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Ce pays n’en est pas un. Du moins, pas pour la grande majorité des États membres des Nations unies. "Taïwan" est une île survivante. Une rescapée des convulsions brutales de l’histoire de la Chine contemporaine. Or Taïwan et les Taïwanais existent. Son économie est l’une des plus dynamiques de la planète. La domination de ses industriels sur le marché mondial des processeurs et des semi-conducteurs
À PROPOS DE L'AUTEUR
Diplômé en science politique et diplômé en chinois à l’INALCO, Pierre-Antoine Donnet a été journaliste pendant trente-sept ans à l’AFP. Il est également essayiste, conférencier et expert reconnu du monde chinois.
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Seitenzahl: 93
Veröffentlichungsjahr: 2025
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La liberté, seule valeur impérissable de l’histoire
Albert Camus
Je dédie ce livre à Monika, mon épouse,Jean-Julien, Pierre-Arnaud et Anne-Sophie, mes enfants,ainsi qu’à mes amis qui m’ont aidé dans ce parcours d’écriture, trop nombreux pour être cités.
Un jour d’août 1979, j’ai eu la bonne fortune de poser un pied à Taïwan. Bonne fortune ? Écrire ces mots, à l’heure où l’ex-Formose peut devenir l’épicentre d’une troisième guerre mondiale et d’un affrontement sans précédent entre la Chine et les États-Unis, semble empreint d’une naïveté dangereusement romantique. Telle est pourtant la réalité. Je ne le savais pas encore, mais ce séjour d’un an à Taïwan devait changer mon destin. Le provincial timide que j’étais, parti à vingt-cinq ans loin de son Alsace natale dans l’espoir d’assouvir une curiosité quasi maladive de terres inconnues dans ce monde chinois dont il rêvait, allait bientôt découvrir un univers radicalement différent : une terre de résilience et de spiritualité. De mystères aussi.
Comme souvent encore ailleurs en Asie de l’Est, la grande majorité des Taïwanais sont des contemplatifs. Ils observent des heures durant une fleur délicate luisante de la rosée du matin, une haie de bambous fragile ou un paysage de montagne plongé dans la brume en altitude. Sans dire un mot, ils voient dans leur monde intérieur des symboles de l’impermanence insulaire.
La Chine, tout juste sortie d’une décennie de furie maoïste de la mal nommée Révolution culturelle, était à l’époque quasiment fermée aux Occidentaux. De plus, je m’étais dit que pour apprendre la langue, il était impératif de loger chez l’habitant, ce qui était rigoureusement impossible sur le continent. Voici pourquoi, après une première année passée sur les bancs des amphithéâtres de l’Institut national des langues et civilisations (Inalco) de Dauphine à Paris, le petit provincial timoré que j’étais décida de sauter le pas et de prendre l’avion pour cette destination étrange que, dans mon entourage familial ou celui de mes amis, on confondait encore avec la Thaïlande.
Des décennies plus tard, j’ai pleinement réalisé la raison première de cette force mentale qui est celle de la population de Taïwan, une île à peine plus grande que la Belgique. J’ai finalement compris la nature de cette identité incroyablement diverse et unique qui est la leur, construite peu à peu au cours des siècles, à la faveur de ces invasions multiples et subies, ainsi que du brassage ethnique qui devait en résulter.
Mais subir, les Taïwanais ne le veulent plus. Certes, ils ont tous bien conscience de leur faiblesse : leur territoire est à la fois si petit et si proche d’une immense Chine communiste de plus en plus turbulente. Ils savent tous ce risque lancinant qui pèse sur eux d’un nationalisme incandescent qui, de l’autre côté du détroit de Taïwan, pourrait bien un jour dégénérer en une guerre. Celle-ci, forcément, serait sanglante. Un peu plus de 23 millions d’âmes face à 1,4 milliard de Chinois continentaux. Autant dire un David lilliputien contre un Goliath colossal.
De cette confrontation probable à venir, l’élite politique taïwanaise tire une conclusion logique. Il sera peut-être aisé pour le régime de Pékin de prendre le contrôle de Taïwan par la force. Il lui sera en revanche bien plus difficile, sinon impossible, de s’approprier l’âme de Taïwan qui prend corps et se renforce jour après jour autour de cette identité. Imposer ne signifie pas dompter et contraindre ne signifie par vaincre. Mais de cela, Pékin en a-t-il conscience ? Qui va freiner l’obsession de Xi Jinping, l’actuel président chinois « à vie », de s’emparer de Taïwan, dans l’espoir de rester dans l’histoire comme celui qui a « réunifié » la Chine millénaire et lavé ainsi la honte de la soumission aux Occidentaux ?
Jamais je n’oublierai ces émotions recueillies pendant ce premier séjour à plus de dix mille kilomètres, il y a maintenant quarante-cinq ans. Sorti tardivement de mon adolescence, je ne sais toujours pas ce qui m’a pris subitement d’apprendre la langue chinoise. Est-ce un besoin d’instaurer de la sorte une distance géographique maximale avec ma famille ? Peut-être aussi ces journées passées à tenter de saisir la beauté des caractères chinois ? Sans doute cette volonté d’en percer les mystères ? Il reste que de cette curiosité jamais rassasiée, qui me conduira plus tard vers une carrière de journaliste, très vite la destination de Taïwan s’imposa d’elle-même.
Ce pas vers l’inconnu devait forger un lien, jamais rompu depuis, avec cette Asie extrême qui me séduit toujours autant, et tout particulièrement cette petite île qui en est, en quelque sorte, devenue aujourd’hui l’épicentre, celui des grandes fractures géopolitiques du globe. Voici, dans les pages qui suivent, ce cheminement qui a été le mien pour identifier l’âme d’un peuple à nul autre pareil, un concentré d’un monde chinois qui ne l’est déjà plus tout à fait, associé à des origines mélanésiennes lointaines mais toujours présentes, ainsi que des influences japonaises et occidentales plus récentes. Ce mélange ethnique, culturel et sociétal qui, chaque jour davantage, refuse le carcan que Pékin veut lui imposer, lui préférant de très loin ce goût des libertés individuelles charrié par une démocratie durement acquise, et aujourd’hui exemplaire.
L’île de Taïwan a été créée, il y a quelque quatre ou cinq millions d’années (le Miocène), de la rencontre entre la plaque tectonique des Philippines et celle qui est aujourd’hui le continent chinois. Le résultat ? Cette île avec cette chaîne de montagnes qui la traverse du nord au sud, ce qui lui valut son nom chinois Taïwan (臺灣) qui signifie grossièrement « terrasse sur la baie ». Tour à tour repaire de pirates et de capitaines d’industrie, colonisée à maintes reprises, Taïwan n’a pour autant jamais été à genoux. Tout le contraire.
Ses voisins sont, au nord, le Japon dont les îles méridionales ne sont distantes que de 100 km de ses côtes ; plus à l’ouest la péninsule coréenne, l’archipel des Philippines et la République populaire de Chine, dont la côte méridionale n’est qu’à 130 km de celle de l’île dans le point le plus étroit du détroit de Taïwan. Sur son flanc est, les immensités de l’océan Pacifique dont elle est une sorte de verrou géostratégique.
Formosa, « la belle île » en langue portugaise. C’est ce nom que lui avaient donné des marins portugais, premiers découvreurs occidentaux de l’île en 1626, muets d’admiration devant les falaises d’une île où les sommets montagneux dépassent les 4 000 mètres. Cet éloge lui va comme un gant. Devenue plus tard « Taïwan », nom que lui donnèrent les premiers Chinois venus du sud du continent voisin au début du dix-septième siècle pour servir de main-d’œuvre bon marché aux colons hollandais, cette île recèle des trésors naturels et historiques fabuleux. Façonnée dans son histoire par ses origines ethniques et identitaires multiples, Taïwan accueillit ses premiers peuplements vers 6 000 av. J.-C., des tribus venues d’Austronésie, cet ensemble d’archipels et d’îles du sud-ouest du Pacifique qui rassemble aujourd’hui la Papouasie-Nouvelle-Guinée, les îles Salomon, Vanuatu, les îles Fidji, la Nouvelle-Calédonie. Ces peuples aborigènes, les yuanjumin (原住民, habitants originels) sont toujours présents dans l’île, mais ils ne représentent plus que 2,5 % de la population.
Depuis son arrivée au pouvoir le 1er octobre 1949 à Pékin, le régime communiste chinois revendique avec véhémence sa souveraineté sur ce petit bout de terre qu’il n’a jamais contrôlé. Parler de « réunification » comme le fait Pékin est donc impropre.
La première colonisation de Taïwan fut celle des Hollandais. Arrivés dans l’île en 1624, ils y établirent une base commerciale pour leur Compagnie des Indes orientales. L’empire colonial, déjà présent depuis un quart de siècle sur l’île de Java de l’Indonésie d’aujourd’hui, trouve à Formose un lieu idéal pour renforcer son commerce avec la Chine et le Japon.
Des ingénieurs néerlandais y sont envoyés depuis Batavia, capitale de la compagnie, afin de développer ses installations. Ils y restent jusqu’en 1664, suffisamment longtemps pour y faire venir quelque 50 000 Chinois du sud du continent, probablement les premiers à poser le pied dans l’île. Les aborigènes refusant tout travail agricole, ils y sont employés pour y exploiter la canne à sucre et en extraire le sucre. La population double en quelques décennies.
Pirates chinois
Cet épisode atteste d’un fait historique : c’est l’arrivée de colons blancs qui suscita la première présence chinoise dans l’île.
Cette présence chinoise en entraîna bien vite une autre : celle du pirate et général Koxinga (國姓爺). Son père, Zheng Zhilong, un marin et marchand originaire d’une famille de pêcheurs du Fujian, ainsi que d’autres princes du sud de la Chine, voient en Taïwan un repaire précieux pour y combattre les Mandchous, des non-Hans venus du nord, qui fondent la dernière dynastie de la Chine impériale, celle des Qing (1644-1912), sur les décombres de celle des Ming.
Sitôt débarqué à Tainan dans le sud de Taïwan le 30 avril 1661 avec 25 000 hommes, Koxinga en chasse les Hollandais. Jusqu’à ce jour le pirate est célébré comme un « héros national » (民族英雄) aussi bien par le Parti nationaliste Kuomintang que par le Parti communiste chinois car son arrivée marque, pour eux, l’entrée de l’île dans l’espace impérial chinois des Ming (version aujourd’hui contestée par les historiens de l’île). Or la dynastie des Qing, déjà engagée dans un déclin inéluctable, voit dans la présence chinoise à Taïwan un foyer de rébellion potentiel et, de ce fait, une menace existentielle. Elle décide à son tour d’y établir une présence militaire permanente.
Placée sous le bâillon brutal des Qing, Taïwan est alors pour la première fois officiellement dominée par la cour impériale de Chine. De là date le premier lien institutionnel avec la Chine continentale. Les Qing, qui craignent également que l’île ne redevienne une place forte pour les Occidentaux qui rôdent toujours dans la région, renforcent leur présence.
S’ensuit une politique d’isolement de l’île qui perdurera tout au long du dix-huitième siècle. L’île entière formait une préfecture (府) dépendante de la province chinoise du Fujian jusqu’en 1775, date à laquelle la partie nord de l’île est séparée et forme la nouvelle préfecture de Taipei (臺北府), le reste de l’île demeurant administré par le Fujian.
En 1885, Taïwan devient une province chinoise avec Taipei pour capitale. Le gouverneur Liu Mingchuan entreprend alors une première, mais timide, modernisation des infrastructures de l’île. C’est sur cette date que la majorité des historiens s’accordent pour y trouver l’entrée de Taïwan dans le monde chinois.
Colonisation japonaise
Le 17 avril 1895, nouveau virage de l’histoire et deuxième épisode de colonisation : Taïwan et les îles Pescadores (Penghu) sont cédées au Japon lors de la signature du traité de Shimonoseki qui met fin à la guerre sino-japonaise et officialise la défaite de la Chine impériale, mise à genoux par le Japon et les Occidentaux. Commence alors une période de colonisation japonaise qui durera jusqu’en 1945, date de la reddition du Japon impérial.
Jamais, ces cinquante années de colonisation ne s’accompagnèrent des exactions et autres atrocités commises en Chine continentale ou dans la péninsule coréenne par la soldatesque de l’empereur japonais. Celle-ci ne rencontre guère de résistance dans une île qui n’était alors ni un pays ni a fortiori un État, à la différence de la Chine ou de la Corée. Rappelons ici que les Japonais avaient, dès les années 1870, pris le contrôle des îles Ryūkyū (琉球群島
