Quand se sent-on chez soi ? - René Monami - E-Book

Quand se sent-on chez soi ? E-Book

René Monami

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Beschreibung

"Quand se sent-on chez soi ?" est un ouvrage composé de chapitres autonomes, permettant au lecteur de se situer sur son propre chemin. Il aborde des questions liées à la pratique du zazen et à la vie quotidienne, tout en intégrant des poèmes inspirés par les saisons de la nature. Le texte adopte un style oral, semblable à l’enseignement oral dans le Zendo, alliant cohérence et équilibre, tout en partageant des expériences vécues.

 À PROPOS DE L'AUTEUR

René Monami, fort de ses expériences en Polynésie française, au Cameroun et dans plusieurs pays d’Amérique du Nord et du Sud, rencontre Jacques Castermane, avec qui il s’initie au zazen. Après plusieurs années de pratique, il choisit de partager cette voie de méditation profonde et apaisante avec le grand public. René Monami, fort de ses expériences en Polynésie française, au Cameroun et dans plusieurs pays d’Amérique du Nord et du Sud, rencontre Jacques Castermane, avec qui il s’initie au zazen. Après plusieurs années de pratique, il choisit de partager cette voie de méditation profonde et apaisante avec le grand public.

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Seitenzahl: 224

Veröffentlichungsjahr: 2025

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René Monami

Quand se sent-on chez soi ?

Zazen et enseignements

Essai

© Lys Bleu Éditions – René Monami

ISBN : 979-10-422-6761-2

Le code de la propriété intellectuelle n’autorisant aux termes des paragraphes 2 et 3 de l’article L.122-5, d’une part, que les copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective et, d’autre part, sous réserve du nom de l’auteur et de la source, que les analyses et les courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information, toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite (article L.122-4). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L.335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.

Préface

Tant de savoirs mis à disposition de tous, et une réalisation dans le quotidien qui reste timide, discontinue, voire inexistante… nous dit René Monami.

Tel est le paradoxe de notre société actuelle, croulant sous les informations, les progrès et les savoirs en tout genre, sans parvenir pour autant à y trouver une certaine paix intérieure ; bien au contraire !

Ces quelques mots soulignent le fossé qui sépare le savoir intellectuel de la véritable connaissance de soi.

Le zen est un chemin d’expérience et d’exercice sans concession, sur lequel le filtre de la technique – exercice, patience, persévérance, régularité – est plus efficace que le filtre de la pensée quand il s’agit de révéler notre vraie nature, la technique nous ouvre à la forme vivante et naturelle que nous sommes. (René M.)

Si le monde actuel est loin d’être lumineux, la voie du zen nous montre que c’est à chacun de nous de faire briller notre flamme intérieure, de sentir et montrer que, là où nous sommes, le monde peut encore être en ordre. (K.G.Dürckheim)

Les portes de l’enfer ne sont-elles pas à un cheveu des portes du paradis, comme en témoigne l’histoire de maître Hakuin et du samouraï ?

La pratique du zen est un chemin de retour chez soi, mais c’est un chez-soi perméable, ouvert aux quatre vents, loin de l’idée du cocooning, d’un « absolu livré à la maison » comme un plateau-repas en deux clics. Car si Je suis connecté, donc je suis (René M), il s’agit de ne pas se tromper de connexion !

Comme le dit René, ce goût de chez soi est d’une saveur et d’une qualité qui n’a pas de nom, qui nous laisse sans voix, sans mot, et pourtant c’est une expérience intime reconnaissable entre toutes. Ce chez-soi n’est pas un petit nid douillet, telle l’image d’Épinal du zen – feu de cheminée, lumière tamisée et musique douce – mais une union avec ce qui, au cœur de nous-mêmes, ne peut être déstabilisé ou remis en cause par quoi que ce soit.

Au cœur de chacune de nos existences modernes et trépidantes se cache le véritable trésor de l’être humain, un chez-soi immuable et inviolable qui a traversé les siècles et les frontières pour se réactualiser sans cesse.

Ce véritable chez-soi, qui s’appuie sur des enseignements et des sagesses millénaires, est un renouveau pour toute personne en chemin qui le redécouvre aujourd’hui. La voie du zen dont nous parle René n’a pas pris une ride !

Le zen est la culture du silence, du geste juste, de l’expérience intime en action. Traduire par des mots et des concepts une expérience au-delà des mots est un travail délicat. Un livre sur le zen est un subtil équilibre entre le tout simple de l’exercice et de l’expérience, et la complexité des concepts ; entre l’actualisation et la modernité de l’écriture et le recours aux textes anciens.

Comme le dit si bien René, nous marchons avec le corps sur un chemin et avec le mental sur un autre.

Si le zen écrit peut être ardu, ici cette difficulté est arrondie par l’écriture imagée de René, qui colle à notre monde actuel, sans dénaturer l’héritage et le fil si important de la transmission de maître à disciple.

Ses propos sont adoucis par la poésie, comme en témoignent les haïkus – Au fil des sesshins – insérés dans le texte et directement issus d’expériences, de moments vécus lors de retraites au centre Dürckheim.

Ses propos sont appuyés par des histoires traditionnelles simples et drôles : quoi de plus clair pour parler de notre mental dogmatique que l’histoire des moines et de la belle jeune femme !

Quoi de plus parlant pour voir notre manque d’engagement et de sérieux dans la pratique que l’histoire du moine et du soldat !

Les textes proposés dans le chapitre – exhortations sur la voie – sont des aides et des invitations à une pratique immédiate.

Afin de découvrir L’inconnu, cet instant qui s’écoule dans le quotidien.

Afin de sentir l’appel des profondeurs, un silence intérieur que l’on entend par une fleur qui éclot, un arbre qui pousse ou une rivière qui s’écoule…

Quand je vous disais que René savait nous rendre le zen accessible !

Et enfin, le plus important : les propos de René sont ceux d’un chercheur sur la voie, d’un pratiquant de longue date ; propos tirés de difficultés traversées maintes et maintes fois et d’expériences vécues.

Que ce soit l’exercice spécifique sur la voie, repris quotidiennement, ou la vie quotidienne vécue comme un exercice, la voie tracée par K.G. Dürckheim, tracée et transmise par Jacques Castermane aujourd’hui, consiste à goûter, avaler ce à quoi nous faisons face, afin que l’infaisable et patiente digestion de ce que nous vivons nous transforme.

J’ai eu l’occasion d’être plusieurs fois aux côtés de René, en za-zen dans le dojo – voisin de zafu comme on dit – ou lors de pratiques du quotidien, et je peux témoigner de la sincérité de son engagement « à servir la Voie ».

Cette expression, qu’il aime et qu’il reprend souvent, il la met en œuvre de manière très concrète en écrivant ce livre.

Ce livre n’a qu’un seul but : nous inciter à nous mettre en chemin, à mettre en action les concepts lus : « la Voie, c’est réaliser le savoir ».

Merci René, frère sur le Chemin.

Joël Paul

Co-responsable du centre Dürckheim

Avant-propos

Quand se sent-on chez soi ? une question qui n’est pas très loin du « qui suis-je ? » ou encore de « que suis-je ? » et qui ne cesse de m’interpeller au quotidien. Au fil des années, je pourrai même dire au fil des décennies, ces questions ont fonctionné à la manière d’un koan. Les circonstances de la vie, les rencontres, les voyages, les études, le travail, ont constitué et constituent encore de multiples occasions d’approfondir ce chemin d’intériorisation. La lecture toujours renouvelée d’auteurs que l’on pourrait nommer des « chercheurs de vérité », quelle que soit leur obédience ou orientation, ne cesse de nourrir le chemin que je parcours à chaque instant. Relisant des entretiens1 entre Frantz Woerly et Graf Dürckheim, un passage me réinterpelle au moment où j’écris ces lignes ; Aussi est-ce justement le moment pour l’homme de savoir qu’il sera dans sa véritable maison, non pas dans la vie existentielle, mais qu’il y a en lui une autre porte qu’il devrait ouvrir.

Arrivé au Centre Dürckheim et, après quelques années de pratique de zazen auprès de J. Castermane, s’est imposé à moi le désir de m’engager dans ce qui est nommé « Enseignement » proposé à Mirmande, aussi est-ce à ce moment que je rencontre ce texte qui m’échoit lors de la cérémonie qui marque l’entrée dans cette nouvelle étape du chemin.

Quand se sent-on chez soi ?

Toujours là où on se sent uni à quelque chose.

Là où on peut être un avec quelque chose.

L’artisan est vraiment chez lui au moment où il prend son outil en main.

Le peintre est chez lui au moment où il prend son pinceau en main.

L’artiste est chez lui au moment où il prend son violon en main.

On se retrouve chez soi là où on jouit d’une union parfaite avec quelque chose

qui fait partie de soi-même.

Par exemple, la respiration, la tenue et la forme corporelle, un geste habituel.

Toujours là, il y a la chance de se sentir dans une qualité d’être

propre à notre vraie nature.

Karlfried Graf Dürckheim

Sa lecture m’a profondément touché et interpellé à la fois ; comment se faisait-il que je tombe sur ce passage qui fait étrangement écho à ma trajectoire ? Une énigme pour moi, « un destin », disait J. Castermane. Aussi, durant les années qui ont suivi, je n’ai eu de cesse de chercher à en approfondir l’expérience et cela se poursuit encore à cette heure où j’écris.

Dans le même temps, rencontrant nombre de personnes, que ce soit dans la pratique de thérapeute ou lorsque des personnes viennent à moi pour pratiquer zazen ; dans leurs questions émane le parfum de ce goût de la recherche de soi, de ce qui nous traverse au fond, de ce qui nous meut par-delà nous-mêmes, nous poussant insensiblement vers cet appel en profondeur, nous pourrions même dire que ce sont nos profondeurs qui nous cherchent. Sur ce chemin « nous marchons seuls et pourtant ensemble », disent les anciens, pratiquer ensemble, faire appel à un autre, questionner un maître, quelle que soit sa tradition, participe du chemin afin de s’ouvrir et de découvrir le maître intérieur, disait Graf Dürckheim. Des paroles, des textes invitent à l’approfondissement, mais ce qui apparaît comme incontournable ; c’est un guide et une pratique continue.

Bien des expressions dans les voies de sagesse soulignent ce « chez soi », ce retour à la maison, cette dimension de « rentrer au pays », cette nostalgie d’un lieu ou d’une terre d’où nous venons et que nous ne cessons de vouloir retrouver.

J. Castermane écrit dans La sagesse exercée :Longtemps, en prenant la Voie de la technique, telle qu’elle est proposée dans le monde du zen, j’ai eu le sentiment de me détourner de ma propre tradition et de ma culture. Jusqu’à avoir cette impression d’une double vie : occidentale le jour et orientale le soir et le week-end.

Lorsque j’ai rencontré Graf Dürckheim, j’ai eu le sentiment que je rentrais à la maison ! Ce que confirme ma rencontre avec André Comte Sponville, qui est, en même temps, ma rencontre, tardive, avec la philosophie occidentale.

Yoka Daishi (665-713) écrit dans le Shodoka, J’ai traversé océans et lacs, j’ai passé montagnes et rivières, j’ai visité les Maîtres, j’ai cherché les Voies, j’ai pratiqué zazen. Et depuis que j’ai trouvé le chemin du Mont Sokei, je sais que naissance et mort ne sont pas différents…

N’est-ce pas cette aspiration que chacune et chacun porte en soi, un appel à s’ouvrir à cette source intérieure qui cherche à couler sans que rien n’y fasse obstacle, se sentir porté par un flux qui nous transcende et dépasse les circonstances existentielles, nous donnant ce goût du « chez soi » ?

Cela fait écho à un cheminement comme les moines de la tradition du Ch’an ou du Zen qui marchaient de temple en temple, de monastère en monastère avant de s’établir auprès d’un maître qui leur soulignait leur lieu de destination sans destination, un lieu où il n’est plus de destination qui tienne. C’est sur ce chemin que je vous invite à marcher avec le bol et le bâton, comme les moines itinérants d’antan, mais aussi à la manière de tous ceux qui parcourent un chemin sur un itinéraire de pèlerinage aspirant à cet indicible en soi, cheminer telle une simple personne en recherche de ce « chez soi » déjà là, à découvrir.

Du manque au goût de chez soi

La méditation en devenir

Zazen

La méditation de zazen depuis quelques décennies se déploie en Occident. Dans le même temps, il existe de multiples formes de méditations, on observe cet attrait pour les pratiques orientales qui ont essaimé et se sont déployées dans des formes diverses et variées. J. Castermane cite Yuho Seki Roshi en introduction à son ouvrage ; Comment peut-on être Zen ? :

Le Zen (le dharma) est né en Inde, il y a 2500 ans. Cet enseignement est ensuite passé en Chine sous le nom de Ch’an. Il y a 700 ans il est arrivé au Japon, où il est appelé Zen. Mais les Japonais n’ont pas imité les Chinois. Ils ont créé un Zen japonais. Aujourd’hui, le Zen intéresse l’Occident. N’imitez pas les Japonais. Vous devez mettre en place un Zen pour l’Occident.

Par ailleurs, les définitions du zen ne manquent pas, son usage comme un adjectif qualificatif est associé à tous les dogmes et – isthmes qui cherchent à redorer leur blason, dévoyant le sens même de la pratique. Maître Dôgen écrivait que comprendre zazen c’est pratiquer zazen et pratiquer zazen c’est comprendre zazen. Y a-t-il meilleure indication pour nous occidentaux, crispés sur le désir de comprendre ?

En effet, parvenue en Occident par différents maîtres incarnant leur propre style, la pratique du Zen a été transmise à des disciples d’Inde, de Chine et/ou du Japon. D’autres formes orientales ont aussi pris naissance à travers des élèves et des disciples pratiquant ces voies, ayant voyagé et quêté des sagesses en Orient. Les différents yogas, la méditation issue de la tradition tibétaine, le bouddhisme zen, et les multiples branches afférentes à ces grandes traditions, trouvent une terre en Occident, fertile pour le devenir de cette pratique. De même, cette pratique rencontre des personnes en quête de connaissance, assoiffées de sagesse, ouvertes à ce chemin et à cette expérience en devenir. Le Zen arrive en Europe peu après la Seconde Guerre mondiale, Graf Dürckheim est l’un de ces passeurs et témoigne de cette voie en faisant état de son expérience au Japon (de 1937 à 1947) et de sa transmission de l’exercice du style Zen, en Allemagne, à Rütte en Forêt-Noire. L’émergence d’une pratique, d’une philosophie et de représentations, nécessite une terre prête à accueillir cela. En effet, l’Europe de l’après-guerre dévastée et traumatisée ne pouvait que s’ouvrir à une nouvelle représentation du monde et de soi dans ce dernier. La culture chrétienne, la croyance transmise dans l’éducation rencontrait de plus en plus d’opposition, la manière de vivre et de pratiquer le culte avait perdu son sens, avec un anticléricalisme naissant dans la société de cette époque, aussi la quête de sens par le sacré reprenait de plus en plus d’ampleur orientée vers d’autres directions, d’autres perspectives, d’autres voies. Aussi, les personnes s’ouvraient à une recherche nouvelle, sans même savoir de quoi il pouvait bien s’agir, elles cherchaient un sens à leur existence.

Le tournant des années 70 a vu éclore une explosion sociale, une disqualification des repères traditionnels, participant ainsi à l’exploration de différentes voies possibles, dont celle issue d’Orient. Les échanges entre Orient et Occident ont redoublé et nous avons pu assister à l’établissement du bouddhisme zen de manière un peu plus marquée avec différentes figures charismatiques tant en Europe qu’aux États-Unis. Les décennies qui ont suivi n’ont pas manqué de déployer cette pratique au point de la voir se diffuser sous différentes formes dans notre société post-moderne. Faut-il rappeler à quoi le terme de Zen est régulièrement associé ? Que ce soit une pratique thérapeutique, un produit marketing, une assurance, une voiture ou simplement une attitude dans la société, le mot de Zen est dans toutes les bouches depuis bien des années. Ainsi se déploie ce terme derrière lequel il y a une pratique authentique, qui peut aussi bien se perdre dans cette dilution… que s’approfondir dans une pratique…

« Le Zazen ne s’apprend pas dans les livres », est-il souvent répété, et, dans le même temps, la nature de l’Occidental tend à vouloir comprendre, rationaliser, intellectualiser cette pratique. C’est bien de cette difficulté que témoignent bien des maîtres transmettant un art martial ou simplement la pratique de zazen. Cette volonté de comprendre avec le mental se pose comme un frein, un écueil sur le chemin de l’impétrant.

Lors d’un entretien avec J. Castermane, je me souvenais avoir relu ce propos du maître Seki Roshi disant ; N’imitez pas les Japonais. Vous devez mettre en place un Zen pour l’Occident, et Graf Dürckheim de demander comment ?

Aussi poursuit-il : … imitez durant trois générations pour créer un zazen propre aux occidentaux…, et J. Castermane de me dire que nous sommes la troisième génération. J’entendais par-là l’importance d’imiter la technique, de pratiquer et de pratiquer encore pour libérer la forme qui correspondra à celle des occidentaux ou de la société dans laquelle la pratique se poursuit. Il ne s’agit aucunement d’apprendre mentalement ce qu’est zazen et ses effets, de les enseigner comme un perroquet répéterait un texte, mais de pratiquer et de redécouvrir ce à quoi nous ouvre zazen. Aussi, la pratique conduit à la maturation en s’appuyant sur la technique indiquée par les Patriarches. Cette dernière aura à laisser se déployer sa forme propre à notre société post-moderne. Il importe dans le même temps d’imiter jusqu’à ce que se libère une pratique ancrée dans la société occidentale.

De l’Inde, à la Chine et de la Chine au Japon, bien évidemment, la technique a perduré, mais la forme et les moyens de l’enseigner ont évolué. La Chine y a adjoint une dimension pragmatique. De son côté, le Japon y a associé une esthétique et une épuration de la forme. Pour les Occidentaux, ils trouveront ou plutôt verront apparaître ce qui sera le plus juste dans cette pratique afin de la transmettre de manière authentique.

L’errance

Nous traversons notre existence avec de multiples désirs, peurs, doutes que nous engageons dans nos questions lorsque nous rencontrons une personne, un interlocuteur, un conférencier, un guide ou un maître. Exilé du « paradis perdu », disent certains, nous n’avons de cesse de chercher à le retrouver, cet exil n’est autre que le Chemin et ce paradis ; l’Instant. Le savoir en est un aspect, le réaliser en est un autre ! En effet, les personnes qui viennent partager la pratique de zazen, lors des moments de questions/réponses, manifestent ces formes d’interrogations, chacune à sa manière, dans sa couleur, dans son désir ou sa peur, dans ses espoirs et ses croyances ; aussi est-il nécessaire d’indiquer inlassablement la même direction.

« Vous répétez souvent les mêmes choses, mais de manière différente… »

« … oui, pour qu’un jour vous l’entendiez vraiment ! … »

Une répétition que nous retrouvons dans l’exercice proposé, dans les indications rappelées qui participent de la technique et du chemin. Les livres défilent chez les imprimeurs et dans les librairies, ils remplissent nos bibliothèques, ils emplissent et encombrent notre mental tout en étant par là même, pour certaines personnes, facteurs de stimulation dans la recherche. Ils indiquent la même direction avec des mots différents, des enveloppes culturelles spécifiques, des techniques particulières, et nous pouvons voir que la même voie se décline sous des formes extérieures variées. Tant de savoir mis à disposition de tous et une réalisation dans le quotidien qui reste timide, discontinue, voire inexistante, laissant chacun voguer à la surface des flots, au gré des vents, tout en appelant au calme intérieur.

Nous parcourons l’existence à la recherche de ce que nous nommons bonheur, la société actuelle nous montre une évolution technologique encore jamais atteinte qui nous promet ce fameux « bonheur » et aussi paradoxal que cela puisse paraître le mal-être et la souffrance ne cessent de s’accroître en proportion. Combien de personnes ont pu me témoigner qu’elles avaient tout pour être heureuses et, pourtant, quelque chose n’allait pas, quelque chose en soi persiste d’un mécontentement, d’un mal-être sourd au fond de soi. Quelque chose au tréfonds d’elles-mêmes manque, reste en insatisfaction, une ombre sourde toujours présente.

En entendant cela, je me souviens de ce qu’écrivait Graf Dürckheim et que nous rappelait J. Castermane ; … nous ne souffrons pas du manque, mais d’ignorer que rien ne manque….

Comment passer de cette souffrance à la connaissance ? Comment passer de cette pensée qu’il manque quelque chose, un avoir, un plus, à la perception et la connaissance que tout est là, comment s’ouvrir à ce vécu qui nous remet en contact avec une dimension de soi-même à laquelle nous nous sommes insidieusement fermés ?

Dans Le chant du zazen de Maître Hakuin (1685-1768), nous pouvons lire ce propos ;

… La vérité si proche, nous la cherchons si loin,

Comme une personne immergée criant : j’ai soif,

Comme un enfant de riche errant pauvre sur la terre…

Cet exil, cette errance, ce sentiment de s’être perdu, s’observe, s’entend, dans bien des paroles et des actions de nos contemporains, et cela les mènent à interroger différents systèmes, différentes pratiques, différentes voies. Cette multiplicité des voies proposées est une aubaine pour nous à cette époque et, dans le même temps se profile cet écueil, ce risque de se perdre dans une errance à travers les différentes couleurs des voies. J’entends parler d’errance médicale, d’errance thérapeutique et je constate dans le même temps cette errance dans les chemins proposés. Autant est-il légitime d’expérimenter plusieurs techniques ou le contact à différents instructeurs ou guides, mais vient le moment où il s’agit de décider d’approfondir dans une Voie sans concession. Gilles Farcet écrit ; une boussole dans le brouillard2, un ouvrage où il donne des indications précieuses afin que cette errance dans le brouillard devienne un chemin authentique pour chacun. La boussole prend des formes et des contours différents, mais reste importante pour ne pas se perdre.

Dans le Fukanzazenji de Maître Dôgen, nous pouvons lire :

Pourquoi abandonner le siège qui vous est réservé à la maison pour errer sur les terres poussiéreuses d’autres royaumes ? Un seul faux pas et vous vous écartez de la Voie tracée toute droite devant vous. Vous avez la chance unique de prendre la forme humaine. Ne perdez pas votre temps… .

Dans la tradition chrétienne, ne lisons-nous pas dans les Évangiles ; le Royaume des Cieux est en vous ?

Nous ne prenons qu’insuffisamment conscience de cette « chance » dans ce que nous vivons parfois comme une course au quotidien et, dans le même temps, susurre en nous cet appel longtemps inaudible pour ce faire entendre, année après année, voire décennie après décennie, de manière plus claire.

J. Castermane nous rappelait récemment ce propos écrit en 1950 par Graf Dürckheim dans un ouvrage3 à son retour du Japon : La vague d’anéantissement qui déferle aujourd’hui sur la terre a apporté à l’humanité un lot de souffrance et de désespoir sans précédent et l’éventualité de destructions encore plus grande plane sur tous comme un cauchemar. Mais autre que les tragédies humaines du passé, du présent et de l’avenir qui nous émeuvent est le développement de l’esprit par-delà l’espace et le temps, auquel ces tragédies conviennent et dont elle recèle la chance. La rencontre avec la mort et l’effondrement des modes d’existence, d’ordre et de protection derrière lesquels l’homme historique s’abrite et se cache, acculent aujourd’hui d’innombrables personnes à ce seuil de la vie dont la transgression n’est toujours accordée qu’au petit nombre en des époques préservées. Ce « passage du seuil » est lié à la Grande Expérience par laquelle toute expérience de l’être-là humain s’accomplit comme expérience de l’Être. Cette expérience de l’Être et la métamorphose dont elle est porteuse est le noyau secret du sens autour duquel gravite notre vie entière.

Par ailleurs, Yoka Daishi (665-713) écrivait dans le Shodoka (le chant de l’éveil) à la stance 57 : L’esprit est la racine, le dharma est la poussière. Tous deux sont comme les reflets dans le miroir. Lorsqu’on a enlevé cette poussière, la lumière, alors, resplendit. Esprit et dharma ont complètement disparu, notre nature est alors authentique. Hélas ! Cette époque est marquée par la dégénérescence du dharma, les hommes ne sont guère heureux ; il est difficile de les diriger, ils sont très loin de la sagesse, de la sainteté et se plongent dans de fausses conceptions. Les démons sont puissants ; le dharma est faible et la haine malfaisante se répand partout. Ils ont la possibilité d’écouter l’enseignement de la porte de la vraie doctrine du Bouddha, malheureusement ils le rejettent, le brisent en mille morceaux comme une tuile et ne peuvent retrouver la forme originelle.

Deux témoignages à deux mille ans d’écart qui nous indiquent que chaque période a rencontré ses propres difficultés, mais surtout que l’homme face à lui-même se confronte aux mêmes résistances de s’ouvrir au chemin intérieur. Des pratiquants me témoignent de notre société actuelle, ils s’en plaignent, s’en indignent ou s’en inquiètent, doutent de la pratique dans cette attente de changer le monde extérieur alors qu’il s’agit de commencer à se transformer soi en consentant à une discipline quotidienne consacrée à un exercice que l’on adopte avec sérieux et authenticité. Dans le même temps, de l’exercice formel, il importe de s’ouvrir à cette attention et cette vigilance, à chaque instant que l’on vit dans la journée. Les patriarches des anciens temps en ont témoigné et ceux des temps modernes n’ont pas dévié de cette voie en nous mettant en garde contre cette errance et les écueils rencontrés tout en témoignant de leur place du chemin à tracer. Un chemin à tracer qui n’a d’autre direction que de rentrer à la maison, « chez Soi ».

Du trop à la nostalgie

Le rythme de vie dans lequel nous nous sentons contraint où nous nous laissons emporter, tôt ou tard, fissure nos idées reçues et nos représentations sur nous même, les autres et le monde. Pris par ce rythme, nous nous sentons submergés par les stimulations qui nous sont proposées, voire imposées dans les différentes circonstances de l’existence, et ce, de l’enfance à l’âge adulte. Les débats sur les rythmes des enfants soulignent ce malaise. Nous quêtons toujours du « plus » et nous nous sentons oppressés, nous finissons par étouffer du « trop ». Du « trop » dans le travail, dans les activités, dans nos divertissements, dans notre alimentation, toujours insatisfaite, en manque de ce qu’il nous est même impossible de nommer. De quoi s’agit-il ?

Un absolu, une totalité, une plénitude, une complétude… tant de mots que nous formulons, auxquels nous aspirons dans leur expérience vécue, dont nous percevons le goût toujours fugace, éphémère, que nous voudrions retenir, maintenir et convoquer à notre guise. Quelle vanité !