Sortir de chez soi - Luba Jurgenson - E-Book

Sortir de chez soi E-Book

Luba Jurgenson

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Beschreibung

« Ce texte est né d’une envie de dire comment l’écriture et la traduction s’entrelacent et s’entrechoquent. Je suis partie d’une étrangeté propre à mon parcours : au lieu de ramener une culture autre « chez moi », vers ma langue maternelle – le russe – je suis « sortie de chez moi » pour traduire vers ma langue d’adoption, le français. Cette « sortie », qui était aussi une entrée dans la culture française, m’apparaît comme un déracinement fondateur, une hérésie, certes, mais hérésie est presque une anagramme de heureuse : il en faut pour tout travail sur la langue, sur le langage.  

Depuis quelque temps, des fragments de poèmes se glissent dans mes proses et parallèlement, j’ose traduire des vers d’auteurs qui me sont chers. Dans ce texte, je me suis donné la liberté de réfléchir au sens de ces accidents. Ils se sont toujours produits en rapport à un mouvement à travers la ville (en l’occurrence, Paris) : des miettes semées à travers ces déambulations pour ne pas retrouver le chemin. »

Luba Jurgenson


À PROPOS DE L'AUTEURE

Luba Jurgenson, née à Moscou en 1958, vit à Paris depuis 1975. Écrivaine, traductrice, universitaire, elle enseigne la littérature russe à Sorbonne Université et codirige la collection Poustiaki aux éditions Verdier. Vice-présidente de l’association Mémorial France, elle a notamment traduit, entre autres, Nina Berberova, Vassili Grossman, Marina Tsvetaeva, Ivan Gontcharov, Sofia Tolstoï, Boris Akounine, Vladimir Toporov, Varlam Chalamov, Dimitri Chostakovitch, Alexandre Soljenitsyne…

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Sortir de chez soi

Luba Jurgenson

© (éditions) La Contre Allée (2023)

Collection Contrebande

Sortir de chez soi

Luba Jurgenson

Sortir de chez soi.

Voir que l’arbre coupé l’an dernier

A regagné sa place.

Intact dans les replis de l’écorce,

Un clou que quelqu’un avait planté

Pour accrocher un écriteau,

Ou pour y suspendre son manteau

Parce que le printemps avait soudainement éclos.

« Comme elle ressemble à Nadia Roucheva ! » dit en me regardant une jeune femme avec laquelle nous partageons, grand-mère et moi, une location de vacances au bord de la mer Noire.

« Plaie sur votre langue ! » s’écrie grand-mère.

La première fois que je l’avais entendue proférer cette formule magique, c’était à moi qu’elle était adressée. Plaie sur ta langue ! J’avais eu très peur, je tâtais ma langue sans arrêt. À présent je sais que cette expression signifie quelque chose comme « à Dieu ne plaise ! » et sert à conjurer le mauvais sort.

Moi, je ne suis pas fâchée d’être comparée à Nadia Roucheva. Les illustrations faites par cette adolescente circulent dans le monde entier, en Italie, aux États-Unis, partout où nous ne pouvons pas aller. Elle a traduit des livres en images. Eugène Onéguine, Guerre et Paix,Le Maître et Marguerite publié dans une version tronquée. Elle dessinait pendant que ses parents lui lisaient ces livres à voix haute. Elle se laissait traverser.

Nadia Roucheva est morte à l’âge de dix-sept ans. Trop sensible pour vivre, dit-on. Trop à l’écoute. Morte foudroyée par ce courant qui la pénétrait de l’oreille au crayon.

Une lecture véritable, une lecture sensible est donc celle dont on peut mourir.

Je l’envie pour ce haut fait de lecture, pour cette génialité attestée par un acte. Mais je décide de vivre.

Avec une plaie sur la langue.

Lire à mort :

André Chénier, disait-on, lut Sophocle jusqu’au pied de l’échafaud, puis, appelé à y monter, remit son livre dans sa poche après en avoir corné la page.

Ayant terminé la lecture d’un livre, j’ai envie de le retourner pour recommencer à la première page.

Ayant terminé une traduction, j’ai envie de la « retourner » pour retraduire dans l’autre sens.

Ayant terminé l’écriture d’un livre, je ne peux plus le lire, comme s’il était écrit dans une langue étrangère.