Tu n'auras pas d'enfant - Cécilia Viala - E-Book

Tu n'auras pas d'enfant E-Book

Cécilia Viala

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Beschreibung

Alors embourbée dans un parcours de PMA difficile à l’issue très incertaine, Cécilia Viala a cherché du réconfort auprès de femmes qui ont vécu les mêmes épreuves qu’elle, et qui se sont servies de leur infertilité comme d’une force de création. Elles sont aujourd’hui célébrées pour leur art, mais comment Karen Blixen, femme de lettres danoise, Frida Kahlo, peintre mexicaine, et Marilyn Monroe, actrice américaine, ont-elles surmonté les épreuves liées à leur infertilité ? Comment les ont-elles transformées en énergie créatrice ?
Mêlant témoignage sans complaisance sur le monde de la PMA aujourd’hui et réflexions sur le sens de l’infertilité dans nos sociétés contemporaines, Cécilia Viala donne du sens à une expérience intime, traumatisante et qui touche pourtant de plus en plus de monde.
Voici le livre qu’elle aurait aimé lire lorsqu’elle se sentait si seule dans ce parcours éreintant.

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© La Boîte à Pandore

Paris

http ://www.laboiteapandore.fr

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ISBN : 978-2-39009-464-7 – EAN : 9782390094647

Toute reproduction ou adaptation d’un extrait quelconque de ce livre par quelque procédé que ce soit, et notamment par photocopie ou microfilm, est interdite sans autorisation écrite de l’éditeur.

Cécilia Viala

TU N’AURAS PAS D’ENFANT

Karen, Frida, Marilyn et moi…

Figures de femmes infertiles aux XXe et XXIe siècles

À Christophe

« Notre existence consiste à être continuellement contre la nature et à procéder contre la nature, disait Glenn, à procéder contre la nature jusqu’au moment où nous baissons les bras parce que la nature est plus forte que nous, nous qui, par outrecuidance, avons fait de nous-mêmes un produit de l’art […]

Nous sommes ceux qui veulent continuellement échapper à la nature, mais nous n’y arrivons pas, naturellement, dit-il, pensai-je, nous restons sur le carreau. »

Thomas Bernhard, Le naufragé

«Le succès, c’est d’aller d’échec en échec sans perdre son enthousiasme. »

Winston Churchill

Introduction

De la putasserie de DNLP aujourd’hui

Le calvaire est long.

Au début, on compte en mois (les cycles : C1, C2, C3… t’es tombée enceinte à quel cycle toi ?). Puis en années. Avec la terreur qu’il dure enfin toute la vie. Qu’il redessine le passé sous une nouvelle lumière, sombre, et l’avenir entièrement noir. Le présent ? Le présent, lui, n’existe plus du tout. Avalé en même temps que les traitements.

Mais je devrais peut-être dire le combat ? C’est souvent le type de vocabulaire qu’on entend et qu’on emploie presque naturellement quand on est plongé dedans. « On a perdu la bataille, mais pas la guerre… », « il faut se reposer et reprendre des forces avant la prochaine tentative », « ne pas perdre espoir », « c’est un parcours du combattant »… Mais qui est l’ennemi dans cette improbable bataille ?

Contre qui bander les muscles, à qui montrer les dents ? Contre DNLP, Dame Nature la Pute, comme on dit entre nous, entre couples infertiles ? Elle semble être une ennemie bien injustement désignée. DNLP n’est-elle pas la victime désignée, évidente, de nos modes de vie extravagants ? N’est-elle pas la chose fragile constamment malmenée, l’agonisante de tous les jours détruite un peu plus par l’Homme victorieux et impitoyable, maître et possesseur de la nature, justement ?

Contre les médecins, qui proposent des traitements inopérants, et qui, irrémédiablement, finissent par avouer leur impuissance en déclarant des généralités du type « Vous savez, il y a bien des choses qu’on ne maitrise pas en médecine de la reproduction » ?

Contre les fertiles, ce peuple de sapiens bruyants et turbulents qui, fatigués par la tâche éreintante d’élever la prochaine génération qui continuera à souiller la terre, n’ont pas une seule seconde de considération à accorder à des individus aussi gauches que ces éclopés d’infertiles — « si vous voulez on vous donnera des positions qui marchent bien, haha » ?

Alors ? Alors, il n’y a rapidement plus rien contre qui, contre quoi se retourner ; les infertiles d’aujourd’hui méritent leur situation et paient le prix fort. Alors que s’ajoutent à l’infini, tels les déchets dans nos décharges, les mauvaises nouvelles d’un monde sur le déclin, qui montrera un peu de compassion pour ces couples qui ne peuvent pas avoir d’enfants ? Qui reconnaitra leur malheur invisible ? Qui, enfin, reconnaitra qu’ils sont en deuil, alors qu’il n’y a littéralement rien à mettre en terre et que chaque tentative échouée représente une perte de plus ?

Dans la lutte impitoyable pour la reconnaissance des victimes de ce monde, les infertiles sont bien mal partis. Ils sont (généralement) en bonne santé, ont un toit sur leur tête et de la nourriture dans leur assiette. Leur sort intéresse moins que celui des hérissons. Et vraiment, à bien y penser, c’est compréhensible. Un hérisson, c’est mignon. C’est innocent. Fragile. Qui a véritablement envie de voir plus de bébés sapiens geignards et dépendants sur une Terre qui semble déjà trop pleine ? Neuf milliards de personnes en 2050. Ça coûte cher, la PMA. Et en plus, c’est dangereux, non ? Une pente savonneuse vers l’eugénisme… Qu’on laisse DNLP décider !

De leur entrée en PMA, comme on entre au purgatoire

Notre aventure — c’est le premier mot qui me vient à l’esprit et, quand on y pense, c’est véritablement formidable ! « Aventure », comme cela semble romantique ! Quelle partie tordue de mon cerveau a-t-elle décidé à cette seconde précise que le mot « aventure » était sans aucun doute le plus approprié ? Dois-je comprendre qu’une partie de moi-même considère cette « chose qui nous arrive », ou plutôt qui ne nous arrive pas, comme une expérience exceptionnelle, hors du commun, comme digne d’intérêt, valant le coup d’être racontée ? Sans doute. Mais je dois immédiatement ajouter que j’aurais donné beaucoup pour ne pas la vivre. Comme si j’avais peur de pouvoir tirer quelque chose de positif de ce bourbier dégoutant.

Tout a commencé par la plus banale des décisions — se reproduire —, dans le plus banal des quotidiens de l’Occident contemporain d’un couple monogame hétérosexuel blanc. Quel ennui !

Tout a continué par des mois derapports quand il fallait, et la douleur et le sang, invariablement au rendez-vous, là, quand on les attend. Impeccablement à l’heure, le sang, ad nauseam. Je pense parfois, souvent, que mon corps devrait être objet d’études scientifiques : adieu contraception polluante, effroi d’une grossesse non désirée, bonjour stérilité naturelle, sexualité sans contrainte ! Mon corps exceptionnel… De quelle liberté j’aurais pu jouir si j’avais eu 20 ans dans les années soixante-dix ! Une hippie parfaite !

Puis arrive le printemps de l’an I, l’entrée en PMA. Comme on entre au purgatoire, la mort dans l’âme, mais persuadés qu’on va s’en sortir. C’est sûr. Nous ne sommes pas plus mauvais que les autres, non ? Et puis on voit les chiffres. Un couple sur deux sort de la PMA sans enfant. On relit, pas sûrs d’avoir bien saisi. D’avoir intégré ce que cela signifie. Un couple sur deux sort de la PMA sans enfant. Personne ne nous l’a jamais dit, d’ailleurs. Cela fait partie des informations que l’on glane par soi-même, quand on se rend compte, rapidement, que l’autoformation est plus que jamais nécessaire. Qu’on ne peut compter que sur nous-mêmes. Et sur quelques autres copains de galère, éventuellement. Un couple sur deux sort de la PMA sans enfant. Boum. Un sur deux. Tiens, prends-toi ça dans la gueule. 50/50. Fifty-fifty. Dans tous les sens, on n’est pas très sereins.

Mais ça ne peut pas être nous. Ça ne sera pas nous. Nous, on est plus forts.

Des infertiles célèbres, à l’origine

« Lorsque Rachel vit qu’elle ne donnait point d’enfants à Jacob, elle porta envie à sa sœur, et elle dit à Jacob :

Donne-moi des enfants, ou je meurs ! »

Genèse, 30 : 1-24

Assez tôt dans le parcours de PMA, je me suis demandé vers qui me tourner. Autour de moi les annonces de grossesse pleuvaient, rien de nouveau sous le soleil, j’étais dans la trentaine, c’était la France. Impossible d’échapper à l’engouement français pour la maternité, dans la rue, au travail, en vacances, partout, oppressantes, des femmes enceintes. Et qui étais-je pour les juger ? Mais étais-je donc la seule à me trouver dans cette situation désespérée ? Au-delà des forums bordéliques et trop souvent mal écrits, les blogs ont constitué assez vite des ressources rassurantes pour sapiens grégaires. Oh ! des gens comme moi. Je n’étais pas seule. Des femmes (dans leur écrasante majorité) qui écrivent bien, régulièrement. Leurs parcours complets étalés au grand jour comme une source quasi infinie où puiser réconfort auprès d’autres êtres souffrants. L’humour dont font preuve certain(e)s bloggeurs/euses est incroyable, touchant. Mais c’est uneforme d’apaisement toujours ambigüe, et c’est l’ADN même de ce genre de site à durée de vie – tout le monde l’espère – limité. Si le parcours en PMA de la bloggeuse est rapide, si, par exemple, elle tombe enceinte à la deuxième insémination1, alors c’est un sentiment de colère et de dégout qui peut saisir la lectrice de l’ombre. Enceinte à la deuxième insémination ? Et tu viens nous saouler avec ton désespoir de façade ? Voilà bien une fertile impatiente qui s’est glissée chez les infertiles, tel le loup dans la bergerie, pour glaner une compassion qui n’est pas méritée. Des pensées sitôt suivies de culpabilité, de honte. Mais qui pense ainsi, franchement ? (Blâmez DNLP.) Si le parcours de la bloggeuse est long, difficile, désespérant, la lecture est douloureuse et empreinte d’empathie, mais également, inévitablement, d’une pointe de satisfaction. Je ne suis pas la seule à galérer, et j’espère que tu galéreras encore longtemps, j’espère que tu seras là, avec moi, ne me laisse pas seule dans ce trou noir. Les blogs sont utiles, mais ne peuvent pas nourrir un besoin plus profond de sens, car le succès du traitement arrache immédiatement de la communauté des losers celle ou celui qui écrit. La communauté des « childless », les sans-enfants contraints et forcés (par opposition aux « childfree » qui décident de ne pas avoir d’enfants), s’organise petit à petit sur l’Internet français, mais il faut retourner dans le passé pour trouver une nourriture plus roborative.

Étonnamment (étonnamment, d’abord parce que je n’y connaissais rien, et ensuite parce que je n’imagine pas qu’il y ait eu tant de problèmes d’infertilité que ça au moment où elle est écrite, au plus tôt au VIIIe siècle av. J.-C., à moins que le discours contemporain sur la chute de la fertilité ne soit trop dramatisé ?), la Bible est truffée d’histoires de femmes infertiles qui doivent attendre des années avant de mettre au monde un enfant. Sans aucun doute, la fonction de ces histoires n’est pas de souligner un quelconque problème biologique à l’époque, mais bien plutôt leur portée symbolique. L’Ancien Testament rappelle sans arrêt aux femmes qu’elles ne décident pas quand elles auront un enfant, mais qu’il s’agit bien d’un don de Dieu : elles doivent se soumettre à sa volonté, et de cette soumission plus ou moins heureuse, de cette reconnaissance de leur impuissance, de cette humiliation naitra peut-être un enfant. La soumission à Dieu ou au destin ? La différence entre le croyant et le non-croyant…

Ainsi, Sarah est la deuxième femme importante à apparaitre dans la Bible après Ève. La mère de toutes les infertiles, « femme du désir et du manque, femme des éternels déracinements »2. Mariée à Abraham, elle doit attendre d’approcher 100 ans (!) avant de mettre au monde Isaac (« Dieu rit », le prénom de plume que se choisira Karen Blixen). L’annonce de cette naissance a été faite un an auparavant par un envoyé de Dieu, et Sarah, en l’entendant parler à son mari, aurait ri devant le ridicule (ou la joie ?) d’une telle affirmation. C’est ce rire qui la rend éminemment sympathique à mes yeux. Je me l’imagine sardonique, aigu, cassant, puissant, afin que ces envoyés de Dieu comprennent bien la valeur qu’elle accorde à leurs dires. Un bon gros LOL des familles. Sans doute suis-je complètement à côté de la plaque. Mais c’est ma Sarah. Et pourtant, un an plus tard, le miracle divin vient au monde. Joie et soumission à la volonté de Dieu.

Isaac (qui déjà a failli passer sur le bucher !) et sa femme Rebecca vont bien galérer eux aussi, vingt ans (!), avant de donner naissance à des jumeaux, Ésaü et Jacob. Et devinez quoi ? Jacob à son tour épouse Rachel, mais Dieu, un brin pervers, pimente quelque peu leur histoire : Rachel a une sœur ainée, Léa, que son père aimerait bien caser avant la cadette, comme c’est la coutume. Jacob se fait donc avoir en épousant Léa, mais en ne le réalisant que le lendemain matin3. Il continue cependant à préférer Rachel. Quelle humiliation pour Léa ! Il s’engage donc à travailler pour une période supplémentaire de sept ans chez Laban, le père de Léa et Rachel, ce qui lui donne enfin le droit d’épouser sa bien-aimée. Pourtant, si c’est le choix du cœur, ce n’est pas celui de la raison : Dieu a rendu Léa, la rejetée, extrêmement fertile, tandis que Rachel, la bien-aimée, sera stérile. Il semblerait qu’on ne puisse pas tout avoir ici-bas sur cette Terre… Sérénité familiale assurée en tout cas. Finalement, après des années d’attente et de tourments, les deux sœurs semblent trouver un terrain d’entente. Toujours en mal d’enfant, alors que Léa a déjà enfanté quatre fils de son mariage avec Jacob, Rachel demande en effet à Léa qu’elle lui offre les mandragores4 que lui a rapportées son fils ainé Ruben à l’occasion d’une sortie dans les champs (Genèse, 30). Elle lui accorde en échange la permission de partager à nouveau la couche de Jacob.

Après cet échange entre les sœurs, Léa tombe à nouveau enceinte de Jacob, mais surtout « Dieu se souvint de Rachel », qui donne naissance à un fils, Joseph. Alléluia !

Ainsi, les trois matriarches de l’Ancien Testament ont été longtemps infertiles, et les âges extravagants auxquels elles deviennent mères expriment sans doute symboliquement la durée de l’attente ; leur patience infinie et presque inhumaine.

Moi-même, ai-je pris cent ans au cours de ces longues années d’attente ? C’est une question angoissante qui me taraude parfois. Une mère « sage », peut-être, si l’on veut voir les choses positivement, une mère quelque peu désenchantée, à n’en pas douter. Je ne suis pas croyante, et la religion n’est donc pas une source naturelle de réconfort pour moi. Mais force est de constater notre impuissance face à ce qui demeure incompréhensible, cette absence d’enfants, alors que rien, rien ne semble bio/logiquement l’expliquer. Intolérable impuissance de qui a été élevée dans un monde moderne où la science a pris la place de Dieu, et puis finalement non, la science échoue et ne laisse que vide et désolation. Intolérable impuissance de Sarah, Rebecca et Rachel, il y a des milliers d’années, qui n’ont eu d’autres choix que de se soumettre à la volonté de leur Dieu. Mes sœurs d’impuissance. Mes sœurs de soumission et d’humiliation ?

Le dernier point qui me marque en lisant l’Ancien Testament, ce sont les solutions qui ont été trouvées très tôt pour pallier le manque d’enfants. L’enfant n’est pas seulement l’être précieux qu’on désire chérir, c’est également, et peut-être surtout à cette époque, la descendance. L’assurance de la continuité. Le futur. Lorsque Sarah a tardé à mettre au monde un descendant pour Abraham, à qui Dieu avait promis d’être le père d’une « grande nation », elle lui donne sa servante Agar pour qu’elle lui assure une descendance — Agar donne naissance à Ismaël —, une pratique légale, en vigueur dans le droit mésopotamien (Genèse, 21). De même, Rachel donne sa servante Bilha à Jacob pour qu’elle lui assure une descendance. Si la relation entre Sarah et Agar est compliquée et faite de haine et de jalousie réciproques, Rachel considère immédiatement le premier fils de Bilha, auquel elle donne son nom (Dan), comme son propre fils (Genèse, 30 : 1). Ainsi donc, la Bible rend possible, et même souhaitable, le don d’ovocytes et la gestation pour autrui (GPA), puisqu’à l’époque, les deux pouvaient être difficilement séparés. L’époque contemporaine n’a en réalité rien inventé, et la légalisation de telles pratiques donne au droit mésopotamien une touche presque avant-gardiste, et surtout bienveillante, au regard de la bêtise crasse et ignorante de certains de nos commentateurs actuels5. Il s’agissait bien ici, pour la femme stérile, de laver la honte qui pesait sur son honneur, et de devenir mère6. Une possibilité restreinte dans le monde actuel, figé comme il l’est par l’obsession biologique, voire génétique7. Il m’arrive parfois, quand la frustration devient trop forte, de m’imaginer pouvoir discuter avec une femme enceinte qui s’apprête à avorter. Une jeune femme à peine sortie de l’adolescence, une ancienne élève peut-être ? Moi qui suis prof, on ne rêve souvent pas loin de chez soi… Elle ne peut évidemment pas s’occuper d’un enfant, et je la comprends. Je lui explique que je n’en peux plus d’attendre, que je vais me consumer et mourir, je supplie, tout pour la convaincre de mener à bien sa grossesse et de me donner son bébé. Une scène bien pathétique à faire pleurer dans les chaumières. Mais le fantasme repart rapidement comme il est venu, je suis de retour à la dureté d’un monde anonyme, rigide et froid. Sans bébé.

1. Insémination artificielle avec sperme du conjoint, ou IAC : c’est généralement une des premières étapes proposées aux couples infertiles, quand il n’y a pas d’obstacles évidents (des trompes bouchées, par exemple). On « prélève » le sperme du conjoint qui est injecté au bon moment du cycle dans l’utérus de la dame — une médecine vétérinaire (oui, c’est ainsi que l’on fait se reproduire la majorité des vaches, ovins et chèvres aujourd’hui en France) en somme, mais qui a l’avantage de ne pas être trop contraignante (traitement hormonal minimal pour s’assurer de l’ovulation).

2. VANEL J., Le livre de Sara, Payot, 1984, cité dans « Sarah, une fécondité inespérée », www.croire.la-croix.com.

3. La Bible (Genèse 29) ne précise pas par quel subterfuge Laban a trompé Jacob, mais on peut penser que la coutume du voile nuptial quasi intégral a facilité la méprise…

4. Les mandragores, originaires du Bassin méditerranéen, sont connues et utilisées depuis très longtemps pour leurs propriétés hallucinogènes et narcotiques. Entourées de nombreuses légendes liées au monde de la magie et de la sorcellerie, elles auraient également des vertus aphrodisiaques, donc fertilisantes, et servaient pour la confection de philtres d’amour, par exemple.

5. Je pense ici à tous les obsédés de la famille dite « traditionnelle », « un papa, une maman »…

6. MONGE C., Dieu hôte : recherche historique et théologique sur les rituels de l’hospitalité, Zeta Books, 2008.

7. Au moment de l’écriture, en France, la GPA est toujours strictement interdite. La FIV avec don de sperme ou d’ovocytes est autorisée, mais les temps d’attente sont très longs (plusieurs années) à cause du manque de dons, ce qui rend le recours aux cliniques étrangères très courant.

Des infertiles célèbres, de celles qui sont devenues essentielles à ma (sur)vie

Karen Christentze Dinesen, devenue Karen von Blixen-Finecke, alias Isak Dinesen (1885-1962). Magdalena Frida Carmen Kahlo Calderon, devenue Frida Kahlo de Rivera, alias Frida Kahlo (1907-1954). Norma Jeane Mortenson, Norma Jeane Baker, alias Marilyn Monroe (1926-1962). Une Danoise, une Mexicaine, une Américaine. Une femme née au XIXe siècle, et qui en resta certainement nostalgique toute sa vie, et deux femmes ancrées dans le XXe siècle. Que peuvent bien faire ces trois femmes réunies dans un même livre ? Une écrivaine, une peintre et une actrice. Et plus encore : une aristocrate danoise, une communiste mexicaine et une pin-up américaine.

À première vue, elles n’ont pas grand-chose en commun. L’une est née dans un vieux pays européen assez conservateur, la deuxième dans un pays neuf où bouillaient les forces révolutionnaires, et la dernière, eh bien ! dans les États-Unis des années vingt : l’euphorie capitaliste avant le grand crash. La première est profondément ancrée dans la bourgeoisie nordique, portant, chevillées au corps, les valeurs aristocratiques européennes en déclin ; les deux dernières, si elles sont souvent présentées comme des exemples, pour l’une, de mexicanité, et pour l’autre, d’américanité, sont représentatives des mélanges typiques du continent américain, continent de migrations : le père de Frida est allemand, tandis que la mère de Marilyn est née au Mexique et son (supposé) père a des origines norvégiennes. La première des trois fait un mariage de raison en épousant le frère de son amant, les deux autres, des mariages d’amour, de passion même, qui ne finiront pas toujours mieux. L’aînée et la benjamine ont la peau blanche et les yeux clairs, la cadette est brune à la peau mate et aux yeux noirs. Enfin, c’est plus important en ce qui nous concerne, Karen Blixen est infertile à cause de la syphilis que lui a transmise son époux en Afrique, Frida Kahlo, à la suite d’un horrible accident de tramway à Mexico, tandis que Marilyn Monroe souffre toute sa vie d’endométriose.

La liste des oppositions de surface est longue, et on pourrait sans aucun doute s’amuser à la poursuivre. Mais quelque longueur qu’elle puisse avoir, elle n’est rien face à la profondeur des connexions, à la similitude de sentimentset même, dans certains cas, d’expériences de vie.

Bien des continents et des mers ont séparé ces trois femmes — et des décennies les séparent de moi —, mais elles en ont parcouru des kilomètres, elles en ont traversé des océans, jusqu’à même, circonstance extraordinaire, la rencontre entre l’aînée et la benjamine, le 5 février 1959, alors que Karen Blixen, si maigre et affaiblie, profite glorieusement de sa tournée aux États-Unis, qu’elle sait être son dernier grand voyage. L’écrivaine Carson McCullers, amie de Marilyn, organise la rencontre chez elle à la demande de Karen Blixen : une lionne en rencontre une autre, plus jeune, certes, « invincible », selon le mot de Blixen. Qui pouvait prévoir que c’est bien la plus vaillante en apparence qui mourra un mois avant la plus vieille ?