Si tu veux entrer dans la vie - Philippe Dautais - E-Book

Si tu veux entrer dans la vie E-Book

Philippe Dautais

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Beschreibung

Un chemin thérapeutique.

A chaque instant de notre existence, nous est posée cette question : veux-tu entrer dans la vie ? La maladie, l’épreuve, le mal subi peuvent nous conduire vers un désastre et ruiner notre existence ou peuvent être la possibilité d’une métamorphose et d’une croissance spirituelle. Poser un regard clair sur son histoire est nécessaire mais insuffisant, il convient de la resituer dans la dynamique d’accomplissement spirituel. Tel est l’enjeu essentiel du chemin thérapeutique proposé dans ce livre. Cette démarche s’appuie sur les évangiles et sur l’expérience des Pères du désert d’Egypte transmise par la tradition philocalique. Philocalie signifie « amour de la beauté » et renvoie à la quête de la beauté originelle en chaque être. Dans cet esprit, il est proposé ici de prendre soin de ce qui va bien en nous pour mieux assumer nos dysfonctionnements. Chemin vers l’unité intérieure qui passe par la dynamique du pardon. Ce livre montre en quoi celui-ci est ouverture sur la vraie vie, rupture avec la logique mortifère de la violence et avec le cycle infernal des répétitions pour ouvrir le champ des réconciliations jusqu’à l’impossible amour des ennemis. Une approche humaine et spirituelle qui prend en compte tous les aspects de la personne, pour progresser vers une réconciliation intérieure, fondement de toute vie relationnelle apaisée.

Plongez dans cet ouvrage empli de spiritualité, et découvrez un chemin vers l’unité intérieure qui passe par la dynamique du pardon.

EXTRAIT

Or, comment découvrir la dimension signifiante de la vie, comment accéder au sens si l’on s’en tient à la seule lecture de l’événementiel et des faits divers. À chaque instant se croisent le plan horizontal des phénomènes et le plan vertical du sens, l’attention nous fait entrer dans cette lecture verticale qui nous ramène puis nous relie à l’essentiel, à ce qui est au cœur de la réalité. C’est par elle que nous soulevons progressivement les voiles, que nous accédons à l’invisible au sein du visible, au sens au milieu de l’agitation du monde, à l’expérience des profondeurs au cœur de la réalité ordinaire. La pratique de la vigilance ouvre sur la culture de l’émerveillement comme fondement de tout chemin spirituel. Le contraire de la vigilance est la négligence qui, comme l’oisiveté sa sœur, nous enferme dans la superficie des choses, dans le monde des apparences, dans l’exil de l’être.

A PROPOS DE L'AUTEUR

Philippe Dautais, prêtre orthodoxe du Patriarcat de Roumanie, propose depuis 28 ans, avec son épouse Elianthe des sessions intitulées « chemin de guérison »». Ils sont responsables du Centre d’études et de prière de Sainte Croix en Dordogne.

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INTRODUCTION

L’Homme1 est un être de relation. La relation met en mouvement ce qui est inscrit en chacun. Sans cette dynamique, l’immense richesse que nous portons en nous resterait inactive et serait donc stérile. L’autre me permet d’exprimer qui je suis et, en réciprocité, je lui permets d’exprimer qui il est, pour l’enrichissement des deux. C’est par le mode de la relation que chacun apprend à se connaître lui-même et à découvrir l’autre dans le semblable et le dissemblable.

Nous sommes chacun porteur de la même humanité. Cependant, chacun exprime d’une manière unique cette nature commune. Parce que nous avons tout en commun nous pouvons communiquer et parce que nous ne sommes pas confondus nous pouvons entrer en relation. Participants de la même chair, chacun est différent. Nous n’aurons jamais fini d’épuiser l’immensité de la diversité et l’insondable profondeur de l’humanité. Quelque chose nous échappe en l’autre et en nous-mêmes. Ce mystère nous aimante et nous stimule. Par lui, nous sommes entraînés, souvent à notre insu, dans une dynamique de vie qui nous rend vivants.

La relation est vie et la vie est relation. Dans la relation, il y a l’autre, moi-même et ce qui est entre l’autre et moi-même. L’interrelation, cet échange de vie entre l’un et l’autre, nous fait accéder chacun à plus que nous-mêmes. Elle rend vivante et fait émerger en nous des qualités insoupçonnées. Nous retrouvons cette dynamique dans les éléments les plus simples de la matière. Si nous combinons deux gaz : l’hydrogène et l’oxygène, dans des proportions spécifiques, l’élément résultant (l’eau, H2O) fait émerger des propriétés qui n’étaient ni dans l’hydrogène ni dans l’oxygène. Propriétés génératrices de vie.

La relation est vie et nous rend vivants. Elle est à l’évidence le fondement de toute thérapie et le chemin pour accéder à la vraie vie. Il est toujours bon de souligner que toute thérapie est fondée sur une relation de confiance et d’accueil réciproque. Il y a ici une vertu de la relation qui, dans un climat de bienveillance, donnera la possibilité à la parole de se libérer. Dire, c’est mettre à jour, à la lumière, ce qui restait obscur et agissait à notre insu, en nous malgré nous. Ce processus, facilité par la relation, consiste à voir, reconnaître, puis nommer pour ne plus être sous l’emprise des mouvements inconscients. Il permet d’accéder à la liberté intérieure et à l’avènement du sujet par le chemin de la désidentification, de la vigilance et de la métanoïa. C’est ce qui sera mis en évidence dans cet ouvrage.

Dans les évangiles, il apparaît clairement que Jésus de Nazareth n’est pas venu fonder une nouvelle religion. Il s’appliquait à vivre pleinement la relation avec chacun des disciples et avec ceux qui venaient vers lui. Lorsqu’une personne le sollicitait, il s’impliquait pleinement dans la relation, favorisait une disposition de confiance qu’il considérait comme cause de guérison et, de cette rencontre, jaillissait une transformation qui pouvait s’exprimer dans une guérison physique. Le Christ scellait cette transformation par cette parole : « Va, ta foi t’a sauvé. » La foi qualifie ici la dynamique de confiance qui a fait émerger la guérison.

Dans les rencontres, relatées par les évangiles, notamment avec Lévi, Zachée, Marthe, Marie, la femme samaritaine… nous voyons Jésus s’investir dans la relation. Il remet chacun en contact avec son être profond et le resitue dans une dynamique de croissance spirituelle.

Cette attitude nous renvoie à une question essentielle : quel a été l’élément déclencheur de notre quête de sens ? Quel événement ou rencontre a mis en mouvement notre soif de vie et notre aspiration à être ? Il est clairement admis que l’on ne peut pas faire le chemin à la place de l’autre. Dans ce constat, l’essentiel réside dans l’étincelle qui va susciter un élan de vie et une soif de plénitude. « Si quelqu’un a soif, dit Jésus, qu’il vienne à moi et qu’il boive » (Jn 7,37).

Cette soif est latente dans le cœur de chaque être humain, la pédagogie principale déployée par le Christ consiste à l’éveiller. L’amour comme finalité s’enracine dans le jaillissement du désir. Il est dit : « Tu aimeras. » Cette parole n’est pas à entendre comme un commandement, car on ne peut aimer sur commande, mais comme un encouragement. Elle nous dit que nous sommes capables d’aimer, que nous portons en nous cette aspiration et qu’il nous reste à la mettre en œuvre. Les évangiles nous montrent que c’est par et dans la relation que peut éclore le germe de l’amour. L’amour est la qualité de la relation. Ainsi, la relation vécue dans cette perspective est la voie royale. Le message essentiel des évangiles est récapitulé dans cette parole : « Tu aimeras ton Dieu de tout ton cœur, de toute ton âme et de toute ta force et tu aimeras ton prochain comme toi-même. C’est là toute la loi et les prophètes » (Mt 22,37-40).

La démarche proposée ici prend appui sur les évangiles (lesquels sont en lien avec toute la Bible) et s’inspire largement de la tradition philocalique. Tradition qui s’enracine dans l’expérience des Pères du désert d’Égypte au IVe siècle, dont le courant principal s’étend jusqu’au XIVe siècle et parvient jusqu’à nous par la voie monastique. Philocalie signifie « amour de la beauté ».

Pour les anciens, la beauté est un nom de Dieu. Elle est l’expression de son unité. La philocalie est la quête de cette beauté intérieure, assimilée à « l’image de Dieu » dans l’Homme. Quête de ce qui est le plus originel en chacun de nous, enfoui dans la profondeur du cœur, telle la perle précieuse dans son champ selon l’Évangile, et disponible pour peu que l’on s’ouvre à cette dimension. Les Pères du désert affirmaient que tout être humain peut avoir accès à cette Source qui sourd à l’intime de chacun.

Saint Augustin précisait que « cette Source a soif d’être bue ». Les Pères considéraient que le meilleur remède est de découvrir cette source et, qu’avant tout, il s’agit de prendre soin de cette perle précieuse, de ce qui va bien en nous pour mieux assumer nos désordres intérieurs. Invitation à revenir vers le dedans, à découvrir l’immense richesse inscrite dans la profondeur de chaque être humain. C’est à partir d’elle que chaque personne peut puiser les ressources nécessaires pour la guérison.

Par ce chemin du retour à soi, la perspective existentielle change. Le monde n’est plus une finalité mais un moyen, il n’est plus le seul horizon mais la possibilité de s’ouvrir à la vraie vie.

Dans cette ouverture, les maladies et les épreuves deviennent autant d’occasions de croissance spirituelle. En ce sens, l’action thérapeutique ne doit pas viser uniquement la restauration de la santé mais oriente l’être humain vers une dynamique d’accomplissement. Les récits de guérison dans les évangiles sont explicites à cet égard. La conversion (métanoïa) est le maître mot.

Dans l’esprit philocalique, le processus thérapeutique ne s’arrête pas au traitement des souffrances, du malaise ou de la blessure, il a pour vocation de conduire la personne vers l’unité intérieure. Il commence par une consultation, par une recherche d’aide. Il se poursuit dans une dynamique relationnelle où la personne est accueillie, écoutée, prise en compte dans sa subjectivité. Relation de confiance qui permettra à la personne de dire son mal-être, de nommer ce qui lui fait mal, l’oppresse, voire ce qui la détruit, de dire aussi les sentiments qui l’habitent.

Dans cette approche, le thérapeute ou l’accompagnant se centre sur la personne, sur les potentialités et les forces de vie qui s’expriment, plus que sur les difficultés qu’elle traverse, car l’essentiel est de faire émerger le sujet et de conduire la personne vers elle-même. Cette attitude aidera la personne à se « verticaliser » puis à transformer la crise ou l’épreuve en occasion de maturité et de croissance spirituelle.

Nous verrons que cette mutation passe par un processus de « désidentifications » successives qui situe le sujet en tant qu’observateur et le conduit vers la reconnaissance d’une dimension profonde qui échappe à l’emprise des conditionnements et des agressions du monde. C’est à partir de cette dimension que le chemin de reconstruction peut s’opérer.

Prise de conscience que la personne est beaucoup plus que ses blessures, ses souffrances ou que ses dysfonctionnements relationnels. Prise de conscience qui fait sens et oriente vers un devenir où pourront s’exprimer la force de vie et le dynamisme ascendant qui habitent la profondeur de chaque être. Véritable retournement, changement de regard où le mal subi devient possibilité initiatique, où la personne prend le pas sur ce qui se passe en elle, sur les mouvements de la nature en elle. Elle pourra ainsi se réapproprier ses potentialités, ses qualités intérieures pour les mettre en œuvre, accéder à son désir profond pour réaliser sa vocation spécifique. Ouverture à la dynamique d’accomplissement qui répond à la quête de sens.

Ce passage est la condition même pour accéder à l’unité intérieure. Le principe de l’unité dans l’être humain est la personne2. Ainsi, le chemin vers l’unité intérieure et l’émergence de la personne, du sujet, sont une seule et même chose.

Ce chemin passe par l’intégration de sa propre histoire et par des réconciliations successives avec soi-même, avec sa réalité d’incarnation, avec Dieu, pour conduire vers la réconciliation avec l’autre. Le pardon est ici une clé essentielle. Nous verrons en quoi il est ouverture vers une vie nouvelle, rupture avec la logique meurtrière et mortifère ainsi qu’avec le cycle infernal des répétitions, en quoi il ouvre le champ des réconciliations jusqu’à l’impossible amour des ennemis. En finale, il est restauration d’un état de confiance.

Dans la vision des évangiles (telle que vue plus haut) et de la tradition patristique, l’essentiel de la démarche thérapeutique (appelée aussi praxis) est de resituer l’être humain dans la dynamique d’accomplissement spirituel. La blessure et l’échec existentiels deviennent des lieux privilégiés de transformation. C’est le rôle de l’accompagnant que de le mettre en évidence afin d’aider la personne à se réapproprier ses propres capacités et à se dégager de ce qui l’empêche d’accéder à la vraie vie.

Jésus-Christ, médecin des âmes et des corps, nous en a montré le chemin.

(1) Nous avons pris l’option de mettre un H majuscule chaque fois que nous parlons de l’être humain et un h minuscule quand nous parlons de l’homme par rapport à la femme.

(2) Il faut entendre ici le mot « personne » non selon l’usage courant qui le confond avec l’individu mais au sens de l’identité personnelle qui fait de chaque être humain un être unique exprimé dans un visage unique et par un génome unique. La personne renvoie à l’unicité du sujet.

– 1 –QU’EST-CE QUE L’HOMME ?

Tout accompagnement et toute approche thérapeutique s’appuient sur une conception de l’être humain. Ce présupposé est plus ou moins affirmé mais est toujours présent et sous-jacent. Il est inducteur. Le chemin proposé vers l’unité intérieure suppose une vision unitive dans laquelle ne sont pas mis en opposition le psychologique et le spirituel mais où la dimension thérapeutique est située dans la perspective de la spiritualité chrétienne, fondée sur une anthropologie judéo-chrétienne.

La vision chrétienne de l’Homme est naturellement inspirée du récit biblique et de la tradition hébraïque. Les Juifs ont une vision unitive de l’être humain. Ils le considèrent comme un tout : chair (bassar) pénétrée de souffle (néfesh), où la chair est moins le corps que l’Homme tout entier dans sa dimension cosmique et la néfesh représente la vitalité de la chair, ce qui la met en mouvement.

Dans cette approche, la chair ne se saisit jamais à part du souffle, de l’impulsion vitale. La chair sans le souffle n’est plus chair mais cadavre. À préciser que le mot corps n’existe pas en hébreu, on ne peut donc identifier la chair au corps.

La Bible introduit aussi la notion de « Ruah » qui qualifie l’Esprit de Dieu. L’Esprit de Dieu insuffle la grâce dans la créature qui est, selon le livre de la Genèse, inachevée donc inscrite dans une dynamique d’accomplissement. La « Ruah » permet la cohérence des deux parties constitutives de l’Homme, bassar et néfesh. Elle les dynamise et les sanctifie.

Nous sommes loin d’une vision statique de l’Homme qui serait composé d’éléments juxtaposés. Ici, l’être humain est inscrit dans une dynamique et une perspective. Après la résurrection, le corps de l’Homme sera un corps spirituel, un corps « pneumatisé3 » dont le principe de vie sera l’énergie même de l’Esprit Saint. Ce corps transfiguré exprimera l’âme, elle-même illuminée et divinisée par la lumière divine.

Ainsi l’Homme n’a d’existence que par participation à la Ruah, c’est ce que saint Paul rappelle aux Corinthiens : « Ne savez-vous pas, dit-il, que vous êtes le temple de Dieu et que l’Esprit de Dieu habite en vous ? » (1 Co 3,16). Ailleurs il dira : « Ne savez-vous pas que votre corps est le temple du Saint-Esprit (Pneuma) qui est en vous ? » (1 Co 6,19).

Le corps n’est pas le tombeau de l’âme, comme le pensait Platon, mais « l’instrument de musique animé par l’Esprit » selon la belle expression de saint Grégoire de Nysse (IVe siècle). Dans cette approche, être spirituel ce n’est pas s’échapper du corps mais s’ouvrir dans son corps à l’action déifiante de la Ruah, de l’Esprit. L’apôtre Paul appelle « spirituels ceux qui sont dociles à l’Esprit et sont la demeure du Saint-Esprit qui est en eux » (1 Co 3,16). Pharisien, fils de pharisien, il enseigne une anthropologie sémite, laquelle s’exprime dans ses lettres, notamment en 1 Th 5,23 : « Que le Dieu de la paix, lui-même, vous sanctifie totalement et que votre être entier : l’Esprit (Pneuma), l’âme et le corps, soit gardé irréprochable pour l’avènement de Notre Seigneur Jésus-Christ. » Selon saint Irénée de Lyon (IIe siècle), l’apôtre a, par cette parole, « clairement défini l’Homme parfait et spirituel », car « la chair modelée, à elle seule, n’est pas l’Homme achevé : elle n’est que la chair de l’Homme, donc une dimension de l’Homme. L’âme à elle seule n’est pas davantage l’Homme : elle n’est que l’âme de l’Homme, donc une dimension de l’Homme. L’Esprit non plus n’est pas l’Homme : on lui donne le nom d’Esprit, non celui d’Homme. C’est l’union dans la communion de ces trois réalités qui constitue l’Homme achevé » (Contre les hérésies V, 6, 1). L’Homme parfait est celui qui participe pleinement à la vie de l’Esprit.

Par l’intégration du corps, la prise en compte des mouvements de la psyché associée à une dynamique d’ouverture de conscience dans une perspective spirituelle, nous retrouvons la vision unitive qui était celle des premiers chrétiens. Ils avaient une vision tripartite de l’être humain et considéraient que chaque élément : le corps, l’âme, l’esprit, était essentiel pour l’ascension spirituelle. L’Homme ne serait pas entier s’il lui manquait une de ses composantes. Ce que nous appelons l’Homme est un tout indissociable.

Tous les Pères n’ont pas adopté cette approche, pour autant, ils sont étrangers à tout dualisme opposant l’intelligence et la matière. Ils distinguent toutefois en l’Homme, deux états successifs :

sa condition actuelle, historiquement marquée par le péché ;

sa condition eschatologique, marquée par le retour du Christ, où l’Homme et la création seront transfigurés par l’effusion des énergies de l’Esprit Saint.

C’est cette condition finale de l’univers qui était dans le plan divin initial et finalement se réalisera.

Dans la condition actuelle, l’Homme est soumis à la servitude et aux lois de la biologie (par le besoin de se nourrir, de suivre les cycles naturels et de se reproduire sexuellement), il est aussi sujet à la souffrance, à la mort, à la décomposition.

Après la résurrection, il sera totalement libéré et sera revêtu d’un corps spirituel (le corps et l’âme seront pneumatisés) et plongé dans la lumière divine (1 Co 15,35-49). Chacun gardera son identité propre : Pierre restera Pierre, Philippe restera Philippe…

L’Homme créé à l’image de Dieu

Avant tout, les Pères ont fait la distinction entre l’incréé et le créé, entre le Créateur et la créature. Ils ont rappelé la dimension transcendante de Dieu qui est Tout Autre par rapport au cosmos créé et à l’être humain. Ainsi, l’Homme n’est pas de nature divine mais créé à l’image de Dieu. Cette distinction n’introduit pas un dualisme, elle fait coïncider l’altérité et la parenté entre l’Homme et Dieu. À ce titre, il est nécessaire de préciser ce que les chrétiens orthodoxes entendent par « image de Dieu ».

Avant tout, l’Homme, créé à l’image de Dieu, est le reflet de la beauté divine, avant tout il est une merveille de Dieu. Dans son être profond sont inscrites les qualités divines dont l’amour est la synthèse. C’est donc l’amour qui est originel et non le péché. C’est la liberté qui est originelle et non l’aliénation, c’est la joie qui est originelle et non l’amertume, c’est la santé qui est originelle et non la maladie.

L’Homme créé à l’image de Dieu est porteur de sa propre liberté « car le divin est transcendant à l’Homme et en même temps, le divin est mystérieusement uni à l’Homme. C’est cela et cela seul qui rend possible l’apparition dans le monde de la personne non asservie au monde » (Berdiaev, Esclavage et liberté p. 48). Lequel ajoutait : « Dieu est une liberté réalisée, l’Homme est une liberté en voie de réalisation, en voie d’accomplissement. »

Les Pères de l’Église se sont demandé s’il est possible de distinguer, dans l’Homme, l’élément divin. Grégoire de Nysse, père cappadocien du IVe siècle, répond clairement à cette question, en partant de ce qui est attesté communément dans l’expérience chrétienne : « C’est l’esprit (noûs) qui fait de l’Homme l’image de Dieu. Car l’esprit est la liberté de l’Homme. » Il nomme ici une dimension héritée de la philosophie grecque, à savoir le « noûs » qui traduit la notion hébraïque du cœur, non au sens du cœur organe mais du cœur profond qu’Olivier Clément a appelé : cœur-esprit. Nous retrouvons cette référence au « noûs » dans la plupart des ouvrages sur la tradition hésychaste. Nous reviendrons sur cette notion fondamentale plus loin.

Il reste à préciser que l’image de Dieu ne concerne pas seulement l’esprit. Saint Irénée de Lyon affirme que ce n’est pas l’Homme qui a offert au Christ le corps pour s’incarner mais que l’Homme a été créé à l’image du Christ, corps, âme, esprit. Le Christ est le modèle et c’est l’Homme qui est créé à l’image. L’Homme est appelé à devenir ressemblant au Christ, à être en tout semblable au Christ qui est l’alpha et l’oméga de l’Homme. « Le Christ est l’image visible de Dieu invisible » (Col 1,15). L’Homme est un être créé « à l’image de Dieu », appelé à actualiser cette image pour devenir semblable au Christ.

De l’image vers la ressemblance

L’image, fondement ontologique de l’être humain, de par sa structure dynamique appelle la ressemblance subjective, personnelle. Le germe (avoir été créé à l’image) conduit vers son éclosion : être selon l’image.

L’image de Dieu est donc la marque indélébile de l’être profond dont le principe (logos) ne peut être altéré. Si l’image de Dieu est actuelle, la ressemblance est à accomplir. L’image se rapporte à la constitution de la nature, l’accomplissement de la ressemblance dépend de la liberté et de la volonté personnelles. L’image comporte des facultés qu’elle doit orienter vers Dieu. La ressemblance correspond à une actualisation des potentialités de l’image.

Les versets 26 et 27 du livre de la Genèse viennent confirmer la dynamique pneumatique que nous avons esquissée. Au verset 26, Dieu dit : « Faisons l’Homme à notre image, capable de ressemblance et qu’il domine… » La plupart des Pères de l’Église font la distinction entre l’image qui est inscrite dans l’être humain et la ressemblance qui est à acquérir par une coopération divino-humaine. La ressemblance serait le fruit de l’action déifiante de l’Esprit Saint et de la coopération de la liberté de l’Homme.

Ainsi, l’Homme, dans la vision biblique, a été créé à l’image de Dieu (Gn 1,27) et placé dans un devenir, dans une dynamique de croissance pour atteindre à une pleine maturité. Saint Irénée de Lyon (IIe siècle), et d’autres pères après lui, enseignait que l’Homme n’a pas été créé parfait mais en vue de la perfection, qu’il n’a pas été créé immortel mais en vue de l’immortalité, « il était un enfant qui devait encore grandir pour atteindre à sa perfection » (Contre les hérésies IV, 38, 2). Adam était un enfant riche de potentialités qu’il devait assumer pour atteindre à la pleine maturité de fils de Dieu.

S’il a été créé à l’image, il doit être fait selon la ressemblance. Ce mot faire, qui n’est pas le même que le mot créé en hébreu, exprime le projet divin, lequel suppose l’action des deux mains du Père à savoir le Verbe et l’Esprit ainsi que la libre participation de l’Homme. Dans la Genèse, les deux notions sont bien distinguées : d’une part, Dieu dit : « Faisons l’Homme à notre image capable de notre ressemblance » (Gn 1,26), d’autre part « Dieu créa l’Homme à son image » (Gn 1,27), tel est le fondement et l’axe de toute l’anthropologie chrétienne des premiers siècles et par la suite de l’anthropologie orthodoxe. La création à l’image de Dieu situe l’Homme face à Dieu, dans une relation. La ressemblance lui donne une orientation, une perspective de croissance qui suppose une coopération, un accord de deux libertés. C’est ce qui donne sens à l’existence et fait de chaque être humain un pèlerin vers lui-même, en chemin de l’image vers la ressemblance.

Saint Grégoire de Nysse affirmera qu’il n’y a pas de limite à ce voyage spirituel, que nous ne cesserons de croître : « de commencements en commencements vers des commencements qui n’auront jamais de fin ». Il n’y aura pas de limite à cette ascension « de gloire en gloire » (2 Co 3,18), affirmait l’apôtre Paul car Dieu est infini et inépuisable.

La sanctification de l’Homme est donc le fruit de la coopération (synergia) de la liberté de l’Homme et de la grâce divine.

Corps, âme, esprit ou Esprit

Le mot « esprit » en français amène une confusion car il traduit deux mots grecs différents : Pneuma et noûs. L’habitude a été prise de traduire noûs avec un petit « e » pour signifier l’esprit de l’Homme et Pneuma avec un « E » majuscule pour l’Esprit de Dieu. L’introduction du noûs vient de l’influence platonicienne (son équivalence en hébreu est le cœur : Lev). L’expérience spirituelle chrétienne a confirmé et précisé la dimension noétique de l’être humain et l’a assimilé au cœur profond distinct du cœur organe. Nous verrons plus loin comment s’articulent et se complètent le noûs et le Pneuma. Mais auparavant, il nous faut préciser ce qu’est le noûs.

Le noûs ou cœur-esprit

La distinction entre l’esprit et l’âme s’avère essentielle dans l’expérience spirituelle. Platon avait perçu qu’en son intériorité, l’âme prend conscience de son aspiration à la transcendance. Cette dimension intérieure de l’âme, il l’a appelé noûs. Il semble bien cependant qu’il ait confondu l’aspiration à la transcendance avec la Transcendance elle-même, déduisant par là-même l’immortalité de l’âme de la « connaturalité de l’âme avec le divin ». Pour les chrétiens, le noûs est comparé à un miroir dans lequel se reflète l’image de Dieu. C’est de ce miroir que nous parle l’apôtre Paul lorsqu’il dit : « Pour l’instant, nous voyons au moyen d’un miroir mais alors nous verrons face-à-face » (1 Co 13,12). Le noûs est apparenté à un organe de vision et est appelé à cet effet : « œil du cœur ». Au sens premier, il est l’organe de la prise de conscience, il est la possibilité, au sein de l’âme, de prendre conscience des états d’âme et de nommer les mouvements de l’âme : les humeurs, les émotions, les sentiments, les passions… C’est aussi par lui que nous pouvons accéder à la contemplation des mystères et à la vision de Dieu : « Bienheureux les cœurs purs car ils verront Dieu. »

Lorsque nous parlons de la dimension tripartite de l’être humain : corps, âme, esprit, habituellement, nous évoquons le noûs et non le Pneuma. Appelé aussi fine pointe de l’âme ou partie supérieure de l’âme, le noûs s’identifie au cœur profond comme capacité de silence, de conscience et de détermination.

la capacité de silence intérieur (ou

hésychia

) s’expérimente dans la prière et la méditation, elle traduit un état imperturbable de l’être.

la capacité de conscience et de parole permet à l’Homme de prendre conscience des mouvements intérieurs, des états d’âme, et de pouvoir les nommer.

la capacité de liberté qui est capacité de décision et de détermination permet de s’inscrire puis de demeurer dans un dynamisme intérieur sans se laisser distraire par les sollicitations du monde ou se laisser détourner par les pensées parasites.

Le chemin spirituel consiste en la restauration de ces capacités originelles pour les rendre opératives. Cette restauration pose la double exigence de la vie de prière et de la purification du cœur-esprit. Le moyen employé est l’exercice pratique appelé communément dans la tradition spirituelle : ascèse. Le but de l’ascèse est l’acquisition de la primauté du noûs sur l’âme (psyché) et sur la chair (sarx) donc le rétablissement de l’ordonnancement initial. L’être humain a pour tâche d’acquérir l’autorité de la conscience sur les mouvements naturels, de passer de l’état de soumission aux passions à l’application de la volonté divine. Passage de l’esclavage vers la liberté signifié par l’exode des Hébreux de la terre d’exil (Égypte) vers la terre promise.

Nous rappellerons que le monde angélique est purement noétique. L’être humain a des capacités noétiques qu’il doit mettre en œuvre pour atteindre à sa stature de fils (ou fille) de Dieu et devenir roi de la création, ce qui ne veut pas dire asservir ou maltraiter mais spiritualiser la nature, lui permettre d’exprimer pleinement ses potentialités sacramentelles.

Dans la tradition orthodoxe, le noûs a une fonction d’intégration de la personnalité. Il est le centre du conscient et de l’inconscient ainsi que l’organe central des sens intérieurs, la racine de tout, le point de rencontre entre Dieu et l’Homme, là où l’Homme rencontre Dieu face-à-face. Il est appelé par l’apôtre Paul : l’Homme intérieur.

Le rapport de l’ensemble corps, âme, esprit au Pneuma

Pour certains pères et selon l’apôtre Paul (1 Th 5,23), le terme Esprit (Pneuma) désigne le don du Saint-Esprit ou la grâce du Saint-Esprit qui est la vie même de Dieu. C’est par la grâce que nous devenons « participants de la nature divine » (2 P 1,4). « Par la grâce, nous sommes pénétrés et imprégnés de Dieu, nous vivons en Lui et de Lui, nous participons à sa nature, comme le fer rouge participe à la nature du feu, et tout en restant fer, devient feu, brillant comme le feu. Par la grâce, nous sommes déifiés, par la grâce nous sommes fils de Dieu », selon saint Maxime le Confesseur.

La déification est une « pneumatisation » ou spiritualisation de tout l’être : du corps, de l’âme et du noûs. L’Homme devient pleinement humain, parfait selon l’expression citée de saint Irénée, lorsqu’il est pénétré par la grâce dans son corps, son âme et son intelligence (noûs). Grâce qui ouvre son intelligence à la contemplation des mystères et à la vision de Dieu. Grâce par laquelle l’être humain peut devenir participant de la vie divine : « La vie de l’Homme sera la vision de Dieu » (Irénée de Lyon).

L’unité ontologique de toute l’humanité

« Nous qui constituons une unique nature, nous nous dévorons réciproquement comme des serpents » (Maxime le Confesseur).

La Bible voit en Adam à la fois chaque être humain et toute l’humanité. En Adam, elle met en évidence l’unité et la diversité. Unité du genre humain et diversité des visages. Coïncidence de l’unité et de la diversité.

Chaque être humain a une manière unique d’exprimer l’humanité qui nous est commune. Chacun a un mode d’être qui lui est propre selon des configurations uniques exprimées dans son génome unique et manifesté dans son visage unique. La diversité est le miracle de la vie. Elle est une richesse essentielle.

Dieu n’a créé en réalité qu’un seul Homme, l’Adam-Humanité. Ce qui porte atteinte à un être humain se répercute dans l’entière humanité. Nous sommes tous un en Adam. Nous participons tous de la même humanité, de la même chair (Isaïe 58,7), « nous sommes membres les uns des autres » (Ep 4,25). Nul humain n’est une île. Toute l’humanité est en lien organique où chacun de nous est une cellule d’un grand corps qui forme une unité vivante et organique. Par ce fait, nous sommes tous solidaires et responsables les uns des autres. Ce que je fais à l’autre, je me le fais à moi-même. Nous sommes invités à entrer dans cette conscience pour enfin respecter chaque être humain et le considérer comme une partie de nous-mêmes. Le respecter et le considérer comme un frère ou une sœur en humanité, cela veut dire prendre soin de lui au lieu de le vivre comme un rival ou une menace. Prendre soin de lui, c’est aussi prendre soin de sa différence, de ce qu’il porte d’unique et d’irremplaçable.

Dans cette pensée unitive, saint Silouane de l’Athos4 affirme : « Notre frère est notre propre vie. » Celui qui méprise son frère méprise sa propre chair (cf. évangile de Jean). Mystère de l’unité ontologique de la nature humaine, de l’humanité. Celui qui tue son frère se tue lui-même. Tout ce que tu n’aimes pas chez l’autre traduit à un certain degré ce que tu n’aimes pas en toi. C’est pourquoi, selon saint Silouane de l’Athos nous ne devons avoir qu’une seule pensée et une seule espérance : « Que tous soient sauvés. »

Adam est créé mâle et femelle

D’autre part, selon la Bible, Adam est créé mâle et femelle, masculin et féminin. Dans le premier livre de la Genèse, la création se révèle être un processus de différenciation. Le terme habituellement utilisé dans les traductions est : séparation. Or ce mot aujourd’hui évoque l’idée de rupture, c’est pourquoi il est préférable d’employer, en toute rigueur, le terme de différenciation, qui est un principe de vie. La différenciation conjugue la distinction et le lien. Deux cellules différenciées sont séparées et interagissent.

Dans le premier chapitre de la Genèse, Dieu distingue, dans le dynamisme de la création, les cieux et la terre, la lumière des ténèbres, les eaux d’en haut des eaux d’en bas, le sec de l’humide, Adam de la Adamah et le masculin du féminin. Les pères de l’Église diront : « Dieu distingue sans séparer pour unir sans confondre. » Les distinctions appellent des mariages successifs. La vocation de chaque être humain (homme ou femme) est d’atteindre à l’unité intérieure par le mariage des polarités ou antagonismes complémentaires qui le constituent. Il est invité à reconnaître l’autre part de lui-même, à l’épouser, pour atteindre à la plénitude de son être. Le mariage homme-femme traduit au plan existentiel cette œuvre fondamentale.

C’est pourquoi l’Église donne une place privilégiée au mariage en ce qu’il représente le dynamisme même de la vie spirituelle puis de l’union à Dieu. Dans la Bible, tout est mariage. Au cœur de la Bible, le Cantique des Cantiques est là pour nous le rappeler. À ce titre, la distinction des sexes, des genres masculin et féminin, s’inscrit dans la distinction féconde des polarités. La rencontre avec l’autre en tant qu’autre complémentaire est possibilité de dépassement et de plénitude. Dans une telle rencontre, il y a plus que l’un et plus que l’autre, il y a l’un et l’autre et ce qui circule entre l’un et l’autre ; il y a aussi ce qui nous échappe en soi et en l’autre et que nous pourrions appeler le « tiers caché5 ».