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Une analyse profonde des différentes réponses politiques face à la diversité rencontrée à notre époque.
Face à la diversité culturelle et religieuse, et à la multiplication des revendications identitaires pouvant l’accompagner, comment faire pour favoriser la cohésion sociale et lutter contre les extrémismes et la radicalisation ? Cet ouvrage présente la première synthèse d’envergure des connaissances à ce sujet en examinant les recherches sur les effets psychologiques et sociaux des politiques nationales liées à la diversité. Les trois principales réponses politiques face à la diversité, l’assimilation, le multiculturalisme et l’universalisme républicain, et un de leurs dérivés récents, l’interculturalisme, chacune emblématique de certains pays et rejetée par d’autres, sont analysées afin de dépasser les caricatures impressionnistes dont elles font habituellement l’objet.
Au travers d'un ouvrage complet, découvrez les réponses politiques face aux diversités, loin de la caricature dont elles peuvent être l'objet.
EXTRAIT
La notion de politique de diversité est utilisée ici pour faire référence à ce cadre institutionnel. On peut considérer cette notion comme synonyme de ce que certains appellent « politique d’intégration » ou « modèle d’intégration ». Dans la vie publique, on parle du modèle français d’intégration, du modèle suédois, du modèle anglais. Ceux-ci sont constitués de lois et de règlements qui structurent les relations entre les différents groupes dans une société pluraliste. Ces lois et règlements institutionnalisent certains principes qui sont considérés comme importants pour faire face à la diversité (Weldon, 2006).
Pour savoir quelle politique de diversité est officiellement défendue dans un pays donné, il faut examiner les lois et les pratiques officielles qui caractérisent ce pays. C’est ce qu’étudient les spécialistes de sciences politiques. Mais à côté de cette réalité institutionnelle se trouve la population. Qu’en pensent les gens ? La question des attitudes et des croyances des individus à l’égard de la diversité et des politiques impliquées est étudiée depuis plusieurs années par les psychologues sociaux. Toutefois, jusqu’à récemment, ces deux domaines d’études étaient soit traités de manière indépendante, soit confondus. La première distinction d’importance est donc celle-ci : les politiques de diversité forment un cadre institutionnel qui ne saurait être confondu avec les croyances sociales, ce que pensent les gens de ces politiques.
À PROPOS DE L'AUTEUR
Québécois d’origine, citoyen français et européen de cœur,
Serge Guimond est professeur à l’Université Clermont Auvergne où il a dirigé le Laboratoire CNRS de Psychologie sociale et cognitive de 2011 à 2015. Il est le premier chercheur français dont les travaux ont mérité le Gordon Allport Intergroup Relations Prize, prix international décerné annuellement depuis 1968 par la Société pour l’étude psychologique des questions sociales.
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Seitenzahl: 307
Veröffentlichungsjahr: 2019
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« Ce progrès phénoménal dans les sciences humaines et sociales est une excellente nouvelle, car les politiques publiques devraient effectivement être basées sur des données empiriques et pas seulement sur des théories idéalisées de la justice. »
‒ Kymlicka, 2010, p. 260
Les politiques publiques peuvent-elles changer les préjugés et atténuer les discriminations ? Si oui, comment ? Cet ouvrage offre une réponse documentée à ces questions en faisant la synthèse des recherches examinant les effets des politiques nationales de diversité mises en œuvre en Europe et en Amérique du Nord1.
Depuis plusieurs années, les débats publics autour des questions d’immigration et d’intégration se multiplient (Badea, 2012 ; Green & Staerklé, 2013 ; Nugier & Oppin, 2018). Ces débats prennent des formes enflammées en France et dans l’Europe tout entière, comme au Canada ou aux États-Unis. Alimentées par l’extrême droite, ces questions nourrissent les craintes et les peurs de voir un monde s’écrouler. « On n’est plus chez nous », disent certains, exprimant ce sentiment psychologique d’être envahi par les étrangers alors que rien dans les chiffres ne le justifie (Beauchemin, Hamel & Simon, 2015).
Quelles réponses a-t-on apportées à ces angoisses ? Ce serait une grave erreur de traiter ces questions à la légère ou de dire qu’elles ne sont pas aussi importantes que celles concernant le chômage, les inégalités, l’environnement ou l’éducation, car elles ont des répercussions politiques bien réelles. Les préjugés anti-immigrés ont été déterminants à la fois pour le vote en faveur de la sortie de l’Union européenne au Royaume-Uni, le Brexit (voir Meleady, Seger, & Vermue, 2017), comme pour l’élection de Donald Trump à la présidence des États-Unis (McElwee & McDaniel, 2017). En France, on sait depuis longtemps que le moteur de base du vote en faveur du Front national (FN) est le préjugé anti-immigré (Mayer & Perrineau, 1990). Les recherches rigoureuses menées dans de nombreux pays confirment le phénomène (Green, Sarrasin, Baur, & Fasel, 2016). Cela signifie que, dans la mesure où certaines politiques de diversité seraient efficaces dans la lutte contre les préjugés et les discriminations, elles constitueraient également un outil permettant de faire barrage aux partis d’extrême droite. Nicolas Sarkozy, élu président de la République française en 2007 avec 53 % des voix contre 47 % accordées à Ségolène Royal, a pourtant mené une politique imitant celle que ferait le FN. Il est vrai qu’il avait été élu à la suite d’une campagne très droitière qui lui avait effectivement permis d’attirer les électeurs du FN (Mayer, 2007). Sarkozy multiplie les lois sur l’immigration, vante avec Hortefeux, son ministre de l’Intérieur, les chiffres d’expulsion à la hausse, fait voter avec Fillon, son Premier ministre, la loi de 2010 dite « anti-burqa ». Comme le soulignent Mondon et Winter (2017), « alors que ses discours sur l’immigration et l’Islam étaient largement empruntés au répertoire du FN, sa position en tant que leader d’un parti politique respectable et son élection comme président par la suite ont donné une légitimité à ces propos » (p. 36, ma traduction). Le 10 février 2011, Sarkozy déclare à la télévision française que « le multiculturalisme est un échec ». Quelques jours auparavant, le 5 février 2011, David Cameron, en Angleterre, avait dit la même chose, et Angela Merkel, en Allemagne, les avait précédés en faisant la même déclaration le 17 octobre 2010.
La signification et les effets d’une politique nationale de multiculturalisme feront l’objet d’un examen minutieux dans cet ouvrage (voir le chapitre 3). Mais il faut d’ores et déjà souligner que de telles déclarations faites par des leaders politiques européens ont laissé songeurs de nombreux spécialistes de la question. Il n’y a jamais eu ni en Allemagne ni en France de politique nationale de multiculturalisme. Il ne fait donc aucun sens de dire que cette politique a été un échec dans ces pays. Kymlicka (2012a) a abondamment documenté le fait que cette idée de « l’échec du multiculturalisme » ne reposait sur aucune donnée et qu’au contraire, on avait toutes les raisons de penser qu’une politique de multiculturalisme comme celle du Canada avait plutôt bien réussi. À Toronto, centre économique du Canada figurant parmi les cinq plus grandes villes en Amérique du Nord, pas moins de la moitié des résidents sont nés en dehors du Canada. Cette ville cosmopolite est l’une des plus importantes destinations au monde en termes d’immigration. Ce n’est pas tout à fait le signe d’un échec.
Le seul qui pouvait éventuellement parler en ces termes de la politique de multiculturalisme est David Cameron car, effectivement, le Royaume-Uni a eu comme politique officielle une forme de multiculturalisme de laquelle Cameron a souhaité se désengager. Mais s’il existe au sommet des deux pays européens les plus importants, l’Allemagne et la France, une telle ignorance sur une question aussi centrale, c’est que les connaissances développées au cours des quarante dernières années, dans d’innombrables études, enquêtes et analyses, n’ont pas été suffisamment diffusées. D’où l’idée de rassembler dans un même ouvrage la documentation à ce sujet concernant non seulement le multiculturalisme, mais aussi la politique d’assimilation menée notamment en Allemagne (chapitre 2), la politique républicaine et son principe de laïcité menée en France (chapitre 4), ou encore l’interculturalisme proposé en 2008 comme politique de diversité pour l’ensemble de l’Union européenne (chapitre 5). Si les leaders politiques sont peu informés, il est indispensable que les citoyens le soient afin qu’ils puissent juger en connaissance de cause les offres politiques qu’on leur propose.
Dans le premier chapitre, un cadre d’analyse général sera présenté afin de situer les grandes politiques mises en œuvre dans différents pays européens et nord-américains. Chacun des chapitres subséquents sera consacré à l’une de ces politiques dans le but de faire la synthèse des connaissances concernant son impact sur les attitudes et les comportements des individus. Les questions fondamentales soulevées par la thématique ne datent pas d’hier :
•Une politique de diversité mise en œuvre au niveau d’un État ou d’une nation peut-elle façonner la façon dont les individus composant la population nationale pensent et réagissent face à la diversité ? Si oui, de quelle nature est cet impact et comment en rendre compte ?
•Certaines politiques peuvent-elles favoriser des relations harmonieuses entre les individus et les groupes ? Dans ce cas, on aurait une politique qui favorise la cohésion sociale, qui permet à la société de se développer et d’avancer.
•Certaines politiques peuvent-elles, au contraire, favoriser les conflits et les divisions entre les individus et les groupes ? Dans un tel cas, on aurait une politique qui crée des problèmes sociaux, nourrit les antagonismes des uns contre les autres, et qui, à terme, contribue au développement de l’extrémisme et de la radicalisation.
Les recherches en sciences humaines et sociales, et en particulier en psychologie sociale, abordent ces interrogations depuis plus de 40 ans. Au cours des cinq dernières années, le progrès des connaissances dans ce domaine a été immense ; à tel point qu’il est maintenant possible, comme on le verra, d’arriver à des recommandations claires concernant les politiques désirables et souhaitables et celles qui le sont moins.
1. Depuis plus de 10 ans, des recherches indépendantes sont menées sur ces questions au laboratoire CNRS (UMR 6024) de l’Université Blaise-Pascal (maintenant Université Clermont Auvergne) grâce au soutien financier de l’Agence nationale de la Recherche (ANR) et du CNRS. Ces fonds de recherche ont été obtenus suite à des expertises scientifiques indépendantes et anonymes de projets soumis lors de compétitions nationales et internationales. Ainsi, j’ai eu la responsabilité scientifique des projets IMERCI (2007-2011, ANR-06-CONF-007), IMAG (2012-2016, ANR 11-FRQU-004-01), IM3CP (2016-2017, CNRS-AMI), et du partenariat PILO (2017-2020) dans le cadre du projet international FUTURICT.2 (ANR-16-PILO-0002-06). Les principaux enseignements de ces travaux sont présentés dans les pages qui suivent.
Nous sommes tous à la fois semblables aux autres et différents des autres. Semblables parce que nous partageons des caractéristiques biologiques et psychologiques propres à l’espèce humaine ‒ un cœur, des neurones, du sang dans nos veines, une capacité à se déplacer, à réfléchir, à percevoir le monde qui nous entoure. Différents, parce qu’il n’est pas difficile de trouver ce qui nous distingue des autres, du moins en apparence, et parce que nous avons cette capacité cognitive à classer les informations et les personnes dans des catégories.
Par catégorisation sociale, nous faisons référence à ce processus au moyen duquel on peut regrouper les gens qui nous ressemblent dans une catégorie, l’endogroupe, et les personnes différentes dans une autre catégorie, l’exogroupe (Klein, Wollast, & Eberlen, 2018). Ce classement en « nous » et « eux », en endogroupe et exogroupe, a le pouvoir de transformer nos comportements individuels en comportements intergroupes (Tajfel, 1970, 1972a). Les comportements intergroupes se définissent comme des actions, ou des attitudes, menées sur la base de cette catégorisation endoexogroupe, et non pas, comme dans les comportements interpersonnels, sur la base des caractéristiques individuelles des personnes (Tajfel, 1978). Lorsque des policiers dégagent des manifestants d’une place publique, nous avons essentiellement affaire à des comportements intergroupes. Les policiers considèrent chaque manifestant comme des membres interchangeables d’un groupe. Ceux-ci agissent envers les policiers non pas en fonction de leurs caractéristiques individuelles (leur corpulence, leur âge ou leur grade), mais en fonction du fait qu’ils appartiennent au groupe.
Le processus de catégorisation est un outil de gestion de la complexité probablement indispensable à notre survie. Le monde qui nous entoure est trop complexe, et nos capacités cognitives trop limitées pour que l’on puisse traiter chaque nouvelle information comme si elle était unique. Nous devons faire une sélection et une catégorisation pour nous y retrouver. On sait que la façon de catégoriser l’environnement n’est pas neutre. C’est comme si, inscrit au sein même de notre façon de comprendre le monde, il y avait déjà un biais, un favoritisme. Pour Jerome Bruner, toute perception est un acte de catégorisation. Ainsi, les éléments classés dans la même catégorie ont tendance à être perçus comme plus semblables les uns aux autres qu’ils ne le sont en réalité. Lorsque l’on classe une personne asiatique dans la catégorie des Chinois, notre perception sera alors comme brouillée et on aura du mal à la distinguer d’une autre personne classée dans la même catégorie. À l’inverse, les éléments classés dans des catégories différentes ont tendance à être perçus comme plus différents qu’ils ne le sont réellement. On accentue les différences intercatégorielles.
Une expérience de Doise, Deschamps et Meyer (1978) menée en Suisse illustre le phénomène. Dans une première condition, des descriptions des Suisses français, des Suisses allemands et des Suisses italiens sont présentées. Dans une deuxième condition, des descriptions des Suisses français, des Suisses allemands et des Italiens sont faites. Les résultats montrent que les participants perçoivent les Suisses français et les Suisses allemands comme plus semblables dans la seconde condition. Dans cette dernière, la catégorisation suisse versus non-Suisse vient à l’esprit. Les Suisses français et les Suisses allemands sont alors catégorisés comme faisant partie de la même catégorie (des Suisses au contraire des Italiens) ; ils sont donc perçus comme semblables. On le voit, ce processus est flexible. Il varie selon la configuration des éléments présents dans un contexte donné.
Les recherches suggèrent que les caractéristiques visibles comme le sexe, l’âge ou la couleur de la peau sont utilisées de manière très rapide ‒ on dira automatique ‒ pour classer les personnes dans des catégories sans qu’on en soit conscient. C’est une femme, c’est un homme, c’est un Américain sont des éléments qui nous viennent très rapidement à l’esprit quand on rencontre une personne. La notion de diversité concerne alors le fait qu’il existe une grande variété de critères de catégorisation, en opposition à une situation où il y en aurait très peu. Le dictionnaire historique de la langue française d’Alain Rey (2016) indique que le sens actuel du mot « diversité » serait dérivé du latin diversus signifiant « variété ». Mais jusqu’au Moyen Âge, il avait plutôt le sens de « divergence », « opposition » ou « contradiction », emprunté au latin diversitas. Sur Internet, le dictionnaire Larousse définit le terme « diversité » comme suit : « Ensemble des personnes qui diffèrent les unes des autres par leur origine géographique, socioculturelle ou religieuse, leur âge, leur sexe, leur orientation sexuelle, etc. » Dans son rapport à la ministre de l’Enseignement supérieur et de la Recherche sur la diversité, Wieviorka (2008) définit la diversité comme la fédération de deux grandes préoccupations collectives : les « identités culturelles […] qui demandent à être reconnues » et les « discriminations qui atteignent les membres de certains groupes, et en particulier ceux qui relèvent de “minorités visibles” » (p. 20). S’il est vrai que les débats sur la diversité concernent souvent les identités culturelles et les discriminations, cette formulation permet difficilement d’en comprendre les tenants et les aboutissants. Pourquoi y aurait-il un lien entre diversité et identités culturelles ? Qu’entend-on par « identités culturelles » ? C’est la psychologie sociale que Wieviorka (2008) n’aborde pas qui répond probablement le mieux à ces questions.
Dans l’une des théories les plus influentes de cette discipline, la théorie de l’identité sociale, Tajfel et Turner (1979) expliquent que la catégorisation sociale est une segmentation du monde en catégories sociales qui donnent une place aux individus et leur confère une identité. Car, contrairement à la catégorisation d’objets, la catégorisation sociale implique le soi : nous avons une bonne idée du groupe auquel nous appartenons (endogroupe) et de ceux dont nous ne sommes pas membres (les exogroupes). Tajfel et Turner (1979) définissent l’identité sociale comme la partie du concept de soi provenant de la reconnaissance de notre appartenance à une catégorie sociale liée à la valeur et à la signification émotionnelle rattachée à cette appartenance. La diversité serait donc le fait qu’il existe, dans un ensemble social donné, non pas un seul et même groupe, mais plusieurs groupes plus ou moins distincts. C’est un élément de description démographique d’une société à l’effet que celle-ci se compose d’un nombre plus ou moins important de groupes. Cette diversité implique une identification à un ou plusieurs de ces groupes. Elle peut conduire au développement de certaines identités, mais toute la question est justement de savoir lesquelles. La thèse développée ici est qu’une politique de diversité mise en œuvre au niveau d’un État ou d’une nation peut façonner la façon dont les individus composant la population nationale pensent et réagissent face à la diversité, et ainsi contribuer à modifier la relation entre diversité et identités culturelles. Autrement dit, la diversité comme caractéristique d’une société aura des implications très différentes pour la vie dans cette société selon le cadre institutionnel qui lui est donné. Pour saisir cette influence, il faut faire certaines distinctions.
La notion de politique de diversité est utilisée ici pour faire référence à ce cadre institutionnel. On peut considérer cette notion comme synonyme de ce que certains appellent « politique d’intégration » ou « modèle d’intégration ». Dans la vie publique, on parle du modèle français d’intégration, du modèle suédois, du modèle anglais. Ceux-ci sont constitués de lois et de règlements qui structurent les relations entre les différents groupes dans une société pluraliste. Ces lois et règlements institutionnalisent certains principes qui sont considérés comme importants pour faire face à la diversité (Weldon, 2006).
Pour savoir quelle politique de diversité est officiellement défendue dans un pays donné, il faut examiner les lois et les pratiques officielles qui caractérisent ce pays. C’est ce qu’étudient les spécialistes de sciences politiques. Mais à côté de cette réalité institutionnelle se trouve la population. Qu’en pensent les gens ? La question des attitudes et des croyances des individus à l’égard de la diversité et des politiques impliquées est étudiée depuis plusieurs années par les psychologues sociaux. Toutefois, jusqu’à récemment, ces deux domaines d’études étaient soit traités de manière indépendante, soit confondus. La première distinction d’importance est donc celle-ci : les politiques de diversité forment un cadre institutionnel qui ne saurait être confondu avec les croyances sociales, ce que pensent les gens de ces politiques.
Une fois cette distinction bien en tête, on peut alors s’interroger sur la relation entre les politiques de diversité et les croyances sociales. Certains spécialistes soutiennent qu’il n’y a pas de liens véritables entre les politiques nationales et ce qu’en pensent les individus (Abu-Rayya, 2007). Les politiques nationales seraient trop distantes du quotidien des individus dont la psychologie serait motivée par des besoins fondamentaux qui ont peu à voir avec les éléments des politiques de diversité, d’où l’intérêt de beaucoup de sociologues pour le niveau des politiques locales2.
Ainsi, en France, Weil (2015), historien et philosophe, écrit : « La laïcité, c’est d’abord du droit. C’est un régime juridique qu’il ne faut pas confondre avec le rapport qu’entretient une société à la religion, car il faut distinguer le droit des croyances sociales. Il peut y avoir une différence énorme entre ce qui est légal et ce en quoi les gens croient. » (p. 80) Intuitivement, on comprend tout à fait ce que Weil veut dire et on peut aisément se ranger à son point de vue. Il y a le domaine légal et il y a le domaine des croyances. Mais en y regardant de plus près, on arrive à un avis différent. D’abord, il serait assez curieux que le domaine légal n’ait aucun rapport avec les croyances sociales, car qui fabrique les lois ? Ce ne sont pas des robots. Ce sont des femmes, et des hommes comme Patrick Weil qui a participé à la commission Stasi menant à la loi du 15 mars 2004, et ces êtres humains ont des croyances comme les autres. Plus généralement, ce qui sera documenté dans les pages qui suivent, c’est à peu près l’inverse de la position de Weil (2015), c’est-à-dire qu’il peut y avoir des relations étroites entre une politique nationale de diversité, le cadre légal et institutionnel, et ce que les gens croient. Mais pour comprendre ce lien, il faut distinguer deux systèmes de croyances. Dan Sperber (1996), théoricien brillant récompensé pour l’ensemble de son travail par le prix Claude Lévi-Strauss, a souligné l’importance de distinguer les représentations mentales des représentations culturelles.
Dans n’importe quel groupe social, souligne Sperber, on trouve des individus qui ont dans leur cerveau des millions d’idées, de croyances ou d’attitudes que l’on peut appeler des représentations mentales. Certaines de ces idées, croyances ou attitudes seront communiquées à autrui, pas les autres. Parmi celles qui sont communiquées, un petit nombre le sera à plusieurs reprises de manière à être largement distribuées au sein du groupe. Pour Sperber (1996), ces représentations mentales qui sont très largement partagées par les membres d’un groupe constituent des représentations culturelles.
Cette distinction s’avère déterminante pour comprendre l’influence des politiques de diversité. Cette influence peut être observée très nettement, comme on le verra, sur le plan des représentations culturelles, contrairement à ce que dit Weil (2015), bien qu’il soit vrai qu’au niveau des représentations mentales, c’est une autre histoire. Toutes nos recherches suggèrent que ces deux systèmes de représentation fonctionnent de manière relativement autonome. On peut substituer à cette distinction entre deux systèmes de représentation les concepts bien connus d’attitudes personnelles d’un côté, et de normes culturelles de l’autre. Les représentations culturelles de Sperber sont des croyances socialement partagées, que l’on appelle aussi des normes culturelles, ou des visions culturelles du monde. L’étude de Tankar et Paluck (2017) examinant l’influence de la décision de la Cour suprême américaine relative au mariage entre personnes de même sexe indique l’importance de cette distinction. En effet, ces auteurs montrent que la décision légale a eu une influence directe sur la perception de la norme aux États-Unis, la perception de ce que les membres du groupe pensent, mais pas sur les attitudes personnelles des Américains. Autrement dit, la loi a changé certaines croyances, celles qui concernent ce que pensent la plupart des Américains, sans apparemment avoir d’influence sur les attitudes personnelles à l’égard du mariage entre personnes de même sexe. Le fait que la loi change la perception de la norme collective est une donnée fondamentale pour comprendre la régulation des comportements sociaux de masse au niveau de l’ensemble d’une population nationale. Par conséquent, en se concentrant sur le fait qu’il peut y avoir une différence énorme entre le domaine légal et les représentations mentales, plusieurs spécialistes ont probablement raté l’essentiel.
Le conformisme aux normes du groupe est l’une des formes de l’influence du groupe sur l’individu qui a été la plus étudiée (Guimond, 2010). On sait depuis longtemps que l’adaptation à la vie en société implique que nous changeons fréquemment nos attitudes personnelles et nos comportements en direction de la norme du groupe. Si la norme est la veste-cravate ou de se teindre les cheveux en vert, l’individu souhaitant faire partie du groupe s’y conformera. Il modifiera son attitude ou son comportement pour qu’il soit en harmonie avec le reste du groupe. Or quand il est question de politique nationale, c’est la norme nationale qui est en jeu. Un changement de norme à ce niveau a le potentiel de changer les comportements de millions de personnes qui intégreront petit à petit la norme commune. On a donc un processus très simple illustré par la figure 1.
Nous poserons donc comme principe général que les lois ou les politiques ont un impact direct sur les représentations culturelles, les normes, mais pas sur les attitudes personnelles. En revanche, les normes ont une influence directe sur les attitudes personnelles et, éventuellement, sur les comportements, ce qui signifie que les lois peuvent indirectement changer les attitudes personnelles et les comportements. Par exemple, si on prend la loi française du 15 mars 2004 interdisant à tous les élèves des écoles publiques le port de signes religieux ostensibles dans l’enceinte de l’école, cette loi n’aurait pas d’effet direct sur ce que pense la population de cette interdiction. Mais elle aurait des implications directes sur la perception de ce que pensent la plupart des Français en la matière. En l’occurrence, une telle loi votée quasiment à l’unanimité nous conduit individuellement à penser que les Français sont plutôt favorables à cette interdiction. Si, personnellement, je ne sais pas trop quoi penser de cette interdiction, il y a fort à parier que l’existence de cette norme commune me conduise petit à petit à me ranger à cet avis que je crois être partagé par les autres Français. Les recherches actuelles, qui arrivent difficilement à identifier une quelconque relation entre le cadre légal et les croyances des individus, ne sont pas basées sur ces distinctions. Elles confondent habituellement les deux systèmes de représentation dont nous venons de discuter. Voyons quelques exemples.
Figure 1 ‒ Les politiques nationales (lois, règlements) n’ont pas d’effet direct sur les attitudes des individus, mais elles changent les normes culturelles qui, elles, influencent les attitudes personnelles.
La notion d’idéologies de la diversité ou d’idéologies intergroupes s’est imposée récemment dans l’analyse des croyances sociales reliées à la diversité (Faniko, Bourguignon, Sarrasin, & Guimond, 2018 ; Park & Judd, 2005 ; Rattan & Ambady, 2013). Il s’agit des croyances concernant la façon dont les relations entre les groupes qui se distinguent sur le plan culturel, ethnique ou religieux devraient être organisées. Par exemple, depuis la fin des années soixante-dix, on parle de l’idéologie du multiculturalisme (Berry, Kalin, & Taylor, 1977). On mesure cette idéologie en demandant aux gens de se prononcer pour ou contre diverses propositions relatives à la diversité culturelle et aux bienfaits ou aux difficultés qu’elle peut occasionner.
Les recherches dans ce domaine se sont multipliées au cours des dernières années, avec plusieurs résultats importants. Mais jusqu’à récemment, la question de la relation entre une politique de multiculturalisme et l’adhésion à cette idéologie posait problème. Les gens qui vivent dans un pays ayant une politique officielle de multiculturalisme ne se distinguaient pas des autres sur le plan de l’adhésion à l’idéologie du multiculturalisme (van de Vijver, Breugelmans, & Schalk-Soekar, 2008). Par exemple, dans une longue série de recherches menées auprès des étudiants d’universités de différents pays (Canada, Allemagne, Israël, États-Unis, France), pays ayant des approches en principe très différentes à l’égard du multiculturalisme, Richard Bourhis de l’Université du Québec à Montréal et ses collègues observent peu de différences : les étudiants sont favorables à la diversité culturelle quasiment partout (Bourhis, Barrette, El-Geledi, & Schmidt, 2009). Autrement dit, peu importe que les lois et les politiques soient très différentes d’un pays à l’autre, les croyances sociales sont les mêmes. Pourquoi ? Une interprétation proposée par Bourhis est que les étudiants d’universités partagent une culture commune, par-delà les variations nationales. Cela peut être le cas, mais il existe une autre raison, à mon avis beaucoup plus déterminante, à savoir le fait que les recherches sur le multiculturalisme et la diversité culturelle depuis quarante ans se sont concentrées sur l’analyse des attitudes personnelles, les représentations mentales, en négligeant l’étude des représentations culturelles (Guimond, de la Sablonnière, & Nugier, 2014). On verra dans les prochains chapitres que lorsqu’on distingue les deux types de représentations, on trouve des liens très importants avec la politique nationale, y compris chez les étudiants universitaires. Mais avant tout, examinons en quoi consistent les principales politiques de diversité dont il sera question.
Pour faire face à la diversité culturelle, ethnique ou religieuse qui caractérise les sociétés modernes, les États dans les démocraties occidentales ont mis en place des politiques distinctes. On peut distinguer trois grandes réponses politiques : réduire ou éliminer la diversité, ignorer cette diversité, ou enfin chercher à maintenir et même à faire la promotion de la diversité. Le tableau 1 montre les correspondances que l’on peut établir entre ces trois grandes politiques nationales de la diversité et les principes de catégorisation qui les sous-tendent et qui sont identifiés dans les modèles du contact intergroupe en psychologie sociale (Guimond, 2010).
Lorsqu’il s’agit de réduire ou d’éliminer la diversité pour construire une société homogène, nous sommes face à ce qu’il convient d’appeler une politique d’assimilation. Ce qui caractérise en propre cette politique au niveau de la catégorisation sociale, c’est le principe de recatégorisation identifié par Gaertner et Dovidio (2005). Selon ce principe, l’idéal est défini comme une société dans laquelle tous les individus se recatégorisent comme faisant partie d’un seul et même groupe. S’il n’y a qu’un seul groupe, alors, par définition, il ne peut plus y avoir de tensions ou de rivalités entre les membres de différents groupes.
Politiques de diversité
But de la politique
Principe de base
Modèle théorique du contact
Assimilation/ Melting-pot
Réduire ou éliminer la
diversité
Recatégorisation (un seul groupe)
Identité commune (Gaertner & Dovidio, 2000)
Universalisme républicain
Ignorer la diversité
Décatégorisation (aucun groupe)
Personalisation (Brewer & Miller, 1984)
Multiculturalisme
Maintenir/ promouvoir la diversité
Catégorisation saillante (groupes multiples)
Différentiation mutuelle (Hewstone & Brown, 1986)
Tableau 1 ‒ Distinction entre trois politiques nationales de diversité.
Lorsque, au contraire, on ignore complètement la diversité, faisant comme si elle n’existait pas, on a affaire à une politique distincte que l’on peut appeler l’universalisme républicain. Cette politique de diversité se distingue de la précédente parce qu’elle est basée sur le principe de décatégorisation dont discutent Brewer et Miller (1984). Contrairement à la recatégorisation, la décatégorisation implique qu’on ne reconnaît aucun groupe, seulement des individus. L’idéal de la société est défini comme le fait que tous les individus mettent de côté et se détachent de leur appartenance à une communauté culturelle, ethnique ou religieuse pour devenir des citoyens. Elle se trouve incarnée dans l’idéologie du « colorblind » qui a fait l’objet de nombreuses recherches aux États-Unis. Le colorblind, c’est l’idée d’être aveugle aux différences raciales, ethniques ou culturelles, une idée importante outre-Atlantique, mais qui résume une caractéristique fondamentale du modèle républicain français (Laborde, 2010).
Enfin, lorsque, au contraire, on vise le maintien et la promotion de la diversité, on parle de politique de multiculturalisme. Celle-ci se caractérise par le fait que la catégorisation sociale et les différences culturelles sont acceptées comme des réalités. L’idéal est donc défini comme une société au sein de laquelle on reconnaît l’existence d’identités culturelles multiples, ce qui tend non pas à diminuer, mais à accentuer la saillance de la catégorisation ethnique ou culturelle. L’interculturalisme, dont il sera question au chapitre 5, peut être vu comme émanant du multiculturalisme et donc s’inscrivant également dans la perspective de promotion de la diversité.
Le tableau 1 montre la correspondance que l’on peut établir entre ces politiques de diversité et les modèles du contact intergroupe qui ont été développés indépendamment en psychologie sociale. En effet, l’hypothèse du contact proposée par Allport (1954) a servi de guide à de nombreuses recherches et développements théoriques depuis cinquante ans (voir Dovidio, Glick, & Rudman, 2005). L’idée de base est que le préjugé naît et se développe d’autant plus que nous n’avons aucun contact effectif avec les individus qui en sont la cible. Par conséquent, faire en sorte que les gens puissent interagir, entrer en relation, avec des membres d’un autre groupe devrait contribuer à réduire les préjugés et à améliorer les relations entre groupes. De nombreuses recherches attestent du bien-fondé de ce principe. On sait, par exemple, que le vote en faveur du Brexit au Royaume-Uni, largement motivé par des sentiments anti-immigrés, a été plus important dans les régions où il y a peu d’immigrés et donc peu de contact intergroupe (Meleady, Seger, & Vermue, 2017). À Londres, où la population est très cosmopolite, le vote était majoritairement opposé au Brexit. Au Canada, comme en France, les enquêtes nationales montrent que l’hostilité envers les immigrés augmente à mesure que la proportion d’immigrés dans les communes diminue (Guimond, 2010). Toutefois, il est clair que le contact peut aussi avoir des effets inverses et accentuer les tensions intergroupes. Par conséquent, des efforts ont été déployés pour identifier les caractéristiques du contact entre les membres de différents groupes pouvant maximiser ses effets bénéfiques. Les trois modèles du contact intergroupe identifiés dans le tableau 1 sont les trois principales réponses qui ont été proposées. Ces trois réponses sont différentes et parfois antagonistes. Elles ont chacune reçu certains appuis dans les études expérimentales visant à les évaluer. Toutefois, Paluck et Green (2009) qui font la revue de cette documentation suggèrent qu’en raison de problèmes méthodologiques et de l’artificialité des études en laboratoire, il est difficile de conclure quant à l’efficacité de ces procédures.
En faisant le lien entre ces modèles du contact intergroupe et des politiques de diversité mises en œuvre dans différents milieux, nous aborderons la question de l’efficacité de ces propositions dans des contextes sociaux et politiques variés. Cela offrira un regard neuf sur la question. La gestion de la diversité culturelle en entreprise et la manière dont une formation à la diversité peut influencer les employés sont des questions d’une actualité brûlante qui suscitent beaucoup d’intérêts (Doytcheva, 2015 ; Plaut, Thomas, & Goren, 2009 ; Tisserant & Leymarie, 2018). Ces questions spécifiques ont des liens évidents avec celles qui sont traitées dans les chapitres qui suivent. On a eu l’occasion de montrer ailleurs que les idéologies de la diversité identifiées empiriquement dans les organisations en milieu de travail sont quasiment identiques à celles qui se retrouvent au niveau des politiques nationales de diversité (Guimond, de la Sablonnière, & Nugier, 2014). La principale différence est que, au niveau national, il est maintenant possible grâce aux recherches récentes en sociologie politique d’identifier les pays qui ont mis en œuvre ces politiques.
Des progrès importants ont été réalisés ces dernières années pour ce qui est de l’identification des pays qui ont privilégié une politique de diversité plutôt qu’une autre. Koopmans, Statham, Giugni et Passy (2005) ont étudié la question en analysant en détail la situation de cinq pays européens : la Suisse, la France, l’Allemagne, le Royaume-Uni et les Pays-Bas. Ils ont développé une série d’indicateurs empiriques des lois et règlements en vigueur dans ces cinq pays, à partir des règles concernant l’acquisition de la nationalité, en passant par les droits reliés à la citoyenneté, et jusqu’aux droits accordés relativement aux pratiques culturelles ou religieuses. Ces indicateurs ont été comptabilisés pour chaque pays à partir de plusieurs sources (documents légaux, sites Internet, experts), et ce pour trois périodes : 1980, 1990 et 2002. Koopmans et collaborateurs (2005) sont ainsi parvenus à identifier les politiques de diversité qui caractérisent effectivement ces cinq pays. Ils proposent un modèle basé sur le croisement de deux dimensions permettant de distinguer quatre conceptions de la citoyenneté. La première dimension distingue les pays pour lesquels l’accès à la citoyenneté confère une égalité entre les citoyens ou non. Cette dimension reprend la distinction entre modèle « ethnique » et modèle « civique » de citoyenneté qui a eu beaucoup d’influence en sociologie et en psychologie sociale. Brubaker (1997) a montré que, sur ce plan, l’Allemagne, dont le modèle ethnique est basé sur les liens du sang, se distingue du modèle français, qui possède un modèle civique basé sur le droit du sol. Pour autant, la portée de cette dimension « ethnique-civique » est limitée, car plusieurs pays ayant un modèle civique comme la France ont pourtant des politiques de diversité très différentes, comme le Canada ou les États-Unis. Koopmans et son équipe (2005) sont conscients de cette difficulté et ajoutent une deuxième dimension pour en tenir compte : le degré d’accommodements à la diversité. Il existe des pays où les accommodements sont élevés, comme le Canada et le Québec avec ses accommodements raisonnables, et d’autres où ils sont faibles, comme la France. On obtient alors quatre conceptions de la citoyenneté, comme le montre la figure 2.
Égalité
Élevée (civique)
Universalismerépublicain(France)
Multiculturalisme(Pays-Bas)(Royaume-Uni)
Faible (ethnique)
Assimilation(Allemagne, Suisse)
Ségrégation
Faible
Élevée
Accommodement à la diversité
Figure 2 ‒ Quatre conceptions de la citoyenneté et pays représentatifs.
L’assimilation (peu d’accommodement à la diversité et égalité faible) est distinguée de l’universalisme républicain (accommodement faible également ‒ la dimension du color-blind ‒, mais égalité élevée, modèle civique). De plus, d’autres modèles civiques associés à des accommodements élevés ‒ au contraire de la France ‒ donnent le multiculturalisme. Enfin, la ségrégation se définit comme étant faible sur la dimension égalité, mais élevée sur le plan des accommodements. Évidemment, la ségrégation implique que l’on créera des espaces réservés aux Whites only et d’autres réservés aux colored people.
On retrouve donc dans ce modèle les trois principales politiques de la diversité que nous avons identifiées dans le tableau 1, avec l’ajout d’une quatrième, la ségrégation. L’intégration de ce modèle ségrégationniste est un réel apport de cette conceptualisation. Nous y reviendrons parce que certaines personnes en France ont tendance à assimiler le multiculturalisme à de la ségrégation alors que ce n’est clairement pas la même chose.
Cependant, nous n’étudierons pas, dans cet ouvrage, les effets d’une politique de ségrégation parce que cette politique n’existe pas officiellement dans les pays de l’Europe de l’Ouest et d’Amérique du Nord que nous allons considérer. D’ailleurs, Koopmans et collaborateurs (2005) qui ont fouillé la documentation officielle des cinq pays européens indiqués dans la figure 1 n’ont rien trouvé qui pouvait se rattacher à la ségrégation. En revanche, et pour les années 1980, 1990 et 2002, les lois et règlements en vigueur en France correspondent à l’universalisme républicain, tandis que celles en Allemagne correspondent à l’assimilation, tout comme la Suisse (voir figure 2). Enfin, les deux derniers pays, le Royaume-Uni et les Pays-Bas, ont une politique qui correspond au multiculturalisme, avec des évolutions au Royaume-Uni qui passe de l’assimilation en 1980 au multiculturalisme en 1990. Ces évolutions se sont poursuivies plus récemment, avec une politique au Royaume-Uni qui est devenue plus assimilationniste en 2011. Nous y reviendrons au chapitre 3.
Pour l’instant, il importe de retenir que, grâce au travail de l’équipe de Koopmans, il existe une base factuelle pour affirmer que des pays européens somme toute assez semblables les uns aux autres ont, dans le même temps, créé des politiques de diversité très différentes les unes des autres. De plus, nous savons quelle politique est prédominante dans quel pays. Il s’agit d’évoquer une prédominance parce qu’il n’est bien entendu pas question d’ériger cette conceptualisation en absolu. Chaque pays peut s’inspirer de ce que font ses voisins, emprunter une mesure ici ou là, de sorte que, si l’orientation prédominante de sa politique peut correspondre davantage à l’assimilation par exemple, il ne s’agit jamais d’un exemple parfait. À ce sujet, Koopmans et ses collègues écrivent : « Nous sommes bien conscients que la plupart des pays, acteurs ou politiques seront situés entre les cases ‒ ou en mouvement d’une case à l’autre. Néanmoins, nous pensons qu’ils sont habituellement plus proches d’un idéal type que d’un autre, et même lorsqu’ils sont en train d’évoluer d’un point à un autre, nous avons besoin d’un système conceptuel afin d’être capables de dire où ils vont et quel était leur point de départ. » (p. 11) Ces limites étant reconnues, les résultats conduisent tout à fait à identifier cette proximité relative. Le travail de Koopmans et collaborateurs (2005) permet de dépasser la distinction entre modèle ethnique et civique, comme on l’a vu, mais il est aussi l’un des seuls à suggérer que, singulièrement, la politique de la France ne se réduit pas simplement à une question d’assimilation.