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Nouvelle discipline, la psychoneurobiologie est fondée sur les neurosciences. Son but est de permettre une compréhension nouvelle du fonctionnement et des dysfonctionnements psychiques afin d’adapter au mieux l’approche thérapeutique. Premier d’une série de trois le présent tome décrit, à partir de l’organisation mnésique, l’anatomie d’une psyché dont le « Moi » n'est que la partie visible. Ainsi peuvent être notamment expliqués le phénomène sémantique et l’hallucination. Cet ouvrage de base, en accord avec l’observation clinique, la neuropsychologie et la biologie, jette les fondements d’une nouvelle compréhension du phénomène psychique et de ses dysfonctionnements.
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Seitenzahl: 558
Veröffentlichungsjahr: 2015
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A
Jany
ma tendre
et si patiente épouse
Jacques Roques entre dans le monde Psy en 1963. Formé à la psychanalyse par l’Institut de Psychanalyse de Paris (IPP), et admis à la Société Psychanalytique de Paris (la branche originelle la plus orthodoxe), il exerce la profession de psychanalyste de 1973 à 2003, date à laquelle il quitte cette association, ses réflexions, ses recherches sur les neurosciences, ainsi que sa pratique clinique étant devenues fort éloignées d’un enseignement traditionnel obsolète.
Parallèlement à son activité libérale, il va exercer 22 ans en tant que psychothérapeute dans le service de psychiatrie de l’hôpital de Nîmes. Il intervient en outre durant ce temps ponctuellement à plusieurs reprises dans le service d’hospitalisation lourde de l’hôpital Psychiatrique d’Uzès.
A sa formation initiale, il adjoint dès lors d’autres pratiques, telles que l’Hypnose, le Psychodrame, la Relaxation, la Thérapie systémique. Il est aussi Superviseur et Analyste des Pratiques d’autres thérapeutes, dans plusieurs services, hôpitaux et associations.
Formé à l’EMDR dès 1994, il cherche à expliciter le phénomène de la guérison des Etats de Stress Post Traumatique que cette psychothérapie permet. Il est l’auteur de deux théories psychoneurologiques nouvelles du traumatisme psychique ainsi que du mode opératoire de l’EMDR. Ces théories sont rappelées et approfondies dans le présent ouvrage et les autres tomes. Elles sont étayées par plusieurs travaux de recherche fondamentale sur l’EMDR au CNRS de Marseille, auxquels il a participé.
Avec David Servan-Schreiber et Michel Silvestre il fonde en 2002, l’association EMDR France et intervient dans de nombreuses émissions de télévision (voir Youtube) et de radio, dont une série d’interviews sur radio Aviva qui peuvent être écoutées en podcast sur le site emdrrevue.com.
Psychanalyste et psychothérapeute inscrit sur le registre de l’Agence Régionale de Santé, Jacques Roques est titulaire du certificat européen de psychothérapie depuis 2003. Il est Lauréat du Prix 2010 « EMDR recherche et développement » délivré par le laboratoire de psychologie de la santé de l’université Paul Verlaine de Metz pour l’ensemble de ses travaux.
"EMDR - Une révolution thérapeutique »
La méridienne - Desclée De Brouwer - 2004
"Guérir avec l'EMDR - Traitements - Théorie – Témoignages »
Le Seuil, janvier 2007
"Découvrir l'EMDR »
InterEditions - Mai 2008
« David Servan-Schreiber ou la fureur de guérir »
Indigène – novembre 2011.
« Don d’organes et psychologie »
In (ouvrage collectif) Un don de soi – éditions. Au diable Vauvert.
"Manuel d'EMDR » de Francine Shapiro
InterEditions, Paris 2007 – Co-Traduction avec Valérie Megevand
"Psychoneurobiologie - Fondement et prolongements de l'EMDR "
Tome 2 et Tome 3 (à paraître)
« Couple et EMDR »
(à paraître)
INTRODUCTION GENERALE
INTRODUCTION TOME 1
PREMIERE PARTIE
MISE EN PLACE DES OUTILS CONCEPTUELS
CHAPITRE 1
CHAPITRE 2
CHAPITRE 3
Quelques fondements de l’anatomie psychique
Le signifié et le signifiant
Le concept et le contenu
Du concept de « chien »
Qu’est-ce qu'un concept ?
CHAPITRE 4
Quelques applications de cette conceptualisation
Reconnaissance des formes
Effet métonymique
Effet de prégnance
Indistinction de certaines situations identiques
Le mécanisme de l’invention
Avantage conceptuel
CHAPITRE 5
La psyché et le « Moi » - Approche
Quelques rappels
Construction du « Moi »
Caractéristiques
Dysfonctionnements du moi
Moi-Je
CHAPITRE 6
Résumé concernant les bases de l’anatomie psychique
DEUXIEME PARTIE
LES DIFFERENTES MEMOIRES
CHAPITRE 1
Première présentation – Rappel historiques
a) Le modèle d’Atkinson et Shiffrin
b) Le modèle de Craik et Lockart
c) Le modèle de Baddeley et Hitch
d) Le modèle de Squire
e) Le modèle d’Endel Tulving
f) Le modèle MNESIS dérivé de celui d’Endel Tulving
CHAPITRE 2
Nouvelle présentation
La psyché – Vue d’ensemble
CHAPITRE 3
La mémoire d’impression perceptive
Précisions
Fonction éthologique de la mémoire d'impression perceptive
Empreinte / souvenir
Cas du patient H.M
Ancrage neurologique de la mémoire d'impression perceptive
Inscription cérébrale des empreintes
Liens entre ces deux mémoires
Résumé
CHAPITRE 4
La mémoire de représentation sémantique
La mémoire de représentation sémantique et le « Moi »
Déformations du « Moi »
Qu’est-ce que le sens ?
Image mentale, concept et sonorité
Métaconcept, rêveries et fantasmes
Genèse de la mémoire sémantique
La notion de catégorie
Les vécus conceptuels et l’émotion
Archivage des données
La mémoire épisodique
Inscription physiologique de la notion de temps
Rôle de l’hippocampe sur la temporalité
Rappel et reconnaissance du souvenir
CHAPITRE 5
La mémoire de travail – opérations
La survie
Le traitement des données sensorielles
L’exécution des projets du « Moi »
Composition interne
La mémoire à court terme
CHAPITRE 6
La mémoire procédurale ou mémoire des automatismes
Les deux premières formes de la mémoire procédurale
La troisième forme de la mémoire procédurale
Point de vue neurologique
Avantages et inconvénients
Soubassement hédonique des mémoires anoétiques
CHAPITRE 7
Résumé concernant les mémoires
TROISIEME PARTIE
DYNAMIQUE PSYCHIQUE
CHAPITRE 1
Programmation et exécution des tâches
CHAPITRE 2
Rapport entre mémoires de travail et procédurale
Modifier un automatisme
Cas particulier
Schéma d’exécution
Cas d’une phobie
Effet de l’information en mémoire de travail
L’impossibilité de conceptualiser
CHAPITRE 3
La structuration du « Moi »
La dynamique conceptuelle du « Moi »
Liens conceptuels
Effets des modifications conceptuelles du « Moi »
CHAPITRE 4
Les circuits de la peur
Première hypothèse :
Deuxième hypothèse :
CHAPITRE 5
Ajouts à ma théorie du traumatisme
Différence entre l’événement et son concept
Conséquences
Rôle du temps
CHAPITRE 6
Le système inhibiteur d’action d’Henri Laborit
L’appareillage
Conclusions
CHAPITRE 7
La sémantisation au cours d’un traitement
Une phobie des serpents
Le traitement
CHAPITRE 8
Les réseaux de mémoires
Fonction sémantique
Constitution d’un réseau de mémoires
Traits de caractère
Conclusions
CHAPITRE 9
Les états du «Moi»
Les états du «Moi» : un phénomène banal
Déterminisme et libre-arbitre
Inadaptation d’un état du «Moi» à une situation critique
Un état du «Moi» caché
Autre exemple clinique
Les mémoires d’état
Proust ou le passé recouvré
CHAPITRE 10
Résumé concernant la dynamique psychique
QUATRIEME PARTIE
EMOTIONS ET SENTIMENTS
CHAPITRE 1
Généralités
CHAPITRE 2
L’homme et ses émotions
Approche
Emotion ou affect ?
L’émotion et le temps
Enregistrement de l’émotion
Expression d’une émotion
CHAPITRE 3
L’émotion, le sentiment et la pensée
Contrôle émotionnel de la pensée
Exemple
Registres émotionnels
CHAPITRE 4
Quatre grands registres émotionnels
Quand l’émotion ne peut être signifiée autrement que par une reviviscence
Quand l’émotion domine
Quand l’émotion peut être nommée
Quand une émotion simulée en induit une autre réelle, mais momentanée
CHAPITRE 5
Les sentiments
Les catégories de sentiments
CHAPITRE 6
Résumé concernant les émotions et sentiments
CONCLUSION
ANNEXES
ANNEXE I
Rapport des « 3 F » avec la notion de mécanisme de défense en psychanalyse
ANNEXE II
Différence entre rappel et reconnaissance du souvenir
Courte note d’introduction sur la boucle phono-logique
Expérience entre « Boulanger » le nom et « boulanger » le métier
.
ANNEXE III
EXTRAIT DU TEXTE DE PROUST
GLOSSAIRE
REMERCIEMENTS
BIBLIOGRAPHIE
Figure 1 – Coupe Sagittale du cerveau
Figure 2 – Le neurone
Figure 3 – Unicité conceptuelle
Figure 4 – rapport c/C ou Wernicke / Broca
Figure 5 – concept / Contenu
Figure 6 – « Moi » normal / « Moi » stressé
Figure 7 – « Moi » déformé
Figure 8 – La psyché
Figure 9 - La mémoire de travail selon Baddeley et Hitch
Figure 10 - Les lobes cérébraux
Figure 11 – Les quatre principales mémoires
Figure 12 – Rapport mnésique intrapsychique
Figure 13 – L’illusion du réel
Figure 14 – Représentation du cerveau triunique de Mac Lean
Figure 15 - La trahison des images
Figure 16 – Liens entre percepts et langage
Figure 17 - Circuit de Papez
Figure 18 – Noyau suprachiasmatique
Figure 19 – Consolidation des percepts
Figure 20 – Création d’un concept
Figure 21 – mémoire de travail
Figure 22 - Cortex et structures cérébrales
Figure 23 - Circuit de la récompense
Figure 24 – Tableau synoptique général des mémoires
Figure 25 – mémoires et actions
Figure 26 – Claustrophobie
Figure 27 – Genèse sémantique
Figure 28 – Connexions conceptuelles
Figure 29 – Enrichissement du « Moi »
Figure 30 – Les voies de l’émotion
Figure 31 – Le circuit cérébral de la peur
Figure 32 – L’impossible sémantisation du souvenir
Figure 33 – Les structures cérébrales concernées
Figure 34 - Les trois voies
Figure 35 – Vécus phobique / non-phobique
Figure 36 – Réseau de mémoires - synchronie
Figure 37 – Réseau de mémoires - Diachronie
Figure 38 – niveau cognitif / niveau viscéral
Figure 39 – Boucle d’autorenforcement émotionnel
Figure 40 – Mémoire de travail - Mécanisme général
Figure 41 – Boucle phonologique
L’invention scientifique ne suit pas toujours un chemin linéaire. Rien ne permet de prédire le lieu et le temps d’un bouleversement majeur et la naissance d’un nouveau paradigme. La sérendipité occupe une large place. Qu’un astronome réputé révèle une nouvelle planète, qu’un mathématicien de génie produise un beau théorème, un homme de théâtre une pièce à succès, quoi de plus normal. Mais qu’une ancienne doctorante en littérature anglaise fasse une découverte vitale dans le domaine des sciences humaines, parce qu’un jour de 1979 on lui a annoncé un cancer, est encore plus improbable que la conception de la théorie de la relativité par un certain Albert Einstein, obscur employé de l’administration à Berne. Et pourtant…
Huit ans plus tard, Francine Shapiro est toujours doctorante. Mais c'est en psychologie cette fois. " Votre cancer est guéri, mais un certain pourcentage de gens l’ont à nouveau. Nous ne savons pas dans quel cas ni comment, alors bonne chance", lui avait-on dit. Ceci l’avait déterminée à changer de cap.
Nous sommes maintenant en 1987. Francine Shapiro cherche un sujet de thèse. Voici de qu’elle dit1 : « EMDR est né d’une observation fortuite que j’ai faite en Mai 1987, alors que je marchais un jour dans un parc. J'ai remarqué que les pensées qui me perturbaient avaient disparues. Je notais également que quand j’y repensais elles n’étaient pas aussi pénibles et aussi valides que précédemment. Par expérience je savais que les pensées inquiétantes tournent en boucle et ont tendance à se répéter jusqu'à ce qu’on se décide à faire quelque chose pour les arrêter ou les modifier. Ce qui a attiré mon attention ce jour là est qu’elles disparaissaient et changeaient sans aucun effort. »
Dans l’histoire de l’humanité combien de gens ont vu leurs soucis disparaître après s’être promenés dans un parc et en ont attribué le bienfait à un spectacle distrayant ? Sortir au grand air n’a-t-il pas la réputation bénéfique de changer les idées ? On ne le saura jamais, mais aucun, à ma connaissance, comme Francine Shapiro, à la recherche d’un sujet de thèse, n’y a vu un intérêt curatif. Pareillement combien d’hommes avant Newton ont vu une pomme tomber d’un pommier, sans déduire pour autant que la lune tombait sur la terre2 ? Elle tombait, mais elle tournait en même temps. Il fallait y penser. Mais écoutons la suite de son récit :
« Fascinée, j'ai commencé à faire très attention à ce qui se passait. J'ai remarqué alors que quand des pensées inquiétantes me venaient à l’esprit, mes yeux se déplaçaient très rapidement en diagonale dans les deux sens et qu’elles disparaissaient à nouveau. Quand je les faisais revenir leur charge négative était grandement réduite. C'est alors que j'ai entrepris délibérément de faire des mouvements oculaires en me concentrant sur une série de pensées et de souvenirs inquiétants. Je constatais qu’elles avaient aussi disparues et perdu leur charge. Mon excitation a grandi quand j'ai commencé à percevoir les avantages potentiels de cet effet. »
Ainsi naquit l’EMDR, d'abord appelé EMD, soit Eye Movement Desensitization pour Désensibilisation par les Mouvements Oculaires. Le R du Reprocessing (Retraitement) viendra plus tard quand elle s’apercevra que non seulement les charges émotionnelles négatives étaient réduites, mais que dans le même temps l’estime de soi croissait.
Cinq années plus tard, un de mes collègues, psychiatre et psychanalyste, François Bonnel, perdait un fils dans des circonstances dramatiques et partait aux États-Unis, avec son épouse, pour essayer de surmonter un chagrin cruel. Sur place, ils ont la chance de rencontrer un thérapeute formé depuis peu à la méthode EMDR qui les aide à faire leur deuil. Il est stupéfait des résultats. Ça fait près de 30 ans qu’il est dans le métier. Il sait bien qu’on ne surmonte pas un deuil aussi difficile en si peu de temps3.
A son retour en France il décide d’organiser la première formation EMDR. Elle se tiendra à Aix-en-Provence les 24 et 25 septembre 1994. La succession de faits improbables qui fait le chemin de la réalité se poursuit. Il me téléphone dès son arrivée. Nous sommes début août. Je suis en train de mettre les valises dans la voiture pour partir en vacances. Il me demande de passer le voir. J'ai confiance en lui. Il me raconte son histoire et me dit son projet. Je m’inscris.
Entré en psychanalyse depuis 1963, j’ai été formé à partir de 1973 par l’institut de psychanalyse de Paris qui est la branche la plus ancienne et la plus orthodoxe de la psychanalyse en France. Je suis à l’époque régulièrement inscrit au Groupe Lyonnais de Psychanalyse. Mes maîtres à la SPP (Société Psychanalytique de Paris) s’appellent Jean Bergeret, Serge Lebovici, André Green, etc. Je travaille en tant que psychanalyste en psychiatrie à l’hôpital de Nîmes depuis 1975. J’y ai appris et pratiqué l’hypnose, le psychodrame, la relaxation, je suis formé en systémique.
Je découvre l’EMDR. Je suis stupéfait. Le mot « Guérison » était un mot tabou à l’époque quand il s’agissait de psychothérapie, quasiment un « gros mot ». Et là j’assiste parfois rapidement à des guérisons et améliorations spectaculaires de l’état des patients. Je n’avais jamais vu de tels résultats. J’en témoignerai dans mon premier ouvrage paru en 2004. Aujourd'hui ceci n’est pas sans me rappeler « L’éveil », ce beau film de Penny Marshall avec Robin Williams et Robert de Niro4.
Ma pratique de l’EMDR, pourtant balbutiante au début a bouleversé ma compréhension du phénomène psychique. Curieux comme un mammifère, je n’ai jamais pu me contenter d’un « ça marche ! » triomphal. Il a toujours fallu que je sache pourquoi. Toute ma vie a tourné autour du verbe « comprendre ». Alors je me suis orienté vers la neurologie et j’ai perçu que les mots n’étaient que l’écume des vécus, une sorte d’épiphénomène. Les thérapies fondées sur la parole, le langage se trompent en leur accordant une importance primordiale. Le corps s’exprime indépendamment de la parole.
Cette recherche m’emmène a reconsidérer le trauma-tisme psychique et en 1998, je présente pour la première fois une théorie psychoneurologique nouvelle5 que j'ai exposée dans mes ouvrages, à un groupe de collègues à l’hôpital de Montpellier où on nous a prêté une salle. Je ne cesserai jamais de l’approfondir.
La compréhension des manifestations normales et pathologiques des comportements humains doit se faire en termes psychoneurologiques. L’EMDR n’est pas qu’une technique, un truc qui marche, quoique déjà ce soit formidable. C'est une psychothérapie au sens plein du terme. Je dirai même, comme je l’ai fait récemment au cours d’une intervention dans un congrès, c'est « La psychothérapie ». L’EMDR l’est par excellence, parce qu'il respecte le fonctionnement cérébral naturel. De fait, je suis de plus en plus convaincu qu’il n’existe, sous différentes variantes, qu’une seule psychothérapie, celle qui obéit aux lois du cerveau. Chaque fois que c'est le cas, les résultats sont au rendez-vous, autrement ça peut durer longtemps et même s’empirer. Qui n’avance pas, bien souvent recule.
En découvrant l’EMDR, j'ai cherché à définir son soubassement neurologique. En comprenant les mécanismes, j'ai pu améliorer les protocoles, étendre ses applications. C'est pourquoi j'ai donné pour titre général aux trois tomes qui composent cet ouvrage « Psychoneurobiologie », puisque c'est la relation entre l’esprit et le corps tout entier, neurologique et biologique qui m’intéresse. En sous-titre j'ai voulu inscrire « Fondement et prolongement de l’EMDR », parce qu’à partir de la base psychoneurobiologique, j'espère voir émerger une nouvelle discipline. Sans Francine Shapiro et sa découverte, je n’aurais pu la définir. La connaissance forme une boucle avec ses applications. Elles se nourrissent mutuellement. La connaissance psychoneurobiologique change le regard porté sur la maladie. Elle permet d’aborder autrement le traitement de pathologies réputées difficiles à soigner, comme les états dissociatifs, les troubles de la personnalité borderline, la bipolarité, voire certaines entrées dans la psychose.
L’EMDR et la psychoneurobiologie sont liées. Née d’un constat heureux, mais empirique, vérifiée scientifiquement, reconnue internationalement, l’EMDR toutefois manquait d’une assise théorique solide. La psychoneurobiologie la lui fournit. C'est pourquoi avant de poursuivre l’exposé, je reviendrai d'abord assez longuement sur ce qu’est l’EMDR et sa place dans le champ psychothérapeutique.
Comme cela a été dit au début, l’EMDR est l’acronyme anglais de Eye Movement Desensitization and Reprocessing soit en français désensibilisation et retraitement (de l’information) par les mouvements oculaires. L’EMDR est actuellement la seule thérapie, avec les TCC, à être reconnue mondialement par de nombreuses instances, à commencer par la prestigieuse Organisation Mondiale de la Santé (OMS) depuis juillet 2012, l'American Psychiatric Association (2004), le Département de la défense et les hôpitaux des vétérans aux États-Unis (2004), etc. En France son utilisation est recommandée pour le traitement du syndrome de stress post-traumatique par la Haute Autorité de la Santé6, après l’étude comparative primordiale de l'INSERM (2004)
Aujourd'hui l’EMDR est enseigné en France, non seulement par l’institut français d’EMDR à Paris et en partenariat avec l’association Synchronie à Cannes & Clairan dans le Gard ; par l’EFPE de Toulouse ; mais également à la faculté de Lyon (Université Claude Bernard – Lyon 1, dans le cadre du DU de Thérapie Comportementale et Cognitive) et à l’Université Paul Verlaine de Metz dans le laboratoire de Psychologie de la Santé.
De nombreux travaux de recherche expérimentale ont été conduits de par le monde et en France. J'ai eu le privilège de participer à cinq études conduites par Stéphanie Aubert-Khalfa au CNRS de Marseille, dont l’une est publiée et les autres en voie de publication, qui objectivent les résultats psychologiquement observables.
Par exemple la première étude7 portait sur les réponses psychophysiologiques (modifications respiratoires, du rythme cardiaque, de la sudation palmaire) au stress de patients souffrant d’un ESPT, après une seule séance d’EMDR d’une durée d’une heure et demie. Bien que ces personnes souffrissent toutes des conséquences de traumatismes graves (viols multiples, assassinat d’un parent, blessure par arme blanche, harcèlement ayant entraîné une hospitalisation pour anorexie non restrictive, deuil pathologique, etc.) les résultats furent tous très satisfaisants. Un contrôle téléphonique effectué plus de 6 mois après démontrait la conservation des bénéfices acquis.
La reconnaissance officielle de l’efficacité thérapeutique de l’EMDR est très importante quand on sait qu’il n’existe encore aujourd'hui que très peu d’autres moyens pour soigner efficacement les ESPT (Etats de Stress Post Traumatique). Peu de médicaments sont actifs, sauf peut-être un bêtabloquant, le Propranolol, qui dans certains cas supprime temporairement les manifestations de ce syndrome en empêchant la fixation des souvenirs et sur un plan psychothérapeutique seules les thérapies comportementales et cognitives qui utilisent les mêmes ressorts8 psychoneurobiologiques que l’EMDR sont véritablement utiles.
Bien que le rôle des mouvements oculaires dans la méthode soit important, la communauté scientifique et les praticiens se sont aperçus assez rapidement que des stimulations bilatérales alternées tactiles ou auditives avaient le même effet curatif dans le traitement des traumatismes psychiques. De fait, et ceci sera tout particulièrement repris dans le tome 3 du présent livre consacré aux traitements, on parle aujourd'hui de SBA, c'est-à-dire de stimulations bilatérales alternées et non plus seulement de mouvements oculaires.
En 2003 David Servan-Schreiber, neuroscientifique réputé, professeur de psychiatrie et directeur d’un laboratoire de recherche à Pittsburgh aux Etats-Unis, consacre deux chapitres à l’EMDR qu’il enseigne régulièrement en France depuis 2002, dans son ouvrage princeps mondialement connu « Guérir sans médicaments et sans psychanalyse », mais il ne dit rien de ses mécanismes sous-jacents. C'est la raison pour laquelle je me suis efforcé de mettre en évidence la spécificité de cette psychothérapie dans les travaux que je lui ai consacrés, m’étant aperçu, comme je l’ai dit, qu’on ne pouvait la comprendre sans s’appuyer sur les neurosciences.
Avec l’EMDR apparaît très nettement un changement profond de paradigme, une rupture du champ sémantique introduit et développé par les précédentes approches thérapeutiques. Les autres thérapies comme : la psychanalyse et les thérapies dites Psychodynamiques se fondent sur la parole ; le psychodrame morénien et ses dérivés (Gestalt-thérapie, Analyse Transactionnelle, etc.), font intervenir le mouvement, la gestuelle et le jeu de rôle ; la systémique se centre sur les mécanismes de la communication interpersonnelle ; le Rebirth, le cri primal sont des thérapies émotionnelles. L’EMDR intègre toutes ces approches et leur adjoint la dimension physiologique permise par l’effet neurostimulant des SBA.
Cette psychothérapie prend non seulement en compte le fonctionnement cérébral, mais aussi en se centrant intégralement sur la personne, sa dimension temporelle par le moyen de protocoles considérant aussi bien le passé traumatique, que ses manifestations présentes et d’éventuelles occurrences à venir.
L’efficacité clinique pour ce qui est des traumatismes psychiques n’étant plus à démontrer depuis longtemps, la plupart des cliniciens ont essayé d’étendre le champ d’application de l’EMDR. Dans bien des cas et je m’en suis fait l’écho dans mes précédents ouvrages, ce fut avec succès pour ce qui est des phobies, des états dépressifs réactionnels voire même parfois des maladies psychosomatiques comme l’eczéma. Les succès obtenus l’ont été bien souvent grâce à l’inventivité des thérapeutes, ce qui est une bonne chose. Un bon psychothérapeute se doit d’être créatif. Une meilleure connaissance des bases psychoneuro-biologiques s’impose toutefois, afin d’étendre encore le champ d’application de l’EMDR.
En effet le protocole initial stricto sensu ne prévoit, plus ou moins, que des pathologies d’origine traumatique (à part par exemple les protocoles pour les phobies), j’oserai même dire traumatiques simples, bien que de nombreux travaux aient été effectués pour aborder les traumatismes complexes et les états dissociatifs, mais au prix de modifications techniques comme par exemple l’emploi d’un protocole inversé9 ou bien en renforçant les ressources ou par d’autres moyens permettant au patient de progressivement gérer des tensions internes trop intenses.
Etayer l’EMDR par une explicitation des mécanismes psychiques a donc été mon but essentiel au cours de l’écriture de ce premier tome. Il est consacré, comme son nom l’indique à l’exposé de l’anatomie psychique, en se fondant sur les neurosciences. Il ne peut y avoir de discordance entre la théorie et l’observation clinique et fondamentale des mécanismes mentaux. Les hypothèses faites, ne sont que des hypothèses, c'est-à-dire qu’elles sont révisables en fonction de l’avancée des connaissances. Cet ouvrage est écrit en accord avec l’idée scientifique de réfutation chère à l’épistémologie de Karl Popper10.
Le tome 1 va s’intéresser tout particulièrement à la mémoire, en revisitant la notion d’enregistrement des percepts extérieurs depuis ses origines animales les plus archaïques, sous forme d’empreintes, jusqu'à ce qui caractérise l’être humain, à savoir l’existence d’une mémoire conceptuelle, c'est-à-dire qui touche à la sémantique. La question de savoir ce qu’est le sens est primordiale. Pourquoi est-ce que je comprends les mots que j’entends, reconnais les objets qui m’entourent ? D’où vient ce mystère ? Comment est structurée la psyché pour que ce phénomène capital se produise ? Le mot « sens » n’est pas loin de « sensation », de « sentiment » même, mais comment articuler dans une description générale du fonctionnement mental, ces mots, ces images, ces percepts pour comprendre pourquoi ils font sens ? L’idée de sens vraiment est à approfondir. Le sens exprime inconsciemment l’histoire de la rencontre répétée d’un signifié grâce à quelques phonèmes. C'est ce que nous verrons.
D’un point de vue psychothérapeutique, et ceci constituera plus tard un des sujets du troisième tome consacré aux thérapies et aux protocoles, une meilleure connaissance de la notion de sens, éclairera le phénomène récurrent du sentiment de « perte de sens » dont souffrent parfois nos patients. La recherche du « sens » est vraiment selon moi, le fil rouge de toute vie humaine. Qu’est-ce qui le promeut ? Qu’est-ce qui l’interdit ? Quel rapport a le concept avec la représentation d’objet auquel il se rapporte ? Comment continuer à vivre quand la vie semble avoir perdu tout intérêt et n’avoir plus de sens ou pire encore quand le seul sens que l’on en retient consiste en une immense disqualification de soi ?
Comprendre le sens, est fondamental. Mais aussi « comprendre » l’est dans son sens le plus général. Pour moi le verbe « comprendre » est un fil rouge. C'est celui qui a guidé toute ma vie. Je n’aime pas ne pas comprendre ce qui se passe et même si j'ai utilisé souvent des techniques, comme précisément l’EMDR, sans savoir jadis pourquoi et comment ça marchait, je me suis toujours interrogé. Comprendre me paraît capital, même si prétendre vouloir comprendre les fondements de phénomènes aussi complexes que ceux de la pensée et de ses manifestations, est une entreprise très ambitieuse, quasiment une gageure. Pourtant je m’y risque aujourd'hui.
Je n’oublie cependant pas que la clinique est là pour nous rappeler la mesure. Elle nous contraint à l’humilité. Le phénomène est notre maître. La plus belle des théories est de bien peu de poids face au fait. Ce n’est que parce qu’on a suffisamment avancé dans la représentation conceptuelle interne d’un phénomène et qu’on a vérifié la validité des hypothèses que l’on peut véritablement maîtriser un soin. Il ne sert à rien de vouloir à tout prix se raccrocher à une vieille grille de lecture, en rabibochant de bric et de broc un ensemble théorique obsolète, quand la pathologie contrarie pourtant de toute évidence sa modélisation théorique de base.
Ces questions m’ont amené dans le premier tome à reprendre la notion de « Moi » en d’autres termes que freudiens11, en m’attachant à définir ce qui en est l’essence et que j’appellerai : « le sémantique ». Ce qui caractérise l’humain, c'est la faculté d’abstraction : l’existence d’un cerveau sémantique articulant des concepts à commencer par le plus important, celui qui se rattache au sentiment d’être soi et qui renvoie à ce qu’on appelle le « Moi ». Et bien sûr il ne saurait y avoir de sens, sans une mémoire qui l’articule, sans un outil qui permet de transcender un percept brut en un vivant signifié.
Nous verrons comment cette quête du sens permet d’éclairer tout un ensemble de comportements normaux et pathologiques dans le tome 2 consacré au fonctionnement et dysfonctionnements de la psyché. Dysfonctionnements qui sont parfois bénins, mais aussi, hélas quelquefois, la conséquence morbide de maltraitances infantiles sévères, qui donnent corps à ce qui apparaît comme une vie en morceaux. Nous n’oublierons pas dans la description générale des dysfonctionnements, leur part sociale, ni la nosologie avec ses manifestations parfois légères, mais aussi parfois lourdement handicapantes, comme peuvent l’être la dissociation12 et les psychoses. La recherche en psychoneurobiologie ouvre naturellement sur ce qu’on peut nommer psychoneurobiothérapie dont l’EMDR est la première expression, mais sûrement pas la dernière.
Il n'y a en ce monde qu’un livre irréfutable : c'est le livre de la vie. Pour savoir il faut le consulter13. Mais il est toujours à écrire et à réécrire. Boileau peut être satisfait, lui qui recommandait de remettre vingt fois sur le métier notre ouvrage. Notre savoir est toujours partiel et souvent partial, mais il existe pourtant, même si c'est au risque de l’erreur et de l’insuffisance. Je ne clamerai pas avec Socrate « Tout ce que je sais c'est que je ne sais rien », parce que le « tout » qui débute la phrase comme le « rien » qui la conclut, certes claquent comme un drapeau au vent, éblouissent par l’éclat d’une prétendue humilité, mais sont de ce fait en définitive trompeurs parce qu’excessifs et que leur humilité est feinte. Non, l’homme ne sait pas rien, l’homme ne sait pas tout non plus. Il contient un peu, juste un tout petit peu de savoirs reçus qui essaiment à leur tour dans la relativité des savoirs humains.
Le savoir contenu dans le récipient plus ou moins élastique de l’esprit, croît, décroît, fluctue au fil des temps, mais ne disparaît jamais tout à fait avec lui, puisqu'il ne lui appartient pas vraiment. L’homme, celui que je suis, comme tous les autres, n’est que le dépositaire temporel de la connaissance. Nous ne sommes jamais propriétaires du savoir, même de celui que distillent nos neurones, pas plus que nous le sommes de nos enfants issus de notre chair. Pareillement le savoir reçu, germe dans le terreau de l’esprit et éclot, puis vit sa vie d’individu, grandit, s’accouple et prospère parfois s’il est partagé et conçu par d’autres, ceci dans les cas favorables, parce que le plus souvent il meurt silencieusement dans des limbes qu’il n’a pas quittées ou, bien que partagé, il ne trouve pas suffisamment de matière, d’échos pour se développer. J’espère pour ces livres de profondes résonances.
1 Traduit de son ouvrage princeps Eye Movement Desensitization and Reprocessing - Guildford Press - New York, 2001
2 Peut-être n’est-ce qu’une légende. Mais elle est belle et les légendes font partie de la vie.
3 Bien que le sujet soit grave, je ne peux m’empêcher de penser à cette pensée de Mark Twain « Ils ne savaient pas que c'était impossible, alors ils l'ont fait »
4 Ce film est tiré du livre homonyme d’un professeur de neurologie et de psychiatrie Oliver Sacks, qui raconte l’histoire vraie d’une patiente atteinte des séquelles de l'épidémie d’encéphalite léthargique, une forme de paralysie semi-comateuse, qui a frappé le monde de 1915 à 1926, sur laquelle il teste avec succès un nouveau médicament, la L-DOPA
5 Cf. mes différents écrits rappelés en bibliographie.
6 Cf. HAS - juin 2007 - page 18 - prise en charge de l'ESPT - chapitre psychothérapies structurées.
7 Evidence of Heart Rate and Skin Conductance Responses Decrease in PTSD Patients (Démonstration de la réduction du rythme cardiaque et de la réponse électrodermale chez des patients souffrant d’un ESPT).
8 Comme je l’ai montré dans mon troisième ouvrage « Découvrir l’EMDR », elles utilisent effectivement le même processus psychoneurobiologique, mais moins bien, d’où une efficacité moindre.
9 On commence par travailler avec un scénario centré sur le futur et on remonte le temps en direction des souvenirs sources, en passant par les déclencheurs actuels.
10 Cf. Karl Popper « Conjectures et réfutations : La croissance du savoir scientifique » - Payot – 2006.
11 S. Freud a fortement mis l’accent sur le concept de « Moi » dans le cadre de la deuxième topique psychanalytique (auparavant dans l’esquisse il était surtout question de personnalité). On peut noter aussi, rapidement, les apports originaux de Melanie Klein et Heinz Hartmann, critiqué par Jacques Lacan, qui a repris à sa manière le concept, et bien sûr le travail de Didier Anzieu sur « Le moi peau ». Nous n’oublierons pas non plus C. G. Jung, qui lui s’est définitivement écarté de l’orthodoxie freudienne. Récemment un certain retour à la notion de moi avec une approche non analytique s’est fait jour notamment avec les travaux d’A. Damasio « L'autre moi-même » et « Le Sentiment même de soi - Corps, émotions, conscience » et avec ceux d’Onno van der Hart et all. « Le soi Hanté – dissociation structurelle et traitement de la traumatisation chronique ».
12 À la suite des travaux précurseurs majeurs (fin 19e siècle – début 20e) de Pierre Janet, largement oubliés en France, (mais redécouverts dans les années 80 aux Etats-Unis avec le DSM III) et encore trop largement ignorés, surtout dans leur pays d’origine où ils sont quand même enfin revenus, des recherches ont en effet été initiées pour décrire les conséquences dissociatives majeures d’une victimisation précoce de longue durée.
13 Ce qu’on appelle aujourd'hui « biomimétisme » va concrètement dans ce sens.
Sous le nom de métapsychologie, jusqu'à présent le seul essai détaillé de description d’une anatomie psychique appartient à la psychanalyse. Il a été créé par Freud et a été poursuivi par ses disciples. À partir du concept initial de la pulsion14, c'est-à-dire littéralement ce qui pousse, ce qui met en mouvement, Freud a repris trois fois sa réflexion en l’articulant successivement autour de la notion de conscience, puis de l’existence d’un Moi et enfin à partir de 1920 autour des concepts de vie et de mort. Je rappelle les deux trilogies : « Inconscient, Préconscient, Conscient » et « Ça, Moi, Surmoi », suivies à partie de 1920 par l’introduction de la dualité fondamentale des Pulsions de Vie et de Mort15.
Cette œuvre intéressante, compte tenu surtout de l’impact important qu’elle a eu sur l’épistémologie du 20e siècle, souffre toutefois, hélas, de ne pouvoir s’accorder ni avec l’évaluation clinique des résultats - évaluation que les psychanalystes eux-mêmes récusent - ni encore moins avec la recherche fondamentale. En effet ses développements théoriques restent scientifiquement invérifiables, malgré les travaux d’Allan Schore16, qui, avec d’autres, ont essayé de rapprocher la psychanalyse des neurosciences, sous le nom de neuropsychanalyse.
La quête d’un substrat organique a pourtant toujours été présente chez Freud. Lui-même était neurologue de formation et a été longtemps influencé par les idées rigoureusement physiologiques d'Ernst Wilhelm von Brücke avec qui il travailla durant 6 années de 1876 à 1882. En 1914 il écrivait17 « Nous devons nous rappeler que toutes nos idées provisoires en psychologie trouveront sans doute un jour comme fondement une sous-structure organique ». Et en 192018 s’interrogeant sur la pertinence du « langage imagé » qu’il employait il disait « Les déficiences de notre description s’évanouiraient sans doute si nous étions déjà en situation de remplacer les termes psychologiques par des termes physiologiques ou chimiques ». Dans le même ouvrage il faisait part de son inquiétude quant à la validité de ses hypothèses en ces termes « La biologie est vraiment un domaine aux possibilités illimitées ; nous devons nous attendre à recevoir d’elle les lumières les plus surprenantes, et nous ne pouvons pas deviner quelles réponses elle donnera dans quelques décennies aux questions que nous lui posons. Il s’agit peut-être de réponses telles qu’elles feront s’écrouler tout l’édifice artificiel de nos hypothèses19 ».
C'est la raison pour laquelle, afin de mieux comprendre le fonctionnement psychique et ses dysfonctionnements, comme je le disais dans la préface générale de l’ouvrage, il m’est apparu indispensable de développer, en accord avec des découvertes neuroscientifiques en évolution constante, une partie théorique, dans laquelle puissent être mis en évidence les mécanismes sous-tendant le fonctionnement psychique, qui soit à la fois vérifiable sur un plan clinique, comme sur celui de la recherche fondamentale. Bien que le titre général évoque la biologie, il sera surtout question dans ces prolégomènes théoriques de psychoneurologie, la dimension biologique incluant principalement ici celle de la neurologie. Elle sera plus spécifiquement reprise plus tard afin de permettre un travail incluant l’approche psychosomatique.
Le modèle que je présente est forcément simplifié par rapport à l’explosion des découvertes en neurologie. Il existe aujourd'hui de nombreux livres qui traitent de neuropsychologie20. Cette discipline établit, grâce à la recherche fondamentale et appliquée, des rapports entre les structures cérébrales et leur expression psychologique, leurs effets cognitifs et/ou émotionnels. Le but des deux disciplines, à savoir relier les observations de la psychologie et celles physiologiques de la neurologie est au fond identique. Il est bien évident que les champs de la neuropsychologie et de ce que j’ai appelé psychoneurobiologie se recouvrent. Le changement de dénomination souligne essentiellement le déplacement de l’accent de la neurologie en direction de la psychologie. On pourrait dire qu’il s’agit de considérer le même objet autrement, littéralement d’un autre point de vue.
L’encyclopédie Wikipédia donne de la neuropsychologie la définition suivante : « C’est une discipline scientifique et clinique qui étudie les fonctions mentales supérieures dans leurs rapports avec les structures cérébrales au moyen d'observations menées auprès de patients présentant des lésions cérébrales accidentelles, congénitales ou chirurgicales ». Partant de là une définition possible de la psychoneurobiologie serait « La psychoneurobiologie est une discipline scientifique qui à partir d’hypothèses sur l’organisation psychique veut rendre compte, en accord avec l’observation clinique, la neuropsychologie et la biologie, du fonctionnement général de la psyché, des phénomènes mnésiques, de la pensée, et des émotions ainsi que des dysfonctionnements psychiques et somatiques».
Ceci s’accorde avec le fait que tout au long de ce livre, je rappelle à plusieurs reprises les liens existant entre le présent développement et le substrat neurologique pour en souligner la congruence. Mais ce n’est en aucun cas pour faire une description approfondie des mécanismes mentaux et neuronaux associés, tels que la neuropsychologie a pu les mettre en évidence. Et ceci pour trois raisons principales : je viens du monde psy, la neurologie est une science très complexe dont je ne suis pas spécialiste et mon premier but est de présenter un modèle nouveau psychothérapeutique salutaire en montrant la constitution d’une psyché intégrant le « Moi » et la conscience afin de pouvoir comprendre ce qu’est le sens. Le même souci d’apporter un éclairage utile prévaudra dans le rappel du soubassement cérébral des manifestations psychiques et de la logique des traitements.
En effet l’objectif de ce tome est d’asseoir au maximum le développement des deux suivants sur des hypothèses scientifiquement vérifiables, afin de mieux comprendre le fonctionnement et les dysfonctionnements de la psyché pour le deuxième et d’amener à une logique du soin pour le troisième. Une meilleure connaissance théorique de l’organisation interne de la psyché peut seule permettre la mise en évidence de sa logique, y compris dans ses manifestations les plus folles, les plus inquiétantes, ce qui relève de la psycho-logique de son fonctionnement. La psyché obéit à une logique interne profonde, même quand, en surface de toute évidence, elle dessert le sujet lui-même.
Ce modèle d’anatomie psychique, bien que simplifié, reste complexe, pas difficile en soi, mais complexe, c'est-à-dire pluri-paramétré. En le rédigeant je me suis trouvé face à la difficulté de ne pouvoir décrire le fonctionnement d’un appareil en particulier, sans en citer d’autres avec lesquels il était en relation et dont la description propre viendrait plus tard. D’où parfois de nombreuses et inévitables redites. Comme le cerveau qui en permet l’expression, la psyché est un tout interconnecté. Malgré ou plutôt grâce à ces redondances, je me suis efforcé d’en rendre l’exposé aussi clair que possible.
Nous sommes tellement marqués par la métapsychologie freudienne, que lorsqu’on parle de psyché, on pense immédiatement à la différence entre inconscient et conscient, ou bien à la théorie freudienne du moi et le mot pulsion vient aussitôt à l’esprit ; cela surtout si on a reçu comme cela a été mon cas, pendant quarante ans, une formation spécifique. Pourtant ici il ne sera pas question d’inconscient, au sens freudien du terme tout au moins, mais à celui de ce qui n’est pas parvenu à la conscience ou qui lui échappe.
Pour en donner une définition rapide, la psyché sera conçue comme la manifestation générale de l’activité cérébrale, de son expression voulue ou automatique, de ses blocages, de ce qui l’alimente, de ses contenus et de ses manifestations, tant conscientes, qu’inconscientes et pas seulement de celle du « Moi21 » et de la pensée,. Ce tome sera consacré à la composition interne de la psyché, notamment mnésique et émotionnelle. Le « Moi » en est bien sûr une partie essentielle, mais ce n’est pas la seule. Certes le « Moi » constitue l’individualité et un sentiment conscient d’être soi s’y associe constamment. Il est le représentant de la personnalité du sujet. Mais nous verrons quand nous étudierons la structure psychique que nous devons considérer le « Moi » comme un épiphénomène, un épiphénomène majeur, certes, mais un épiphénomène quand même. Cette distinction est cliniquement indispensable pour comprendre par exemple le phénomène hallucinatoire.
Le modèle freudien de la pulsion plus ou moins calqué sur l’observation éthologique de l’instinct ne sera non plus pas repris. Il en ira de même pour ce qui relève de l’inconscient. Je retiendrai de l’inconscient seulement son aspect purement mécanique, tel par exemple celui mis en évidence par Benjamin Libet en 197322, puis en 1982. (L’expérience a été reprise et vérifiée de nombreuses fois par la suite). Rappelons que Benjamin Libet a reçu en 2003, le « prix Nobel virtuel de psychologie » de l'université de Klagenfurt, « pour ses résultats dans le domaine de la conscience, l'initiation de l'action, et le libre arbitre ». Il a démontré après Carl Gustav Jung en 1904, mais d’une manière et dans un but différents, qu’entre un stimulus et sa conscience, puis ensuite une prise de décision motrice un temps notable allant jusqu'à 500 millisecondes pouvait s’écouler. En somme, inconscient est simplement à entendre comme non-conscient.
Comme je le disais plus haut, je postule que l’apparition d’une psyché, celle d’un « Moi » et d’une conscience sont logiques et je tiens ce phénomène pour corollaire de la notion de mémoire. Pour cette raison la théorie générale de la mémoire dont je jette les bases dans la première partie de l’ouvrage ne pouvait se suffire de la classification principalement descriptive issue des travaux d’Endel Tulving23, qui prévaut habituellement. Elle doit retrouver le fil logique qui a permis son organisation et dégager ainsi son essence afin de pouvoir expliciter entre autres notamment le bien curieux phénomène sémantique. Je ne pouvais effectivement pas me contenter d’énoncer l’existence d’une mémoire sémantique sans dire ce qui la fait être sémantique, sans dire le pourquoi du sens.
Nous verrons comment cette approche nouvelle de la mémoire permet d’introduire autrement la notion de « Moi » ; un « Moi » lui-même formé de nombreux états du «Moi» distincts, agglomérant un grand nombre de réseaux de mémoires24. Ces états se sont construits au fil du temps à partir de l’ancrage d’adaptations, d’expériences de vie et de mécanismes de défense. Ils sont donc bâtis sur des réseaux de mémoires spécifiques congruents entre eux et seront naturellement réactivés selon les circonstances.
Comme la théorie doit être avant tout au service de la clinique, je commencerai l’ouvrage en mettant l’accent sur les mécanismes de défense, en soulignant leurs liens avec le fonctionnement du système nerveux autonome. Je rappellerai aussi dès le début le rôle de ce dernier dans la manifestation des traumatismes psychiques tel que je l’avais auparavant théorisé. L’ouvrage sera développé ensuite dans un ordre croissant de complexité.
Ces rappels étant faits je m’appliquerai à l’étude de l’apparition de la mémoire et de son organisation interne. Beaucoup de travaux lui ont été consacrés et aujourd'hui on ne parle guère de « la mémoire », mais des mémoires, selon qu’elles sont, en fonction des classifications : déclarative ou explicite ; non-déclaratives ou implicites25. Bien sûr je n’oublierai pas les travaux jadis novateurs d’Endel Tulving sur lesquels je reviendrai plus loin, bien que mon approche soit différente et aboutisse à une autre théorie que la sienne. Comprendre la mémoire, mieux la définir, c'est comprendre la psyché.
Les habiletés, comme les souffrances psychiques d’aujourd'hui plongent toujours leurs racines dans le passé. L’organisation interne des souvenirs peut être responsable d’aisance, comme de difficultés actuelles de tous ordres et de maladies. Nous parlerons de la mémoire d'abord d’une manière générale. Ce ne sera certes pas exhaustif, ce n’est pas le but de l’ouvrage d’une part et d’autre part, beaucoup de livres fort bien documentés lui sont consacrés26. Je détaillerai dans un autre chapitre ensuite ce qui me paraît essentiel : l’articulation dynamique des différentes formes de mémoires entre elles et leur correspondance avec la pensée et la structuration mentale.
Quelques hypothèses personnelles tout au long de ce tome, devraient permettre de donner ensuite d’une manière nouvelle, une représentation différente du « Moi » éclairant ses rapports avec la psyché. Pour cela il est nécessaire d’expliciter les différentes mémoires dont certaines jouent un rôle vital dans l’acquisition respective de la praxis et des savoirs. Certains sont utiles toute une vie, d’autres sont à l’origine d’évolutions pathologiques, parfois très dommageables.
Mon but premier reste clinique. C'est l’observation des dysfonctionnements qui nous fait nous questionner et chercher des réponses. La connaissance doit beaucoup au malheur, à la souffrance et aux interrogations qu’ils entraînent. La pratique des traumatismes et leurs traitements par la méthode EMDR m’ont amené aux présents développements, avec pour objectif, entre autres, d’éclairer la différence structurelle entre les traumatismes simples et les traumatismes complexes ; celle-ci restant à approfondir. Ceci sera plus spécifiquement développé dans les deux tomes suivants.
Dans celui-ci seront donc rappelés puis étudiés dans l’ordre : les mécanismes de défense, ma théorie psychoneurologique du traumatisme psychique, la transformation des émotions négatives, la mémoire, le signifié et le signifiant dans leur rapport avec le concept27 et l’image sensori-motrice28 (et pas seulement acoustique comme la présente la linguistique saussurienne), la psyché et le « Moi », les différentes mémoires, les réseaux de mémoires, les états du «Moi» et le rôle des émotions en connexion avec eux.
14 Le concept de pulsion est apparu en 1905. Avant cette date le modèle retenu était énergétique (l’excitation) et se rapprochait donc davantage d’un soubassement neurologique. N’oublions pas que la neurologie était une des formations premières de Freud.
15 Cf. Freud S. « Au-delà du principe de plaisir » - 1920 – PUF 1981.
16 Cf. Shore, A.N. (2001). The effects of early relational trauma on right brain development, affect regulation, and infant mental health. Infant Mental Health Journal, 22, 201 – 269. .
17 Cf. Freud « Pour introduire le narcissisme » - 1914 - Petite Bibliothèque Payot.
18 Cf. Freud S. « Au-delà du principe de plaisir » - op. cit.
19 Cf. S. Freud « Au-delà du principe du plaisir » 1920 – op cité - Fin 6e paragraphe.
20 Cf. pe. Roger Gil Neuropsychologie (5e édition) – Masson – 2012 ou pour une vue rapide et toujours remaniée http://fr.wikipedia.org/wiki/Neuropsychologie
21 Dans tout l’ouvrage, j'écrirai « Moi » ou à l’occasion « Je » pour désigner l’instance, le substantif et moi, je, pour ce qui est du pronom personnel.
22 Cf. Libet, B. (1973). “Electrical stimulation of cortex in human subjects and conscious sensory aspects”. In Iggo A. (Ed.), Handbook of sensory physiology, pp. 743–790. Berlin: Springer-Verlag ainsi que Libet, B. (1982). « Brain stimulation in the study of neuronal functions for conscious sensory experience” Human Neurobiology, 1, 235–242, voir également “The Timing of Mental Events: Libet’s Experimental Findings and Their Implications” in Consciousness and Cognition 11, 291–299 (2002) où il répond à des critiques et “Reflections on the interaction of the mind and brain”, Progress in Neurobiology, p. 322-326, 2006 où, assez bizarrement, il essaie de réintroduire la notion de libre-arbitre.
23 Disons d’ores et déjà que l’on doit à Endel Tulving d’avoir construit une théorie générale de la mémoire en séparant dès 1972 notamment la mémoire des souvenirs, des épisodes de notre vie et la mémoire du sens, par exemple celui des mots, leur sémantique.
24 Francine Shapiro les considère comme « un système d’informations reliées » et métaphoriquement les imagine « comme une série de canaux où des souvenirs apparentés, des pensées, des images, des émotions, et des sensations sont emmagasinés et liés les uns aux autres ».
25 La mémoire déclarative est une mémoire de données qui peuvent être consciemment exprimées avec des mots. Au contraire la mémoire non-déclarative est une mémoire faite d’apprentissages, d’habituations, de conditionnements. Elle s’exprime par des habiletés, des comportements.
26 Citons par exemple le livre de Daniel Schacter « Science de la Mémoire – Oublier et se souvenir » - Odile Jacob – qui aborde le sujet sous un angle psychologique et dans lequel on trouvera un rappel des travaux de Deborah Burke et Donald MacKay dont je mets une analyse approfondie en annexe.
27 Rappelons que d’après un schéma de Ferdinand de Saussure noté sous la forme s/S, signifié et concept sont synonymes. Le signifiant se rapportant à l’image acoustique.
28 Chaque fois que je parlerai d’image ou de perception sensori-motrice, ce sera dans un sens très large, qui comprend la sensorialité, la motricité, la proprioception et l’intéroception, c'est-à-dire tout ce qui peut alimenter le percept d’une manière plurimodale.
Les mécanismes de défense
Le traumatisme psychique
Les bases de la mémoire
Fondements de l’anatomie psychique
La psyché et le « Moi »
Pourquoi commencer par l’étude des mécanismes de défense ? Et bien parce qu'ils sont essentiels à la pérennité de l’existence. La vie individuelle est un combat. Elle ne pourrait subsister sans protection et mécanismes de défense, contre les attaques du milieu extérieur et des êtres qui le composent. On note des comportements défensifs ou offensifs même chez les êtres unicellulaires. Antonio Damasio30 dans une interview parue dans la revue Nature nous rappelait « qu’avec ses cils vibratiles, la paramécie perçoit immédiatement un environnement favorable ou défavorable, s'écarte vivement d'un contact que son unique cellule perçoit comme dangereux ou agressif, se rapproche de bactéries appétissantes ».
La première des nécessités pour un être vivant est de se (et de) maintenir en (la) vie, en évitant les dangers, en se nourrissant, en se reproduisant. Le principal but pour chaque vie est de vivre, de se poursuivre le plus longtemps et le plus agréablement possible. Dès sa conception jusqu'à la fin de ses jours, malgré l’usure subreptice du temps, toute vie n’aura de cesse de se protéger, chaque fois qu’une menace apparaîtra d’une manière soudaine31, par les seuls trois moyens à sa disposition : je veux parler des fameux 3 F éthologiques anglo-saxons que sont Flight (Fuite), Fight (Combat) et Freeze (Figement).
FLIGHT (fuite) : Les prémices émotionnelles chez l’humain comme chez l’animal, sont la peur et ses manifestations hormonales spécifiques telles la production de noradrénaline aux niveaux cérébral et corticosurrénal, que complètent à ce dernier niveau celles de l’adrénaline et du cortisol32 afin de booster l’organisme en vue d’une fuite rapide. C'est vraiment la première ligne de défense. Quand il y a un danger, on s’en écarte. Ce n’est que lorsqu’il ne peut faire autrement qu’un animal, un chien par exemple, agresse ou alors s’il le fait systématiquement, c'est qu’il est déjà perturbé par un mauvais dressage ou de mauvais traitements.
L’évolution des espèces a donc permis de dépasser le simple réflexe de survie, en utilisant les mêmes neuromédiateurs, pour aller de l’avant, s’imposer et conquérir l’espace, comme si le monde entier était un rival à affronter.
Chez les êtres humains, les expressions de combat sont multiples. Elles peuvent être : simplement verbales (insultes et formes multiples de disqualification d’autrui) ; comportementales aussi (des coups à la violence armée, nous savons les capacités inventives humaines pour détruire un adversaire).
Personnellement, dans le registre du « Fight », hormis le fait caractéristique d’une réaction de défense en réponse à une agression réelle ou supposée, je retiendrai un mécanisme de défense mental tourné vers le monde extérieur, que j’appelle « disqualification ». Il permet de repousser intérieurement comme souvent extérieurement, une image haïe, ou un souvenir désagréable par une agression verbale ou par des pensées violentes et souvent grossières. La disqualification est hélas un processus largement utilisé au sein des familles parfois dans un but prétendument éducatif, ce qui est paradoxal : « Espèce de paresseux, tu n’arriveras jamais à rien dans la vie. Tu es un incapable ».
Dans un pareil cas, l’analyse de la communication entre le parent et son enfant met en évidence une confusion entre l’interpsychique et l’intrapsychique. Le parent tente par ce biais de rejeter de lui-même une image personnelle réprouvée, déclenchée par celle qu’il perçoit chez son enfant. Pour s’en distinguer, il cherche à la détruire sur un plan extérieur en le disqualifiant.
Ce qui est notable, quand on connaît les mécanismes mentaux de la projection, c'est de constater que l’enfant reçoit le message dévalorisant, comme s’il était vrai et le concernait, alors qu’il ne s’agit que de l’opinion d’un tiers, d’un parent qui signifie surtout qu’il parle de lui-même, de son incapacité à résoudre une problématique personnelle déclenchée par la vue de son enfant.
Ça devrait être enseigné dans les écoles : celui qui vous dénigre ne parle pas de vous, mais de sa volonté de vous annihiler parce qu'il ne supporte pas les pensées qui lui viennent à l’esprit en vous voyant, vous et votre comportement. Il se sent démuni. Il a peur, alors il attaque. L’agresseur donne des informations sur lui, sur ses difficultés personnelles déclenchées par son interlocuteur et, contrairement à l’apparence, ne parle pas de l’agressé, qui, aveuglé par la violence de la charge, pourtant en est blessé.
D’un point de vue neurologique les stimulations aversives provoquant la fuite ou la lutte activent quant à elles le circuit de la punition33 (ou "periventricular system" (PVS) qui nous permet de faire face aux situations déplaisantes. Ce système implique différentes structures cérébrales dont l’hypothalamus, le thalamus et la substance grise centrale entourant l’aqueduc de Sylvius. Des centres secondaires se trouvent aussi dans l’amygdale et l’hippocampe. Ce circuit fonctionne dans le cerveau grâce à l’acétylcholine et stimule l’ACTH (« adrenal corticotrophic hormone »), l’hormone qui stimule la glande surrénale afin de libérer de l’adrénaline pour préparer les organes à la fuite ou la lutte.
FREEZE (figement) : Très souvent les auteurs, pour ce qui est de la troisième proposition, évoquant à tort le comportement animal, citent celui de l’opossum qui fait le mort quand il est menacé. La métaphore n’est pas juste. Faire le mort est une attitude active. D'ailleurs l’opossum dégage une forte odeur de putréfaction pour tromper le prédateur, à condition bien entendu que celui-ci ne soit pas précisément un charognard. De même un mulot apercevant un rapace dans le ciel, s’immobilise sur place, afin de ne pas attirer l’attention par son déplacement. Ce sont des attitudes actives, relevant de ce que les anglo-saxons appellent « coping »34, qui sont une manière d’éviter un danger et sont à rapprocher du comportement de fuite.
Figure 1 – Coupe Sagittale du cerveau
Cette coupe a seulement pour but de rappeler la localisation de quelques structures cérébrales dont il sera question dans l’ouvrage
D’un point de vue neurologique le Freeze repose sur le système inhibiteur de l’action (SIA) (ou « Behavioral Inhibitory System (BIS) » en anglais). La mise en évidence de ce mécanisme revient à Henri Laborit au début des années 1970. Il est associé au système septo-hippocampal, à l’amygdale et aux noyaux de la base. Il reçoit des inputs du cortex préfrontal et envoie ses outputs à travers les fibres noradrénergiques du locus coeruleus et par les fibres sérotoninergiques du raphé médian. Le SIA est activé lorsque la lutte et la fuite apparaissent impossibles et que le choix d’un comportement ne se résume plus qu’à subir passivement. Les conséquences pathologiques de cette inhibition de l'action ont permis de comprendre à quel point un stress chronique peut devenir destructeur pour l’être humain.
Il est vrai que dans le cas où il ne peut ni fuir ni attaquer, l’animal se fige, adopte une attitude soumise, ou bien subit un choc dépressif. Son cortisol en excès se comporte comme un antagoniste de la sérotonine dont il altère les récepteurs. Il diminue également l’action de la dopamine dans le cerveau et pour ces raisons a un effet dépressogène sur l’humeur.
Chez les êtres humains le figement est une paralysie qui a vraisemblablement plusieurs autres causes : une indécision fondamentale entre fuir et se battre par exemple, un manque de données cérébrales de référence engrammées pour une action comparable, un primat autorenforçant d’une terreur paralysante c'est-à-dire mobilisant à la fois une musculature agoniste et antagoniste et dans bien des cas un affaiblissement de la conscience de l’événement, c'est-à-dire qu’il n’a plus de sens : « le monde n’a plus de sens », pour faire référence, par opposition aux énoncés caractérisant la normalité, introduits par R. Janoff-Bulman35.
Il faut souligner l’importance du « Freeze », ce figement de toute action, toute pensée, chez l’individu traumatisé. C'est une réaction péritraumatique qui peut durer longtemps et s’endurer sous la forme de l’inhibition d’action décrite par H. Laborit36 à propos d’expériences avec des rats de laboratoire et qui a pour conséquence des somatisations parfois très graves. Tout psychothérapeute confronté à une pathologie physique devrait se poser la question du Freeze et rechercher une origine psycho-traumatique.
Les autres émotions négatives comme la honte et le dégoût, peuvent être considérées pareillement comme conséquence d’un gel des solutions de fuite-évitement ou d’affrontement de la situation.
Je pense qu’on peut considérer la transformation des émotions négatives comme un mécanisme de défense primordial. Elle est à la base de la compréhension des dysfonctionnements psychiques (Etats dépressifs, dissociatifs, psychose, etc.) qui seront étudiés dans le tome 2.
Quand une émotion n’est pas soutenable, en fonction de la situation, elle peut se transformer en une autre, suivant un certain ordre. Si on reprend la liste des 7 émotions primaires, et en incluant les deux premières que nous rappelons ici, cela donne :
La surprise (autres déclinaisons possibles : l’ébahissement, l’étonnement, la stupéfaction, l’ahurissement). C'est une émotion neutre, qui hésite à déboucher sur une émotion positive comme :
La joie associée au plaisir, à l’émerveillement, au contentement, au bien-être, à l’amusement, à l’émerveillement, à l’euphorie, au bonheur.
Ou bien sur les émotions négatives suivantes, dans l’ordre de leurs transformations défensives possibles. Pour échapper au ressenti insoutenable de l’une, la suivante, quand c'est possible, se présente :
La peur avec ses variantes : La frayeur, si elle est passagère. L’effroi ou l’épouvante quand elle surprend d’une manière intense, la terreur quand elle est très forte et qu’elle dure, l’angoisse37 quand on appréhende un danger réel ou supposé, la panique quand elle échappe à tout contrôle.
Autres déclinaisons possibles de la peur : crainte, nervosité, inquiétude, appréhension, anxiété, trac, épouvante.
La colère, est généralement de courte durée, même si elle peut être intense. C'est celle du chien surpris qui réagit à sa peur en montrant les dents face à un adversaire réel. La colère a des variantes : la rage, qui n’a pas de véritable objet. Elle est clastique. C'est celle du bébé, qui casse tout. Elle est sans limite. On l’associe à la folie « Etre fou de rage ». Elle est très proche en cela de la fureur qui, elle, peut s’appliquer à un objet. La haine : C'est une colère qui dure envers un objet réel ou virtuel (celle d’un certain type de comportement par exemple), mais qui ne se réalise pas ; enfin pas tout de suite. Elle est réputée générer la vengeance, ce plat qui se mange froid. Rappelons au passage que la haine de la haine ou des haineux est toujours de la haine.
Autres déclinaisons possibles de la colère : irritation, mécontentement, ressentiment, cris, exaspération, emportement, agressivité, violence.
La tristesse. Elle apparaît quand la colère, qui peut suivre une perte, un manque, un deuil, est impossible et quand avec l’angoisse, elle génère une douleur qui se retourne sur soi. Nous l’avons dit plus haut, le cortisol en excès altère les récepteurs de la sérotonine. Il est de ce fait dépressogène. Le désespoir est une variante. C'est une tristesse sans solution. Comme la désolation, le désespoir s’accompagne toujours d’un sentiment d’impuissance. L’évolution de la tristesse va selon les conditions initiales donner lieu à deux types de manifestations différentes dont les mécanismes seront développés dans le prochain tome :
La mélancolie au sens populaire, proche du spleen, correspond à une tristesse permanente, une perte d’intérêt pour la vie, c’est-à-dire un état dépressif marqué par l’activité prépondérante d’un Freeze intérieur.
La mélancolie au sens psychiatrique, qui se traduit par une haine violente, grandissante, épuisante, inextinguible de soi. Placée sous le signe du Fight, elle s’accompagne de pensées suicidaires de plus en plus prégnantes et généralement de passages à l’acte autolytiques très violents : défenestration, suicides par arme à feu ou par projection sous un train. Au cours des accès mélancoliques, comme au cours des conduites automutilatrices ou à risque, on voit donc une récupération du « Fight » qui se retourne contre le sujet lui-même.
Autres déclinaisons possibles de la tristesse : chagrin, affliction, spleen, abattement, déprime, dépression.
La honte