Souvenirs perdus - Marie-Christine Martens - E-Book

Souvenirs perdus E-Book

Marie-Christine Martens

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Beschreibung

En revenant dans le village qui l'a vue grandir, Amélie se sent plus forte que jamais, épanouie et heureuse. Elle a réussi à surmonter les obstacles qui, se présentaient à elle, même si de cette fameuse nuit où elle a failli perdre la vie, il ne lui reste aucun souvenir. Pourtant, lorsque le sort s'acharne de nouveau et qu'elle doit faire face à cet inspecteur si désagréable, ressurgissent ses doutes et ses angoisses. Heureusement, elle peut compter sur des amitiés indéfectibles et pourquoi pas sur cet amour naissant qui ne demande malgré les différends qu'à grandir. Mais seront-ils suffisants pour affronter ces nouvelles embûches ?

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Seitenzahl: 179

Veröffentlichungsjahr: 2023

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À la recherche du passé

À mes parents, grâce à qui tout a toujours été possible.

À mes grands-parents, à jamais dans mes souvenirs.

TABLE DES MATIÈRES

CHAPITRE 1

CHAPITRE 2

CHAPITRE 3

CHAPITRE 4

CHAPITRE 5

CHAPITRE 6

CHAPITRE 7

CHAPITRE 8

CHAPITRE 9

CHAPITRE 10

CHAPITRE 11

TABLE DES MATIÈRES

CHAPITRE 1

Enfin les derniers mètres à gravir, si longs, si pénibles, pas pour la souffrance physique qu'ils pouvaient encore engendrer, mais bien pour l’incroyable effort, les mois de combats nécessaires pour affronter ces souvenirs encore douloureux, même si les années les avaient quelque peu estompés.

Amélie respira profondément, les yeux mi-clos, un léger sourire au coin des lèvres, comme pour mieux savourer sa victoire. Comment un endroit si merveilleux pouvait-il réveiller de tels sentiments, mélange de peur et de tristesse ?

Sous ses pieds, un rocher plat surplombait la vallée. La rivière scintillait, réchauffée par les rayons du soleil estival, nichée au creux des versants verdoyants libres de toute habitation, un peu sauvages. Rien n'avait changé, encore exactement comme lorsque les ambulanciers l'avaient découverte inconsciente et ensanglantée dix ans auparavant.

Nul ne pouvait expliquer ce qui lui était arrivé ce jour-là. Comment une frêle jeune fille de dix-huit ans avait-elle eu la force de remonter après une telle chute ? Malgré toutes ses tentatives pour se remémorer quelques bribes de l’événement, un voile sombre avait complètement occulté sa mémoire pendant une semaine qui resterait peut-être à jamais une énigme.

Pour une raison étrange et inconnue, elle était venue se promener dans cet endroit désert, un soir d'août 2004. Les vacances touchaient à leur fin, si merveilleuses encore. Tout n'était alors que bonheur et insouciance. Cet accident n'avait été que le premier d'une succession d'événements désagréables, voire graves.

Tout d’abord, l'amour sans borne qu'elle vouait à ce jeune homme rencontré quelques mois plus tôt, s'était vite avéré n'être qu'une vulgaire passade. Pour lui du moins ! Il n'était venu lui rendre visite qu’une seule fois à hôpital. C’était en tout cas ce qu'on lui avait raconté, peut-être même uniquement dans le but de la consoler. En fait, s’était-il seulement dérangé ?

Ensuite, son grand-père tant aimé, chez qui elle séjournait alors, les avait subitement quittés, sans aucun signe préalable, ni maladie ou quelconque souffrance, tout simplement, sans prévenir, comme une bougie qui s'éteint sous un souffle léger.

Enfin, le couple idéal formé par des parents qu'elle croyait unis, n'avait pas résisté à ces épreuves. Au lieu de les rapprocher, celles-ci les avaient éloignés l'un de l’autre.

En apprenant la nouvelle, elle s'était d'abord sentie responsable par les tracas qu'elle avait occasionnés et l'attention accaparée. Rapidement, elle avait compris que la décision était prise depuis bien longtemps. En fait, elle leur avait permis de prendre un peu de recul, de réfléchir de nouveau, inutilement soit, avant l'irrémédiable. Sagement, ils avaient attendu qu'elle soit assez forte pour encaisser ce nouveau coup du sort, alors que les vacances passées, ils les savaient déjà, étant les dernières en famille.

Encore fragile, elle n'avait pas résisté à la pression, se sentant à maintes reprises au bord du gouffre. Il s’en était fallu de peu pour qu'elle ne sombre dans la dépression. Une petite lueur aux tréfonds de son être l'avait poussée à se redresser, plus volontaire encore, avec une espèce de rage. Elle s'était démenée pour retrouver aussi l'usage total de la jambe droite, la plus grièvement touchée, ce qui avait nécessité plusieurs interventions chirurgicales.

De fines cicatrices sur son membre meurtri, ainsi qu'une marque filant de la tempe à la base de l'oreille lui rappelleraient toujours, si besoin en était, cette sinistre période. Inconsciemment, l'habitude aidant, elle continuait de les camoufler. Des inévitables pantalons pour les premières, une longue mèche de cheveux châtains pour la seconde, et cela même si les années écoulées les avaient fait pâlir pour les rendre quasiment invisibles. Elle avait eu besoin de temps, de beaucoup de temps, pour pouvoir les accepter, s'accepter tout simplement.

À peine sortie de l'adolescence, si elle avait dû faire preuve de courage et de rigueur, elle avait réussi à développer une grande force de caractère, mais en perdant cependant en assurance et en confiance.

La rééducation avait été une façon de se défouler physiquement ; la peinture, elle, était devenue un excellent exutoire mental. Amélie s'était investie corps et âme dans cette passion. Encore hésitante au début, elle avait rapidement su trouver sa voie. N’était-ce pas elle qui la ramenait aujourd'hui aux sources malgré les obstacles ?

Enfant, les activités artistiques et la créativité prenaient une grande place dans ses loisirs. Élève appliquée et assidue, le diplôme d'humanités supérieures en poche, elle souhaitait entreprendre des études d’architecte. Le destin en avait décidé autrement, car sa santé l'obligeait à une certaine sédentarité. Les opérations l'immobilisant souvent, elle avait trouvé le moyen d'échapper à cette réalité monotone. Lorsque enfin, elle réintégra les bancs d'un amphithéâtre la rentrée suivante, ce fut pour constater que ce style de vie ne lui convenait plus.

Tout l’ennuyait, les mathématiques et les sciences qu'elle appréciait jadis, les professeurs, ses camarades même ! Seuls les cours de dessin trouvaient grâce à ses yeux, et encore... Plutôt que de se concentrer sur les travaux imposés, elle préférait dresser son chevalet, saisir les pinceaux et les tubes d'acrylique pour entrer dans un autre univers, son univers.

À cet instant plus rien n’existait ; elle pénétrait dans sa bulle, sourde à la vie extérieure, imperméable au temps qui s’écoule. Elle se retrouvait au sein de sa toile, excitée, les sens en éveil, et ce, jusqu'à l'épuisement total, envahie par un sentiment de plénitude inégalable.

Quel bonheur, d'une surface vierge, de faire jaillir des formes, des visages, des émotions. Cette technique la comblait, répondant à son impatience par la rapidité du séchage, conjugué à la joie ressentie au contact des doigts ou d'autres objets inattendus avec la matière, donnant naissance à de surprenants effets.

Elle affectionnait particulièrement la nuit, riche et féconde, ouvrant la porte à tous les mondes, à l'autre dimension ou tout était permis, avec juste la possibilité de créer, de vivre, d’exister, sans loi ni interdit. Au sein de son atelier improvisé, elle peaufinait les tableaux sur lesquels elle avait fixé les esquisses à la lumière du jour, jusqu'à l'aube, où elle s'effondrait complètement épuisée.

C'est ainsi qu'elle décida d'abandonner ses anciens projets, au grand dam de ses parents.

– Comment vas-tu gagner ta vie ! s’était lamentée sa mère désespérée.

– Je t'interdis de faire une pareille bêtise ou je te coupe les vivres ! avait tonné son père énervé.

Ces réflexions ne la touchèrent pas particulièrement ; elle les savait ô combien excessives. Peut-être avaient-ils raison, mais cela n'avait aucune espèce d’importance. Peu de choses en avaient encore d'ailleurs ! Cependant, en petite fille soumise, mais aussi attachée à un certain confort, elle trouva, un peu par hasard, une solution à ses problèmes.

Par le biais d'un article dans le journal local, elle s'inscrivit à un concours pour artistes en herbe. En autre temps, elle aurait hésité à se dévoiler de la sorte. Son travail, elle le gardait plus ou moins caché, quoique fière d'elle et souvent satisfaite. Elle n'aimait pourtant pas trop se livrer. C’était comme une part d'elle-même qu'elle devait mettre à nu, ce qui la rendait parfois mal à l'aise. Cependant, il y avait urgence. Il fallait se forcer, avancer pour sortir de cette impasse.

Tout s'enchaîna alors précipitamment. Elle fut sélectionnée, ses premières œuvres exposées parmi d'autres, telles que des sculptures, des photographies ou des aquarelles d'amateurs qui tout comme elle, tentaient leur chance. De nombreux notables avaient été invités, des professionnels aussi. Un galeriste la remarqua et lui fixa rendez-vous. Il fut sa bonne étoile, son coup de pouce. Elle croyait à la chance, lui au talent. Il admirait sa fraîcheur et sa spontanéité et ne s'était pas trompé. En très peu de temps, Amélie Duval se fit connaître en tant que valeur sûre et prometteuse dans le milieu pictural. Dans ce pays, rares étaient les artistes pouvant se targuer de vivre uniquement de leur production, surtout si jeunes ! Elle, y réussissait sans nul doute avec brio.

Cet événement fut doublement enrichissant, d’une part par la rencontre avec Antoine et le succès, et d'autre part avec Julie, jeune photographe en quête de reconnaissance, maintenant sa meilleure amie. Cette dernière devint rapidement sa collaboratrice, son attachée de presse se plaisait-elle à dire. Elle lui avait même créé un site internet où chacun pouvait visiter virtuellement ses expositions.

Amélie se pencha légèrement pour scruter les environs. Une petite pierre se détacha et roula vers l’abîme. Une espèce de vertige la saisit. La respiration entrecoupée, elle préféra faire demi-tour. L'angoisse était et serait sans doute toujours bien présente !

Elle fit le chemin en sens inverse, bien plus légère, un brin euphorique.

La vie est belle ! se dit-elle.

Ce soir, ce serait une consécration parmi les siens, ceux avec qui elle avait, aussi et surtout, passé de beaux moments.

Elle avait débarqué trois jours plus tôt ; ses toiles, elles, avaient été acheminées la semaine précédente. Si la galerie exploitée par monsieur Hubert était de taille bien plus modeste que celles où elle avait exposé dernièrement, son organisation était sans faille. Elle avait supervisé les derniers détails et devait bien avouer avoir passé davantage de temps en tâches ménagères afin de rendre son lieu de séjour propre et aéré.

La demeure avait vieilli, toujours habitable quoique moins bien entretenue qu'au temps de sa splendeur lorsque résonnaient les cris et les jeux d'enfants. Son grand-père chérissait tant son jardin. Dès l’aube, il taillait, tondait, binait, cultivait le potager. Aujourd'hui les mauvaises herbes avaient définitivement envahi les anciens massifs floraux ainsi que les lignes impeccables de fraisiers et de légumes divers dont il était si fier. Son père et ses oncles n'avaient pu se résoudre à se séparer du berceau familial témoin de leurs tendres années. S'ils venaient encore parfois y séjourner, aucun ne retrouvait tout à fait le charme d’antan.

Amélie pénétra d'un pas assuré dans la salle d’exposition principale. Le tout était de gérer son stress. Une telle agitation la secouait. Gagnée par l’émotion, le trac telle une comédienne avant une représentation, une boule dans la gorge, un nœud au creux de l'estomac, elle resta cependant imperturbable, rien ne devait trahir son émoi.

Tout était prêt, bien sûr. Pourquoi donc s’inquiéter ? De la réaction du public ? Peut-être. Elle peignait avant tout pour elle, mais une réaction négative l'attristait, un compliment lui rendait confiance, sentiment si fragile qui parfois lui faisait encore défaut. L'angoisse et l'incertitude constituaient pour elle un moteur aussi important que l’inspiration. Dans le fond, ne cherchait-elle pas quelque part, inconsciemment, l’approbation des autres ? Elle ne l'avouerait jamais et au contraire s'en défendait !

Dans l'allée centrale, trônaient ses toiles les plus récentes. La nature y figurait en bonne place, la principale, source de quiétude et d'évasion. Dans une alcôve adjacente, quelques-unes plus anciennes, mais non les moindres. Les plus importantes à ses yeux sans doute, car celles qui l'avaient sortie de son marasme.

Il était hors de question de s'en séparer, quel qu’en soit le prix ! Cette condition avait été clairement établie. Elle avait simplement tenu à les partager avec des personnes qui sauraient, plus que d'autres, les apprécier en reconnaissant leur région ou leurs amis.

– Venez, on vous attend.

La jeune femme suivit, un peu à contrecœur, ce bonhomme jovial et amusant avec son nœud papillon à pois rouges. Il la tirait de ses douces rêveries.

Le photographe du journal local lui fit prendre la pause ; elle apparaîtrait en bonne page dès le lendemain. Même si ces moments avaient leur importance à de nombreux égards, ils étaient loin d'être ses préférés en comparaison à la solitude de l’atelier.

Que de mains à serrer, d’oreilles attentives à tendre, de sourires à distribuer, avec plaisir cependant, vu la chaleur de l’accueil.

– Tu te souviens, nous nous baignions là enfants ?

– J'ai adoré l'ensemble des plans d'eau !

– Félicitations, c'est magnifique ! Où avez-vous déjà exposé ?

Amélie se mit un peu à l'écart du brouhaha, histoire de « digérer » un petit peu cet enthousiasme. Son répit fut de courte durée.

– Cela fait un moment que je souhaitais te voir, mais il y avait tant de spectateurs autour de toi.

Cette voix douce et posée, cette jeune femme blonde avait une allure familière.

– Nadège ! Je suis contente de te revoir !

Sa joie n'était pas feinte. Une vague de bonheur la submergea avant d'enlacer la nouvelle venue.

– Je craignais que tu ne veuilles pas me rencontrer, déclara la visiteuse.

– Mais il n'y a aucune raison voyons !

– Je croyais... à cause de Gauthier.

– Tu n'es nullement responsable de ce qui s'est passé entre ton frère et moi, et puis, c’est si loin à présent.

Gauthier son bel et tendre amour, le premier, celui qui l'avait tant fait souffrir. Elle en avait versé des larmes ; c'en était fini ! Elle ne songeait plus à lui, ou rarement en tout cas, parfois avec une pointe de mélancolie ou de tendresse. En grandissant, elle avait compris combien les relations entre les hommes et les femmes pouvaient être complexes, ambiguës, et loin d'être ce qu'elle pouvait attendre d'elles en toute légitimité.

Ce devait assurément être une des raisons pour lesquelles elle était toujours célibataire, alors que tant de ses amies avaient convolé en juste noce, et encore, nombre d'entre elles s'étaient séparées de leur époux respectif un peu plus tard ! Une autre sans doute était celle qu'elle qualifiait d’égoïste, le prix à payer pour pouvoir continuer à vivre sans contrainte ni concession.

À l’aube de sa carrière, elle avait tenté de concilier, dans un but pécuniaire, petits boulots et peinture, mais sans résultat probant. Une de ses activités en pâtissait inévitablement. Son art exigeant dévorait tout son temps. Difficile, dans ces conditions, d’imaginer réussir une vie de famille épanouie avec mari et enfants, en s’acquittant des tâches et obligations en résultant. Ces années avaient été si prolifiques, qu'elle n'avait pas non plus pris la peine de trop y songer. Il n'était pas trop tard, loin de là. Elle espérait seulement, le cas échéant, ne pas avoir un jour à regretter ce choix.

– Il est venu avec toi ? demanda l’artiste.

– Non, je suis accompagnée de Jean-Nicolas, mon cousin. Viens, tu te souviens sûrement de lui !

Vaguement, elle avait dû le croiser une fois ou deux dans le passé. Non, en y réfléchissant bien, il ne lui avait pas laissé un souvenir impérissable.

Celui-ci était en arrêt devant la reproduction d'une demeure, figé, comme tétanisé. Elle sourit. Il devait la connaître, passant certainement de bons moments chez son oncle et sa tante.

Ému, voire fébrile, Jean-Nicolas la salua. Étrange de constater combien cet homme grand et vigoureux pouvait se troubler. Elle se surprit à se délecter de ce pouvoir. Habituellement, si elle provoquait cet effet sur un individu masculin, c'était pour une tout autre raison !

Cependant, il se ressaisit rapidement, et ce fut avec une extraordinaire décontraction, comme s'il n'avait rien ressenti au préalable, qu'il s'adressa à elle.

Il était séduisant, au visage fin et au port altier, le teint hâlé, le sourire charmeur du play-boy à qui nul ne résiste, un costume anthracite de bonne facture marié à une cravate élégante. En quelques mots, le type même qui bouleverse ou agace, parfois même les deux à l’unisson !

Elle ne put réprimer un tressaillement indescriptible en croisant les yeux gris ardoise qui l'observaient avec insistance ; un sentiment étrange l'envahit. Quand, à nouveau happée par quelques amateurs, elle s'éloigna, ce fut comme une sorte de soulagement que de pouvoir s'échapper.

– Mademoiselle Duval, c'est une catastrophe !

Amélie se redressa sur un coude en tentant de recouvrer ses esprits.

Béni soit le GSM qui la tirait du sommeil avec délicatesse sur une chanson de son artiste préféré et non pas avec une sonnerie tonitruante à la faire tomber du lit. Mais pour le moment, c'était monsieur Hubert qui se chargeait de la traumatiser avec son ton paniqué.

– Que se passe-t-il donc Monsieur Hubert ?

– Nous avons été cambriolés ! C'est une véritable catastrophe ! répéta-t-il.

Amélie, qui avait à présent les idées claires, bondit comme un diable hors de sa boîte.

– Cambriolés ! Non pas mes toiles ! Dites-moi que ce n'est pas vrai !

– Je suis effondré ! Ils en ont pris plusieurs. Il ne m'est jamais arrivé...

Déjà, la jeune femme avait coupé son portable et enfilait un jean et un pull saisis au hasard dans la penderie.

Par bonheur, les rues étaient désertes à cette heure matinale ; quiconque eût croisé son chemin aurait pu s'en mordre les doigts !

Ce n'est pas possible, ressassait-elle en elle-même comme pour effacer ce dont elle venait de prendre connaissance. Une telle chose ne pouvait pas arriver ! Et si la nomade voilée avait disparu... ou le coucher de soleil sur le lac... Non, elle préférait ne plus y songer !

Les pneus crissèrent en frôlant d’un peu trop près la bordure du trottoir. La pauvre voiture malmenée hoqueta avant d'être abandonnée devant la vitrine en morceaux. Elle s'engouffra sur les lieux du délit dans un état proche de l’hystérie et se retrouva nez à nez avec un bonhomme l'air hagard et déconfit, au visage blême, qui secouait désespérément la tête de gauche à droite.

– Ma petite demoiselle, c'est la première fois que je suis victime d'un tel acte. Je vous conjure de me croire, toutes les mesures de sécur...

– Qu’ont-ils pris ? Dites-le-moi, le supplia-t-elle.

Elle piaffait d'impatience en opposition avec l'abattement total de monsieur Hubert. Elle n'attendit pas même la réponse, car avec effroi, elle venait de constater que ses pires craintes étaient bien fondées. Précédant le doigt indicateur, Amélie restait immobile face au mur dégarni. Rien de plus horrible n'aurait pu arriver. Les trois acryliques de ses débuts, celles auxquelles elle tenait plus qu'à toute autre, manquaient. Seules celles-ci, jouxtant la vitre fracassée, avaient été subtilisées. Mais c'était un véritable désastre ! À son tour, elle hocha la tête. Qui donc avait dérobé ses bébés !

Ce n'était même pas celles ayant la plus grande valeur d'un point de vue technique ou financier, juste de celui du cœur, du sien : le portrait de ses grands-parents paternels, la maison de ses vacances enfantines et une villa perdue de la vallée.

Pourquoi lui avait-on pris ses rêves ? Ils ne pouvaient être d'aucune utilité aux autres, si ce n'était une bien piètre satisfaction, et encore...

L'inspecteur principal Luka Marlier était de méchante humeur. Les mains bourrées dans les poches de sa veste en daim défraîchie, il fixait les passants sautillant de gauche à droite pour éviter les grosses gouttes d'orage sous un ciel menaçant. Cette atmosphère reflétait pleinement ce qu'il ressentait au moment même, maussade avec une grosse envie de coups de gueule tels ces grondements de tonnerre.

Il détestait cet état de fait ; le commissaire l'avait invité, pour ne pas dire lui avait ordonné de manière grossièrement déguisée, de s'occuper personnellement d'une ridicule affaire de vol de tableaux. Tout ça pour l'image du service dans une police de proximité ! Dès qu'un délit touchait un événement médiatique, si petit fût-il, il devait inévitablement s'y coller. Ce type, avec tout le respect qu'il lui devait, était profondément mégalo.

Il avait bien mieux à faire que de chercher ces misérables gribouillages ; le braquage de l'agence Duthier, le gang des voleurs de voitures, et même les incendies à répétition à l’hôtel Beauvoir, sans doute l’œuvre de gamins inconscients, lui semblaient plus dignes d’intérêt. À la place de cela, il devait se montrer aimable avec cette fille en jean et pull ras du cou, aux cheveux tirés, si mal à l'aise sur la chaise bancale dont elle avait hérité. Si au moins elle avait été séduisante, un peu plus son genre, il aurait passé un instant agréable ! Il les préférait aguichantes, en minijupe et décolleté tant qu'à faire, sûres d'elles et de leurs charmes.

Il soupira, puis se planta devant Amélie qui déglutit discrètement. Elle se sentait toute petite face à cet homme intimidant, mesurant sûrement plus d'un mètre nonante à ce qu'elle pouvait en juger. Ses yeux si foncés semblaient noirs et l'observaient avec tant d’insistance qu’elle ne put réprimer un frisson.

Enfin, il s'assit en faisant grincer les pieds métalliques du fauteuil sur le carrelage et se laissa retomber nonchalamment contre le dossier de cuir râpé.

– Je vous promets de faire de mon mieux pour que vos biens vous soient restitués au plus vite.

Elle ne se laissait généralement pas décontenancer aussi facilement, mais elle se sentait particulièrement vulnérable après une nuit trop courte et toutes ces émotions dès le réveil, sans compter qu’elle n'avait pas pris le temps de changer de vêtements avant de se rendre au poste de police. Elle s'était rendu compte en passant devant une vitrine combien son apparence pouvait être déplorable ! Cet inspecteur se montrait si froid, si distant, alors qu'elle n'aspirait qu'à un minimum de réconfort. Ce n'était pas son rôle, d'accord, mais quand même… Elle se trouva horriblement abandonnée, chose assez rare. Ce sentiment lui était relativement méconnu. Habituellement, elle appréciait d'être face à elle-même. En fait, elle était depuis longtemps persuadée être l'unique personne sur laquelle elle pouvait compter, car au final, chacun se retrouvait toujours tout seul.

– Vous êtes assurée, je suppose ?

– Évidemment.