Retraite sur le Cantique des Cantiques - Christian Salenson - E-Book

Retraite sur le Cantique des Cantiques E-Book

Christian Salenson

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Beschreibung

Un texte dense et magnifique.

Ecrit à partir du Cantique des cantiques, ce texte dense et magnifique de Christian de Chergé, prieur des moines de Tibhirine assassinés en 1996, est celui d’une retraite prêchée en 1990 à des Petites soeurs de Jésus, à Mohammedia au Maroc. Il se présente comme un commentaire des sept cris soit de la Bien-aimée soit du Bien-aimé, dans le Cantique des cantiques, qu’accompagne la méditation des lettres aux « sept Églises » d’Asie dans l’Apocalypse aux chapitres 2 et 3. Ce texte a la forme de sept entretiens, à partir des sept « cris » : Qu’il me baise d’un baiser de sa bouche ; Attire-moi ! ; Lève-toi… Viens-t’en ! ; Reviens ! ; Ouvre-moi ! ; Reviens, reviens ! ; Pose-moi comme un sceau sur ton cœur. Afin qu’à l’instar des Petites sœurs de Jésus qui ont suivi cette retraite le lecteur puisse entendre pour lui-même ces «cris» et les laisser résonner dans sa propre vie, Christian Salenson propose un accompagnement par des commentaires éclairants et des propositions de méditation.

Découvrez cet ouvrage de Christian de Chergé, qui a la forme de sept entretiens : sept commentaires des "cris".

EXTRAIT

Avec l’Église de Thyatire, nous commençons à redescendre vers le sud. Pergame étant à l’extrême nord des sept églises, Thyatire se trouve à soixante-cinq kilomètres au sud-est de Pergame et on dit que c’est la moins honorable des sept cités. C’est une lettre qui n’est jamais lue dans la liturgie de notre Église. C’est le seul endroit de l’Apocalypse où le titre de Fils de Dieu apparaît. Jézabel est un nom symbolique qui renvoie à quelque chose dans l’Ancien Testament 126, du côté du royaume d’Israël, et c’était une reine qui venait du paganisme et qui avait introduit le culte idolâtre et les « hauts lieux ». Ce que font les Nicolaïtes et les Balaamites qui vivent une demi-conversion, qui choisissent les avantages du changement de religion en s’autorisant des pratiques laxistes et en scandalisant ouvertement, dans leur rapport à certaines libertés : manger des viandes.

A PROPOS DE L'AUTEUR

Christian Salenson est prêtre du diocèse de Nîmes. Après avoir été supérieur du séminaire interdiocésain d’Avignon et vicaire général du diocèse de Nîmes, il intervient auprès de l’Institut de Sciences et Théologie des Religions de L’Institut catholique de Méditerranée à Marseille. Il a tout particulièrement travaillé la spiritualité et la pensée de Christian de Chergé.

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Institut de Sciences et de Théologie des Religions de Marseille

Ce livre a été pensé et conçu dans le cadre d’un laboratoire de recherche de l’ISTR qui travaille depuis plusieurs années sur les écrits des moines de Tibhirine et qui a déjà donné lieu à plusieurs publications d’ouvrages ou d’articles. Composition : Pauline Wallet Couverture : Laure d'Amécourt

PRÉSENTATION

Ce texte de Christian de Chergé est une retraite prêchée aux Petites sœurs de Jésus, à Mohammedia au Maroc, du 18 au 25 novembre 1990. Ce texte, bien qu’écrit dans des circonstances particulières et sans projet initial d’édition, peut aider tout chrétien qui veut méditer ou faire retraite avec Christian de Chergé.

Cette retraite est une méditation à partir du Cantique des cantiques. Contrairement à l’idée selon laquelle il faudrait réserver ce genre de littérature à quelques moines, religieux ou prêtres versés dans la mystique, nous pensons qu’aujourd’hui, pour se tenir dans le monde en croyant, les chrétiens, prêtres et laïcs, ont besoin de se désaltérer aux sources vives de la tradition spirituelle. Grégoire le Grand disait déjà : « Le Cantique est le livre de tous, celui qui fait retrouver et parcourir jusqu’au bout l’itinéraire de l’amour 1. »

La littérature spirituelle est accessible à tout le monde et la mystique n’est pas un domaine réservé. D’une certaine manière, tout chrétien – tout homme – est un mystique dès lors qu’il s’intéresse au mystère de sa vie, de sa vie en Christ. Certes, certains hommes ou certaines femmes ont une expérience spirituelle plus forte ! Loin de les isoler de nous, cela les habilite à nous guider. Christian de Chergé est de ceux-là.

Ce texte est d’une grande beauté. Il demande à être savouré. Les pierres précieuses, finement ciselées, ne se laissent pas toujours découvrir à la première lecture. Comment faciliter sa lecture ? Je me suis efforcé, par la graphie, par les notes en bas de page, par des paragraphes courts et par quelques notes introductives, de rendre ce texte le plus accessible possible. Je me suis permis de rajouter des titres pour aérer le texte et maintenir l’attention en éveil.

Le lecteur devra adapter son rythme de lecture au propos. Le texte est dense et, comme souvent avec Christian de Chergé, plus encore qu’il n’y paraît en une première lecture. Quelques pages ou même quelques paragraphes, quelques lignes parfois, suffiront à nourrir la méditation. Comme si le menu était trop riche et le vin trop capiteux, le besoin peut se faire sentir, pour en savourer une expression, de poser le livre un moment avant de revenir à la méditation du texte.

Pour accompagner une retraite ou la méditation, je suggère, à la fin de chaque entretien sur le Cantique et sur les lettres aux Églises tirées du livre de l’Apocalypse, quelques propositions de méditation. Elles sont assez nombreuses afin que le lecteur puisse, s’il le désire, faire son choix. Elles ont en partie été élaborées et éprouvées au cours d’une retraite donnée en commentant ce texte, durant l’été 2012 à Notre-Dame de l’Atlas à Midelt au Maroc. Ce monastère fondé par Tibhirine 2 poursuit l’expérience d’une vie monastique cistercienne en monde musulman 3.

Le lecteur peu familier de littérature spirituelle devra ne pas se laisser rebuter par les images et symboles utilisés pour parler d’une expérience qui pour tout un chacun demeurera toujours indéfinissable. Le langage mystique est souvent charnel : « Qu’il me baise… ». Ces premiers mots du Cantique des cantiques ouvrent cette retraite. Ce ne sont pas des paroles anodines. Ce langage charnel n’est pas à craindre. À l’instar de ce que disait Péguy 4, les écrits mystiques nous apprennent que seul le charnel est vraiment spirituel. Certains passages sont d’une très grande densité. La page sur la Visitation en particulier, qui a déjà été éditée dans Le Verbe s’est fait frère 5. D’autres pages sont de la même veine.

Chacun pourra mesurer combien l’ouverture aux autres croyants, voulue par l’Église et inscrite dans les textes du concile 6, est une grande grâce de ce temps. Elle oblige le chrétien à contempler le visage d’un Christ toujours plus grand, à approfondir la dimension apostolique de la rencontre de l’autre, à fonder la fraternité dans la vie trinitaire… Christian de Chergé, et à travers lui tous ses frères de Tibhirine, dons de l’Esprit faits à notre monde et à notre Église, nous en font goûter une nouvelle fois la fécondité spirituelle.

(1) GRÉGOIRE LE GRAND, Commentaire du Cantique des cantiques, Cerf 1984, coll. « Sources chrétiennes » n° 314.

(2) Le monastère de Midelt a été fondé à partir de Tibhirine à la demande de Hubert Michon, évêque de Rabat, en 1988. Cf. Étienne D’ESCRIVAN, Un monastère cistercien en terre d’islam ? Notre-Dame de l’Atlas au Maroc, Cerf 2010. Cf. Chemins de Dialogue n° 37, pp. 195-214. Ce monastère a accueilli, après la mort des moines de Tibhirine en 1996, les deux frères rescapés, Amédée et Jean-Pierre.

(3) Cette retraite fut une belle expérience ecclésiale. Elle regroupait des personnes ayant une diversité de vocations : des femmes laïques qui avaient demandé cette retraite, auxquelles s’étaient adjoints la communauté monastique de Midelt, des Petites sœurs de Jésus qui avaient vécu cette retraite en 1990 avec Christian de Chergé, un prêtre diocésain du Maroc, un évêque français.

(4) Charles PÉGUY, Dialogue de l’histoire et de l’âme charnelle, Gallimard 1992, coll. « La Pléiade », Œuvres en prose complètes, t. III.

(5) Anne-Noëlle CLÉMENT, Bénédicte AVON, Roger MICHEL, Christian SALENSON, Le Verbe s’est fait frère, Bayard 2010.

(6) Déclaration conciliaire pour les relations avec les religions non-chrétiennes, Nostra ætate.

INTRODUCTION

Christian de Chergé était le prieur des moines de Tibhirine. Il est maintenant bien connu grâce aux livres qui ont été publiés, qu’il s’agisse de l’édition de ses propres textes7, ou de la publication des ouvrages sur sa vie8, sa spiritualité9 ou sa pensée10.

Ce texte que nous publions est original puisque ce sont les notes11 d’une retraite prêchée à des Petites sœurs de Jésus vivant au Maghreb. Christian de Chergé fait délibérément le choix de commenter quelques textes du Cantique des cantiques en même temps que les « lettres aux Églises » dans l’Apocalypse aux chapitres 2 et 3. Il se réfère plusieurs fois aussi aux Constitutions de la congrégation des Petites sœurs de Jésus12.

Ce texte se présente sous la forme de sept entretiens. Chaque entretien s’organise autour d’un « cri » de l’épouse tel qu’on peut les lire dans le Cantique des cantiques : « qu’il me baise d’un baiser de sa bouche », « attire-moi », « lève-toi », « reviens », « ouvre-moi », « reviens, reviens », « pose-moi comme un sceau ». Chacun pourra entendre pour lui-même ces « cris » de l’épouse.

Chaque entretien comporte trois temps assez inégaux. Christian revient sur quelques aspects de l’entretien précédent ou sur quelques réactions ou sur les Constitutions, puis il commente un passage du Cantique, enfin il s’exprime sur une lettre à l’une des sept églises (à l’exception du dernier entretien).

Le Cantique des cantiques est le livre de la Bible qui au cours de l’histoire a été le plus commenté13. Il se présente sous la forme d’un poème qui exprime la recherche amoureuse entre un homme et une femme. Certains exégètes n’ont voulu y voir qu’une relation amoureuse, d’autres y ont vu une métaphore de la relation entre Dieu et l’homme14. Ces deux approches ne sont probablement pas exclusives l’une de l’autre tant il est vrai que la première a vocation à être sacramentelle, c’est-à-dire signe et moyen, de la seconde et la seconde à donner son sens à la première.

Ce livre biblique est étonnant puisque le nom de Dieu n’y est jamais prononcé. Or c’est le livre dans lequel les mystiques ont reconnu une des expressions les plus vives de la quête de Dieu. Ainsi, nous comprenons, et c’est une première leçon de ce texte biblique, que la nomination de Dieu, aussi utile soit-elle, n’est pas garante d’une juste appréhension de sa présence. Et inversement, on ne peut conclure du fait de ne pas nommer Dieu à l’absence d’une quête spirituelle. Dans tous les cas, cela permet au lecteur de faire droit à l’ensemble de son expérience humaine, de son désir et des manques qui le creusent, et à reconnaître l’expérience spirituelle enfouie et incarnée dans la totalité de son expérience humaine.

Dès le début de la retraite, Christian de Chergé, reprenant les mots de Jean-Paul II15, invite les religieuses qui y participent à écrire avec leur propre vie « une réédition originale du célèbre poème ». Cette invitation peut être reçue par celui qui choisit ce texte pour accompagner sa méditation ou faire retraite. Les cris de l’épouse viennent en baliser l’itinéraire.

(7) En 1996, Bruno Chenu a publié L’invincible espérance, puis la même année, Sept vies pour Dieu et pour l’Algérie, Bayard. L’abbaye d’Aiguebelle sous la responsabilité d’André Barbeau a publié les homélies : L’autre que nous attendons et les chapitres Dieu pour tout jour, en 2006, réédités depuis par les éditions de Bellefontaine. La revue de l’ISTR de Marseille, Chemins de Dialogue n° 27, a publié « Prier en Église à l’écoute de l’islam », pp. 17-24.

(8) On ne peut que conseiller la très belle et très documentée biographie de Marie-Christine RAY, Christian de Chergé, Bayard 1998, qui a été rééditée par les éditions Albin Michel en 2010.

(9) Christian SALENSON, Prier quinze jours avec Christian de Chergé, Nouvelle Cité 2006. Anne-Noëlle CLÉMENT, Bénédicte AVON, Roger MICHEL, Christian SALENSON, Le Verbe s’est fait frère, op. cit.

(10) Christian SALENSON, Christian de Chergé, une théologie de l’espérance, Bayard 2009.

(11) On possède aussi l’enregistrement de cette retraite.

(12) Ces Constitutions ont été approuvées le 25 décembre 1988. La Fraternité des Petites sœurs de Jésus de Charles de Foucauld a été fondée en 1939 par Petite sœur Madeleine.

(13) Tous les auteurs mystiques font référence à ce texte. Parmi les grands commentateurs, il faut citer Origène, Grégoire de Nysse, Grégoire le Grand, saint Bernard, etc.

(14) Ce fut le cas en particulier de nombreux Pères de l’Église : Origène, Grégoire de Nysse, Basile, Ambroise, Augustin, Grégoire le Grand.

(15) JEAN-PAUL II, le 31 mai 1980, aux religieuses de France, lors de son voyage en France, dans les jardins de la rue du Bac. Documentation catholique, 1980.

Premier entretien

QU’IL ME BAISE D’UN BAISER DE SA BOUCHE

Cantique des cantiques 1,2

Dans ce premier entretien, Christian situe le contexte de la retraite. Tout d’abord il s’adresse à des femmes ! Des femmes qui vivent parmi d’autres femmes, en Algérie. Ensuite, elles et lui sont des étrangers, hôtes dans un pays qui est « une maison de l’islam ». Ce sont des travailleuses, des religieux, des contemplatifs. Christian n’établit aucune opposition, comparaison, séparation à l’égard des musulmans au milieu desquels ils vivent. Positivement, les croyants de l’islam sont eux aussi appelés à la vision de Dieu et quelques-uns y consentent. Avec eux déjà s’ébauche et s’incarne la communion des saints. Ainsi, le paysage est dessiné.

Pourquoi Christian a-t-il choisi le Cantique des cantiques ? Dans ce poème biblique, c’est une femme qui parle, au début tout au moins, et qui s’adresse à des femmes. De plus, cette retraite a été donnée en 1990. Or, cette année-là, on fêtait le neuvième centenaire de la naissance de saint Bernard qui fut un commentateur prolixe de ce texte.

Christian constate que ce livre biblique tellement commenté est peu cité dans la liturgie. Son caractère charnel fait probablement un peu peur ! Le premier des cris de l’épouse est : « Qu’il me baise d’un baiser de sa bouche ». Puis-je dire aisément cette phrase ?

Son baiser, nous pouvons le recevoir par des médiations humaines. Elles sont « sa » bouche. Voilà de quoi méditer sur notre expérience ! Si Christian rappelle ce que disait Jean-Paul II aux religieuses en 1980 : faire de sa vie une « réédition originale du poème », cela n’est pas réservé aux Petites sœurs de Jésus !

Le premier élément de votre réalité, c’est d’être des femmes, et des femmes visibles et dévoilées, dans un monde où l’homme se voit… et la femme se voile. C’est encore plus frappant en Algérie qu’au Maroc. En Algérie, la femme est invisible. Elle se cache. J’ai essayé de vous imaginer faisant la queue à la frontière du Maroc. L’autre jour, j’ai attendu trois heures au passage de l’Algérie, j’étais vraiment le seul Européen, et il n’y avait pas de femmes. Vous êtes, nous sommes, des Européens dans ce qu’il faut appeler un tiers-monde, mais qui est nuancé de quart-monde et d’occidental aussi. Cela veut dire, pour nous, un dépaysement qu’il faut regarder en face. Je crois que même quarante ans de présence dans un de ces pays n’enlèvent pas le plus gros du dépaysement.

Chrétiens dans la maison de l’islam

Vous êtes, et nous sommes, des chrétiens dans une maison de l’islam. Ce pourrait être là des points négatifs ou des points de différence et c’en est. Mais il y a aussi des points de ressemblance. Vous êtes des travailleuses, et dans un monde marocain qui est laborieux et industrieux, y compris le monde féminin. Vous êtes, et nous sommes, des religieux, des consacrés, dans un environnement où le religieux affleure à tout bout de champ, sous toutes les formes. Et vous êtes, nous sommes, des contemplatifs parmi des frères et des sœurs dont notre foi suffirait à nous dire qu’ils sont appelés à la vision de Dieu. Mais, si beaucoup l’ignorent, nous en voyons davantage qui le pressentent et un bon nombre qui y consent. Si bien que nous avons quelque chose à contempler et ils se livrent à notre contemplation. Et cette contemplation mutuelle, c’est l’ébauche de la communion des saints. À partir de ce moment-là, il n’y a plus ni homme ni femme16, il n’y a plus que Dieu qui est tout en tous. Voilà notre situation. Il me semble que le Cantique des cantiques peut nous permettre de rejoindre cette situation ou de la commenter.

Place au féminin

Le personnage qui commence, c’est une femme, ou tout au moins, il est au féminin. On vient de publier un livre intitulé La Bible au féminin17. L’Église est au féminin, et dans nos langues sémites, l’Esprit aussi est féminin. Et Dieu a du féminin. Cela pourrait être la clé de lecture du Cantique des cantiques : il y a du féminin en Dieu. Mais il est évident qu’il y a du dépaysement. On pressent que la religion de l’épouse n’est pas exactement la même que celle du Bien-aimé. Il est question de travail, mais beaucoup de consécration. Toute la création est appelée au secours pour signifier cette consécration ; tous les symboles de la création entrent en jeu et ils se donnent à voir, comme la Bien-aimée qui se dévoile.

Pourquoi le Cantique des cantiques ?

Pourquoi avoir choisi le Cantique des cantiques ? C’est vrai que l’année Saint-Bernard s’y prêtait18. Saint Bernard a commenté le Cantique des cantiques19 ; il a fait quatre-vingt-six sermons et il n’est arrivé qu’au premier tiers du Cantique. Après quoi, il est allé le continuer plus loin, dans le paradis (j’espère ! je pense !).

Voilà un livre qui est peu retenu par la liturgie : jamais le dimanche, une seule fois en férie d’Avent, mais de façon facultative, comme si on avait un petit peu peur. Il y a deux emplois festifs qui nous concernent vous et moi : le premier, c’est sainte Marie-Madeleine20 et le deuxième, c’est saint Bernard21. Donc deux lectures pour des mémoires. Et puis, on en retient deux passages pour les messes votives de la profession religieuse et de la consécration des vierges, ainsi que pour le mariage22. Si le Cantique est peu retenu par la liturgie, il importe que nous, qui sommes voués à la lectio de l’Écriture tout entière et non pas en morceaux choisis, nous puissions tout prendre et découvrir, peut-être, que c’est le chant le plus approprié à ce que nous sommes appelés à devenir. Peut-être…

Qu’il me baise d’un baiser

Cela commence… Et c’est la seule chose que je voudrais d’abord commenter avec vous maintenant… Ça commence par : Qu’il me baise d’un baiser de sa bouche. Alors, nous voilà en plein dépaysement et c’est peut-être de cela que nous avons peur : comment allons-nous nous en sortir, de ce chant qui nous paraît surtout célébrer l’amour humain ? Peut-être faudrait-il, avec Bergson, se rappeler que l’amour humain a plagié l’amour divin23, l’amour mystique. L’amour divin est antérieur à l’amour humain. Saint Bernard dit : « Qu’il me baise d’un baiser de sa bouche. Cela commence tout de même de façon un peu abrupte. Dis-nous, je t’en supplie : par qui, pour qui, à quels propos, il est dit : Qu’il me baise d’un baiser de sa bouche. Pourquoi cette entrée en matière si soudaine ? Comme si l’on commençait en plein milieu d’un discours24. » Qui est ce « il » ? En arabe, c’est l’absent, celui qui n’est pas là. Et de fait, dans le Cantique des cantiques, Dieu est absent, en ce sens qu’il n’est jamais nommé. Voilà un livre révélé où Dieu n’est jamais nommé.

Sa bouche

« Sa » bouche : là, ça devient intéressant. Origène commente : « Jusqu’à quand mon Bien-aimé m’enverra-t-il ses baisers par Moïse, m’enverra-t-il ses baisers par ses prophètes, ce sont les lèvres mêmes de mon Bien-aimé que je désire joindre, qu’il vienne lui-même, qu’il descende lui-même25. » Cela nous aide à prendre conscience au début d’une retraite que nous avons beaucoup d’intermédiaires pour aller à Dieu et ces intermédiaires ne sont pas tous très purs ni très transparents : ils sont plus ou moins opaques, comme nous-mêmes, les livres… et d’autres choses. C’est souvent légitime, c’est parfois nécessaire, mais c’est aussi embarrassant, encombrant, et le risque, c’est qu’ils prennent « sa » place, c’est qu’on s’arrête à l’intermédiaire, comme si l’on attendait l’eau d’un tuyau et non pas de la source. Il faut donc aller à lui directement, il s’agit de sa parole, de sa présence.

Qu’il « me » baise… Qui est ce « moi » ? Pourrons-nous dire vraiment qu’il s’agit de « moi » ? Avons-nous vraiment envie d’être ce « moi » ?