Talia - Zoukani Abderrahim - E-Book

Talia E-Book

Zoukani Abderrahim

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Beschreibung

Talia, une femme fière, se bat pour conserver sa condition.

Au carrefour de la marginalisation et de l’ostracisme socioculturels et politiques, de la misère et de l’impécuniosité ataviques, aux confins du délire et du déchaînement psychosociaux, Talia s’élève en une posture de guerrière et de dernière maquisarde refusant toute aliénation de ses valeurs, toute atteinte à son amour propre. Fière de ce qu’elle est, de ce qui fait qu’elle est ce qu’elle est, elle arbore son ipséité quasi unique en son genre ! Victime d’ici et d’ailleurs, du semblable et du dissemblable. Pourtant, elle continue, en un être invincible, sa lutte à survivre et à exister dans un milieu où seuls les hommes ont le monopole du pouvoir et le prestige d’exister, non en tant que personne, plutôt qu’en tant que partie prenante de la société. Elle n’est pas zéro et elle refuse de le lui assigner ; elle est là avec l’Homme, vit avec lui, en lui, sans lui…..

Découvrez un roman fort et puissant, dans lequel la figure de Talia se révèle en femme forte, résistante et puissante, fière de ses valeur et de qu'elle est !

EXTRAIT

Les voyageurs montèrent dans le train traînant leurs bagages derrières eux, Bourigue, les yeux sur les marchepieds, avançait prudemment et songeant à la personne que le destin choira pour être sa compagnie de voyage.« Ah, si uniquement Dieu m’envoya une jolie blonde aux yeux bleus de myosotis je lui saurai éternellement gré ! » se dit-il à part lui.
Le grand Dieu exauça son vœu. Il se retrouva par quelque miracle en face d’une élégante lady aux cheveux bruns rassemblés par un catogan en harmonie totale avec la robe mordorée qu’elle portait. Elle le toisa d’un regard vitreux et bovin ne lui donnant guère la confiance à laquelle il aspirait pour l’entretenir ! Bouche bée, perplexe, il la regarda sans prononcer un traître mot ; on dirait un écolier devant son maître. À mille tentatives rationnelles de sauver son amour-propre et de rester froid à son égard, il se retrouve à son insu charrié par ce visage délicat et impitoyable ! À son désespoir, il prit une gazette économique survola quelques pages, sans lire mot ! « Quelle belle créature, comment l’aborderai-je ? Quelles moelleuses paroles lui dirai-je pour la rendre moins prude ? ».Telles furent ses pensées en ce moment. Il l’a sentie s’approchant et s’éloignant, la distance infinitésimale qui les séparait semblait se mesurer en année-lumière. L’aubaine qu’il attendait vint à se réaliser quand le tangage du train, dû probablement à un incident casuel aux motifs méconnus, fit tomber quelques bagages sur terre.

À PROPOS DE L'AUTEUR

Zoukani Abderrahim, enseignant de nationalité marocaine, est né en 1980 à Ouarzazate, au sud-est du Maroc. Il est titulaire d’une licence en études françaises de la faculté des lettres et sciences humaines Ain Chock, université Hassan II. Il est en cours de formation master sciences de langages et traduction à la faculté des lettres et sciences humaines Mohammedia, université Hassan II.

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Abderrahim Zoukani

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Talia

Roman

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

© Lys Bleu Éditions—Abderrahim Zoukani

ISBN : 978-2-37877-719-7

Le code de la propriété intellectuelle n’autorisant aux termes des paragraphes 2 et 3 de l’article L.122-5, d’une part, que les copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective et, d’autre part, sous réserve du nom de l’auteur et de la source, que les analyses et les courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information, toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite (article L.122-4). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L.335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.

 

 

 

 

 

 

 

 

« Car devant Dieu, il y a moins un problème de liberté qu'un problème du mal. On connaît l'alternative : ou nous ne sommes pas libres et Dieu tout puissant est responsable du mal. Ou nous sommes libres et responsables, mais Dieu n'est pas tout puissant. »

 

(Albert Camus/1913-1960/Le mythe de Sisyphe)

 

 

 

 

 

 

 

I

 

 

 

Assise près de sa tente, elle regarda d’un œil de lynx ses brebis en train de brouter de l’herbe dans une terre aride que seuls quelques brins de plantes, tels des duvets mal poussés, s’évertuent à faire leur ascension obviant aux différents accrocs présentés par l’implacable reg. On ne lui connaît pas de nom, mais on finit par la nommer Hnia, venue d’Ait-Atta, l’une des plus redoutables tribus du Sud-est marocain.

Vers la fin des années soixante, Sa mère surgit dans notre ville comme un aérolite propulsé du firmament. Certains disaient qu’elle est folle tandis que d’autres attestaient le contraire, c’est peut-être pour cette raison qu’on la nommait Hnia, nomination en mi-chemin entre le délire et la raison. Nous étions quelques dizaines seulement ayant, dans les années 80, élu domicile à Tigmi Lejdid, un petit village encore méconnu dans la ville d’Ouarzazate. Les gens ont fini par nouer des relations très intimes entre eux, on se connaît tous, on échangeait biens et services, les portes sont rarement cadenassées, nous les bambins, on trouvait un grand plaisir à courir dans les rues, les pieds nus, dépenaillés et sales, des couches de saleté donnaient à nos physionomies une effrayante et répugnante allure. Cependant, la plus attrayante activité qui nous subjuguait à telle enseigne, était d’aller taquiner Hnia dans sa modeste demeure ! On sait par habitude les heures de son repos, de sa sieste, de ses modiques repas, en fin tout ce qui peut nous aider à la faire sortir de ses gonds.

Personne ne connaît son histoire qui représentait, à nos yeux tous, un mystère hermétique, une énigme contrariante. Un jour, venu de la Timzguida(mosquée), qui s’éloignait quelques lieux seulement de notre foyer, je me précipitais vers ma mère :

— « Quelle est l’histoire de cette femme qu’on nommait Hnia », dis-je à ma mère la tête un tantinet inclinée et les yeux lancéolés.

— « On ne sait rien mon fils, mais ne t’approche pas d’elle, c’est une méchante personne, elle pourra te faire de mal », répartit maman calmement. 

La nuit qui suit, je me trouvais en plein cauchemar, m’imaginant proie à cette horrible femme aux cheveux ébouriffés, aux yeux éraillés tels des escarboucles, aux dents noires telles des braises calcinées. Je m’affalai dans mes draps comme pour me protéger contre cette Aïcha Qandicha qui allait me dévorer tout cru. Ce fut la plus terrible et la plus longue nuit que je n’ai jamais passée auparavant. Dès le lever du soleil, je sortais jouer avec mes camarades ; c’était un samedi et on se sentait tous heureux puisqu’on n’est pas obligé d’aller à la Timzguida ce jour-là. Tigmi Lejdid à cette époque était complètement déserte ; des masures de terre et en torchis sont éparpillées çà et là, seule la route nationale, reliant Ouarzazate à Zagora, était en bitume transperçant le village comme un serpent noir slalomant les collines et les dunes sableuses et poussiéreuses. Le ciment n’a pas encore fait son entrée majestueuse dans notre vie sereine et paisible. La nuit fut un univers à part entier car on peut entendre, par intermittence, le jappement des loups qui troublait le calme régnant dans les lieux. C’est à ce moment seulement que je pensai derechef à Hnia, se demandant comment parviendrait-elle à se prémunir contre les différents dangers qui la menaçaient, cernée par des fauves sauvages et humains.

Je fermais les yeux et j’imaginais alors la scène.  « Étendue sur son grabat fait à base de carton et des guenilles, emmitouflée dans son haïk noir qui représentait sa seule couverture hiver comme été. Devant elle, un être informe de petite taille, une boule de chair, accroupie à même le sol, fixait son regard sur la lumière du cierge qui se consommait dans un silence de mort. C’était sa fille. Âgée de 14 ans, elle était étrangement à l’antipode de sa mère au point que certains esprits maléfiques prétendaient qu’elle l’a enlevée à ses propres parents occidentaux. En effet, elle était très belle, avait des yeux d’un bleu de topaze, un nez pointu centrait son visage au teint blanc d’une blancheur de lait. Ses cheveux bruns descendaient comme une cataracte jusqu’au bas de son dos, lui donnant un charme exceptionnel, son magnifique sourire, bénin et excitant, laissait voir des dents blanches telles des monts couverts de neige. Rien ne peut expliquer comment une mère pareille pourrait avoir une telle fille ! Ce sont là des choses qui échappent au logos aristotélicien.

C’était une véritable beauté de la nature ! Une orchidée au milieu de cactus et de pourritures. Elle se nommait Sarah, analphabète, puisqu’elle n’a jamais été à l’école. Pourtant, elle perfectionnait deux langages à merveille : l’Amazigh et le silence.

Dès l’aube on entendait des voix à tue-tête parvenant de la rue, un véritable vacarme régna aussitôt ; on se précipita pour savoir ce qui se passait. Les têtes de femmes apparaissaient dans les fenêtres grillées de leurs maisons, se hélant les unes les autres.

— « Fdaila, qu’est-ce qui passe là-bas ? », demanda une femme à ma mère en montrant du doigt la rue.

— « Je ne sais pas encore, SSI Lhoussine vient de sortir, j’attendrai son entrée pour avoir des nouvelles », répondit ma mère d’une voix chevrotante.

Passionné de savoir, je sortis en courant. Enfant que je fus, je ne compris rien au spectacle qui s’offrit à mes yeux ; une ruée de personnes se dirigeait vers la route asphaltée. Je suivis le courant de la foule, ignorant où allait se terminer cette enfilade de têtes qui marchaient d’un pas rapide et cadencé. Une cohue d’hommes et de gamins se sont groupés en formant un cercle condamnant la route. Je me faufilai humblement à travers la cohue et, plus je m’approchais, plus le cercle devint serré. Bloqué, je cherchais une issue en vain ! Au bout d’un moment je parvins à glisser sous les jambes d’un quadragénaire escogriffe. Plein de stupeur, je regardais, les yeux écarquillés, un troupeau d’en moins dix chèvres fracassées et écrasées par un automobiliste démoniaque qui avait pris fuite. Le sang coagulé est hic et nunc saupoudré du sel pour congédier, à ce qu’on disait, les mauvais esprits qui rôdaient autour du sang tels des pygargues affamés. À ce qu’on racontait, la scène devrait se dérouler pendant la nuit au moment où tous les habitants de notre village dormaient. Les yeux des boudeurs dardaient les cadavres des bêtes sanglantes ! « Ce sont les chèvres de Hnia », affirma une vieille femme. Tous les yeux cherchèrent en un laps de temps la concernée sans pour autant la percevoir. On voulait la compatir, la consoler, mais elle n’était pas là, on dirait que la terre l’a engloutie. Quelques minutes après, l’on vit, s’approcher de la foule, d’un pas ferme et fier, une ombre d’être dont seule la posture et l’habillement montrent le genre. C’était Hnia, les manches retroussées, les yeux enflammés, les narines dilatées. Forcenée, elle prit des pierres et les lança à notre direction, on prit tous la poudre d’escampette devant cette catapulte de Gétules.

Deux heures plus tard, les gens qui avaient le courage de revenir sur les lieux racontaient que les dix chèvres furent toutes dépouillées et étripées. Une véritable boucherie !! Une kyrielle de mouches voltigeaient au-dessus des squelettes pendus sur une tige de fer, les unes à côté des autres comme le linge étendu. Quelques jours suffirent pour qu’elle régurgite avec sa fille les dix chèvres conservées par salaison. Chaque jour, elle coupa un morceau, le mit dans une écuelle abîmée et rongée par la suie, elle ne lui ajouta pour tout légume que de l’oignon coupé en grands morceaux. De loin, on sent tantôt le graillon tantôt le roussi. Les habitants, par impécuniosité, ne mangent la viande que rarement, partant, toutes les bouches mi-ouvertes bavaient comme des chiens affamés.

Par ses actes aberrants, elle s’est conféré, au fil du temps, une notoriété sans rival, un respect et une crainte sans égal. C’est ainsi qu’elle devint l’ennemie redoutable de tous, excepté quelques esprits ingénus dont nous faisons partie.

Deux années s’écoulèrent sans parvenir à la bannir du village. On avait brûlé sa tente, égorgé son gros mouton à pelisse blanche, empoisonné son chien féroce, sans que tout cela ait le moindre impacte sur l’inexorable Hnia. On tenta alors, en désespoir de cause, de l’immoler comme ses bêtes, mais on trouva hasardeux de se comporter de la sorte. Toutefois, une rancune atroce fomentait d’autres manœuvres encore plus pernicieuses. En effet, quelque temps après, sa fille, devenue plus belle que d’antan, s’est trouvée pâmée, dépoitraillée, aux cheveux hirsutes, au visage et aux pieds saignants. Ses yeux enflés ne laissaient pas de doute que la pauvre fut victime d’un lâche viol.

La nouvelle tomba comme un coup de massue sur sa mère, annihila ses forces, brisa d’un coup ce massif inébranlable, il a fallu déshonorer la fille pour que la mère courba l’échine. Durant trois jours, Hnia et Sarah préférèrent s’enfermer dans leur tente coupant cour à toute conjecture pouvant troubler leur vie. Une rumeur aussitôt circula ; on racontait que Hnia, pour essuyer sa honte, avait immolé sa fille, l’on imaginait même toutes les circonstances de l’homicide. Pour la plupart des habitants, Hnia l’aurait étranglée pendant qu’elle pionçait dans un sommeil de mort. Pour se débarrasser du cadavre, Hnia l’a ensevelie à l’intérieur de la tente. Ceux qui avaient l’habitude de passer près de sa loge, pour apporter furtivement de ses nouvelles, ont dû abandonner complètement l’entreprise, sachant qu’il leur serait impossible de savoir quoi que ce soit auprès d’elle, mais en réalité ils grelottaient tous de peur, juste en y songeant.

Au bout du troisième jour, on vit Hnia, près de sa tente, tresser les longs cheveux de sa fille Comme signe de bravade et de défi. Elle décevait ainsi par sa parution, soudaine et inopinée, tous ceux jadis qui mordaient sa chair en son absence. De sa position, elle ressemblait à telle enseigne à Hamilcar qui, sur la terrasse de son château de Carthage, cerné par les barbares atroces, dardait son regard menaçant et terrifiant sur toute la colline submergée par quarante mille soldats cruels et tenaces. Tous les deux avaient ceci en commun, ils ne capituleraient point tant leurs cœurs battaient ! Hnia ne défend pas uniquement sa tente, c’est toute son existence qu’elle défendait, elle sait que si elle se rend, toute sa vie s’écroulera comme un tas de pierres qui s’éboulent du mont. Elle restera là, clouée devant sa tente, cramponnée aux pieux qui la soutenaient, rien ne l’arrachera d’ici, ni le Vent ni l’Homme.

Assis à croupetons devant mon grand-père qui récitait le coran à tue-tête et en cognant fort sur le plancher, je m’aventurai en l’apostrophant à brûle-pourpoint :

On raconte que tu es le seul à savoir l’histoire de cette furie de femme qu’on nommait Hnia ?

Qui t’a raconté ces insanités fiston ? répondit-il, étonné et de mon intéressement et de ma question qui le frappait de but en blanc.

C’est ce qu’on raconte. Prière grand-père de me la raconter !

En me voyant insister, il renchérit :

Ce n’est point une drôle d’histoire à te raconter, mais puisque tu insistes, je vais te raconter tout ce que je sais.

Grand père, vieux comme mathusalem, était un long gringalet d’une mine de papier mâché, souvent alité puisque valétudinaire. Toutefois, lorsqu’il est en besogne, tous les maux tant physiques que psychiques disparaissaient devant ce vieillard égrotant. Ses détracteurs le taxèrent de vieux jeton refusant tout progrès, tandis que lui, restait toujours la tête haute et ne répondit rien aux « chiens qui aboyaient » comme il aimait à les nommer.

Ce qu’allait me narrer mon grand-père se graverait dans ma mémoire de cire jusqu’à nos jours, jamais il ne me consacrera tout ce temps, toute une journée rien que pour me parler de cette femme qui représentait à ses yeux un parangon de l’entrecroisement des destins, de déveines ataviques et de la transmutation des caractères humains sous l’emprise du Milieu !

 

 

 

 

 

II

 

 

 

« Hnia était l’unique fille d’une femme rigoureuse et pugnace qu’on nommait Talia, et qui a vécu avec sa fille Hnia, dans les années soixante-dix, les mêmes calvaires que cette dernière subira quinze ans plus tard. Tout avait commencé le jour où un nabab la prenait à partie d’avoir fait main basse de son lopin.

Ce jour-là, une Land Rover s’arrêta devant sa tente, d’où descendit un grand homme quinquagénaire, bien habillé, un cigare à la main, une montre d’or scintillait d’un jaune de topaze :

— « Bonjour, madame, je suis venu vous demander de quitter ce lieu, trouvez-vous un autre gîte loin d’ici, c’est ma terre ! », dit l’Étranger à Talia.

— « Moi, monsieur, je n’irai nulle part, c’est ici que je demeurerai jusqu’à la fin de mes jours », lui rétorqua-t-elle d’un air flegmatique et ferme.

— « Je verrai bien comment te faire déserter toi et ton bétail hors de ma propriété ! Et tu regretteras vivement de ne pas être raisonnable quand je suis venu te voir », lui lança le vieux rupin.

Elle ne répondit point au nanti. Pas un traître mot ne sortit de sa bouche. Rien. L‘homme démarra et fila en trombe vers le septentrion. Cette dérisoire victoire est devenue, quelques jours plus tard, la distraction des gens du quartier. Colportée de bouche en bouche, la nouvelle prenait à chaque fois, une forme différente selon la personne qui la racontait, et selon son degré d’éloignement de la source de l’information, Talia en l’occurrence.

Un Samedi, alors que les villageois se rendirent au souk hebdomadaire pour se provisionner, l’on vit s’arrêter près de la tente une fourgonnette de police. Deux policiers en tenue descendirent de la voiture et se dirigèrent vers Talia. Ils entrèrent et la trouvèrent immobile, elle n’a éprouvé à leur vue ni peur ni angoisse.

— « Bonjour, tu es Talia n’est-ce pas ? », Lui demanda l’un des deux sans même daigner la regarder en face.

— « Oui, Monsieur, c’est ce que les gens d’ici m’ont surnommé, et je le suis devenue par la force des choses, sans que j’aie à le vouloir », répondit Talia en les toisant d’un œil douteux et suspect.

Un moment de silence coupait cour à leur sourde discussion avant que les policiers recommencent :

— Monsieur Ait – Olman a porté plainte contre vous, il vous accuse de s’arroger d’un terrain qui n’est pas le votre, que dites-vous ? 

— Je ne connais pas cet Ait-Olman.

— C’est l’homme qui est venu vous voir un samedi, il avait une Lande Rover rutilante, tu le reconnais maintenant ?

— Ah ! Je me rappelle, mais je vous dirai la même chose que lui, je ne quitterai pas ma tente qu’au sépulcre, mon suaire est déjà prêt.

— Ne nous astreignez pas à vous sarcler d’ici, suivez-nous calmement ou nous vous jetterons dehors, de gré ou de force, comme un chien battu.

Elle ne répondit point, partant, les deux cognes la prirent des cheveux et la tirèrent hors de sa tente. Les deux policiers trouvèrent d’énormes difficultés à l’arracher d’un pieu auquel elle se cramponnait de toutes ses forces. Une roche serait plus facile à secouer qu’elle, on dirait que la tente et Talia sont devenues au fil du temps deux entités consubstantielles. Aussitôt, une lutte acharnée amorça, Talia mua en une sorte de centaure, ses yeux d’escarboucles jetaient une flamme pleine de rage, ses cheveux ébouriffés étaient comme des piques pointus, ses chicots noircis par la misère et l’inanition mordaient chair et vêtements. Les deux diables la battaient de toutes leurs forces ; sur la tête, sur les mains, à pleine figure, sans réussir à l’assommer. Sa fille qui, entendant de loin le raffut dans leur tente, accourut à la rescousse de sa mère torturée. Elle fondit sur l’un d’eux comme un gerfaut qui fond sur un lièvre, ses ongles de fer entamaient la peau en la fendillant. En une seconde, le sang jaillit abondamment sur le sol ! Deux autres voitures pleines de policiers arrivèrent sur les lieux, sans que leurs collègues les appellent. Étrange ! Mais c’est devenu tout à fait normal chez nous ; on ignore comment, toutefois, les autorités arrivent toujours à savoir tout, sans caméra, sans investigations ! Ils ont réussi à faire de chacun de nous l’un des leurs ; personne n’est mouchard, mais tout le monde l’est. Une dizaine d’hommes de l’ordre public, réussirent finalement à ligoter les deux femmes, les jetèrent à l’intérieur de l’une des trois fourgonnettes en place. Hagards, les gens regardaient le spectacle sans un souffle, on oublia tout, on suivit la scène comme si la lutte fut le dernier acte d’une pièce du théâtre très longue et fastidieuse. Un silence mortel régna cette soirée-là, on distinguait du loin les jappements des loups. Cependant, à force d’écouter ce son farouche des fauves, il nous semblait qu’on entendait à travers ce jappement une complainte chantée par une voix presque étouffée. La mélodie lancinante vient de là-bas, là où Talia et sa fille ressuscitent des lanières du fouet avec lequel leurs bourreaux sadiques les torturaient.       

Arrivées à la poste de police, juste au moment où Talia et sa fille se prêtèrent à descendre, un cogne échalas et frêle asséna à la vieille un coup de point la renversant derrière, ses yeux révulsèrent comme un moribond. Sa fille se démena contre les deux policiers qui la tenaient et réussit à s’approcher de sa mère, le visage blême, les yeux écarquillés, elle regarda sa mère chue sur le sol avec une sensation de rage mêlée de camouflet extrême. Une fois dans le cachot, les deux femmes, furent laissées à cuver leur furie. On s’imaginait comme stratagème qu’en les laissant causer toutes les deux, elles finiraient par succomber et laisseront de gré le terrain de M Ait Olman car de toute façon ils n’ont pas d’autres choix, la loi est claire là-dessus ! Mais ces deux créatures mal dégrossies, ces culs-terreux savent-elles la loi ? Sont-elles capables de comprendre ce qui se mijotait contre elles ? À cet instant de drame comme est toujours le cas, il y en a ceux qui ne perdent pas de temps, ils trouvent propices, ces moments de faiblesse humaine, dés que quelqu’un tombe on fond sur son cadavre, et on profite pleinement de ce que l’on peut tirer de cette rare aubaine, et on se targue qu’il est mort ! Partant on n’a rien à nous tancer !

Le cachot était une sordide pièce de quatre mètres carrés aux murs délabrés, couverts de salpêtre, avec une seule petite fenêtre aux embrasures piquées et un judas en forme de losange d’environ dix centimètres de diamètre servant de moyen de communication entre les détenteurs et la détenue. Les prunelles se dilataient pour adapter sa vision aux quelques rares lueurs qui émanaient de l’extérieur. Talia jeta par intermittence un regard furtif et froid sur cette petite créature qui dormait comme une marmotte ! Jamais elle ne se croyait qu’elle serait d’une telle froideur, elle qui a été d’une affectivité et d’une sensualité frappantes, elle que les gandins en raffolaient, que les belles filles tant fluettes que plantureuses enviaient, elle qui était d’une volupté exquise loin de fredaine ou d’incartade, tant s’en faut ! Mais par bleu ! Comment une telle jolie nymphe s’est-elle muée en une sorte d’hydre de Lerne fade, effacée, blême, froide ? Elle se rappela le jour où son défunt mari la demanda en mariage, c’était un jeune homme frêle et basané de la tribu d’Ait Mrghad qu’une longue guerre intestine l’avait confrontée à sa rivale Ait Atta et dont les traces demeurent à nos jours. Le pauvre bougre était d’un caractère belliqueux et mesquin, le foyer conjugal fut le lieu où il distille son poison et la victime n’était autre que Talia, jour et nuit il la battait sans motif et pour des peccadilles bénignes, toutes les occasions étaient opportunes pour la malmener, il ne tolérait ni susurrer ni maugréer, pour rien elle fut morigénée sans que la pauvre eût même le temps de rouscailler. Une vie pénible et oppressante qui a pu muer la belle orchidée en un cactus piquant et écœurant. Un an aurait suffi pour mettre au monde une seconde victime qui tomba dans ce reg en pleurant et sera condamnée à pleurer toute sa vie ! Son crime est d’être née céans et d’être la fille de Talia ; Femme traînant le joug de la pauvreté, de la marginalisation et de l’injustice, mais qui en découdra jusqu’au dernier soupir. Un an aurait suffi pour mettre Talia au feu, pour l’anéantir, la pulvériser en grains infinitésimaux, pour la pousser à la démence et au délire. Son beau-père, la voyant ainsi, décida, en l’absence du mari parti pour mettre à sac un hameau voisin ; acte qui n’était guère considéré criminel puisqu’à l’usage dans cette zone du monde où régnait le despotisme et l’injustice, et où le vice et la vertu se confondaient ou peu s’en faut ; de l’emmurer avec sa fille. Incarcérée, elle le fut pour une longue durée. On lui donna pour couvert un drap déchiré et un oreiller bourré de paille. Toutes sortes d’insectes rôdaient dans les lieux : cancrelats et bousiers, scorpions et margouillats. Pourtant jamais elles ne furent mordues ni piquées tant leurs épidermes étaient devenus si tenaces et si puants qu’on osait y toucher. Hnia avait ainsi grandi dans cette sordide pièce, ses yeux n’avaient jamais vu outre que ces murs de glaise fêlés et ce sol abîmé.

 

 

 

 

 

III

 

 

 

Sur le quai, une myriade de gens de toutes les couches sociales attendaient avec des mines d’impatience le train qui vient de Marseille à destination de Toulouse. Le temps était un tantinet froid avec de minces gouttelettes qui tombaient de par le firmament gris. Debout, la malle à terre, ses yeux baissant et remontant de sa montre, Pierre Bourigue, un quadragénaire entrepreneur, regardait les mines des voyageurs en reniflant l’air matinal frais. Sentant une envie incoercible de parler et de deviser avec quelqu’un, il s’approcha d’un quidam et lui tendit la main

Pierre Bourigue, entrepreneur,

Jacques De Poiteuil inspecteur de police, enchanté de faire votre connaissance.

Ah, j’ai déjà entendu ce nom mais je ne me rappelle plus où ? Ce serait sans doute une affaire que vous avez menue et que j’aurais dû lire récemment quelque part dans un article de journal ou de revue ?

Écoutez, j’ai menu pas mal d’enquêtes ces derniers temps le chiffre remonte à une cinquantaine d’affaires résolues dans plus de vingt ans de service ! Et ma dernière enquête fut un homicide perpétré par un jeune homme, la victime n’est rien d’autre que sa pauvre femme !

C’est ça ! maintenant je me rappelle, vous êtes le fameux détective qui a défrayé la chronique l’année dernière dans cette affaire que vous venez de citer, la jeune femme était retrouvée découpée en morceaux et jetée par la suite dans une poubelle publique. Quelle atrocité !

On a beau……………………….

Le sifflement du train coupa court à cette conversation qui n’avait d’ailleurs pour but que de passer le temps en bavardant en attendant l’arrivée du train.