The Young Gods - Olivier HORNER - E-Book

The Young Gods E-Book

Olivier HORNER

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Beschreibung

Genèse underground, coup d'envoi, carrière, influences, etc. : Olivier HORNER décrypte The Young Gods.

Trio emblématique du rock suisse et international, The Young Gods sont cités en référence par David Bowie, U2, Nine Inch Nails, Noir Désir ou Yello. La formation, pionnière de l’échantillonnage sonore avec des samples et emmenée par la voix grave de Franz Treichler, célèbre ses trente-cinq ans d’existence en 2020. Une longue route qui est passée par un douzième album studio, Data Mirage Tangram, fidèle à leur créativité supersonique. Cette première biographie retrace, aux côtés des membres successifs de la formation et de leur entourage artistique, les étapes d’une épopée atypique et sans compromis qui a connu un pic de popularité durant la première moitié des années 1990. Histoire aussi de replacer les « Gods » parmi les visionnaires de la fusion entre rock et électronique.

Embarquez pour un voyage supersonique à travers la vie du groupe suisse !

EXTRAIT

« Le futur débute ici », avait prédit Simon Reynolds en 1987. Dans les colonnes du Melody Maker , le critique musical et journaliste britannique Simon Reynolds s’enflamme pour le premier album éponyme des Young Gods. Il va jusqu’à le qualifier de « disque le plus créatif publié cette année » alors que les brillantes sorties ne manquent pourtant pas à ses yeux [...]. Mais le trio suisse, grâce à une « nouvelle architecture sonore » ouvrant au rock des perspectives inédites, remporte la mise. Et Simon Reynolds de développer son analyse : « Leur nouvelle architecture sonore consiste à utiliser l’échantillonnage sonore au-delà de la fonctionnalité limitative du hip-hop. Là où la pop est souvent linéaire, horizontale, les Young Gods ouvrent l’espace à la verticale – des trappes s’ouvrant entre les rythmes ; tout à coup, le plafond s’élève vertigineusement ; les corridors se ramifient, au bout desquels des sons vont et viennent. Cette architecture est conçue dans l’esprit de celle d’Escher – avec des effets trompe-l’œil, des perspectives cauchemardesques, de l’écho et de l’ombre ».

À PROPOS DE L'AUTEUR

Olivier HORNER est journaliste et auteur de plusieurs ouvrages sur la musique. Il travaille pour RTS Culture et collabore régulièrement avec le quotidien Le Temps.

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Couverture

Page de titre

PRÉFACE

« J’ai entendu parler pour la première fois des Young Gods vers 1985 par Roli Mosimann, un ami de Yello qui réalisera ensuite plusieurs albums des Gods. Si je me souviens bien, Roli jouait de la batterie dans sa salle de répétition, très proche de notre espace à la Rote Fabrik à Zurich.

Je me souviens d’une de leurs premières chansons, intitulée “Did You Miss Me”. Un titre quelque peu archaïque mais très frais et peu conventionnel, à une époque où de nombreux groupes suivaient aveuglément le boom punk.

Dès le début, les Young Gods ont été incroyablement courageux. Ils n’ont jamais suivi une tendance, sont restés libres et n’ont jamais été complaisants. Cela m’a vraiment impressionné.

Je crois qu’il existe un certain lien entre les Young Gods et Yello. Outre notre amour commun pour la technologie du sampling, nous créons tous les deux une musique à la fois méticuleuse et ludique et refusons de nous prendre trop au sérieux.

L’expression, la force et le caractère de la musique des Young Gods leur ont valu un statut international bien mérité. »

Boris Blank, membre de Yello

1 RÉVEIL SUPERSONIQUE

Bernard Trontin martèle un canapé avec ses baguettes. Franz Treichler effectue des étirements entre deux gorgées de thé miel-citron tandis que Cesare Pizzi pianote sur son ordinateur portable. Dans leur loge du club Fléda, à Brno, deuxième plus grande ville de République Tchèque avec un peu plus de 400 000 habitants, les Young Gods apparaissent détendus.

Alors qu’en ce 11 décembre 2013 le premier de leur trois concerts en terres tchèques est imminent, le trio rock romand accueillait voilà quelques minutes encore un visiteur attentionné. Čenda, organisateur un an plus tôt d’une prestation mémorable du groupe dans la proche cité universitaire d’Olomouc, vient de leur offrir à chacun une clé USB chromée, frappée de la date du 13.12.2012 en sus de leur patronyme et surtout chargée de souvenirs photos, vidéos et musicaux. « C’est vraiment un beau geste », s’émeut Pizzi en découvrant son contenu à l’écran.

Figure originelle des Young Gods avec Franz Treichler, Cesare Pizzi a réintégré le groupe à la faveur de cette tournée spéciale, axée sur le répertoire des deux premiers albums, The Young Gods (1987) et L’Eau rouge (1989). Comme si les Young Gods bouclaient la boucle ou achevaient un cycle. Remonter sur scène et le fil du temps lui procure un plaisir fou bien que son avenir, tout comme celui du groupe, soit flou. Reste que le suppléant d’Al Comet réunit désormais ses camarades pour une accolade juste avant de filer sur scène avec un prophétique : « 11, 12, 13, magic numbers ! » Ces trois dates tchèques, après deux escales au Portugal et avant l’enchaînement de Berlin et Londres, représenteront peut-être l’ultime semi-marathon d’un tour d’Europe débuté en Suisse en septembre, à Vevey.

Des prestations activées par le tandem Treichler-Pizzi plongé dans le noir, où seul le visage du chanteur fribourgeois finit par se détacher sous une lumière pâle pour « C.S.C.L.D.F. ». Un « Comme si c’était la dernière fois » aux effets ensorcelants, entre airs martiaux et abyssaux. Quatre cents personnes instantanément aux anges ; Trontin peut sereinement se glisser derrière sa batterie et propulser le spectacle vers d’autres dimensions inouïes dans un crescendo de fracas.

Dans la foule, on croise plein de t-shirts noirs siglés « Young Gods ». Michael, 36 ans, a préféré arborer les Swans. « Au récent concert de Swans ici même, je portais le t-shirt des “Gods”, raconte-il, hilare. Le clin d’œil référentiel m’amusait. C’est la cinquième fois en six ans que je les vois sur scène. Depuis mes 16 ans, je trouve leur originalité sans pareille. Leur qualité artistique est constante, à la différence d’autres groupes du genre comme Nine Inch Nails. »

L’audience partage l’avis de Michael à l’heure des rappels. Des cris en rafale répondent à la voix de Franz qui demande du bruit. « Envoyé !  » parachève ce premier dynamitage en règle du public à coup de morceaux datés de 25 ans et plus mais n’affichant pas la moindre ridule.

Le lendemain, c’est le Palác Akropolis de Prague qui attend à guichets fermés les Young Gods. Deux cents kilomètres à avaler sur les coups de midi pour rejoindre la capitale, à huit personnes dans le minibus, équipe et matériel compris. Une petite entreprise qui aura tout juste le temps de faire un rapide check-in à son nouvel hôtel avant de rejoindre la salle pour la mise en place et le sound-check. Deux interviews au programme pour Treichler, dont l’une pour la Télévision nationale tchèque.

À l’Est, les Young Gods sont vénérés. Aussi bien pour l’esthétique industrielle pionnière de leur rock que parce qu’ils ont écumé très tôt, au début des années 1990, les pays de l’ex-bloc soviétique levant à peine le rideau de fer. Une prise de risque très appréciée dans ces contrées où les conditions de tournée étaient rudes. Ce que confirme Marcin, vieil ami polonais du groupe qui vient de rouler trois heures pour vivre son deuxième concert en dix jours après Varsovie. « Pour l’une de nos première date en Pologne, on a même été payés en essence », se souvient Treichler.

Alors que Pizzi distille des photos sur la page Facebook du groupe, que des soucis de batterie et lumières sont réglés pour Berlin et Londres en coulisses, les premiers spectateurs investissent l’Akropolis. Les expatriés francophones s’enfilent décibels et pintes de bière aux côtés des Pragois, le stand du merchandising fait déjà le plein. Les Young Gods, tout de noir vêtus, sont repartis de plus belle à l’assaut dans un grondement de rythmes effrénés, galvanisés par la ferveur des lieux bondés.

En 2014, la tournée s’est encore poursuivie, plus sporadiquement, en Suisse, en France et en Russie. Une longévité surprenante au vu d’une « reformation » fin 2012 – à la faveur des quatre concerts de vernissage de la publication d’un ouvrage dédié à la scène pop-rock suisse des années 1980, Heute und Danach1 – qui n’avait pas vocation à perdurer. « On doit vraiment cette tournée au principal auteur du livre, Lurker Grand, qui tenait à tout prix à ce que les Young Gods accompagnent musicalement les vernissages de son livre, successivement à Zurich, Genève, Fribourg entre le 1er et le 13 décembre 2012. Sauf qu’à cette période, les Young Gods étaient en pause et qu’Al Comet, pris par son projet musical solo à la sitar, n’était pas disponible. J’ai informé Al Comet que Cesare allait le remplacer pour ces quelques concerts et il m’a répondu qu’il n’y voyait pas d’inconvénient. Et Cesare, passées la surprise de la requête et quelques appréhensions, a donné son aval. C’est comme ça qu’on s’est retrouvés à plonger dans nos racines et à répéter des morceaux que Cesare avait déjà joués sur scène aux samplers pour la plupart », détaille Franz Treichler.

Cette dernière aventure, l’ultime à l’origine, aura pourtant in extremis mené les Young Gods à célébrer sur scène en 2015 les trente ans d’une carrière débutée par un premier concert au New Morning à Genève en mai 1985. À l’occasion d’une série de prestations au Cully Jazz Festival en avril 2015 et d’une invitation à inaugurer la nouvelle scène de l’Alhambra lors de la Fête de la musique à Genève en juin 2015, The Young Gods s’offrent un sursaut sonore en forme de sursis. Au fil d’expérimentations inédites, le trio laisse alors entrevoir une suite discographique inespérée à trois décennies supersoniques. Un nouveau chapitre qu’il écrit finalement quatre ans plus tard, le 22 février 2019, en publiant Data Mirage Tangram, son douzième album studio d’une liberté formelle stupéfiante qui brise un silence discographique de près de neuf ans. L’occasion d’un retour sur les actes fondateurs d’un groupe au rock novateur.

1Grand, Lurker et Tschan, André,Heute und Danach, The Swiss Underground Music Scene of the 80’s,Patrick Frey, Zurich, 2012.

2 GENÈSE UNDERGROUND

«Le futur débute ici »2, avait prédit Simon Reynolds en 1987. Dans les colonnes du Melody Maker, le critique musical et journaliste britannique Simon Reynolds s’enflamme pour le premier album éponyme des Young Gods. Il va jusqu’à le qualifier de « disque le plus créatif publié cette année » alors que les brillantes sorties ne manquent pourtant pas à ses yeux, à l’image de Butthole Surfers (Locust Abortion Technician), Skinny Puppy (Cleanse, Fold and Manipulate), LL Cool J (Bigger and Deffer), Arthur Russell (World of Echo), Throwing Muses (The Fat Skier), Public Enemy (Yo ! Bum Rush the Show)ou Happy Mondays(Squirrel & G-Man Twenty Four Hour Party People Plastic Face Carnt Smile). Mais le trio suisse, grâce à une « nouvelle architecture sonore » ouvrant au rock des perspectives inédites, remporte la mise. Et Simon Reynolds de développer son analyse : « Leur nouvelle architecture sonore consiste à utiliser l’échantillonnage sonore au-delà de la fonctionnalité limitative du hip-hop. Là où la pop est souvent linéaire, horizontale, les Young Gods ouvrent l’espace à la verticale – des trappes s’ouvrant entre les rythmes ; tout à coup, le plafond s’élève vertigineusement ; les corridors se ramifient, au bout desquels des sons vont et viennent. Cette architecture est conçue dans l’esprit de celle d’Escher3 – avec des effets trompe-l’œil, des perspectives cauchemardesques, de l’écho et de l’ombre ».4

L’adoubement du Melody Maker intronise les Young Gods et permet de lancer leur carrière internationale. Ils resteront, dès lors, trente-cinq ans fidèles à leurs audaces sonores. Pas immédiatement considéré dans son pays natal, le trio aura toutefois eu un impact considérable et pérenne sur la scène rock helvétique, à l’image des Alémaniques Yello, défricheur de la musique techno européenne dont il aime à citer les collages électroniques comme une solide référence. La pop mondiale n’a pas non plus été insensible aux expérimentations des Young Gods, qui se verront cités en référence par David Bowie, The Edge de U2, Nine Inch Nails, Placebo, Queens of the Stone Age, Boris Blank (Yello) ou Noir Désir. Leur épopée originale, parsemée de chausse-trappes et de moments clés, permet de replacer définitivement ces « Helvètes underground » parmi les visionnaires de la galaxie rock.

Si la puissance de frappe et le caractère pionnier des Young Gods sont aujourd’hui avérés, leurs contours esthétiques se sont pourtant lentement dessinés. C’est d’abord le tandem formé de Franz Treichler et Cesare Pizzi qui en esquisse la forme. À la fin de 1984, ils partagent un appartement à la rue de Lausanne, à Genève. Franz Treichler y a emménagé en 1978 après avoir quitté sa ville natale de Fribourg à l’âge de 16 ans. Il souhaite suivre une filière artistique que les écoles fribourgeoises ne proposent pas et choisit de s’inscrire au collège Voltaire, qu’il fréquente de 1976 à 1980. « J’intégrais pour la première fois de ma scolarité une école mixte et, qui plus est, où tout le monde était musicien. Ça m’a changé littéralement la vie ! M’installer à Genève signifiait aussi m’émanciper du cocon familial et découvrir les joies et l’activité d’une grande ville – une métropole au regard de Fribourg – tout en étudiant l’histoire de la musique, le solfège ou l’harmonie en parallèle aux cours de guitare classique que je suivais avec un professeur du Conservatoire de Lausanne. »

À la fin des années 1970 et au début des années 1980, Genève n’est pourtant pas encore une ville très rock’n’roll, bien qu’il existe un embryon d’activisme électrique proposé dans différents lieux, dont la salle du Palladium, où l’association Changé programme quelques sommités suisses et internationales parmi une kyrielle de groupes genevois. Ces années-là, Franz Treichler découvrira Grauzone, Liliput, Trust, Motörhead, Echo and The Bunnymen, Killing Joke, Taxi Girl, Indochine et Minutemen.

Franz Treichler : « Quand on s’intéressait au rock, on se retrouvait toujours dans les maisons de quartier, comme La Traverse dans le quartier des Pâquis, dans les centres de loisirs, comme celui du Grand-Saconnex, ou dans une boîte rock comme le Cab, à la cité des Avanchets à Vernier. Un lieu qui a une existence très courte entre 1982 et 1984 mais qui a organisé beaucoup de concerts (Bo Didley, Red Krayola, Lords of the New Church ou Dr Feelgood) et de soirées disco. Plus tard, en 1984, il y a eu aussi le fameux Bouffon, un centre autogéré où sont passés Johnny Thunders, Copulation, ABT 409, Gogol 1er, King Kurt, Hüsker Dü, Maniacs ou Les Rita Mitsouko. Il y avait aussi le disquaire Sounds qui avait ouvert en 1979 à la rue de l’École-de-Médecine, dans le quartier de Plainpalais, qui était devenu un lieu de rendez-vous de la jeunesse rock genevoise en quête des nouveautés britanniques et américaines. »

Ainsi, « la cité de Calvin vit déjà un semblant d’ébullition, malgré l’absence de lieux réellement adaptés aux musiques électriques. Certes, organiser un concert rock est un parcours du combattant. Mais une poignée d’associations ou de structures privées montent des événements dans des centres de loisirs, dans les caves de squats, dans les salles municipales de la Ville de Genève et des communes, ou dans les parcs à l’occasion des festivals d’été, comme celui du Bois-de-la-Bâtie dès 1977. Même la rue, parfois, se transforme en scène ouverte lors de quelques concerts sauvages mémorables. »5

Avant de devenir colocataires, Cesare Pizzi et Franz Treichler sont surtout des amis de longue date, soudés davantage encore par le biais de la musique en général et du rock en particulier. Ils ont été réunis une première fois à Fribourg à l’enseigne post-punk éphémère de Johnny Furgler & The Raclette Machine, qui donnera par contraction Jof & The Ram, groupe formé de Heleen Wubbe (basse et chant ; future compagne et épouse de Treichler), Jacques Schouwey (batterie) et Franz Treichler (guitare et chant) qui a sorti un quatre-titres en 1981 sur un maxi éponyme. Y affleurent déjà le goût des collages et des phrases courtes chers aux futurs Young Gods, par exemple sur le titre « 3e Guerre » qui joue sur les dissonances et les cassures rythmiques.

Puis c’est le groupe de bal à succès de Pizzi, Night, qui reprend des titres de Police ou Joe Jackson et pour lequel Treichler a œuvré comme ingénieur du son, qui les rassemble. Avant que les deux complices n’empruntent des routes musicales différentes et finissent par se retrouver à Genève autour d’un nouveau projet dans lequel Pizzi, fan de funk, jouera sur ses machines comme un bassiste de funk, en s’appuyant sur les contretemps et les syncopes.

Fatigué par la vie fribourgeoise, Cesare Pizzi s’installe lui aussi au bout du Léman. Il exerce des boulots temporaires que lui offre sa formation de radio-électricien avant de se plonger corps et âme dans l’informatique naissante. « J’ai connu Franz par le biais de son grand frère Torquato, l’un de mes meilleurs amis à l’époque. Franz était déjà un guitariste classique d’exception et moi je jouais aussi un peu de guitare et de basse. La musique nous a rapprochés avant de déboucher sur une amitié fidèle. Quand j’ai voulu quitter Fribourg, où je me sentais à l’étroit pour m’installer à Genève, j’ai naturellement demandé à Franz s’il pouvait m’héberger ou me louer une partie de son appartement », se souvient Cesare Pizzi. Et de continuer : « C’est durant cette période que je me suis intéressé aux computers, par ras-le-bol de mes jobs temporaires ennuyeux de radio-électricien. Je me suis donc acheté un Spectrum puis un Apple, les premiers micro-ordinateurs des années 1980, et ai rapidement appris à programmer, construire et imaginer des systèmes pour tenter de décrocher un boulot enfin intéressant. La société Reuters m’a embauché et je me suis lancé à fond pendant deux ans dans le domaine des télécommunications entre ordinateurs, transferts de données, dans l’informatique industrielle en somme. »

« Il savait tout bricoler », se remémore Franz Treichler, encore impressionné. Mais Pizzi ne souhaite pour l’heure pas rejouer dans un groupe, déçu par la récente séparation du sien au nom prémonitoire, État de choc. Une formation rock assez classique, composée de deux guitaristes, un bassiste et un batteur qui a œuvré pendant deux ans et tenté de percer, en vain, via un concours de Guitarist Magazine. Pourtant, séduit par les esquisses de morceaux que Treichler bidouille de son côté, il se dit partant pour l’aider à les restituer et présenter sur scène. C’est donc logiquement que Pizzi finit par souder des jacks et bricoler des claviers pour le projet prototype des Young Gods, Reisebüro, tout en se passionnant pour l’informatique musicale émergente et les premiers séquenceurs. Cesare Pizzi : « Je n’avais aucun mérite, c’était facile pour l’informaticien que j’étais devenu de comprendre et programmer ce nouveau matériel audio. »

Le tandem, qui a failli se baptiser Micro Kids en raison de sa dimension technologique, rassemble rapidement quelques titres en vue d’un premier concert. « Une fois son diplôme d’enseignement de guitare classique réussi en juin 1983, Franz s’était mis à composer pour lui de plus en plus de choses plus rock et me les faisait écouter pour me demander mon avis. Et c’est donc naturellement que je me suis mis à essayer de transposer ses idées sonores novatrices sur mon premier sampler et mes machines », détaille Cesare Pizzi, C’est à l’occasion d’une soirée organisée dans un bâtiment occupé par des locaux de répétitions au sein du quartier industriel genevois de La Praille que Treichler et Pizzi révèlent leur répertoire inédit le 31 décembre 1984 lors d’un « Lonely Heart Réveillon ». « On s’est rapidement rendu compte qu’il manquait une batterie en live sur nos morceaux et c’est là que Pizzi a eu l’idée de contacter le batteur de son ancien groupe État de choc, Patrice Bagnoux. Un excellent batteur surnommé Frank Einstein en raison de sa carrure impressionnante », précise Treichler.

Le duo se mue ainsi en trio et se met à répéter dans les sous-sols de La Traverse, l’école primaire et maison du quartier des Pâquis à Genève, durant les premiers mois de 1985. Ils sont en réalité hébergés dans l’antre de Copulation (1979-1986) et ABT 409 (Abteilung 409 ; 1986-1996), deux autres groupes post-punk du musicien Bernard Trontin, futur Young Gods dès 1997, qui connaît déjà les deux compères. Dans l’esprit du premier groupe de Nick Cave, Birthday Party, Copulation pratiquait un rock en roue libre avec une dimension jazz improvisée des plus délurées et venait de figurer sur une compilation de l’internationale punk, WorldClass Punk (ROIR, 1984), écoulée à 40000 exemplaires. Trontin rejoindra ABT 409 en 1986 en tant que batteur et chanteur à la dissolution de Copulation. Bernard Trontin se remémore : « Avec Franz, on s’était connus durant la période où il était musicien de Jof & The Ram et moi membre de Copulation. On est restés en contact ensuite et on se faisait même des sessions d’écoute musicale qu’on avait baptisées “radio privée”. On s’échangeait nos coups de cœur et références dans son appartement de la rue de Lausanne sans autre perspective artistique ou professionnelle. » Et de poursuivre : « C’est comme ça que j’ai aussi fait la connaissance de Cesare et que je les ai donc vu accoucher des Young Gods un jour qu’ils s’étaient procuré une pédale d’effets Electro-Harmonix. J’avais d’ailleurs acheté la même pédale le lendemain de leur présentation et démonstration. Et la leur prêtais pour leurs premiers concerts ! »

2« The Young Gods » inMelody Maker, juillet 1987.

3 Maurits Cornelis Escher (1898-1972) est un artiste néerlandais. Il est connu pour ses gravures sur bois, lithographies et mezzo tintos souvent inspirées des mathématiques, qui représentent des constructions impossibles, des explorations de l’infini, des pavages et des combinaisons de motifs se transformant graduellement en des formes différentes.

4« The Young Gods » inMelody Maker,op.cit.

5 Mounir, Roderic et Togni, Mario, Post Tenebras Rock ; Une épopée électrique 1983-2013, La Baconnière, Genève, 2013.