que le taux de conformisme aux normes du groupe est beaucoup plus élevé chez les Temne que chez les Inuit. Sur une échelle allant de 0 (pas de conformisme) à 15 (conformisme total), les Temne obtiennent 8.9 tandis que les Inuit ont une moyenne de 2.6 seulement. Par conséquent, cette étude suggère que la caractéristique psychologique, le fait de se conformer plus ou moins aux normes du groupe, est en étroite relation avec le contexte écologique qui aurait une influence via le type de normes ou de pratiques culturelles normatives qui se développent dans la communauté.

Figure 1.1Le modèle écoculturel et le conformisme (Berry, 1967).

De manière plus générale, cette relation entre conformisme et culture est confirmée très clairement par Bond et Smith (1996). Leur méta-analyse des résultats de 134 études reproduisant l’expérience de Asch dans près d’une vingtaine de nations montre que le taux de conformisme est plus faible en Europe qu’aux États-Unis, alors qu’il est beaucoup plus élevé au Japon, au Brésil ou dans les pays arabes qu’aux États-Unis. Bref, les variables culturelles semblent effectivement reliées de manière significative aux comportements de conformisme. La même expérience en laboratoire sur l’influence du groupe donne des résultats sensiblement différents selon la culture, un point sur lequel nous aurons l’occasion de revenir.

La cohésion

Un autre facteur très important de la psychologie collective, reliée à la fois au conformisme et au concept de norme, est la notion de cohésion. Ce concept correspond à la force des liens qui unissent les différents membres d’un groupe. Les groupes cohésifs sont des groupes attirants auxquels les gens désirent appartenir. La lutte contre un ennemi commun est un des principaux facteurs susceptibles d’augmenter l’attraction entre les membres d’un groupe. Les observateurs de la politique internationale remarquent fréquemment que le chef du gouvernement d’un pays n’est jamais aussi populaire qu’au moment où son pays entre en conflit avec un pays étranger. À ce moment, tous les citoyens semblent se tenir fermement derrière leur chef bien qu’ils aient pu, par ailleurs, le critiquer sévèrement. Ce phénomène illustre un principe bien connu en psychologie sociale: la compétition entre les groupes augmente la cohésion à l’intérieur de chacun des groupes (Sherif & Sherif, 1953). Ce phénomène peut s’expliquer par la notion de menace (Dion, 1979). Dans un conflit entre deux groupes, le groupe adverse constitue une menace. Or, il semble que toute forme de menace extérieure, qu’elle soit de nature physique, psychologique ou sociale, a comme propriété d’augmenter la cohésion intragroupe. Lors de désastres naturels, de guerres ou de calamités de toute sorte, les gens se serrent les coudes pour affronter la situation: la cohésion du groupe augmente (Guimond, 2006b). Or, la cohésion entraîne des modifications importantes dans le fonctionnement des groupes. Les gens ont davantage tendance à se conformer aux normes d’un groupe de cohésion élevée qu’à celles d’un groupe de cohésion faible (Lott & Lott, 1965; Wyer, 1966). L’intensité de la réaction des membres du groupe face à la déviance peut également dépendre de la cohésion. En effet, depuis les études expérimentales classiques de Schachter (1965, Schachter, Ellerston, McBride & Gregory, 1951), on sait que les déviants qui ne suivent pas les normes du groupe sont davantage malmenés dans les groupes de cohésion élevée. Autrement dit, la cohésion semble aller de pair avec une intolérance de la déviance. La même opinion «déviante» ou «contestataire» peut être réprimée avec beaucoup plus de force au sein d’un groupe de forte cohésion. À l’inverse, on sait aussi que le conformiste, la personne qui suit à la lettre les conventions sociales, sera jugé plus favorablement par les membres d’un groupe à cohésion élevée plutôt que faible. Bref, un certain nombre de réactions individuelles qu’on pourrait attribuer aux traits de caractère de leurs auteurs peuvent en fait découler d’une logique de groupe ayant une forte, ou au contraire, une faible cohésion.

Les décisions en groupe et l’effet de polarisation

Il en va de même pour les décisions collectives. De nombreuses recherches ont comparé, par rapport à un même problème, les décisions que prennent les individus lorsqu’ils sont seuls, et celles qu’ils prennent en groupe lorsqu’ils doivent arriver à un jugement unanime (appelé consensus). Ces travaux impliquent habituellement un dispositif en trois phases: décisions individuelles (préconsensus), discussion et décisions collectives en petits groupes (consensus), et nouvelles décisions individuelles (postconsensus). Les études de ce type ont d’abord mis en évidence le phénomène de glissement vers la prise de risque (dit «risky shift»), c’est-à-dire que les groupes avaient tendance à prendre des décisions plus risquées, plus hasardeuses ou moins sûres que celles des individus (voir Testé, 2001). Mais le phénomène s’est avéré de portée plus générale. Des chercheurs français ont défendu l’idée, maintenant bien admise, selon laquelle l’effet du groupe est de polariser les attitudes (Doise, 1969; Moscovici & Zavalloni, 1969). Autrement dit, lorsque les gens discutent d’un problème en groupe, ils ont tendance à aboutir à des positions plus extrêmes que celles qu’ils prennent individuellement. De plus, les réponses exprimées lors du postconsensus s’avèrent plus proches de la position du groupe que celles exprimées lors de la phase de préconsensus.

Dans les expériences classiques de Moscovici et Zavalloni (1969), les élèves d’un lycée parisien devaient discuter en groupe de quatre de leurs opinions à l’égard du Général de Gaulle, opinion qu’ils avaient d’abord exprimée individuellement. D’autres élèves, suivant la même procédure, devaient discuter de leur avis à l’égard des Américains. Après la discussion en groupe, tous les élèves indiquaient à nouveau leur opinion de manière individuelle. Que s’est-il passé? Les résultats ont mis en évidence des effets de polarisation du groupe allant dans des directions opposées selon le thème faisant l’objet d’une discussion. Dans le cas du Général de Gaulle, les lycéens ont pris des positions individuelles plus extrêmes après la discussion en groupe dans une direction favorable à de Gaulle. Dans le cas des Américains, les lycéens ont aussi pris des positions individuelles plus extrêmes après la discussion en groupe mais dans une direction défavorable aux Américains. Deux conclusions importantes doivent être notées. D’abord, on remarque encore ici un phénomène émergent, un processus de groupe, qui ne cadre pas avec l’idée que le groupe n’est que la moyenne des individus qui le composent. Deuxièmement, pour chacun des thèmes, l’effet de la discussion en groupe est le même, rendre plus extrêmes les attitudes individuelles initiales, mais dans des directions opposées. Comme le rappellent Doise et Moscovici (1984), la polarisation s’effectue «vers la norme, le Zeitgeist (esprit du temps) de la culture ou de la société dans laquelle vivent les membres du groupe» (p. 224). Les lycéens parisiens avaient évidemment une opinion relativement favorable à l’égard du Général de Gaulle que la discussion en groupe fait ressurgir. On peut penser qu’il existe aussi dans la culture française une certaine réserve face aux Américains et c’est bien ce que confirme le déplacement des positions vers une glus grande antipathie à leur égard. Bref, le groupe agit comme un révélateur de culture.

UNE DÉFINITION

Au terme de ce bref examen de quelques processus de groupe, on peut d’ores et déjà voir poindre une définition de la culture. Ce qui émerge finalement du fonctionnement en groupe, c’est une culture: une façon de penser, de ressentir, et de se comporter qui caractérise les membres d’un groupe et qui les distingue des autres groupes. Cette définition rejoint celle que proposent les spécialistes de l’anthropologie culturelle (voir Kluckhohn, 1966). Camilleri et Vinsonneau (1996) ont une phrase remarquable qui résume le même point de vue: «si à peu près tout ce que produit un groupement social est de la culture ou du culturel, au sens général de la formation qui excède le naturel, la culture de ce groupement est ce qui caractérise en propre cette production au sein de ce groupe» (p. 12-13). Finalement, la culture, ce n’est pas simplement la caractéristique d’un groupe, c’est la caractéristique qui distingue un groupe par rapport à un autre. Lorsque Sherif (1966; voir chapitre 4), dans ses célèbres expériences dans des camps de vacances regroupe les enfants et les fait interagir entre eux, que se passe-t-il sinon le développement d’une culture de groupe: émergence de coutumes, de règles communes, de structures, les enfants donnent un nom à leur groupe, etc.? De la même manière, on peut se demander si les expériences utilisant le paradigme des groupes minimaux (voir Tajfel, 1970; chapitre 4) ne sont pas les meilleures preuves de cette tendance fondamentale des groupes à créer une culture en révélant ces comportements quasi-automatiques de différenciations intergroupes dès que les individus sont classés en groupe. Comme si, dès qu’un groupe psychologique émerge, on observait des comportements visant à créer une culture propre à ce groupe et permettant de le définir. Nous reviendrons sur ce point au chapitre 4. Bref, lorsqu’on parle de culture dans les sciences humaines et sociales, de quoi parle-t-on, sinon de groupes ayant des normes différentes, des niveaux de cohésion différents, et au sein desquels les comportements individuels suivent, en conséquence, des logiques différentes? Voilà sans doute ce qui résume en quelques mots l’essentiel du concept de culture pour une discipline comme la psychologie sociale.

L’étude de l’influence du groupe sur l’individu représente donc un premier paradigme pour l’étude de la culture, un premier point d’ancrage pour examiner les influences culturelles en psychologie. De fait, la théorie de l’évolution de la culture, un paradigme interdisciplinaire développé au cours des dernières années par des anthropologues et des biologistes, propose de définir la culture comme étant essentiellement une transmission sociale de connaissances. Sperber (1996) considère ainsi qu’expliquer les phénomènes culturels revient finalement à expliquer comment et pourquoi certaines idées se propagent de manière durable. Comme le remarque Mesoudi (2009), cette approche suggère que la psychologie sociale serait une discipline centrale dans l’étude de la culture puisque cette discipline se consacre précisément à l’étude des mécanismes d’influence rendant possible la transmission des idées. Les processus de groupe étudiés par les psychologues sociaux, les concepts de normes, de stéréotypes, de valeurs, de représentations sociales sont donc des éléments fondamentaux de la culture. Lorsqu’on étudie les valeurs, on étudie un élément culturel, un produit émergent de l’interaction entre les membres d’un groupe. Pourtant, nombre de théories et de propositions en psychologie sociale situent l’origine de ces produits culturels dans l’individu lui-même et son fonctionnement cognitif. Ainsi, Stangor et Schaller (1996) distinguent deux approches dans l’étude des stéréotypes en psychologie sociale:

1. l’approche individuelle de la cognition sociale selon laquelle «les stéréotypes sont représentés dans l’esprit individuel de la personne» (p. 4), et

2. l’approche collective/culturelle selon laquelle «les stéréotypes sont représentés en tant qu’élément constitutif de la société, partagés par les membres de cette culture» (p. 4).

Comme le proposaient Leyens et Bourhis (1999), Stangor et Schaller (1996) sont d’avis que l’intégration de ces deux approches devraient fournir une meilleure compréhension des fonctionnements psychologiques et sociaux. Cette position est difficilement contestable. Néanmoins, il est clair que si la prise en compte de l’influence de la culture est une donnée récente de la psychologie sociale, c’est dire que l’étude des stéréotypes, des normes, des systèmes de croyance et des valeurs en tant qu’éléments culturels a pris un certain retard qu’il importe maintenant de combler.

Chapitre 2

Cadres théoriques et méthodologiques

S’intéresser au rôle de la culture en psychologie sociale comporte un certain nombre de difficultés théoriques et méthodologiques. Ce chapitre a pour but de fournir des repères permettant d’éviter les principaux pièges à cet égard. En effet, la culture n’est pas une variable simple qu’on peut traiter comme n’importe quel facteur d’un plan expérimental (Camilleri & Vinsonneau, 1996). Il faut bien se rendre compte cependant que les obstacles à franchir sont, à des rares exceptions, exactement les mêmes lorsqu’on étudie une seule culture. Quand il faut interroger des enfants de 10 ans, pour une étude qu’on pourrait situer dans le champ de la psychologie du développement n’ayant rien à voir avec la culture, la méthode utilisée doit nécessairement tenir compte des caractéristiques de cette population. Nous verrons que cette idée générale de l’adaptation des instruments de mesure et d’observation à la population étudiée est précisément celle que la prise en considération du rôle de la culture nous oblige à considérer comme essentielle.

Ce chapitre est divisé en trois parties principales. Dans la première partie, nous allons distinguer trois perspectives générales ou approches théoriques face à l’étude de la culture en psychologie et souligner les implications méthodologiques de ces perspectives. Ensuite, nous discuterons de questions de méthodes en précisant d’abord les avantages pour la psychologie sociale de s’intéresser au rôle de la culture. Nous terminerons par un examen détaillé des différentes sources de biais méthodologiques qui peuvent être impliqués dans les recherches comparant différentes cultures. Mais d’abord, il est utile d’étudier quelques cadres théoriques généraux face aux relations entre la culture et la psychologie puisque ces cadres théoriques ont des implications pour les questions de méthode.

TROIS PERSPECTIVES GÉNÉRALES FACE À L’ÉTUDE DE LA CULTURE EN PSYCHOLOGIE

Berry et ses collègues (1992) ont distingué trois grandes perspectives face à l’étude des rapports entre la culture et les phénomènes psychologiques: l’Absolutisme, le Relativisme et l’Universalisme. On retrouve rarement des auteurs adoptant totalement, et de façon exclusive, l’une ou l’autre de ces perspectives. Néanmoins, comprendre le sens et la portée de ces perspectives générales apparaît capital car, peu importe le sujet traité, adopter une perspective ou une autre, change énormément de choses: les mêmes phénomènes culturels sont interprétés très différemment selon l’orientation théorique générale dans laquelle on se situe.

Considérons par exemple la question de la maladie mentale et de son rapport avec la culture. On peut penser que les maladies mentales sont essentiellement des invariants: elles existent et prennent la même forme dans toutes les cultures. Ce serait un exemple de position absolutiste. Or, on peut penser, au contraire, que les maladies mentales sont des phénomènes relatifs à la culture au sein de laquelle elles se manifestent. Il s’agirait en fait de phénomène unique à chaque culture. De ce point de vue relativiste, on ne peut comprendre les maladies mentales qu’en fonction des spécificités de la culture au sein de laquelle elles se manifestent, point de vue qui a mené par exemple au développement de l’ethnopsychiatrie. Enfin, on peut considérer que les maladies mentales sont universelles, c’est-à-dire présentes sous une forme ou une autre dans toutes les cultures mais qu’elles sont soumises à des influences culturelles qui en modifient les manifestations extérieures. C’est la position universaliste qui combine jusqu’à un certain point les deux perspectives précédentes. Voyons un peu plus en détail ce qui distingue ces trois positions en commençant par le relativisme.

Le relativisme

Le relativisme culturel est une position très influente en psychologie et dans les sciences humaines et sociales en général. Elle suppose que tout est relatif au contexte culturel, qu’il est essentiel d’éviter de juger les autres cultures en fonction de ses propres schèmes, qu’il faut plutôt comprendre les cultures pour ce qu’elles sont, selon leurs propres termes et sans les juger.

De ce point de vue, on ne s’intéresse pas tellement aux similitudes qui existent à travers les cultures et on explique les différences en soulignant qu’elles sont dues au contexte culturel. Sur le plan méthodologique, cette position dans sa version la plus radicale implique le rejet de la méthode comparative: il faut éviter de comparer les cultures puisqu’on ne peut rien en tirer. Il n’y a pas de position à partir de laquelle la comparaison des cultures pourrait être valable. Il faut donc travailler à comprendre une culture pour ce qui la caractérise en propre. On dira qu’il faut adopter une approche émique, c’est-à-dire s’intéresser à des éléments qui ne se retrouvent que dans une culture particulière en opposition à une approche étique qui s’intéressera à des éléments communs à toutes les cultures (Berry, 1969). Il est clair que du point de vue du relativisme, la culture a une importance considérable et la psychologie doit donc être développée en tenant compte de la culture. Cependant, il s’agit ici de développer ce qu’on appelle une psychologie culturelle au sens où chaque culture aurait une psychologie qui lui est propre.

Bien que la position relativiste soit intéressante, elle implique certaines difficultés dont on tient rarement compte. En effet, si tout est relatif à la culture, les valeurs, les faits, la vérité, alors il n’y a plus réellement de valeurs, de faits ou de vérité et la recherche empirique ou le débat n’ont plus beaucoup de sens. Il devient inutile de discuter de certains points de vue puisque tout se vaut, tout est relatif, on ne peut juger de rien sinon on impose son propre schème culturel sur celui des autres. Cette position ne résiste pas très bien à l’analyse. De toute évidence, il y a des points de vue qui nous semblent meilleurs que d’autres et il y a des positions qui nous semblent tout à fait inacceptables. Le sociologue Raymond Boudon (1995) a publié un ouvrage intitulé Le Juste et le Vrai dans lequel il souligne les limites importantes d’une pensée relativiste pour nous mettre en garde contre une philosophie qui serait, à son avis, de plus en plus acceptée aveuglément par les étudiants à l’université.

À la limite, si l’on accepte le relativisme, cela signifie qu’on ne devrait pas, par exemple, s’opposer aux groupes, aux partis politiques ou aux nations qui ont le racisme et la discrimination comme argument. Face à un parti nazi qui propose d’éliminer un groupe culturel car il serait la cause de tous les problèmes nationaux, devrait-on réagir, en accord avec la philosophie relativiste, en considérant que cette position est relative à la culture de ce groupe et donc, qu’on ne doit pas la juger à partir de nos propres schèmes? Poser cette question, c’est y répondre. On peut penser en réalité qu’il existe certains principes, certaines valeurs (i.e. la santé, la vie humaine, le bien-être et l’intégrité physique de l’être humain…) qui sont universellement reconnues. La torture, par principe, peut être considérée comme inacceptable, peu importe la culture dans laquelle on la pratique. En d’autres mots, le relativisme des attitudes, des valeurs ou des pratiques à travers les cultures est une notion importante et valable. Néanmoins, il est hasardeux d’appliquer cette notion sans distinction pour caractériser toutes les valeurs et toutes les pratiques culturelles. Cette limite du relativisme culturel nous conduit à rechercher une autre perspective plus acceptable.

L’absolutisme

L’inverse du relativisme, c’est l’absolutisme, pour qui les phénomènes psychologiques sont essentiellement les mêmes peu importe la culture. Selon cette perspective, on suppose par exemple que l’intelligence, l’honnêteté ou la dépression ont le même caractère partout, et l’on ignore la possibilité que les connaissances du chercheur puissent être fonction de certaines conceptions particulières à sa propre culture. Cette position peut être considérée comme l’orientation traditionnelle prédominante de la psychologie scientifique, pour qui le rôle de la culture a toujours été somme toute limité.

Ainsi, de façon traditionnelle, les manuels ou les cours de psychologie générale, de psychologie cognitive, ou même de psychologie sociale présentent les résultats d’expériences en laboratoire menées auprès d’étudiants occidentaux, comme des faits scientifiques établissant les principes du fonctionnement psychologique de l’être humain. Le titre du fameux livre de Nisbett et Ross (1980) sur les jugements sociaux n’est évidemment pas «Les processus d’inférence chez les étudiants d’université américains» mais bien «Les inférences humaines» [Human Inference]. C’est Nisbett (2003) lui-même qui fait remarquer cette incongruité, depuis qu’il est devenu ardent défenseur de la psychologie culturelle. Il reste que si l’on postule que les processus psychologiques sont les mêmes dans toutes les cultures, comme dans l’approche absolutiste, il est logique de généraliser à l’ensemble des êtres humains des résultats obtenus dans une expérience menée au sein d’une culture particulière. Le drame est que sur le plan méthodologique, cette position implique que les comparaisons interculturelles ne posent aucun problème particulier. Il est donc vu comme possible de faire des recherches empiriques impliquant la comparaison de différentes cultures ou sous-cultures à l’aide des mêmes instruments de mesure puisque ces instruments mesurent les mêmes construits psychologiques peu importe la culture. Cette position est dramatique puisqu’elle correspond à de «l’ethnocentrisme» scientifique. Elle équivaut à considérer nos propres conceptions comme étant les meilleures et donc, à les imposer sur les autres cultures dans tous les domaines, y compris les domaines scientifiques. Un psychologue spécialiste de l’intelligence, voyant que les études interculturelles sont à la mode, pourrait donc avoir l’idée de comparer les scores de QI des Américains à ceux des Brésiliens ou des Chinois avec le même test de QI développé aux États-Unis. Le résultat d’une telle comparaison pourrait montrer à n’en pas douter certaines capacités cognitives plus élevées aux États-Unis, ce qui pourrait être interprété de façon théoriquement appropriée mais ne changerait rien au fait de renforcer l’ethnocentrisme dont nous sommes tous un peu victimes. Autrement dit, une telle comparaison ne serait pas du tout adéquate puisqu’en fait, elle avantage dès le départ une culture au détriment des autres.

De toute évidence, ne pas admettre un minimum de relativisme, comme dans la position absolutiste, n’est pas plus acceptable que de penser que tout est relatif. Certains signes indiquent que cette perspective de l’Absolutisme est en perte de vitesse en psychologie mais il s’agit d’un phénomène très récent (Arnett, 2008). On peut en prendre pour preuve, toujours dans le domaine de l’intelligence, le titre de l’article de Robert Sternberg (2004), «Culture et intelligence», dans lequel il affirme: «L’intelligence est une notion qui ne peut pas être comprise de manière complète ni même de manière importante en dehors d’une considération du contexte culturel» (p. 325). Cette déclaration a été faite au moment où Sternberg était président de l’Association Américaine de Psychologie (APA), l’une des plus influentes organisations dans le monde de la psychologie. Elle indique clairement l’abandon de l’absolutisme dans la psychologie de l’intelligence par une personne qui occupe une position non pas marginale mais centrale dans la discipline. Cependant, cet article n’a pas été publié il y a une trentaine d’années en 1970, ni même en 1990, mais en 2004!

L’universalisme

Enfin, on peut parler d’une position universaliste selon laquelle les processus psychologiques fondamentaux sont probablement des éléments que tous les êtres humains partagent mais dont les manifestations sont susceptibles d’être influencées par la culture. Les besoins biologiques de base tels que manger ou dormir sont universels. Pourtant, la façon d’exprimer ces besoins universels peut être complètement différente d’une culture à une autre. L’universalisme suggère que le même raisonnement s’applique en psychologie: la diversité des pratiques culturelles pourrait très souvent cacher une similitude sous-jacente au niveau des processus et des fonctionnements psychologiques. Sur le plan méthodologique, cela signifie qu’on utilise les comparaisons mais de façon prudente, c’est-à-dire en essayant d’en déceler les limites. Les instruments de mesure sont considérés comme problématiques et nécessitent souvent des modifications afin d’arriver à un certain niveau d’équivalence interculturelle. Même si les recherches seront souvent à visée étique, on veillera aussi à considérer des aspects émiques en étant informé des conceptions d’une culture locale particulière.

Cette conception est sans doute la plus proche de l’orientation générale qui guide l’ensemble du présent ouvrage. Elle combine certains aspects de la position relativiste et de la position absolutiste d’une façon qui conduit à se fixer certains objectifs fondamentaux. Elle se distingue aussi de ces deux positions de façon importante. Ainsi, contrairement à la perspective absolutiste, l’universalisme suggère qu’on ne peut prétendre à la découverte de processus universels sur la base de recherches menées dans une seule culture, que ce soit la France, la Belgique ou le Canada. Et contrairement à la perspective relativiste, elle permet de définir le défi majeur de la psychologie sociale comme étant précisément celui de conduire des recherches à travers les cultures afin d’identifier les fonctionnements qui sont spécifiques à une culture pour les départager de ceux qui se retrouvent dans toutes les cultures. Bref, il s’agit de travailler à faire la part de ce qui, dans la psychologie humaine, serait proprement universel ou proprement culturel.

On l’a dit dès le départ, la plupart des psychologues sociaux n’adhèrent pas nécessairement de manière explicite à l’une ou l’autre de ces trois conceptions générales des relations entre la culture et la psychologie. Néanmoins, parmi les débats les plus importants qui ont lieu actuellement, on peut clairement identifier une opposition entre certains psychologues sociaux adoptant des positions relativistes et d’autres qui se posent en universalistes. Ainsi, dans un article majeur faisant l’intégration d’un vaste programme de recherches, Heine, Lehman, Markus et Kitayama (1999) mettent en doute l’universalité du besoin d’une estime de soi positive. En utilisant une variété de paradigmes, de l’étude des effets de la dissonance cognitive à celle des attributions causales, ils montrent que les Nord-Américains se distinguent des Japonais par une préoccupation pour une image positive de soi, préoccupation qui ne se retrouve pas du tout au Japon. Il s’agit donc d’une thèse relativiste.

Quelques années plus tard, Sedikides, Gaertner et Toguchi (2003) évaluent et confirment la thèse universaliste selon laquelle le besoin d’une estime de soi positive serait bien universel, mais ce même besoin s’exprimerait sous des formes différentes en fonction de la culture. Ils contestent donc avec vigueur la thèse relativiste de Heine et al. (1999). Nous aurons l’occasion de revenir au chapitre 6 sur les termes de ce débat. Notons pour l’instant qu’il révèle l’importance de distinguer une conception relativiste dans laquelle les besoins psychologiques eux-mêmes diffèrent selon la culture, d’une position universaliste proposant qu’il existe certains besoins psychologiques universels dont les manifestations peuvent différer grandement à travers les cultures. De plus, ces débats et ces recherches ont eu le mérite de faire avancer grandement l’analyse des principaux problèmes méthodologiques reliés à la recherche interculturelle, problèmes sur lesquels nous allons nous pencher dans la dernière partie de ce chapitre. Mais auparavant, il faut noter que dans une perspective universaliste, la recherche interculturelle ne présente pas que des inconvénients. Elle offre en fait plusieurs avantages méthodologiques.

LES AVANTAGES DE LA RECHERCHE INTERCULTURELLE

La recherche interculturelle a certains avantages qui ne se retrouvent pas dans d’autres types de recherche en psychologie (Brislin, 1993). Un objectif fondamental de la science est de découvrir des lois universelles (Piaget, 1976). La psychologie en tant que discipline scientifique est donc à la recherche des principes universels qui peuvent expliquer et prédire les comportements humains dans toutes les sociétés. Comment les psychologues arrivent-ils à mettre en évidence l’universalité du fonctionnement psychologique humain? En fait, c’est assez simple puisque, comme le notent Norenzayan et Heine (2005): «on retrouve dans l’ensemble de la psychologie la supposition implicite selon laquelle ses objets d’étude seraient de facto universels» (p. 764). Cette réponse est évidemment inacceptable et certains psychologues commencent à s’en rendre compte, y compris aux États-Unis (voir Arnett, 2008). Les connaissances actuelles des caractéristiques de la population mondiale vont clairement à l’encontre d’une supposition selon laquelle il y aurait tellement des choses en commun entre les êtres humains des quatre coins de la planète que les chercheurs seraient justifiés de faire des études dans une région du monde (les États-Unis, l’Europe) pour généraliser ensuite les résultats aux autres régions du monde. Il y a une vingtaine d’années, Amir et Sharon (1987) ont d’ailleurs offert une démonstration empirique rigoureuse du fait que les résultats d’expériences en psychologie sociale menées aux États-Unis ne sont pas les mêmes lorsqu’on reproduit ces expériences dans une nouvelle culture. L’universalité des processus psychologiques ne peut donc pas être postulée, ou admise d’avance. Elle doit être démontrée empiriquement. Mais comment?

La recherche interculturelle présente des avantages quasiment incontournables pour qui veut répondre à cette question. Les allégations quant à l’universalité d’un phénomène peuvent être testées en comparant deux ou plusieurs populations culturellement différentes. Si les résultats sont identiques malgré des différences culturelles importantes, l’hypothèse de l’universalité est en bonne posture. Mais si les comportements sont très différents, cette hypothèse doit être rejetée, du moins temporairement (pour plus de détails, voir Norenzayan & Heine, 2005). Les travaux de Sedikides et al