Seule face au Lion - Simone Arnold-Liebster - E-Book

Seule face au Lion E-Book

Simone Arnold-Liebster

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Beschreibung

Alsace des années trente. Simone, une petite fille heureuse et enjouée, découvre peu à peu la pauvreté, l'injustice, l'intolérance, puis l'angoisse. Angoisse de la guerre, des arrestations, des interrogatoires. A l'école, en ville, partout, elle est de plus en plus isolée face au ' lion ', la Gestapo avide de proies. Constance, 8 juillet 1943. La porte de l'Institution Wessenberg se referme lourdement. Simone est séparée brutalement de sa mère. Internée en maison de redressement nazie. Coupée de tous ses bonheurs. Seule dans la tanière du 'lion'. Dans un style alerte, non dénué d'humour, Simone Arnold raconte comment elle a survécu dans un monde devenu tragique et dur, comment une enfant ordinaire, vulnérable, a vaincu le ' lion '. Son autobiographie donne aux victimes inconnues du national-socialisme un visage, une identité. Elle est aussi une preuve très attachante que la conscience a la force de résister à toute manipulation, même sous des pressions extrêmes. Il faut lire ce récit - qui rappelle un peu, dans sa forme, le Journal d'Anne Frank - pour connaître le destin cruel, totalement occulté jusqu'à ce jour, des enfants de Témoins de Jéhovah qui ont rejeté l'idéologie nazie dès la première heure et pour ne jamais oublier, comme Camus l'écrivit si justement, que ' toute forme de mépris, si elle intervient en politique, prépare ou instaure le fascisme. ' Son histoire a ému des hommes et des femmes de tous les horizons dans le monde entier. Déjà publiée en anglais, elle a aussi été traduite en allemand, danois, italien, coréen et japonais.

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DEDICACE

Je dédie ce livre à mon père bien-aimé qui nous a toujours entourées d’attention aimante et de beauté, qui a su faire de notre foyer un havre de paix grâce à une autorité exercée avec douceur, un courage exemplaire et un merveilleux sens de l’humour.

Je le dédie aussi à ma mère chérie qui a su guider sa « petite » et l’aider à devenir une adulte heureuse en lui prodiguant amour maternel et soutien constant alliés à une patience sans faille.

Egalement à Adolphe Koehl, le meilleur ami de Papa, dont l’immense générosité nous a permis de traverser les moments difficiles et dont le courage exceptionnel et la sagesse pratique ont illuminé ma route.

À ma très chère Tante Eugénie qui, alors que nous étions démunis de tout, nous a offert tout ce qu’elle gagnait et n’a pas hésité à risquer sa vie pour nous. Elle était pour moi une seconde maman.

Je ne voudrais pas oublier Marcel Sutter, mon ami, mon frère, dont la vie a été pour moi un exemple et une source d’encouragement.

Je pense aussi à Charles Eicher qui m’a invitée à New York. C’est lui qui m’a fait rencontrer mon « Liebster », mon mari bien-aimé, et qui m’a aidée à commencer une vie nouvelle, bien remplie et riche en bénédictions de toutes sortes.

UN PEU D’HISTOIRE…

Durant la période du national-socialisme, les croyances, l’enseignement et les activités des Témoins de Jéhovah constituaient une confession dont les doctrines ne pouvaient que heurter de front l’idéologie de l’Etat nazi. Ce petit groupe de 20 000 à 25 000 membres était composé de « gens ordinaires » d’Allemagne et des régions annexées par le Troisième Reich qui proclamaient publiquement leur foi en une sorte de royaume fantôme totalement incompatible avec le régime nazi. Ils rejetaient les lois raciales instaurées par l’Etat, le serment d’allégeance à Adolf Hitler, le salut allemand* et ils refusaient de prendre les armes pour l’Allemagne.

Les statistiques nous sont maintenant familières : près de 10 000 Témoins de Jéhovah furent incarcérés et au moins 2 000 d’entre eux furent déportés en camps de concentration.

Ce que nous connaissons moins, c’est la vie au jour le jour de ce cercle déterminé d’hommes, de femmes et d’enfants sous le règne de la terreur nationale-socialiste.

D’où l’importance décisive de la biographie de Simone Arnold Liebster. Elle donne un nom et une voix aux statistiques. Elle relate l’histoire d’un combat spirituel contre un mal monstrueux, et cela au travers des yeux et des souvenirs d’une enfant.

Ceux qui ont ainsi résisté aux forces nazies du Mal – quand une simple déclaration de loyauté à l’Etat leur aurait garanti la tranquillité et qu’une unique signature les aurait libérés de l’enfer des camps de travail ou de concentration et protégés contre la violence et l’assassinat – méritent une place et une admiration particulières. Grâce à eux, nous pouvons espérer et croire au triomphe ultime du Bien en l’Homme.

Simone Arnold Liebster mérite de figurer parmi ces personnes hors du commun.

Abraham J. Peck

Vice-président de l’Association

des Organisations pour l’Holocauste.

PREFACE

Tu vois ces quatre étoiles disposées en carré avec trois autres qui leur font comme une queue ? »

« Mais oui ! C’est une casserole ! »

« En fait, on les appelle “la Grande Ourse”. »

« Je ne vois pas d’ourse. »

« Tu ne peux pas la voir parce qu’on n’arrive pas à distinguer toutes les étoiles qui la forment. »

« Ah ! J’ai compris : l’ourse est dans la casserole ! »

À partir de ce jour, je scrutais régulièrement le ciel étoilé pour y surprendre la grande ourse, mais la casserole restait désespérément vide.

Ce dialogue de l’été 1936 entre la petite Simone de six ans et son père reflète bien l’esprit de ce livre : c’est un hommage au père chéri, à celui qui explique les étoiles, celui qui, « tel un ressuscité d’entre les morts », va revoir sa fille en 1945. C’est aussi un symbole de ce qui existe déjà bien qu’encore invisible. Mais c’est essentiellement un exemple de l’humour qui habite Simone Arnold Liebster, humour qui resurgit sans cesse dans le livre, envers et contre tout.

Les voix qui peuvent nous faire une narration authentique de ce qui s’est passé sous le nazisme s’éteignent peu à peu. C’est seulement quand il nous arrive de les regarder en face, ces témoins oculaires d’une époque, de lire sur leur visage, de deviner à leurs expressions ce qui les remue au plus profond d’eux-mêmes lors du récit de leur persécution, que nous prenons plus pleinement conscience de ce que signifiaient pour eux la peur, le désespoir, la faim, la mort, l’espérance. Cette forme (sans doute aussi ancienne que l’humanité elle-même) de « leçon d’histoire » sur la période nazie va inexorablement vers sa fin. Il est d’autant plus important que les témoins oculaires nous transmettent leur récit sous forme écrite, sauvegardant ainsi un pan de mémoire.

Le titre du livre, Seule face au Lion, est également une métaphore : c’est sous le nom codé de « lion » que les Témoins de Jéhovah de Mulhouse désignaient la Gestapo; le rapport avec l’histoire de Daniel dans la fosse aux lions ne peut être ignoré et – comme me l’a expliqué un jour Simone lors d’une exposition – c’est aussi un symbole de la persécution des premiers chrétiens.

Ce livre témoigne du monde intérieur d’une Témoin de Jéhovah persécutée enfant par les Nazis. C’est la clé pour comprendre sa conduite, compréhension sans laquelle toute recherche historique serait inconcevable.

Hans Hesse, historien allemand

Hürth, printemps 2002

AVANT- PROPOS

L’autobiographie de Simone Liebster née Arnold est l’histoire captivante d’une quête personnelle dans les domaines de la foi et de l’identité, quête qui a conduit l’auteur encore enfant à assumer les conséquences difficiles de ses choix sociaux, politiques et religieux. Née en 1930 à Mulhouse, dans une Alsace encore française, Simone Arnold Liebster grandit durant les années trente au sein d’une grande famille catholique très unie, dans une décade caractérisée par l’insécurité et l’agitation politique et sociale. Le conformisme religieux était la norme dans cette région majoritairement catholique. En 1938, la mère de Simone, Emma Arnold, se convertit à la foi des Témoins de Jéhovah malgré l’opposition familiale. Plus tard, le père de Simone, Adolphe Arnold, se fit lui aussi baptiser Témoin de Jéhovah. Simone, elle, prit position encore enfant en 1941.

Allemande de 1871 à 1918, l’Alsace-Lorraine se retrouva sous juridiction française jusqu’à la mi-juin 1940 où elle fut de nouveau annexée par le Reich allemand. Les Allemands imposèrent presque aussitôt leurs valeurs sociales et politiques, excluant rapidement un grand nombre « d’indésirables » – comme les Témoins de Jéhovah – qui n’avaient pas leur place dans le nouvel ordre germanique. L’allemand redevint la langue officielle. Les liens sociaux furent fragilisés à un point tel que les non-conformistes risquaient d’être dénoncés par leurs propres voisins.

Le père de Simone, Adolphe, fut arrêté le 4 septembre 1941, moins d’un mois après le baptême de Simone comme Témoin. Simone et sa mère durent faire face à des problèmes matériels croissants, le salaire du père ayant été confisqué lors de l’arrestation, le compte d’épargne familial bloqué et tout permis de travail refusé à la mère. Les deux années suivantes, Simone et sa mère se procurèrent les produits de première nécessité en échange de menus travaux.

Après son arrestation, le père de Simone fut d’abord détenu au camp d’internement de Schirmeck-Vorbruck à Labroque. Ce camp avait été ouvert vers la mi-juillet 1940 « pour les individus qui, par leur comportement, risquent de mettre en péril l’autorité allemande dans la région » et pour « enseigner aux éléments réfractaires d’Alsace l’attitude correcte envers le travail et l’ordre politique du Reich de la grande Allemagne. »* La liste des « indésirables » et des « éléments désobéissants » comportait les catégories habituelles définies par les Allemands dans tous les territoires occupés et incluait les Témoins de Jéhovah. Comme leur foi ne les autorisait pas à accorder une obéissance inconditionnelle à quelque Etat que ce soit, les Témoins d’Alsace-Lorraine furent soumis aux mêmes persécutions que celles qu’enduraient les Témoins allemands depuis 1933. Le père de Simone fut déporté successivement dans les camps de Schirmeck, Dachau, Mauthausen-Gusen et finalement libéré à Ebensee, une annexe de Mauthausen.

Contrairement à ses camarades de classe, Simone refusa d’exécuter le salut hitlérien et d’adhérer à la Ligue des Jeunes Filles Allemandes (Bund Deutscher Mädel) en dépit des intimidations physiques et mentales croissantes qu’elle subit à l’école à partir de 1941. Les écoliers Témoins de Jéhovah d’Alsace-Lorraine se virent appliquer les mêmes mesures d’intimidation et de rétorsion que ceux de l’Allemagne nazie. Lorsque des enfants Témoins de Jéhovah refusaient d’entrer dans la Jeunesse Hitlérienne ou la Ligue des Jeunes Filles Allemandes, ou ne voulaient pas se plier aux normes sociales et politiques mises en place par les Nazis, les autorités scolaires s’arrangeaient pour les faire enlever à leurs parents et les placer dans des foyers nazis ou des maisons de redressement.

Plus de cinq cents enfants mineurs de Témoins de Jéhovah furent ainsi séparés de leurs parents contre leur gré après des procédures judiciaires. L’autobiographie de Simone nous donne une description détaillée de leur vie pendant la guerre au sein de l’un de ces centres de rééducation nazis. L’autorité parentale et même tout contact avec la famille étaient suspendus si l’enfant était accusé d’un « comportement immoral ou déshonorant » qui se résumait au refus d’adhérer à une organisation nazie. Les autorités scolaires, la police, les tribunaux locaux et ceux pour enfants décrétèrent que les parents mettaient le bonheur de leurs enfants en danger en ne se conformant pas aux normes du système éducatif et social nazi. Le sort de ces enfants séparés de leurs familles fut rarement conté en détail. Les Mémoires de Simone Arnold Liebster nous permettent d’en apprendre plus sur ce qu’ils endurèrent.

Après avoir subi de nombreuses pressions et brutalités, tant physiques que psychologiques, Simone Arnold fut finalement expulsée de l’école parce qu’elle continuait à résister. À l’âge de douze ans, elle fut soustraite à la garde de sa mère et envoyée contre son gré en Allemagne, à la Wessenberg’schen Erziehungsanstalt, une institution d’éducation surveillée à Constance. Privée de tout contact avec ses parents, Simone fut livrée à un univers oppressant. Là, elle dut sacrifier sa jeunesse pour pouvoir survivre. L’enfance et l’adolescence sont d’ordinaire des temps de croissance et d’épanouissement. Mais pour les enfants pris au filet de l’autorité nazie, la vie se déroulait dans un monde inverti, un monde de terreur, à l’horizon réduit.

L’autobiographie de Simone Arnold confère une identité et une individualité à certaines victimes des Nazis restées anonymes et révèle la force de caractère d’une fillette qui sut recréer dans un quotidien délétère la normalité nécessaire à sa survie physique et psychologique.

Son histoire est une histoire d’espoir, de force et de bravoure. Elle nous révèle le courage que déploya Simone pour préserver ses valeurs sociales et religieuses en dépit de la dureté de la tragique période nationale-socialiste.

Un récit qui vaut la peine d’être lu et qui nous permet de mieux comprendre le sort des enfants Témoins de Jéhovah pendant l’Holocauste.

Sybil Milton,

anciennement historienne

au Musée du Mémorial

de l’Holocauste des USA.

Printemps 2000

REMERCIEMENTS

J’ai écrit cette histoire en restituant les faits aussi fidèlement que me le permettait ma mémoire, mais je n’en remercie pas moins tous ceux qui m’aidèrent à la mettre en forme. Parmi eux, Germaine Villard, Françoise Milde, Adolphe Sperry, sa petite-fille Virginie et Esther Martinez qui tous firent des recherches pour confirmer l’exactitude historique des lieux et des événements que je me rappelais. J’ai aussi confronté mes souvenirs à ceux, toujours très vivaces, de deux autres témoins oculaires, Rose Gassmann et Maria Koehl. Madame Bautenbacher de la Wessenberg’schen Erziehungsanstalt für Mädels ainsi que le Service des Archives de la Ville de Constance m’aidèrent à retrouver les documents relatifs à mon placement. Je dois à l’écrivain Andreas Müller, qui a relaté l’histoire de mon mari, d’avoir enrichi mes connaissances de nombreuses informations historiques sur les activités de la Hitlerjugend. D’autres documents, notamment photographiques, ont été tirés des archives de la Société Watchtower de Selters (Allemagne), de Thun (Suisse) et de Brooklyn (New York) ainsi que des archives du Cercle Européen des Témoins de Jéhovah Anciens Déportés et Internés dont je suis membre.

Les encouragements chaleureux de deux merveilleux amis, Lloyd Barry et John Barr, m’ont donné la motivation nécessaire pour écrire.

Il me faut évoquer à présent deux personnes qui ont joué un rôle décisif dans l’aboutissement de mon livre : d’abord, mon éditeur Fred Siegel dont l’esprit positif m’a constamment soutenue; ensuite, Jolene Chu dont les talents littéraires m’ont été d’une aide incomparable grâce à sa lecture attentive du manuscrit anglais, aux discussions enrichissantes qu’elle a su susciter et à sa bonne humeur communicative. Ce travail, en nous rapprochant, a créé un lien puissant ; elle est devenue pour moi comme ma fille, quelqu’un qui raconterait mon histoire comme si c’était son propre héritage.

Pour la version française, je remercie ma traductrice, Irène Bertho. Si un bon traducteur est celui qui, tout en apportant sa note personnelle, sait discrètement s’effacer pour rester à la fois dans la compréhension et le respect de la pensée de l’auteur, de ses sentiments et de ses modes d’expression, alors Irène en est sans conteste une très fidèle et attachante image. J’ajouterai que son sérieux, son dévouement, sa disponibilité tout comme son empathie vis-à-vis des personnages du livre ont contribué à tisser entre nous de profonds liens d’amitié.

Je remercie chaleureusement ceux qui ont travaillé sur les documents figurant dans les appendices : Sylvie Vogel qui a trouvé, en dépit d’un emploi du temps chargé, les nombreuses heures nécessaires pour assurer la traduction des originaux allemands, et Patrick Bernard pour l’histoire de l’Alsace et pour ses précieuses précisions historiques.

Un merci sincère aux deux Fanny, à Gwennaël, Fabien, Jacques, Marie-Noëlle, Monique, Sébastien, Sofia, Sophie, Stéphanie, Yannick et Xavier, qui ont formé notre premier comité de lecteurs français, exigeant et enthousiaste.

Enfin, ma profonde reconnaissance, associée à l’affection que je leur porte depuis de nombreuses années, à Jacqueline Fosset et à Françoise Milde pour leur relecture avisée et le travail de très grande qualité qu’elles ont si généreusement fourni en témoignage de leur amitié.

Pour finir, je tiens à remercier Max, mon époux bien-aimé, pour sa patience exceptionnelle et ses encouragements aimants.

INTRODUCTION

Dans l’Europe entière, des hommes et des femmes se préparaient à célébrer le cinquantième anniversaire de la libération de la terreur nazie. Le monde devait se souvenir encore une fois d’une période entrée dans l’Histoire sous des noms aussi inquiétants qu’« abîme », « enfer », « âge de terreur » ou « de ténèbres ». Un petit groupe de témoins oculaires toujours en vie qui avait porté le triangle violet spécifique aux Témoins de Jéhovah dans les camps de concentration a commémoré lui aussi l’événement. En commençant par Strasbourg et Paris, ces personnes, dont je faisais partie, ont parcouru de nombreuses villes françaises pour raconter leur histoire lors d’une exposition itinérante. Nos récits ont suscité une foule de questions, tant sur les faits historiques que sur le vécu personnel. Les interrogations insistantes des visiteurs m’ont obligée à ouvrir une à une certaines portes solidement verrouillées de ma mémoire. J’ai eu l’impression de retrouver mon enfance, de redevenir la petite fille d’autrefois avec ses souvenirs, ses sentiments, ses joies et ses peurs. À la manière de puissants projecteurs, les questions éclairaient mes rêves – et mes cauchemars – et remettaient en lumière les horreurs d’un passé soudain ressuscité. Tout redevenait si vivant et si précis que j’ai revu les détails les plus infimes de cette période où j’étais confrontée à l’oppression du « lion » nazi.

De nombreux amis se sont joints au chœur : « Ecris tout cela, dresse-nous en le tableau, fixe tes souvenirs sur le papier. Ecris maintenant, quand il en est encore temps. »

Et je suis revenue dans l’Alsace des années trente, cette belle région aux paysages somptueux, aux valeurs ancestrales fortes, cette terre convoitée aussi, portant encore les douloureuses cicatrices des conflits fratricides précédents.

C’est dans ce cadre que la petite fille heureuse et enjouée que j’étais alors a développé une maturité précoce en découvrant la pauvreté des enfants d’ouvriers, les injustices, l’intolérance, les disputes entre partisans de la France et de l’Allemagne et l’angoisse grandissante des adultes hantés par l’appréhension d’une nouvelle guerre.

Le « lion » – ainsi surnommions-nous le régime nazi avide de proies – a fini par élargir sa tanière à notre région, traquant mes amis, dispersant ma famille, fracassant mon univers et me dérobant ma jeunesse. Il ne me restait plus que ma mémoire, ma « bibliothèque privée », comme disait joliment mon père. L’épreuve fut terrifiante.

Malgré tout, mon histoire est la preuve que la conscience, fut-elle celle d’une enfant, peut demeurer fidèle à elle-même et triompher de l’adversité quand elle a été éduquée et nourrie d’un idéal ou de valeurs élevées. Mon vœu le plus cher est que ce récit puisse servir à d’autres. Qu’il insuffle confiance et courage face à quelque « lion » que ce soit qui pourrait surgir à l’avenir.

PREMIÈRE PARTIE

Juin 1933 – Été 1941

CHAPITRE1

Ma petite enfance entre ville et campagne

JUIN 1933

Mes parents et moi habitions à Husseren-Wesserling, un charmant petit village de la vallée de Thann, non loin de la ferme de mes grands-parents. Notre maison était superbe avec sa pergola foisonnant de roses qui menait au jardin et aux prés. Mon village se trouvait en Alsace-Lorraine, une région frontalière que la France et l’Allemagne s’étaient bien souvent disputée.

Je n’avais pastout à fait trois ans quand nous avons déménagé avecnotre petite chienne Zita pour aller vivre au deuxième étaged’un immeuble situé 46 rue de la Mer Rougeà Mulhouse. Ma famille était alors toute ma vie. Dansmes pires cauchemars, je n’aurais pu imaginer la peine, la détresse et la terreur qui allaient fondre sur nous. Le nom de notre rue – la Mer Rouge – allait devenirle symbole de notre destin. Désespoir. Séparation. Pérégrinations. Espérance. Jeme demande si mes parents avaient eux aussi été frappéspar cette coïncidence.

La rue, très longue, commençait à lagare de Mulhouse-Dornach puis, serpentant entre prés et jardins, desservait une suite de maisons ouvrières et de petits immeubles. Le 46 était un bâtiment de trois étages et dehuit appartements réservé aux ouvriers de Schaeffer et Cie, unemanufacture d’impression sur étoffes de renommée mondiale où Papatravaillait comme conseiller artistique.

Ici, à la ville, je n’avais plus le droit de me promener seule dans larue ni de m’approcher trop près des fenêtres. Quelchagrin pour une petite campagnarde… Même les fleurs du balconétaient prisonnières de leurs pots!

Heureusement, nous retournions souvent àla ferme de mes grands-parents. Nous descendions du trainà Oderen, un lieu de pèlerinage dédié à la ViergeMarie, d’où un sentier grimpait dans la montagne. Illongeait un frais ruisseau qu’il franchissait ensuite pour escaladerun flanc abrupt jusqu’à Bergenbach, un petit plateau verdoyantparsemé d’arbres fruitiers de toutes sortes.

La ferme demes grands-parents se blottissait là, entre rochers, fougères etbroussailles. Quand on en avait franchi la porte étroite, ilfallait attendre un instant que les yeux s’habituent àla pénombre avant de pouvoir distinguer, dans un coin, uneimposante cheminée noircie dans laquelle avait été installée une largecuisinière. L’odeur de fumée mélangée aux senteurs du foinet des céréales était pour moi le plus agréable desparfums. Dehors murmurait une grande fontaine de pierre. Le douxclapotis de son eau vive avait bercé de nombreuses générations.

Dans les années 1890, ma grand-mère, Maria, avait quittéla maison familiale, mais elle y est revenue quand ellese retrouva veuve et mère de deux petites filles, Emmaet Eugénie, ma mère et ma tante. Elle épousa ensecondes noces Rémy Staffelbach dont elle eut deux autres enfants, ma tante Valentine et mon oncle Germain. Rémy était pourmoi un véritable grand-père.

Grand-maman était une femmedynamique qui, du matin au soir, s’occupait des animauxde la ferme et cultivait le jardin pendant que leshommes vaquaient à leurs propres tâches.

Grand-papa était préparateuren couleurs dans une usine d’impression sur étoffes etOncle Germain travaillait dans une carrière. Grand-maman était toujoursinquiète au sujet d’Oncle Germain. Comme il était sourd, elle craignait qu’un jour il ne perçoive pas lesignal annonçant le dynamitage de la roche. Dès qu’elleentendait le bruit d’une explosion, elle s’immobilisait et, sans se soucier du travail en cours ni de l’endroit, elle récitait aussitôt une prière pour son fils. Avecdes larmes dans la voix, elle me racontait souvent lamême histoire: «Ta mère voulait être religieuse, missionnaire en Afrique. Nous nous sommes donc rendues au couvent pour nous renseigner, mais la dot demandée était bien trop élevée. Il nousaurait fallu vendre toutes nos vaches.» Je ne comprenais paspourquoi il fallait vendre des vaches pour pouvoir servir Dieu.

«La famille décida alors que ta mère irait travailler etqu’une partie de son salaire aiderait à payer l’internat de l’école des sourds où Germain suivait uneformation. C’est ainsi qu’elle est devenue tisserande dedamassé et qu’elle a rencontré ton père, Adolphe. C’était un orphelin sans le sou et un artiste – pasun paysan malheureusement – mais au moins, c’était un boncatholique!»

Nous communiquions facilement, Oncle Germain et moi. J’aimaisle langage gestuel très animé qu’il avait lui-mêmeinventé.

Il avait une dizaine de ruches. Il savait aussigreffer les arbres, travailler le bois et sculpter la pierre. Chaque fois que nous retournions en visite à la ferme, il nous présentait son œuvre la plus récente avec unlarge sourire heureux. Son plus grand bonheur était de serendre utile. Germain était très attaché à sa mère et, comme elle, très croyant. Je l’étais aussi.

Grand-mamanavait dû être une beauté dans sa jeunesse. L’âgen’avait en rien altéré le charme de ses traitsharmonieux. Ses yeux d’un bleu profond prenaient une nuance

Lesen Sie weiter in der vollständigen Ausgabe!

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