Théologie Systématique, Tome I - Augustin Gretillat - E-Book

Théologie Systématique, Tome I E-Book

Augustin Gretillat

0,0

Beschreibung

Selon Augustin Gretillat, la Théologie est la science du salut par grâce. Cette belle définition, qui en appelle directement à la raison de la venue sur terre du Fils de Dieu, de sa mort et de sa résurrection, satisfera l'instinct spirituel du chrétien, rendu toujours sensible à la perdition de l'homme naturel. Mais la Théologie est-elle vraiment une science ? Oui, répond l'auteur ici, parce que comme les autres sciences la théologie se base sur une méthode générale identique, et qu'elle aussi produit des applications pratiques. Quant aux applications, Schleiermacher, au XVIII° s., avait souligné que le but de toute théologie est de rendre service à l'Eglise ; quant à sa méthode, Gretillat montre qu'elle ne procède pas autrement que par empirisme, puis synthèse. Car le Salut est avant tout un fait, non une conception intellectuelle, mais le fait historique de la venue du Sauveur. Ensuite seulement, la Théologie essaie de construire un ensemble cohérent qui rende compte de ce fait. Pour Gretillat, Dieu a rendu le Salut connaissable par l'âme humaine, avec sa foi, sa raison, ses perceptions ; ceci légitime à son sens de considérer la Théologie comme une science à part entière. Des six que comporte l'Exposé de Théologie Systématique, ce premier volume est certainement le plus difficile à lire, à cause de l'abstraction des concepts philosophiques qu'il manie, et parce que le style de Gretillat, parfois obscur et un peu ampoulé, peut laisser perplexe. Reculer devant l'effort qu'il demande, serait toutefois se priver des grandes richesses intellectuelles et spirituelles amassées dans la monumentale construction d'Augustin Gretillat, érigée à la gloire du Dieu rédempteur. Cette numérisation ThéoTeX reproduit le texte de 1885.

Sie lesen das E-Book in den Legimi-Apps auf:

Android
iOS
von Legimi
zertifizierten E-Readern
Kindle™-E-Readern
(für ausgewählte Pakete)

Seitenzahl: 460

Veröffentlichungsjahr: 2023

Das E-Book (TTS) können Sie hören im Abo „Legimi Premium” in Legimi-Apps auf:

Android
iOS
Bewertungen
0,0
0
0
0
0
0
Mehr Informationen
Mehr Informationen
Legimi prüft nicht, ob Rezensionen von Nutzern stammen, die den betreffenden Titel tatsächlich gekauft oder gelesen/gehört haben. Wir entfernen aber gefälschte Rezensionen.



Mentions Légales

Ce fichier au format EPUB, ou livre numérique, est édité par BoD (Books on Demand) — ISBN : 9782322482320

Auteur Augustin Gretillat. Les textes du domaine public contenus ne peuvent faire l'objet d'aucune exclusivité.Les notes, préfaces, descriptions, traductions éventuellement rajoutées restent sous la responsabilité de ThéoTEX, et ne peuvent pas être reproduites sans autorisation.

ThéoTEX

site internet : theotex.orgcourriel : [email protected]
Théologie Systématique I
Méthodologie
Augustin Gretillat
1885
♦ ♦ ♦Thé[email protected] – 2013 –
Table des matières
Un clic sur ◊ ramène à cette page.
Dédicace
Préface
Propédeutique
Méthodologie
I. Rapport de la théologie aux autres sciences humaines
1. Détermination de la méthode scientifique générale
I.1.1 Critique du Positivisme
I.1.2 Critique de l'Idéalisme
I.1.3 Critique du Subjectivisme
I.1.4 Conclusion concernant la détermination de la méthode scientifique générale
I.1.5 Méthode des sciences physiques
I.1.6 Méthode des sciences philosophiques
I.2. Identité de la méthode théologique avec la méthode scientifique générale
I.2.1 De l'objet spécial réservé à la science théologique
I.2.2 Rôle des diverses facultés de l'homme dans le travail théologique
I.2.3 Rôle de la foi dans le travail théologique
I.2.4 Rôle de la raison dans le travail théologique
I.2.5 Rôle du sens dans l'acquisition du savoir religieux et théologique
3. Du rang de la Théologie dans l'ensemble des sciences
II. Rapport de la Théologie systématique aux autres disciplines théologiques
II.1. Des disciplines théologiques se rapportant au fait primitif du christianisme
II.1.1 Des études analytiques
II.1.2 De la critique biblique
II.1.3 Des études synthétiques
II.2. Des disciplines théologiques se rapportant aux réalisations successives du fait chrétien
II.2.1 De la Théologie historique
II.2.2 De la Théologie pratique
III. Rapport mutuel des parties de la Théologie systématique
Index Bibliographique
Encyclopédies et Méthodologies
Histoire
Géographie et Archéologie
Ressources textuelles
Isagogique
Exégèse
Théologie biblique
Théologie systématique
Théologie historique
Théologie pratique
Journaux et Revues
Supplément
A
Monsieur Frédéric Godet
Docteur en Théologie
Professeur d'Exégèse et de Critique du Nouveau Testament
à la Faculté de Théologie indépendante de Neuchâtel

Cher et Honoré Frère !

En vous dédiant le premier ouvrage théologique sorti de ma plume, je crois n'accomplir qu'un devoir de justice tout en satisfaisant au besoin de mon cœur. Dès mes plus jeunes années, j'ai entendu avec respect et gratitude les accents de votre voix. J'eus ensuite le privilège, partagé avec tous les pasteurs et ministres neuchâtelois de ma génération, de suivre vos leçons dont vous reconnaîtrez sans doute, dans les pages qui vont suivre, de fréquents échos. Bien avant que j'eusse l'honneur de devenir votre collègue, vous fûtes pour moi à la fois un maître, un père et un ami. Surtout vous m'avez appris comment la science théologique pouvait se traduire en pratique, en sanctification, en vie, et votre parole, qui m'a si souvent instruit, m'a en même temps édifié, secouru et fortifié dans les mauvais jours. Ce sont là mes titres pour placer un nom universellement connu en tête de cet ouvrage. Votre ancienne et constante bienveillance m'est un gage de celle que vous réserverez à ce fruit d'un travail accompli à vos côtés, au service de la même Eglise et au nom du même Maître.

Votre reconnaissant et dévoué

A. Gretillat.

Neuchâtel, le 12 Janvier 1885.

◊Préface◊

C'est en 1870 que je fus appelé par le Synode de l'Eglise réformée neuchâteloise à occuper la chaire de Théologie systématique devenue vacante par la retraite de M. le pasteur et professeur Diacon. La Faculté dont je devenais membre après en avoir été l'élève, existait à Neuchâtel déjà depuis 1830, époque où elle avait reçu sa première organisation de l'autorité ecclésiastique du temps, la Vénérable Classe des pasteurs. Dès ses origines et malgré son caractère officiel, elle avait toujours conservé avec un soin jaloux son indépendance à l'égard des pouvoirs politiques, qu'ils s'appelassent gouvernement de la principauté ou gouvernement de la république. C'était depuis 1849 le Synode, comme autrefois la Classe, qui pourvoyait à la nomination et à l'entretien des professeurs de théologie et à la direction de l'enseignement, et cela sans aucun contrôle exercé de la part de l'Etat, lequel se contentait de porter à l'annuaire officiel les nominations faites à côté de lui et sans lui.

Quoi que d'autres en puissent penser, je persiste à dire que c'était là une situation privilégiée pour la Faculté de théologie de Neuchâtel, et que l'indépendance de l'enseignement théologique à l'égard des autorités politiques est dans tout pays, à la fois un postulat du bon sens et une des conditions indispensables d'une préparation saine et sûre des futurs serviteurs de l'Eglise.

Aussi, lorsqu'en 1873 la nouvelle loi ecclésiastique votée par le Grand Conseil du canton de Neuchâtel, conféra au gouvernement le droit de nomination des professeurs de théologie, nous sommes-nous rattachés, mes collègues et moi, sans aucune hésitation, à la Faculté nouvelle créée par l'Eglise indépendante neuchâteloise à l'époque de sa propre fondation.

Le cycle de mon enseignement est trisannuel, et comprend : l'Introduction à la Théologie systématique ou Propédeutique et la Dogmatique, qui forment ensemble le programme d'une année ; l'Ethique chrétienne et la Théologie biblique, dont chacune occupe à son tour une année complète.

J'offre en ce moment au lecteur la première section de la Propédeutique ou Méthodologie, en annonçant l'intention de faire suivre d'ici à quelques mois ce premier volume d'un nouveau, contenant l'Apologétique et la Canonique, et ultérieurement d'un troisième, qui contiendra la Dogmatique proprement dite.

L'exposé de Théologie systématique que je désire, avec l'aide de Dieu, publier à intervalles aussi rapprochés que possible, sera essentiellement la rédaction condensée de mon enseignement oral. C'est dire que les élèves, nombreux déjà, qui ont passé devant moi, et dont plusieurs m'ont présenté au cours de mes leçons leurs objections ou leurs propres pensées, y ont eu une part que je n'ai garde de négliger. Comme c'est là en effet un droit reconnu aux élèves de notre Faculté, je ne saurais être démenti par personne si je dis que c'est à travers le tamisage de la libre discussion que les cours de mes collègues et les miens se font et s'achèvent.

◊Introduction à la Théologie Systématique◊

Dans l'Introduction à la Théologie systématique ou Propédeutique, nous nous proposons en premier lieu : de définir l'objet et d'arrêter les limites de la Théologie systématique, en classant cette discipline théologique en son lieu et à son rang, tout d'abord dans l'ensemble des produits de la pensée humaine, puis dans l'organisme des sciences théologiques en particulier. Toutefois la position centrale qu'occupe la Théologie systématique au sein de la théologie, nous autorise et même nous oblige à traiter à propos d'elle la question de la méthode scientifique et théologique avec plus d'étendue, et à exposer en même temps que les rapports de la Théologie systématique avec les autres disciplines théologiques, les limites de celles-ci les unes en regard des autres. La Méthodologie, comprenant une encyclopédie des sciences théologiques, formera donc la première section de notre Propédeutique.

Mais cette première opération consistant à établir les règles respectives de la science théologique en général et de la Théologie systématique en particulier, ne sera pour ainsi dire qu'hypothétique. Elle suppose nécessairement connu et admis le fait religieux que nous donnons pour objet à la science qui nous occupe, et nous faisons cette supposition sur la foi d'une tradition et d'institutions dont nous ne pourrons discuter que plus tard les droits et la légitimité. Etant donné, disons-nous, le fait religieux qui se nomme Christianisme ou Révélation chrétienne, voilà comment la science humaine devra se comporter à son égard, si tant est que la science humaine doive le comprendre dans le champ de ses investigations. Etant donné le fait chrétien, voilà ce que sera la théologie, ce que sera en particulier la Théologie systématique. Et soit que l'objet de la foi chrétienne, le Christianisme, doive être tôt ou tard vérifié ou démenti par les moyens ordinaires de la critique historique et ensuite d'une enquête impartiale, il est déjà entendu que la théologie et toutes les disciplines qu'elle renferme subsistent ou disparaissent avec lui.

Il peut, à vrai dire, paraître étrange que nous nous occupions à définir une discipline qui, jusqu'à la vérification du fait auquel elle est rapportée, n'est encore au point de vue strictement logique, que la science éventuelle d'un objet hypothétique. Et qu'arriverait-il donc, si notre tentative d'apologétique avortait ? si nos investigations ultérieures nous amenaient à reconnaître que ce que nous appelons fait chrétien, révélation chrétienne, christianisme, n'est qu'un être de raison ? Nous aurions fait un travail inutile. Nous en serions pour nos frais de méthodologie. — Cette objection nous toucherait peu. Nous repousserions même ce scrupule comme attentatoire à la dignité du Christianisme, de la foi chrétienne et de la science chrétienne. Nous revendiquons sans aucune hésitation le droit de faire l'anticipation que nous avons annoncée ; d'opérer sur cette hypothèse, de raisonner sur l'admission de cet objet de foi non encore scientifiquement démontré. Se laisser arrêter par cet obstacle, qui ne serait après tout qu'un scrupule de méthode, serait concéder que la certitude du fait chrétien pourrait dépendre des démonstrations scientifiques qui en seront tentées ; laisser croire que cette certitude n'est pas le produit immédiat de l'expérience personnelle, la récompense de la pratique de la vérité. Ce serait livrer la foi aux chances heureuses ou malheureuses de cette discipline encore si controversée et si mouvementée, que l'on appelle l'apologétique du Christianisme.

Bien que tout chrétien ne soit pas et ne doive pas être un théologien, nous tenons qu'avant d'être théologien et pour l'être, il faut être chrétien et croyant, et nous prétendons venir à l'étude scientifique du fait chrétien, non pas avec des doutes et des recherches seulement, mais avec une conviction déjà formée, avec une foi déjà pratiquante et vécue. Avant même d'aborder l'étude de la théologie, et pour pouvoir l'aborder avec une conscience libre et joyeuse, nous devons être, dans notre for intime, convaincus qu'il y a une science théologique, parce qu'il y a une religion du salut ; et que cette religion est la vérité, que ce salut est un fait, parce qu'il y a par le monde des sauvés et des saints.

Cependant cette certitude, suffisante pour la pratique individuelle, et qui d'ailleurs, fille de l'expérience personnelle de la vérité, engendre à son tour des expériences toujours nouvelles et plus actives de la vérité, ne peut se dispenser de se présenter tôt ou tard, elle aussi, à la barre du tribunal de la critique scientifique. Il faut que la foi, la vie chrétienne, devenue consciente d'elle-même et de sa formule, se rende compte, du moins par l'organe des hommes appelés à cette tâche, des raisons que le croyant peut avoir à opposer à la raison incroyante ou incrédule ; des arguments que la religion chrétienne peut faire valoir en sa faveur ; à tout le moins, de l'insuffisance ou de l'illogicité des objections qui lui sont faites.

Après avoir, dans une première section, traité hypothétiquement de la science du fait, nous aurons donc à entreprendre dans une seconde la vérification du fait lui-même, c'est-à-dire qu'à la Méthodologie des sciences théologiques succédera dans notre système l'apologie du Christianisme ou Apologétique. A vrai dire, cette seconde partie de notre programme devra débuter par une définition du terme même de Christianisme, sujet dans tous les temps et aujourd'hui plus que jamais, à tant de malentendus, et cela de peur qu'il ne nous arrive d'appliquer notre travail apologétique à une conception particulière du Christianisme, au produit de notre propre raison ou de notre préjugé, plutôt qu'au fait historique et authentique, auquel seul répond ce nom propre dans le langage des chrétiens.

Cependant cette vérité chrétienne qui fait l'objet à la fois de la science chrétienne et de la foi chrétienne, a été transmise dès ses origines à travers les siècles jusqu'à la génération dont nous sommes les membres. Comment et par quels organes ou par quels documents cette transmission s'est-elle faite ? Quels degrés de crédibilité méritent ces organes ou ces documents, qu'ils se nomment tradition orale, autorité ecclésiastique ou Ecriture-Sainte ? Et c'est ainsi qu'après la vérification historique du fait qui fera l'objet de notre seconde section, il nous restera à traiter du caractère canonique attribué par l'Eglise aux documents primitifs de la Religion chrétienne, et à nous demander, une fois ce caractère reconnu, quels critères nous permettront de distinguer les documents canoniques de ceux auxquels ce titre doit être refusé ou peut-être même retiré. Ce sera le sujet de la Canonique.

Remarques

1. La plupart des matières que nous renfermons dans la Propédeutique forment d'ordinaire en Allemagne la première partie de la Dogmatique. Cette disposition nous parait vicieuse en ce qu'on attribue à la dogmatique spécialement, maintes matières introductives, supposées aussi bien par l'éthique que par la dogmatique, et également indispensables à l'une et à l'autre, comme, par exemple, les questions d'apologétique et de canonique.

2. Souvent aussi les matières que nous venons d'énumérer, sont décomposées en deux expositions particulières dont le lien avec l'ensemble est conçu diversement. L'Encyclopédie ou Méthodologie des sciences théologiques et l'Apologétique apparaissent alors comme des disciplines isolées et autonomes. Nous eussions pu être tenté, nous avons même été sollicité de détacher cette dernière, entre autres, de l'Introduction à la Théologie systématique, pour en faire le premier terme de la trilogie : Apologétique, Dogmatique, Ethique. Nous ne nous sommes pas rendu à des raisons qui nous paraissaient suggérées plutôt par le goût de la symétrie que par le principe plus essentiel de l'unité organique. Nous eussions eu devant nous trois fragments détachés, dont la synthèse eût dû être recherchée après coup ; et d'ailleurs, bien des questions relativement importantes nous auraient échappé, qui tout en figurant à l'aise dans une Introduction à la Théologie systématique, seraient manifestement sorties du cadre d'une apologétique proprement dite.

Est-il prudent d'ailleurs et serait-il opportun d'annoncer en grandes lettres, une apologie du Christianisme, à un moment où la nécessité de cette discipline, les moyens qu'elle peut mettre en œuvre et l'objet même auquel elle doit s'appliquer, sont livrés à des discussions plus ou moins ardentes ? N'est-ce pas mettre d'avance les partisans timides en défiance, et adresser à l'adversaire une provocation peut-être téméraire, que d'afficher si haut le dessein de confondre les attaques dirigées contre la foi des chrétiens ? Sans mettre un seul instant en doute la valeur objective des arguments que la religion chrétienne a toujours fournis à ses défenseurs autorisés, nous avons cru, en ce qui nous concerne, qu'il était plus modeste et plus prudent de faire de l'apologétique, pour ainsi dire, sans ostentation et sans solennité, en en faisant le sujet de la deuxième section de notre Propédeutique.

3. Nous avons jugé important, en revanche, de détacher le sujet de notre troisième section, la doctrine du Canon des Saintes-Ecritures, de celui de la deuxième, la vérification du fait chrétien, dont il faisait partie intégrante dans l'ancien système apologétique. Nous avons tenu à rompre la solidarité préjugée si souvent entre la crédibilité du fait historique et l'autorité à attribuer aux documents réputés canoniques de ce fait ; à établir indépendamment les uns des autres les résultats de l'apologie de la religion chrétienne et ceux de l'examen du Canon des Saintes-Ecritures. L'ancienne apologétique remontait du document au fait, de l'autorité et de l'authenticité du Livre une fois démontrée à l'autorité et à la crédibilité du fait surnaturel contenu dans la Révélation. Le principal inconvénient de cette marche était que les attaques portées à l'Ecriture-Sainte, et surtout à telle ou telle conception de l'inspiration des Saintes-Ecritures, atteignaient du-même coup le fond même de la croyance chrétienne, la foi à la révélation du salut. Or le Christianisme a existé avant les documents qui nous en ont transmis la substance, et il est permis de supposer soit un mode de transmission de la révélation chrétienne à travers les âges différent de celui de l'écriture, soit le cas d'un homme qui, tout en adhérant pleinement au fait chrétien, rejetterait pour une raison ou pour l'autre l'autorité des documents sur lesquels l'Eglise appuie sa foi. Cet homme ferait une perte sans doute, mais non pas celle du salut, et il pourrait être encore, dans cette situation incomplète, un témoin fidèle et utile de la vérité qui est en Jésus-Christ.

En cherchant à définir et à vérifier le fait chrétien dans notre deuxième section, nous aurons donc à faire totalement abstraction de l'autorité dogmatique de l'Ecriture-Sainte ; nous devrons nous passer dans notre opération apologétique de cet article de foi ; nous n'emploierons l'Ecriture qu'à titre-de document historique contemporain ou du moins fort rapproché des faits, afin que les résultats quelconques de nos recherches ultérieures sur la valeur canonique des documents primitifs du Christianisme, ne puissent pas invalider les résultats déjà acquis sur la réalité historique du fait lui-même.

Notre Introduction à la Théologie systématique ou Propédeutique comprendra donc trois sections intitulées : Méthodologie, Apologétique, Canonique.

◊MÉTHODOLOGIE◊

Si la théologie est la science qui a pour objet le fait chrétien, la Méthodologie des sciences théologiques est la science de cette science.

Remarque

Que la théologie soit cela, c'est ce que nous admettons provisoirement à titre d'axiome. Car comment supposer un seul instant que la théologie ne traite pas principalement du Christianisme et de la foi chrétienne ? Nous affirmons d'ores et déjà au nom du bon sens, et en attendant, s'il en est besoin, une démonstration ultérieure, que la théologie est la science du fait chrétien ou qu'elle n'est pasa.

Mais la théologie, telle que nous venons de la définir, elle et son objet, est-elle réellement une science ? peut-elle en être une ? Y a-t-il un rapport possible, n'y a-t-il pas incompatibilité absolue entre ces termes : science et foi, et ne commettons-nous pas une véritable incongruité en les réunissant dans l'expression : science de la foi ?

Et en effet, parmi les questions débattues dans le domaine de l'intelligence, et qui se posent toujours à nouveau devant chaque génération, depuis que la foi est devenue une puissance sur la terre, il n'est pas de problème qui ait plus travaillé l'humanité pensante, que celui du rapport de la science et de la foi. Depuis, dis-je, le jour où la science illicite fut promise à l'homme en ces termes : « Vous serez comme des dieux, connaissant le bien et le mal, » et cet autre jour où « Abraham crut à Dieu et où cela lui fut imputé à justice, » l'on peut dire que l'antagonisme a duré, s'est perpétué à travers même les ténèbres du moyen âge, entre ces deux forces humaines, et est allé croissant jusqu'à aujourd'hui.

Tantôt, et c'est là en particulier une des tendances du temps actuel, les deux termes sont opposés l'un à l'autre d'une manière absolue, et cela tour à tour au profit de la science ou à celui de la foi. Dans le premier cas, l'on dit que la science repousse sa rivale, que les progrès de l'une marquent les déclins successifs de l'autre, que celle-ci n'est qu'un pressentiment toujours en partie inconscient et désordonné des résultats lucides et authentiques obtenus par la raison de l'homme ; que la foi, c'est-à-dire la superstition, diminue de tout ce dont s'accroît le savoir.

« La foi, dit M. Rambert dans la préface de son livre sur les poésies de Vinetb, s'efface devant le savoir, de la même façon qu'une vague lueur pâlit devant une lumière réelle.

Ce fait si simple, continue-t-il, n'est pas compris de tout le monde. Au dire de quelques personnes, les lumières de la foi seraient plus vives que celles du savoir. Il y a là une illusion d'optique facile à expliquer. Le savoir procède de l'intelligence. La foi participe de la nature des mobiles qui agissent sur la volonté. Il y a de la passion dans la foi ; on s'y attache avec ferveur, et c'est cette ferveur que l'on prend pour de la certitude. Néanmoins l'histoire prouve que lorsqu'il y a eu conflit entre le savoir et la loi, le savoir a toujours eu le dernier mot ; il a pour lui le temps qui dissipe les illusions.

On peut envisager le savoir comme maître d'un petit domaine enclavé dans le vaste empire de la foi. Ce domaine s'agrandit. Chaque jour le savoir s'annexe quelque province conquise sur l'empire de la foi. Finira-t-il par l'absorber tout entier ? A première vue, on pourrait croire que ce n'est qu'une question d'années ou de siècles, mais en y réfléchissant, on se convaincra que le savoir n'a pas beaucoup plus de chances d'atteindre aux limites de la foi qu'un homme n'en aurait d'atteindre aux limites de l'espace en marchant toute sa vie ou même pendant un nombre illimité de vies.

C'est que réellement il n'y a aucune limite, si reculée soit-elle, aux visées de la foi. Elle se plaît aux profondeurs où ne pénètre pas le moindre rayon de lumière de la science. »

Nous n'examinerons pas à ce propos s'il n'y a pas aussi une ferveur scientifique peu propice à l'impartialité ; si le savoir soi-disant neutre et désintéressé n'a pas aussi ses fanatismes. Nous notons en passant l'aveu de l'auteur qu'il y a pourtant des domaines de la foi inaccessibles à la science, et que celle-ci par conséquent ne saurait s'annexer, puisqu'il ne lui est pas même donné d'y mettre le pied. Mais le passage précité nous intéresse avant tout comme un des manifestes du parti qui statue l'opposition de la science et de la foi, et résout le conflit entre elles aux dépens de la foi.

Cette solution qui est régnante aujourd'hui, n'est que le résultat de la réaction provoquée par son extrême contraire, dont la loi de la solidarité qui unit les pères aux enfants, nous condamne à subir les contre-coups. Ceux qui aujourd'hui ont juré de faire évanouir la foi devant la science, ne sont que les imitateurs des siècles et des écoles qui d'une façon tout aussi injuste, avaient entrepris d'asservir la science à la foi, tout en attachant d'ailleurs ce dernier nom à des convictions imposées par une autorité extérieure et armée d'une force coercitive. C'est ainsi que dans le moyen âge, la philosophie, en sa qualité de représentante de toutes les sciences humaines, avait reçu l'épithète d'ancilla theologiæ. On eût mieux fait encore de dire : serva theologiæ, alors qu'une tradition anxieuse prétendait tracer à l'histoire de l'humanité et de la nature, les limites étroites et rigides dans lesquelles la science et la foi étouffaient toutes deux ensemble.

Un troisième parti s'est présenté, et dès le moyen âge déjà, aux esprits opportunistes qui répugnent à trancher définitivement les débats : celui de conserver la dualité des termes, tout en statuant l'indépendance mutuelle des choses qu'ils signifient. Que la science et la foi, dit-on, s'ignorent donc l'une l'autre ; que chacune des deux se renfermant dans son isolement respectif, assiste sans dédain comme sans fanatisme au travail de production de l'autre ; que même les représentants des deux partis puissent se contredire sur le même fait sans conséquences, et sans se croire obligés de procurer entre ces données divergentes des conciliations inutiles ou illusoires.

La part de raison qu'il nous sera permis de reconnaître à cette manière de voir, c'est que toutes les questions et toutes les vérités ne sont pas accessibles en tout temps, en tout lieu, ni à tous. Il y a dans le grand banquet de l'existence le lait pour les enfants et la viande pour les forts. Parmi les hommes enseignés, il y a les mineurs et les infirmes, auxquels il serait inutile et par conséquent nuisible de présenter sans la préparation voulue certains résultats, parussent-ils même définitivement acquis, de la critique historique :

Maxima debetur puero reverentia,

a dit le poète païen ; et le même précepte de discernement qui n'est qu'un précepte de charité, recommandé par l'Apôtre dans l'usage des aliments (Rom.14.15-20), trouvera maintes fois son application dans la dispensation des doctrines.

Mais ce qui n'est pas admissible, c'est que les précautions nécessitées dans la divulgation des résultats scientifiques par l'infériorité spirituelle de quelques-uns, soient interprétées comme des aveux de la défiance que la science s'inspirerait à elle-même, ou bien encore que telles recherches légitimes, utiles et nécessaires à la bonne organisation du corps tout entier, soient d'avance frappées de suspicion, et pour ainsi dire mises sous séquestre, à raison des périls qu'elles pourraient vous faire courir, ou de l'inutilité que vous leur attribuez. Que de gens en effet qui sans s'être donné la peine ou sans avoir eu le temps d'examiner d'autres données que celles de leur propre lui, sans oser d'ailleurs nier absolument le droit à l'existence de bien des faits situés en dehors du domaine de leurs certitudes immédiates, interdisent à toute question d'apparence hétérogène l'accès de la retraite où s'est renfermée leur pensée.

Mais on aura beau faire : les questions se posent et se poseront, et leurs solutions diverses finiront par rejaillir en dedans des clôtures les mieux jointes. A vouloir prévenir à tout prix le choc en retour du savoir sur la croyance en empêchant leur rencontre, on ne réussit souvent qu'à engendrer le scepticisme qui est la scission de la vérité en deux ou plusieurs fractions. Déjà l'on entend du bord opposé parler d'une vérité scientifique ou théologique, qui serait distincte de celle qui sauve les petits et les humbles, et s'ajusterait, sans rien perdre de sa légitimité, aux différents états des esprits. Déjà s'annonce la prétention et l'effort de morceler la vérité religieuse et morale, à l'instar des idoles offertes à la dévotion populaire. Mais la vérité répond à tous ces opérateurs de droite et de gauche qu'elle est et veut être une, universelle, inviolable dans tous ses ordres et à tous ses degrés ; et avec un penseur chrétien, nous ajoutons à l'adresse de tous ses défenseurs maladroits, qu'en aucun cas, il ne saurait y avoir de vérité contre la vérité !

A ces débats suffisamment irritants, se sont ajoutées les disputes de préséance entre la philosophie et la théologie ; et aujourd'hui même, la lutte pour l'existence s'est engagée entre la théologie et la philosophie d'une part, taxées toutes deux ensemble d'idéalisme et de métaphysique, et les sciences dites exactes de l'autre. Disons plutôt que l'antique querelle de la science et de la foi s'est rallumée dans une enceinte plus restreinte et sous des espèces plus concrètes.

L'objet de la discussion varie en effet, et se déplace sur le grand théâtre où s'agite la pensée humaine. Le doute porte plus haut et plus loin, puisqu'il va s'attaquant aux éléments même de la religion et de la morale. C'est aujourd'hui la croyance à l'existence de l'esprit, à la dualité des substances qui est allée rejoindre, au jugement d'hommes toujours plus nombreux, les antiques phénomènes des religions révélées, et toute philosophie qui part de ces prémisses élémentaires, toute métaphysique affirmant un fait supersensible quelconque, est proscrite du rang des sciences au même titre et avec le même empressement que celles qui se réfèrent à des témoignages réputés surnaturels. Le positivisme contemporain s'oppose tout ensemble à la philosophie spiritualiste, à la théologie et aux religions, comme la science à la foi. Devenu aussi exclusif à son tour que la philosophie et la théologie avaient pu l'être, il n'admet pas d'autre objet de la connaissance que les faits sensibles, seuls qualifiés de réels, ni d'autre science que l'histoire naturelle.

Il nous paraît, quant à nous, que le πρῶτον ψεῦδος de toutes ces rivalités a consisté à considérer la science et la foi comme deux quantités absolues, deux personnes morales indivisibles, et susceptibles par conséquent d'être opposées comme deux termes exclusifs l'un de l'autre. Dans ce partage, les uns se rangent sans discussion préalable du côté de la science, au compte de laquelle ils portent résolument leurs recherches, leurs études, leurs opinions, leurs doutes même et leurs ignorances. Placés sous leurs propres auspices, leur science et eux-mêmes sont devenus la science. Les autres ont à se ranger modestement ou sont rejetés avec plus ou moins de compassion du côté de la foi.

Cette distribution de rôles nous paraît contraire à la réalité des faits aussi bien qu'à la justice, soit que nous considérions le sujet auquel sont attribuées soit la science soit la foi, ou les objets et les domaines auxquels ces activités s'appliquent.

Quant au premier point, nous consultons que les deux termes en présence désignent deux facultés humaines que l'on ne saurait rencontrer qu'à l'état fragmentaire chez l'individu ; que parler de la science et de la foi, c'est une façon brève de désigner la science d'un homme particulier ou la foi d'un homme particulier, mais qu'aucun individu humain ne saurait être qualifié ni tout savant, ni tout croyant.

D'autre part, disons-nous, les objets et les domaines auxquels ces facultés s'appliquent, ne sont jamais si bien séparés les uns des autres que nous puissions reconnaître d'un côté une science réellec, issue tout entière de la raison pure et isolée de toute donnée de l'ordre phénoménal ou de l'ordre moral ; et de l'autre, une religion n'offrant à l'homme que des objets à croire sans aucun appel fait à sa raison ou à ses sens.

Sans prétendre préjuger la question qui va être débattue, celle de savoir si la théologie est une science, tous conviennent qu'elle est, à tout le moins, dans un domaine particulier et à déterminer plus tard, un ensemble de connaissances. Au-dessous même de la théologie, il est évidemment nécessaire qu'il y ait des notions précises ou non, vraies ou fausses, pour former ce qu'on appelle une religion. A plus forte raison, le Christianisme, qui est avant tout, sans doute, un fait et une vie, mais qui contient une doctrine relative à ce fait, a-t-il dû s'adresser à l'intelligence de ses sectateurs en même temps qu'à leur cœur et à leur volonté. La théologie ne représente dans l'ordre religieux que le degré supérieur de cette élaboration intellectuelle. Elle se l'apporte évidemment au fait qu'elle renferme et qui lui a donné naissance, comme la conscience complète de l'être à l'être lui-même. Ce sera à tout le moins le fait défini quant à sa nature, ses parties, ses limites, ses origines. Mais à aucun degré, il ne saurait y avoir de connaissance religieuse sans foi, pas plus qu'il n'y a de foi qui ne soit accompagnée et même formée d'une certaine connaissance religieuse.

Tel sera en effet le premier résultat que nous nous efforcerons d'établir. Nous rechercherons dans une première section, d'une manière tout à fait générale, et en suivant l'ordre génétique de nos connaissances, les rapports mutuels de la faculté de savoir et de celle de croire dans la production de toute connaissance réelle. Le résultat obtenu sera de fixer, si nous réussissons dans notre propos, la place et le rôle de la foi jusque dans le domaine plus spécialement dévolu à la science ; dans les sciences physiques et naturelles, couronnées elles-mêmes par cette branche du savoir humain si justement appelée métaphysique — ; et en même temps, la place et le rôle du savoir jusque dans les domaines plus spécialement attribués à la foi : la religion et la théologie.

Nous protesterons, chemin faisant, contre le préjugé régnant, selon lequel l'objet de la science ne serait que le fait sensible et matériel, comme s'il n'y avait pas des faits, c'est-à-dire des réalités supersensibles, rationnelles ou morales, et par conséquent des sciences dignes de ce nom ayant pour objet ces réalités et ces faits.

Nous tirerons de ces prémisses une première conclusion importante : c'est que la théologie est une science au même titre et du même droit que toute autre, en ce qu'elle ressemble à toute autre science par une méthode commune à toutes, et qu'elle n'en diffère, comme d'ailleurs toutes les autres sciences les unes des autres, que par l'objet qui lui est propre.

Nous répondrons ainsi tout ensemble à ceux qui voudraient avilir ou annuler la théologie, en l'excluant d'un domaine où elle est chez elle tout aussi bien que la physique et la philosophie, et à ceux qui pensent au contraire lui faire honneur en la mettant hors de pair, en lui attribuant des procédés, des règles et des droits d'exception.

Nous dirons 2o : Etant donnés le rang et le rôle de la théologie dans l'organisme des sciences humaines, quel est spécialement le rang et le rôle de la Théologie systématique dans l'ensemble des disciplines théologiques ? — et 3o : Quelles sont les principales divisions de la Théologie systématique elle-même ?

Cette marche concentrique de notre exposition donnera naissance aux trois articles suivants :

I.

Du rapport de la théologie aux autres sciences.

II.

Du rapport de la Théologie systématique aux autres disciplines théologiques.

III.

Du rapport mutuel des parties de la Théologie systématique.

Remarque

L'ordre des parties que nous venons d'indiquer, le relief que nous donnons dans le plan de cette Section à la Théologie systématique, et spécialement la transposition dans un article troisième et final de la définition de ses parties, ne se justifieraient pas sans doute dans un exposé autonome d'encyclopédie, dont toutes les sections seraient proportionnées les unes aux autres à raison de leur valeur intrinsèque. Mais cette disposition nous était commandée par le caractère introductif de notre Méthodologie dans un plan d'ensemble, dont toutes les parties convergent vers la Théologie systématique.

◊IRapport de la théologie aux autres sciences humaines◊

Le sujet qui vient d'être énoncé renferme une double question : celle de savoir si la théologie occupe un rang dans l'ensemble des sciences humaines, et si oui, lequel.

Encore pour résoudre la première de ces questions, faut-il s'être préalablement entendu sur la définition du terme de science, puis décider si la théologie répond à cette définition.

L'exposé de cette matière donnera donc naissance à trois chapitres dont les sujets nous paraissent solidaires les uns des autres :

Chapitre I : Détermination de la méthode scientifique générale ;

Chapitre II : Identité de la méthode de la théologie avec la méthode scientifique, d'où se tirera notre conclusion en réponse à la première question posée : La théologie occupe-t-elle un rang dans l'ensemble des sciences humaines ? et la seconde question posée tout à l'heure sera traitée dans un chapitre III, intitulé :

Du rang de la théologie dans l'ensemble des sciences.

◊1. Détermination de la méthodescientifique générale◊

Une science au sens propre du mot est autre chose et plus qu'une somme plus ou moins considérable d'informations sur un sujet donné. Tout être intelligent, le plus ignorant même, a déjà acquis des connaissances élémentaires innombrables dans tous les domaines qui confinent à l'existence du moi et intéressent ou sollicitent son activité quotidienne : physique, histoire, psychologie, philosophie, religion ; et la faculté même du langage, pour ne nommer que celle-là, suppose dans l'intelligence même la plus inculte, une multitude d'exercices faits et de notions acquises. L'être simple, sans aucune conscience du moi ni du non-moi, ne se rencontre dans l'espèce humaine que chez les nouveau-nés et chez les idiots. Tout homme est un être connaissant ; « un roseau pensant, » a dit Pascal ; mais les savants sont rares.

Or la différence que nous faisons entre un agrégat de choses sues et une science particulière, ne consiste pas seulement en ce que les données acquises à la science sont plus nombreuses et plus complètes que celles que procure au premier venu l'éducation commune ; mais principalement dans le fait que les connaissances élémentaires qui composent le fonds commun des intelligences, naissent à la suite les unes des autres dans le commerce de la vie, et par l'échange incessant des pensées entre les hommes ; qu'elles sont appelées dans mon esprit, non par quelque loi d'affinité intime, par quelque principe génétique, mais par les vicissitudes fortuites de mon existence ; tandis que toute science digne de ce nom est régie par une synthèse plus ou moins rigoureuse ; elle suppose une méthode ; elle réclame une coordination de ses matériaux, une discipline exercée dans son sein, dont l'effet sera l'élimination de tout élément étranger à l'organisme qu'elle s'est créé. Toute science constituée a été à tout le moins une prise de possession définitive de données qui étaient jusqu'alors demeurées éparses et partant infécondes sur le sol de l'intelligence.

Toutefois comme les connaissances multiples et élémentaires accumulées dans les différents domaines qui sont régis chacun par une science particulière, forment les premières et nécessaires assises de l'édifice scientifique, comme tout savoir a du prendre son point de départ dans ces premiers éléments et doit incessamment les retenir, il faut, pour arriver à la détermination de la vraie méthode scientifique que nous cherchons, commencer par l'analyse du fait intellectuel élémentaire.

Nous demanderons donc avant tout, comment se forment et se sont formées toutes les connaissances qui peuplent notre esprit dans les principaux ordres de faits qui nous intéressent : histoire naturelle, humanités, théologie. Nous demanderons quels sont les facteurs premiers de ces connaissances qui sont elles-mêmes les facteurs premiers de chaque science, et nous chercherons à en suivre le développement en nous arrêtant aux points où ces premiers acquis du savoir font masse, s'ordonnent, se systématisent, et aspirent à constituer une discipline scientifique particulière. Pour comprendre en effet la nature d'un produit quelconque de nos facultés, ne faut-il pas, ici comme en toute chose, être remonté aux origines ; avoir assisté, pour ainsi dire, aux premières élaborations de ce produit et aux premières actualisations de ces facultés ?

Considérations préliminaires. — Analyse des facteurs premiers de la connaissance.

En interrogeant notre raison et notre expérience, nous nous convaincrons aisément que les facteurs primitifs de toute connaissance et de toute science par conséquent, peuvent se ramener à trois, que nous désignerons comme suit : le sens externe, la raison et le sens intime ; cette dernière expression devant répondre dans notre pensée au terme de νοῦς employé dans le Nouveau-Testament.

Le νοῦς n'est pas la raison logique, car il n'opère pas par la dialectique, et son critère est l'évidence morale ; ni la conscience, car c'est un organe appartenant à l'homme et régi par la volonté ; ni le πνεῦμα, car il fait déjà partie intégrante de la nature humaine originelle ; ni la volonté elle-même, car il est essentiellement organe de connaissance, et la volonté n'est que son auxiliaire. Le νοῦς est cette faculté d'intuition immédiate des choses qui ne sont ni de nature sensible, ni d'essence purement rationnelle. Le νοῦς, ce que nous appelons le sens intime, est en l'homme, l'organe aperceptif de l'invisible, du fait moral, du divin.

Le sens externe, la raison et le sens intime désignent donc pour nous les trois organes primitifs auxquels se rattache nécessairement toute acquisition du savoir ; et les trois opérations primordiales de la connaissance seront la sensation, le raisonnement et l'acte d'adhésion au fait attesté au sens intime, la foi : ce dernier terme entendu dans son acception la plus vaste, et comprenant toute appropriation de vérité de l'ordre supersensible.

En d'autres termes : nous savons une chose, soit pour l'avoir perçue par un de nos sens, soit pour l'avoir rationnellement conçue ou déduite d'une vérité antécédente, soit pour avoir cru à la réalité de cet objet ; ou enfin, ensuite des combinaisons diverses et qui seront analysées ultérieurement, de ces différentes opérations.

Or nous annonçons d'avance que l'effort de notre argumentation tendra à établir qu'aucune connaissance réelle ne saurait, dans aucun domaine, être issue uniquement du fonctionnement d'un de ces trois organes.

Etant donnés les organes primitifs et les opérations primordiales de toutes nos connaissances, nous demandons ensuite : Quels sont les objets divers aux quels ces trois opérations élémentaires se rapportent, qui correspondent à ces trois organes primitifs, producteurs de toute connaissance ? Quels sont les objets perçus par le sens externe, par la raison ou par le sens intime ? et enfin : Quelles seront les catégories de l'être dont relèvent à la fois ces objets, ces organes et ces opérations, considérés encore dans leur isolement respectif ?

L'objet auquel se rapporte le sens est le phénomène, terme par lequel nous désignons les faits divers de l'existence matérielle ou spatiale, qui affectent spécialement l'un ou l'autre de nos sens corporels. L'objet auquel se rapporte la raison est le théorème qui est l'élément purement idéel de la connaissance, soit que la raison l'ait déduit des axiomes qu'elle porte en elle-même, soit qu'elle le dégage par le raisonnement pur des choses auxquelles il est impliqué.

L'objet auquel se rapporte le sens intime enfin dans l'opération que nous appelons la foi, est le noumène : terme dans lequel nous renfermons tous les faits qui ne ressortissant exclusivement ni à la sensation ni au raisonnement pur, contraires peut-être même aux analogies de l'ordre sensible ou de l'ordre logique, sont certifiés au sujet par un témoignage, c'est-à-dire par une affirma lion immédiate, dont l'auteur n'importe pas encore ici ; sont affirmés, dis-je, comme étant cependant. L'objet de ce témoignage, le noumène, vu donc se placer dans l'ensemble de mes connaissances à côté des éléments précédents : le phénomène et le théorème, et se combinant aussitôt avec les notions d'origine sensible ou idéelle, il concourra avec elles à la formation de connaissances nouvelles, au profit et en vue du perfectionnement de la personnalité tout entière.

C'est que le noumène, objet de foi, ne se présente jamais au sujet qu'entouré d'une certaine autorité morale, qui porte en elle-même, sinon le caractère de l'infaillibilité, du moins celui de la véracité, de l'immédiateté, de la crédibilité au point de vue du sujet. La certification immédiate du témoignage au sens intime, émane donc d'un ordre de choses manifestement différent de l'ordre phénoménal ou sensible et de l'ordre idéel, pour ne pas dire déjà qu'il est supérieur à tous les deux. La catégorie à laquelle ressortit le phénomène est celle de l''étendue ; c'est évidemment la plus infime ; celle à laquelle ressortit le fait idéel est l'ordre du vrai, mais de la vérité logique nécessaire ; la catégorie à laquelle ressortit le témoignage, est celle du Bien, que nous nous contentons de nommer ici sans le définir, et en faisant provisoirement appel, pour s'en faire l'idée, à l'instinct de chacun. Nous voulons dire que le fait du témoignage suppose chez celui qui en est l'auteur, la présence, fût-ce à un degré minime, de l'élément moral ; et chez celui qui le reçoit, le préjugé de l'existence et de la réalité du Bien dans l'universd.

Notre assertion ne sera pas contestée toutes les fois que le contenu du témoignage sera un fait spécifiquement religieux ou moral. Elle paraîtra peut-être téméraire dans les cas si nombreux qui, ressortissant au cours ordinaire de la vie, seront jugés étrangers à la catégorie morale. Il est évident que, dans notre existence quotidienne, la part du témoignage dans l'acquisition de nos connaissances est très importante, et que la plupart des choses que nous savons, nous ont été rapportées. Mais nous nous faisons fort de montrer que, même dans les cas les plus vulgaires, l'ordre moral préside à la certification du témoignage ; que tout témoignage rendu sur les objets les plus indifférents à l'ordre moral est encore placé sous la garantie du Bien ; que la connaissance acquise par la voie du témoignage suppose à tout le moins chez moi la foi à l'ordre moral qui régit les rapports entre le moi et le non-moi.

Prenons un exemple : je sais que New-York, que Jérusalem existent. Comment cette certitude est-elle entrée en moi et y est-elle entretenue ? Ce n'est pas par le médium du sens, si je ne suis jamais sorti d'Europe ; ce n'est pas non plus par la voie du raisonnement pur ; car il n'y a aucune nécessité logique à ce qu'il existe deux villes appelées New-York et Jérusalem. Ce ne peut donc être que par la voie de la foi, et pour avoir donné créance aux innombrables témoignages des innombrables témoins qui sont revenus de Jérusalem ou de New-York. Mais, à vrai dire, si quelque monomane s'avisait de récuser tous ces témoignages, prétendant que tous leurs auteurs se sont accordés pour me tromper ou que leurs sens les ont trompés eux-mêmes, il n'y aurait pas d'autre parti à lui conseiller que d'aller faire une vision locale. Donc le seul fondement de ma foi à l'existence de ces deux villes, est la présomption de bonne foi que j'accorde sans aucune contrainte ni du sens ni de la raison, aux innombrables témoins dont je parlais tout à l'heure.

Il y a donc dans toute foi, quel qu'en soit l'objet, et si neutre qu'il nous paraisse, supposition de bonne foi ; c'est-à-dire que les connaissances que j'ai acquises touchant les faits situés en dehors du contrôle de mes sens ou de ma raison, sont placés sous la garantie de l'ordre du Bien qui régit l'univers et des représentants de cet ordre qui font plus ou moins autorité pour moi. Toute foi suppose que l'existence humaine est organisée de telle sorte que les perceptions reçues par le moi soient les fidèles représentations du non-moi ; que dans mes relations apparentes avec la nature et avec mes semblables, avec mon corps même, je ne suis pas la victime d'une universelle hallucination, d'une continuelle mystification ; que je vois, entends, sens, vis, existe dans l'état que mes facultés m'enseignent ; et pour le moment, arrêtant notre ascension à ce degré qui suffit à notre démonstration actuelle, nous nous abstiendrons de nous demander si oui ou non cette foi à l'ordre universel du Bien renferme et suppose la croyance à un Etre suprême et personnel, garant du Bien lui-même.

Un préjugé généralement répandu consiste à attribuer exclusivement à l'objet de la foi, et tout spécialement de la foi religieuse, le caractère de l'autorité, en opposant cet ordre de l'existence à ce qu'on appelle le domaine de la recherche scientifique ou de la libre pensée. Selon ce préjugé habilement entretenu par la littérature courante, la connaissance religieuse et morale serait nécessairement instinctive et irraisonnée ; toute foi religieuse et morale serait fides implicita, tandis que l'acquisition des connaissances dites exactes et positives, ou l'exercice de la raison, étant exempts de toute influence étrangère à l'intérêt du savoir, seraient seuls à sauvegarder l'indépendance et la dignité du sujet.

Est-il donc vrai que je ne sois vraiment libre dans le développement de ma personnalité, que lorsque j'en appelle soit au sens, soit à la raison comme facteurs de connaissances, et que la foi ou l'adhésion à l'autorité morale d'un témoignage, soit nécessairement un acte d'assujettissement de moi-même à un autre ? Il est vrai que nous venons de joindre les deux termes d'autorité et de témoignage en parlant de l'objet offert à la foi. Mais qu'est-ce à dire ? Un instant de réflexion suffira à nous convaincre que si l'on parle de contrainte dans l'acte de la foi, ce caractère est commun aux deux autres opérations, la sensation et le raisonnement, aussi bien qu'à elle-même ; et que si l'on parle de liberté, il y en a plus dans l'acte de la croyance que dans le fait purement sensible ou dans l'acte purement intellectuel.

Nous disons d'abord que l'objet phénoménal ou l'objet purement rationnel s'imposent au sujet avec autant de contrainte que l'objet du témoignage peut le faire, sans que d'ailleurs ils soient revêtus pour cela d'une évidence supérieure.

Voyons d'abord la sensation. Aussitôt que, volontairement ou non, j'ai placé mes sens sous l'action du phénomène, il est constant que ce dernier est devenu une puissance pour moi, une cause de contrainte, et dans un certain sens une autorité ; car, comme l'a dit Rousseau, le pistolet qu'on braque sur ma poitrine est aussi une puissance. La cause du phénomène avec laquelle, volontairement ou non, je suis entré en rapport, est un facteur avec lequel, bon gré mal gré, je dois désormais compter, auquel mes sens se rapportent plus ou moins passivement ; et l'évidence de ce phénomène pour moi est en raison directe de l'intensité de la perception causée à mes sens. Mais comme on cite des cas nombreux de perceptions très fortes auxquelles ne répondait aucune cause réelle et objective, on devra reconnaître que cette évidence sensible, si immédiate qu'elle paraisse, et si coactive qu'elle soit, n'est encore que relative, et est en tout cas d'un ordre inférieur.

De même, lorsque j'ai appliqué ou seulement livré mon esprit ou ma raison à la recherche d'un théorème, ce fait idéel une fois logiquement établi par moi et pour moi, devient aussitôt une puissance sur le moi pensant et voulant ; un élément intégrant désormais de mon être et de ma substance ; et je dis également que l'évidence idéelle de ce fait une fois établie et ajoutée au trésor de mes connaissances, me domine désormais, fait autorité pour moi, malgré que j'en aie, dans la mesure où les moyens dont j'ai disposé pour l'établir, m'ont paru suffisants. Il y a donc ici aussi, à un moment donné, contrainte exercée sur le sujet par cet objet idéel perçu par ma raison, même dans le cas où la première relation de cet objet avec le sujet aurait été due à ma propre initiative.

Que si, d'un autre côté, l'on parle de liberté, il yen a autant et plus encore, disons-nous, dans l'acte de l'adhésion au témoignage que dans le cas de la certitude purement sensible ou purement rationnelle.

Car le témoignage reçu par un acte de foi, n'étant accompagné ni d'une contrainte matérielle comme dans le premier cas, ni d'une évidence logique ou rationnelle, comme dans le second, nous apparaît revêtu d'une autorité morale, tout à la fois égale en force et supérieure en dignité à l'action exercée sur le moi connaissant par l'objet sensible ou par l'idée pure.

Nous disons d'abord que l'évidence qui s'attache à l'objet de la foi peut être aussi forte dans son ordre que l'évidence matérielle ou l'évidence logique dans le leur. Je puis être en état d'affirmer la validité du devoir ou l'existence de Dieu avec autant de certitude que je fais l'existence du soleil dans la nature, ou une vérité mathématique. Mais à cette certitude égale s'ajoute une dignité plus grande de l'acte de la foi, en ce que, d'une part, l'autorité qui s'attache au témoignage de l'ordre religieux ou moral proprement dit, émane, s'il a une vraie valeur, d'une garantie personnelle ; et que, d'autre part, cette autorité n'agit point coactivement sur mes organes, comme le fait phénoménal ou le fait rationnel, mais elle subordonne constamment son action en moi au consentement de ma volonté, c'est-à-dire du moi, et cette volonté reste toujours libre de rejeter jusqu'à l'évidence morale, au nom de préférences personnelles ou d'intérêts condamnés même par ma conscience ou par ma raison. Que dis-je ? ce sont là les droits imprescriptibles et les mystères de la liberté humaine.

En résumé : l'homme n'est plus libre d'ignorer ou de renier en soi-même les faits de son expérience sensible ou les découvertes de sa raison, mais il reste libre de ne pas accepter les autorités morales qui s'adressent à son cœur par le médium de son intelligence ; il reste libre même de rejeter une fois ou l'autre les croyances qu'il avait acceptées d'abord comme venant de cette origine.

Le sens, la raison et le sens intime (νοῦς), sont donc les organes primordiaux de toutes nos connaissances ; la sensation, le raisonnement et la foi sont les trois activités simples ou opérations mères de ces connaissances ; le phénomène, le théorème et le noumène transmis par le témoignage, sont les objets auxquels ces trois activités simples se rapportent ; l'étendue, la nécessité logique, l'autorité morale sont les catégories de l'être auxquelles ces objets ressortissent ; et nous ajoutons que la perception, le concept ou l'idée nécessaire et la croyance sont les produits simples de ces activités simples.

Nous pourrons donc nous représenter in abstracto au début de toute opération tendant à connaître, une perception sensible aussitôt transformée en aperception — qui n'est pour nous que la perception sensible interprétée par le sujet, — mais sans addition d'aucun concept ou idée nécessaire ; une conception idéelle pure et simple sans infiltration d'aucune image, et un état du sens intime affecté par la manifestation d'une autorité, dont la vraie origine et la vraie essence n'ont pas encore été saisies et formulées par la raison. L'œil a perçu une couleur ; l'oreille un son ; l'esprit a conçu une idée ; le sens intime a reçu un témoignage : tels sont, selon nous, considérés à un point de vue purement abstrait, les points de départ obligés et élémentaires de toute connaissance et de toute science.

Appendice. Confirmation scripturaire.

Nous constatons un fait que la psychologie ne saurait dédaigner, savoir que la distinction que nous venons de faire entre les divers facteurs de nos connaissances et les rapports que nous avons institués entre eux, sont reconnus dans l'Ecriture-Sainte.

La définition la plus scientifique de la foi que nous trouvions dans le Nouveau-Testament, est celle de l'auteur de l'épître aux Hébreux : Ἔστιν δὲ πίστις ἐλπιζομένων ὑπόστασις, πραγμάτων ἔλεγχος οὐ βλεπομένων. (Héb.11.1)

La foi est définie ici comme un mode de connaître tout ensemble les choses visibles mais futures — encore invisibles, par conséquent — et les choses présentes, mais invisibles. Ce mode de connaître est opposé tôt après à la perception sensible, évidemment inadéquate à l'objet qui est mentionné ici, le grand fait historique de la création du monde ; et cet acte de foi est également désigné comme une opération du νοῦς : Πίστει νοοῦμεν κατηρτίσθαι τοὺς αἰῶνας ῥήματι θεοῦ, εἰς τὸ μὴ ἐκ φαινομένων τὰ βλεπόμενα γεγονέναι. (Héb.11.3).

Le phénomène, objet de sensations, est donc implicitement opposé ici au noumène, objet de foi ; et la foi elle-même, considérée comme facteur de connaissance, et se rapportant à un témoignage reconnu véridique pour une raison ou pour une autre, est opposée tout ensemble à la sensation et au raisonnement ; à la sensation, puisque nul œil humain n'a contemplé le spectacle de la production de l'univers ; au raisonnement : car aucune intelligence humaine ne serait capable de concevoir ce mystère, même après la révélation qui en a été faite ; à plus forte raison, n'aurait-elle pu le découvrir a priori, en le déduisant avec une nécessité logique de prémisses purement logiques elles-mêmes.

Dans le chapitre premier de l'épître aux Romains, nous nous retrouvons dans le même courant de pensées et presque dans la même terminologie : Τὰ γὰρ ἀόρατα αὐτοῦ ἀπὸ κτίσεως κόσμου τοῖς ποιήμασιν νοούμενα καθορᾶται.

La rencontre des premiers et des derniers mots que nous venons de citer, fait naître un paradoxe : c'est que les choses invisibles se voient. Mais comment se voient-elles ? Précisément par le médium du νοῦς, de cet organe qui n'est ni le sens ni la raison. Car si le sens était apte à percevoir ces objets que l'apôtre nomme : ἥ τε ἀΐδιος αὐτοῦ δύναμις καὶ θειότης, tous les clairvoyants les verraient ; et si c'était la raison, tous les savants les sauraient. D'où vient donc qu'ils ne sont ni perçus comme les objets purement sensibles, ni conçus comme les idées pures ou les lois nécessaires de l'être ? c'est qu'ils s'adressent au sens intime, à l'organe aperceptif de l'ordre supersensible et divin. Pour que cet organe fonctionne, il faut que l'objet qui lui correspond, et en vue duquel il est disposé, lui soit présenté selon un mode tout spécial aussi et approprié à l'effet à produire, par un témoignage interne et immédiat, issu de l'ordre supersensible, et que l'apôtre désigne ici comme une φανέρωσις : διότι τὸ γνωστὸν τοῦ θεοῦ φανερόν ἐστιν ἐν αὐτοῖσ: ὁ γὰρ θεὸς αὐτοῖς ἐφανέρωσεν. (Rom.1.19)

Il y a donc au sein de l'ordre physique déjà, d'après le passage que nous venons d'interpréter, un élément qui ressortit à l'ordre supersensible, et qui pour cette raison n'est perceptible qu'au νοῦς, l'organe approprié aux faits et aux choses de cet ordre. A plus forte raison en sera-t-il de même dans l'ordre supersensible lui-même.

C'est ainsi qu'à diverses reprises dans les épîtres aux Corinthiens, l'apôtre Paul distingue l'un de l'autre les deux premiers facteurs de connaissance que nous avons indiqués, pour les déclarer tous les deux insuffisants, et inadéquats à l'objet, dans le domaine des choses divines.

Dès le début de la première épître, saint Paul caractérise les deux genres d'opposition que rencontre l'Evangile, dans cette antithèse aussi brève que profonde : Ἐπειδὴ καὶ Ἰουδαῖοι σημεῖον αἰτοῦσιν, καὶ Ἕλληνες σοφίαν ζητοῦσιν (1cor.1.22) : les uns réclament l'évidence sensible ; les autres recherchent l'évidence rationnelle ; et à ces deux tendances également erronées, l'apôtre oppose la voie de la foi, l'acceptation par l'homme du mystère divin de la croix, folie aux uns, scandale aux autres.

La foi, en tant que facteur de connaissance — et elle en est un — est encore opposée par Paul dans ce domaine supérieur à la raison purement logique et spéculative :ἵνα ἡ πίστις ὑμῶν μὴ ᾖ ἐν σοφίᾳ ἀνθρώπων, ἀλλ' ἐν δυνάμει θεοῦ. (1Cor.2.5).

Il y a sans doute une sagesse acquise et assurée à la foi, mais cette sagesse supérieure est en même temps d'un autre ordre que celle dont l'origine est la raison pure. C'est une σοφία dont la prémisse incontestée est le fait divin révélé dans l'Evangile : Σοφίαν δὲ λαλοῦμεν ἐν τοῖς τελείοισ: σοφίαν δὲ οὐ τοῦ αἰῶνος τούτου, οὐδὲ τῶν ἀρχόντων τοῦ αἰῶνος τούτου, τῶν καταργουμένων (1Cor.2.6).

Et si la sagesse naturelle de l'homme est insuffisante pour concevoir à elle seule les choses et les faits supersensibles dans l'ordre du salut, combien plus le sens le sera-t-il pour les percevoir ἀλλὰ καθὼς γέγραπται, Ἃ ὀφθαλμὸς οὐκ εἶδεν, καὶ οὖς οὐκ ἤκουσεν, καὶ ἐπὶ καρδίαν ἀνθρώπου οὐκ ἀνέβη, ἃ ἡτοίμασεν ὁ θεὸς τοῖς ἀγαπῶσιν αὐτόν. (1Cor.2.9).