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Photographe de talent, Matthis connaît le succès auprès de son public et des femmes. Il aurait tout pour être heureux s'il n'était pas rongé par un seul désir qui l'obsède depuis très longtemps : prouver l'innocence de son frère. Une jeune femme aux dons très particuliers pourrait enfin le mettre sur la voie de la vérité ; elle sera dorénavant son ultime espoir. Arrivera-t-il à la persuader de renoncer à sa tranquillité et à un équilibre si difficilement acquis ? Voudra-t-elle se replonger dans un douloureux passé qui avait presque fini de la hanter ? Mue par le souci de faire triompher la justice, par l'espoir de se retrouver enfin en paix, Lisa a pourtant bien du mal à se décider, surtout quand l'amour vient s'en mêler.
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Seitenzahl: 216
Veröffentlichungsjahr: 2023
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Juste un mot de toi
Souvenirs perdus
Un subtil Goût de vengeance
Et si tout était vraiment écrit…
Intime conviction
Passionnément Fantôme
Le ballon de l’espoir (Nouvelle)
Souviens-toi… Nous étions deux
Vivre mieux sans STRESS
Coloration végétale et henné
Sucré-Salé
Un amour de père Noël (Nouvelle)
Pastel Rouge Vif (La couleur des sentiments)
McCormack & Co. Panique au Mauna Bay Hôtel
À la recherche du passé
À ma sœur.
À Laurence, à Katia et à toutes celles qui ont fait la mauvaise rencontre.
CHAPITRE 1
CHAPITRE 2
CHAPITRE 3
CHAPITRE 4
CHAPITRE 5
CHAPITRE 6
CHAPITRE 7
CHAPITRE 8
CHAPITRE 9
CHAPITRE 10
CHAPITRE 11
CHAPITRE 12
CHAPITRE 13
CHAPITRE 14
CHAPITRE 15
– Il serait temps de tourner la page, ne crois-tu pas ? Rien ne fera revenir ton frère.
Matthis Stern se redressa vivement de toute sa stature. Ce n’était pas la première fois que quelqu’un lui donnait ce conseil, mais que celui-ci vienne de son beau-père, du propre père de Gaétan, sortait de l’entendement et il s’en offusqua.
– Comment peux-tu, toi, me suggérer une telle chose ! Il n’y a pas un jour où je ne me réveille sans que ce souvenir resurgisse dans mon esprit. Et ma mère, as-tu un seul instant songé à elle ?
Le plus jeune des deux hommes arpentait à présent la pièce de long en large tel un ours en cage. En faisant part de ses récentes découvertes, il n’aurait pas cru un instant se faire ainsi rabrouer.
Justin Rouave faisait face à son beau-fils, aussi droit qu’il le pouvait encore. Les années l’avaient usé, les événements encore plus.
– Justement, c’est à elle que je pense en ce moment précis. Elle arrive seulement à jouir à nouveau de la vie. Ne lui gâche pas ces instants précieux qui lui ont tellement fait défaut ces dernières années.
Matthis se radoucit. Ce qu’il avait pris pour de l’indifférence ou de l’abnégation, cachait une réelle compassion envers cette femme qu’ils aimaient et admiraient tous deux profondément. Il aurait dû s’en douter, c’était aussi pour cela qu’il portait à celui qui le considérait comme son propre et désormais unique fils, un profond respect. Il savait pourtant, car il le lui avait prouvé à de nombreuses reprises, qu’il était fidèle et loyal. D’ailleurs, n’avait-il pas toujours été sa référence, son unique modèle masculin ? Le seul en fait qu’il ait connu et même envie de connaître.
Quand Justin était entré dans leur vie, il n’était encore qu’un enfant d’à peine cinq ans. Dès leur première rencontre, et il s’en souvenait encore malgré son jeune âge, cet homme qui lui parut si calme et patient, l’avait d’emblée conquis. Avec lui, la joie et la sécurité étaient revenues au sein d’un foyer qui avait déjà dû subir une perte cruelle. Bien vite, il leur avait offert une vraie famille encore renforcée par l’arrivée d’un bébé, un petit frère, concrétisation d’un amour sans faille.
À cette époque de belle insouciance, rien ne pouvait laisser présager que ce bonheur serait de si courte durée…
– Excuse-moi, mais tout cela me hante depuis tellement longtemps…
Justin attira Matthis dans ses bras comme lorsqu’il n’était encore qu’un gamin et le serra contre lui. En quelques secondes, le temps et les convenances s’étaient estompés. Ce grand gaillard proche de la quarantaine était redevenu l’adolescent perturbé, le tout jeune homme blessé qu’il avait tant de fois tenté de consoler ou de réconforter.
– Je sais. Je voudrais que tu sois enfin libéré.
Matthis inspira profondément tout en se délivrant de cette étreinte. Il haussa les épaules et afficha une moue résignée. Les années atténuent la douleur, s’était-il maintes fois répété pour se rassurer, juste pour se persuader que cette boule au creux de la gorge ne l’empêcherait plus un jour de respirer. Vaste mensonge ! La colère qu’il avait éprouvée envers Gaétan parce qu’il ne leur avait pas accordé sa confiance, parce qu’il ne leur avait pas laissé le temps, oui, elle, s’était transformée. Le manque qu’il avait laissé, la rage pour un système rigide, la culpabilité d’avoir échoué dans ce rôle qui était le sien, eux, étaient restés intacts. C’était pour toutes ces raisons et en mémoire de cet être cher qui lui avait été arraché, qu’il ne pouvait pas laisser tomber les bras.
– Je ne pourrai jamais être totalement libre tant que je n’aurai pas prouvé son innocence.
Justin en avait pleinement conscience et son désir de préserver ceux qu’il aimait, n’avait et ne serait jamais suffisamment comblé.
– Je n’aspire à rien d’autre qu’à ta réussite. Je te demande seulement de ne pas en dire un seul mot à ta mère.
– Ne t’inquiète pas. Si je n’ai aucun élément neuf, je ne lui ferai part de rien.
Il n’avait pas vraiment quelque chose de concret, de tangible à dévoiler en fait, mais dans le feu de l’excitation, il s’était à nouveau laissé emporter. Il attendait des réponses depuis si longtemps…
Régulièrement, c’était devenu une habitude, comme un tic maladif, machinalement, sans y croire encore réellement, il s’installait face à son écran d’ordinateur, tapait le prénom et le nom de son frère ainsi que ceux de cette fille.
Au cours de ces nombreuses années, il s’était souvent emballé. Pourtant, il savait qu’à chaque fois, il devait affronter la même déception. Et puis là, quelques lignes dans un de ces multiples blogs consacrés aux enfants disparus, l’avaient interpellé. Un journal local aurait, à l’époque des faits, publié un article à propos d’une adolescente détenant des informations sur l’endroit où se trouvait cette jeune fille qui le préoccupait tant. Quelques phrases laconiques, sans grand intérêt, juste quelques éléments passibles de relancer l’espoir.
– Eh bien vous deux, que complotez-vous ?
Perspicace et très sensible, Claire avait immédiatement perçu cette atmosphère pesante, propice aux secrets.
– Mais rien maman, répondit innocemment son fils. Non, rien du tout.
Matthis planta un baiser affectueux sur la joue de sa mère tout en l’enlaçant d’un bras puissant. Elle semblait encore si fragile, même si à présent, ses yeux brillants éclairaient à nouveau un visage resté triste si longtemps.
Il ne lui ressemblait guère. Il tenait davantage du côté paternel pour peu qu’il avait pu le constater sur des photos jaunies et pas toujours de bonne qualité. Gaétan, lui, avait hérité de ce petit air angélique et doux qui donne envie de prendre sous sa coupe pour protéger des réalités de la vie. Il possédait également le même caractère, influençable et vulnérable, ne lui permettant pas toujours de se battre pour une cause. Souvent, il s’était laissé entraîner par de mauvaises fréquentations, mais il aurait été incapable de faire du mal à qui que ce soit. Ses proches en avaient toujours été convaincus.
Lisa secoua avec frénésie son grand ciré kaki pour en faire glisser les dernières gouttes sur le sol avant que celles-ci ne s’écrasent le long de son jean. Elle détestait cette sensation désagréable provoquée par les auréoles collantes au contact de sa peau. Elle passa ensuite la main dans sa courte chevelure aux boucles souples, qui se remirent en place naturellement, avant de continuer sa promenade. Les petits avaient déjà repris une bonne longueur d’avance. Les chançards avaient de ce fait échappé à une giboulée si propre au mois de mars en s’abritant bien avant elle sous le hangar du vieux Louis.
– Mettez-vous sur le côté. Une voiture arrive !
La route était en ligne droite et en parfait état, fierté de la commune qui avait enfin dégagé des fonds pour l’aménagement des voies publiques. Elle n’en était que plus dangereuse, car prisée par des conducteurs en mal de sensations fortes, ou d’autres, pensant qu’elle ne leur réservait aucune surprise.
Les deux garçons obtempérèrent immédiatement. Mam’zelle Lisa, comme ils appelaient leur institutrice, bien que d’une extrême gentillesse, ne badinait pas avec la sécurité.
En quittant le village trente minutes plus tôt, la jeune femme savait pertinemment qu’elle ne resterait pas seule bien longtemps. Il y avait toujours l’un ou l’autre enfant prêt à la suivre dans les bois ou les champs, avide de balades semées de découvertes. Elle acceptait toujours leur compagnie, avec l’accord préalable de leurs parents évidemment. Ce n’était pas uniquement ses élèves qui l’interpellaient sur son passage, non, elle les connaissait tous, de la petite Louise arrivée en maternelle le jour de son entrée en fonction, au grand Clément qui quitterait les primaires cette année. Ce n’était guère difficile, l’école n’était pas bien grande, celle d’un village modeste avec à peine plus d’une centaine d’élèves.
Elle avait la charge des quatrièmes. C’était une des tranches d’âge qui lui convenait le mieux. Ils possédaient alors déjà une certaine autonomie, un esprit vif et curieux, et malgré tout, encore une certaine docilité qui elle le craignait, diminuerait assez rapidement avec le temps.
L’imposant véhicule gris métallisé, certainement très polluant, les dépassa dans un nuage de poussière que la pluie n’avait pas réussi à fixer sur l’asphalte, puis s’immobilisa. Le conducteur en fit descendre la vitre teintée côté passager sans prendre la peine de couper le moteur.
– Eh gamins ! Savez-vous où je peux trouver un hôtel dans le coin ?
Lisa, encore un peu en arrière, hâta le pas. Voir ses petits protégés discuter avec un inconnu ne l’enchantait guère.
– Vous faites demi-tour, au croisement vous prenez à droite, un peu plus loin vous verrez un panneau avec inscrit : « L’auberge de la tour ». Vous n’avez qu’à suivre les flèches. Vous verrez, c’est très bien !
Théo n’était pas peu fier d’ainsi vanter l’établissement propriété de sa famille depuis trois générations et satisfait de pouvoir de ce fait, peut-être y amener un nouveau client.
– On peut vous montrer si vous voulez, continua son copain.
– Je trouverai, merci.
– Je pensais que vous veniez à la mare avec moi, les interrompit la jeune femme en posant une main sur l’épaule de Victor en le faisant reculer d’un pas.
– On arrive Mam’zelle Lisa.
L’homme qui n’avait jusque-là pas même jeté un regard pour celle qu’il avait pris de prime abord pour un adolescent avec son vêtement informe et ses bottes en caoutchouc, pencha la tête pour apercevoir un bien joli minois.
« Mam’zelle Lisa », murmura-t-il imperceptiblement. Puis, après un bref signe de la main à l’assemblée, il suivit le chemin indiqué par ses jeunes guides.
– Vous ne devez pas monter dans la voiture d’un inconnu, les gronda-t-elle gentiment mais avec fermeté.
– On sait, on sait, soupira Victor.
– Il ne sera plus vraiment un inconnu s’il vient habiter à l’auberge ! rétorqua son complice.
– En plus, il avait l’air sympa !
– Il ne faut jamais se fier aux apparences ! ajouta-t-elle encore, lasse de leurs réflexions toujours à propos.
Déjà les enfants ne l’écoutaient plus, ayant repris leurs jeux en même temps que la direction de l’orée du bois à présent toute proche. Tenter de dénicher des batraciens et leur progéniture, même s’ils n’avaient pas l’autorisation de les attraper, semblait bien plus attrayant que d’écouter de stupides conseils ou des leçons de morale !
Lisa soupira avec résignation. Avec toute leur bienheureuse innocence, ils demeuraient bien inconscients du danger qui pouvait les guetter. Elle, par contre, et elle le savait, avait souvent tendance à dramatiser la plus simple des situations.
C’était vrai qu’il semblait aimable avec son large sourire et ses yeux rieurs. Pourtant, lorsqu’il l’avait un bref instant dévisagée, une impression désagréable l’avait envahie.
Elle n’eut pas le temps d’approfondir la question, Théo et Victor réclamaient déjà toute son attention.
Matthis Stern poussa sans ménagement le sac de voyage contenant ses vêtements contre la penderie. Il les rangerait plus tard, peut-être… Par contre, les écrins protégeant ses précieux appareils photo et son ordinateur portable, furent bien précautionneusement posés sur une table basse. Personne d’autre que lui n’avait eu l’autorisation de les monter dans sa chambre. Lorsque le patron – une réplique de l’enfant qu’il avait croisé, à quelques kilos et cheveux près – avait manifesté son intention de saisir l’anse d’une des valisettes, il s’était précipité pour le devancer.
– Je m’en occupe ! Je ne vais pas vous laisser monter mes bagages sans vous donner un coup de main, avait-il ajouté pour adoucir la brusquerie de son geste.
Il voyageait léger pourtant. Il s’était en fait décidé sur un coup de tête, mais il ne regrettait rien. La veille, il était encore bien loin de songer que le hasard lui faciliterait la tâche.
La seule photo d’Anne-Elise Cattier en sa possession, il la tenait des archives du journal, en noir et blanc, prise à son insu et pas très nette de surcroît. Il n’avait pas eu grand mal à l’obtenir ; il avait gardé des relations dans le milieu de l’édition, du temps où il n’était encore qu’un jeune photographe. L’employée qui l’avait reçu, une jeune personne très avenante, voire d’une insolente assurance – ce qui n’était pas pour lui déplaire – lui avait fourni toutes les réponses qu’il attendait. Elle lui avait même glissé son numéro personnel. Il l’appellerait probablement dès son retour.
Pourtant, il n’y avait aucun doute possible. En dix ans, la jeune fille avait à peine changé, toujours la même silhouette, comme si le temps n’avait eu aucune emprise sur elle. Anne-Elise, mam’zelle Lisa, il y avait une telle similitude entre ces deux noms qu’il ne pouvait s’agir que d’une seule et même personne.
La pièce était exposée plein sud. En tant que professionnel, le grand Matthis Stern, artiste très côté du moment, était particulièrement sensible à la luminosité ambiante et fut immédiatement séduit. Il ne resterait pourtant probablement pas très longtemps dans le coin, ou du moins il l’espérait. Non pas que l’endroit lui déplaise, mais il avait tellement mieux à faire. Aujourd’hui plus que jamais, il se sentait proche du but.
Une chose était certaine, il ne voulait rien précipiter, ne pas commettre la même erreur que le mois précédent. Il ne se doutait alors pas un instant qu’une approche franche lui ferait perdre la seule chance qui lui restait.
– Je souhaiterais parler à Anne-Elise Cattier, avait-il simplement demandé à son interlocutrice au bout du fil.
Il s’en était alors ensuivi une légère hésitation.
– À quel sujet ?
– À propos de cette adolescente qui a disparu…
– Ma fille ne souhaite pas raviver ces souvenirs, l’avait interrompu la dame avant de raccrocher sans plus d’ambages.
L’homme en était resté abasourdi. Que cette fille ait été, dans il ignorait quelle mesure, bouleversée par cette histoire, il pouvait aisément le comprendre. Ce n’était pas une raison pour ne pas même prendre la peine d’écouter ses doléances.
Elle avait immanquablement, à une époque, été harcelée par des journalistes ou peut-être même des inconnus avec de mauvaises intentions, mais cela faisait si longtemps. Il n’avait alors plus compté que sur lui-même pour retrouver sa trace dans ce coin perdu. Il préférait dorénavant assurer ses arrières avant de se lancer dans une nouvelle tentative d’approche.
Au départ, il était certain que sa bonne foi ou au pire sa force de persuasion suffiraient amplement. Aujourd’hui, il n’en était plus si sûr. Il avait cru aussi, sans fausse modestie, pouvoir compter sur son charme naturel, sur l’attraction qu’il exerçait généralement sur les femmes. Habituellement, et ce probablement du fait, entre autres, de sa notoriété, il obtenait tout ce qu’il désirait. Il devrait sans nul doute employer un autre stratagème.
Nerveusement, il extirpa une cigarette du paquet malheureusement abandonné dans le fond de sa poche. Depuis plus de six mois, voire encore bien davantage en y regardant de plus près, il tentait en vain de se débarrasser de cette si mauvaise habitude. Il ne craignait pas vraiment pour sa santé ; il s’en moquait éperdument. Non, il trouvait simplement contraignant de devoir se plier aux nouvelles normes établies dans les établissements publics. Chaque jour, il se voyait un peu plus réprimé, et ces mesures le dérangeaient fortement.
Il avait grand ouvert les battants de la porte-fenêtre. Appuyé sur la rambarde du balcon, il exhala une volute bleutée avec vigueur, le regard perdu vers l’horizon. Le paysage aurait dû l’interpeller. Ces rayons de soleil inondant une nature qui s’éveille après un long sommeil hivernal ou cet arc-en-ciel en arrière-plan du clocher de l’église auraient dû attiser sa fibre artistique.
En autre temps, il aurait déjà embarqué son appareil numérique pour immortaliser avec son style propre, somme toute assez apprécié, toutes ces scènes de la vie qu’il sublimait en un instant. Parfois, son esprit était tellement sollicité par d’innombrables questions et souvenirs, que plus rien n’avait alors d’importance.
– Passez une bonne soirée et n’oubliez pas de terminer vos devoirs ! cria Lisa en guise d’adieu aux petits, à présent beaucoup plus calmes.
Elle les avait bien occupés durant l’après-midi. Ils avaient parcouru quelques kilomètres à travers champs et bois sans même s’en rendre compte. Ils avaient observé tellement d’animaux et de végétaux, avaient posé tant de questions, que même elle, se sentait épuisée d’avoir répondu à leurs attentes.
De retour à la maison qu’elle louait depuis près de trois ans à présent, les miaulements de Balthazar l’accueillirent comme à l’accoutumée. Ce chat était tellement devenu casanier qu’il refusait de mettre le nez dehors et aurait probablement souhaité que sa maîtresse en fasse de même !
– Mais oui mon mignon, je suis rentrée.
En guise de réponse, le matou couleur corbeau ronronna et se frotta contre ses jambes en quémandant une caresse. Pas le temps de ranger son manteau de pluie ou même de faire un seul pas sans risquer de trébucher sur l’affectueux animal. Aussi, elle obtempéra, pour que satisfait, celui-ci retourne se prélasser sur son mœlleux coussin de velours.
La plupart du temps, cette situation lui convenait parfaitement. Elle ne sentait que rarement poindre un léger sentiment de solitude, toujours éphémère. Sa collègue Sarah le lui répétait souvent : « Tu devrais rencontrer plus de monde », sous-entendu des hommes ! Celle-ci l’invitait régulièrement à diverses soirées, mais Lisa n’acceptait qu’à contrecœur dans la majorité des cas. Cette obstination dont elle pouvait faire preuve, l’exaspérait amplement. Vouloir à tout prix la caser avec l’un ou l’autre de ses copains, n’était décidément pas à son goût ! Ce qui ne l’empêchait nullement, de temps à autre, de se permettre une petite aventure, souvent de courte durée mais surtout hors du village, loin du qu’en-dira-t-on, évitant bien ainsi, de mélanger sa vie privée et celle de la jeune institutrice, modèle irréprochable pour les petites têtes blondes.
Si elle examinait le déroulement de sa vie, elle reconnaissait aisément – uniquement en son for intérieur – que non, elle ne menait pas l’existence classique d’une femme de vingt-sept ans. Mais en quoi était-ce gênant ? Elle exerçait un métier qui lui plaisait et lui offrait un épanouissement total. Elle pratiquait les sports et les loisirs de son choix, et cela sans rendre de comptes à qui que ce soit.
Régulièrement, elle enfourchait sa bicyclette, qu’elle laissait à la consigne de la gare, et se rendait chez ses parents, là où elle continuait de passer ses congés lorsqu’elle ne s’offrait pas un petit voyage au soleil. Fréquemment également, elle rendait visite à son frère, heureux papa depuis quelques mois d’un petit Noa. Ce bout de chou la rendait complètement gâteuse. Elle aurait presque pu avoir envie, dans ces moments-là, de devenir à son tour maman. Elle ne s’en sentait portant pas encore prête, et puis elle n’avait pas trouvé le père idéal. Quoique, elle y avait pourtant cru. Quand elle avait rencontré Franck pour la première fois, à son entrée à l’École Normale, cela avait été un réel coup de foudre. Ils étaient devenus très vite inséparables. Leur idylle avait perduré durant leurs trois années d’études. Ils faisaient des projets d’avenir, et puis, tout s’était envolé si vite… Elle avait renoncé à lui, sans même chercher à se battre, ce n’était que juste, il l’avait humiliée ; elle se devait de garder un minimum de fierté.
Avec une pointe de dépit, elle devait bien accepter cette sordide constatation : elle possédait un talent inné pour la fuite. Inévitablement, plutôt que d’affronter l’adversité et les embûches, elle préférait leur tourner le dos et fuir le plus loin possible pour retrouver le calme et la sérénité.
Elle avait quitté sa ville natale pour suivre des études supérieures dans une autre région, déjà pour échapper à un passé qui lui collait à la peau. Elle avait accepté son poste actuel pour s’éloigner de Franck et l’oublier autant que possible. Aujourd’hui encore, elle préférait s’abstenir de toute relation profonde aussi bien sentimentale qu’amicale, pour éviter de se faire mal. La seule exception, elle avait été pour Sarah. Probablement parce que vivre sans confident, loin de ses proches, n’avait pas été si simple qu’il n’y paraissait. Et puis celle-ci était si enjouée, spontanée et chaleureuse, qu’il était difficile de lui résister.
Renoncer à certains petits plaisirs simples de la vie, ne pas s’ouvrir aux autres ou à l’extérieur, lui permettait de se protéger. Elle estimait avoir suffisamment souffert et donc avait choisi cette forme d’existence.
– Une minute mon ami !
Théo stoppa net sa course. La jeune préposée de l’accueil de l’auberge ne tenait pas vraiment à voir débouler un garçon crasseux dans la salle, là où quelques personnes étaient déjà attablées. Il y aurait fait certes grande impression, sûrement pas celle escomptée ! Ce n’était pas un hôtel trois étoiles ni un de ces endroits guindés débordant de luxe et aux tarifs exorbitants, juste une entreprise familiale de réputation solide de par sa qualité irréprochable.
L’enfant tenta bien d’amadouer Jennifer d’un large sourire et de battements de cils candides. Elle resta incorruptible.
– Je voulais juste voir si le nouveau client était arrivé !
– Le monsieur de la cinq ?
– Un grand type avec des cheveux blonds. Il sourit tout le temps.
Jennifer se détendit. Oh oui il était arrivé et il n’était pas passé inaperçu auprès de la gent féminine.
– Tu le connais ?
– Il est là grâce à moi ! répondit le gamin en redressant fièrement la tête.
Il fit un pas vers la grande salle, mais une main le retint par la manche de son blouson encore humide.
– Tu pourras entrer quand tu seras propre. Tu ne veux pas te faire gronder n’est-ce pas !
Contrarié, il fit demi-tour en traînant les pieds.
– De toute façon, il n’est pas encore descendu, lui affirma l’employée.
– Hé, salut toi !
– Salut, répondit Théo à l’homme qu’il cherchait encore quelques secondes auparavant.
Il n’avait pas été long à attendre, il avait même failli le percuter en quittant le hall la tête basse.
– Si vous cherchez le restaurant, c’est là, fit-il en pointant la porte du doigt.
– Non, je voulais me promener un instant dans le jardin. Tu me fais visiter les lieux ?
L’enfant ne se fit pas prier. Il s’acquitterait de cette tâche avec brio, pas étonnant, il connaissait chaque recoin ainsi que quelques anecdotes leur étant étroitement liées.
– Il y avait une tour de guet au Moyen Âge, elle a été détruite par des bombardements pendant la guerre. Ça fait un peu idiot que l’auberge porte ce nom puisqu’il n’y a plus de tour, mais comme c’était celui que lui avait donné mon arrière-grand-père…
Étrangement, une certaine complicité s’était instinctivement instaurée entre eux, comme entre deux personnes de même âge, avec des affinités communes évidentes. Depuis dix bonnes minutes, ils devisaient gaiement assis sur un banc en fer forgé.
– Vous faites quoi comme métier ?
– Photographe.
– Cool ! Dites monsieur, vous me montrerez vos appareils ?
– Quand tu veux. Mais tu sais, tu peux me dire tu, et m’appeler Matthis ou Matt comme mes copains.
– Ça marche. Tu es venu tout seul ?
– Ben oui, répondit l’adulte surpris.
– T’as pas d’enfants ?
– Non, pourquoi ?
Pas que je sache, avait-il l’habitude d’ajouter. Vu la candeur de son nouvel ami, il s’abstint.
– C’est dommage, ils seraient sûrement contents avec toi comme père.
Cette curieuse réflexion amusa l’homme, et d’une certaine manière, il fut même flatté.
– Mam’zelle Lisa avait tort de nous dire de nous méfier, t’es sympa.
– Mam’zelle Lisa. Ça sonne un peu bizarre.
– On l’appelle comme ça parce qu’elle est notre institutrice. C’est Mademoiselle Elisa Cattier en fait.
Matthis ne s’étonna même pas.
– Pour quelle raison vous a-t-elle mis en garde ?
– Parce qu’on parlait à un inconnu. Elle est gentille, mais elle a peur pour tout !
– C’est parce qu’elle vous aime. Et puis elle n’avait peut-être pas tort…
Théo haussa les épaules, certain de son appréciation.
– Je pense que toi aussi t’es gentil.
L’homme passa une main amicale dans les cheveux du petit en les ébouriffant.
– Alors, tu me le montres ce restaurant ? Je meurs de faim.
– Je vous présente monsieur Stern. Il passera quelques jours en notre compagnie. Je vous demande de lui réserver un bon accueil.
Madame Poupard avait convié ses enseignants à la rejoindre dès la fin des cours pour une petite réunion improvisée. À ses côtés se tenait un inconnu. Son allure était d’une nonchalante élégance et il n’affichait pas cet air froid et guindé propre aux inspecteurs tant redoutés. Chacun ignorait encore la raison de sa présence parmi eux. La directrice aurait bien dû avouer que tout comme eux, au départ, cet individu ne lui était pas du tout familier. Elle se garda pourtant de le faire.
Lorsqu’il s’était présenté à elle le matin même pour lui réclamer ce qu’il nommait une faveur, elle l’avait plus ou moins éconduit prétextant un rendez-vous de la plus haute importance. Elle lui avait promis de réfléchir à la question et de lui communiquer sa réponse. Quand, intriguée, elle se renseigna sur son identité découvrant ainsi qui était réellement ce personnage, elle n’hésita plus une seule seconde et le convia sans tarder.
Sarah échangea un regard intrigué avec Lisa, qui n’en sachant guère plus sur cet homme, avait toutefois reconnu le conducteur croisé la veille.
– Nous sommes évidemment flattés de la venue d’un artiste de votre renommée dans notre établissement.
Le photographe eut un petit geste guidé par une certaine modestie.
– J’espère que vous ferez, toutes et tous, en sorte de permettre à monsieur Stern de remplir ses objectifs.
– Excusez-moi Madame, mais sans vouloir paraître stupide, en quoi pouvons-nous aider ce monsieur… ?
Matthis fournit automatiquement lui-même les informations nécessaires.