Ultreïa ou plus loin sur le chemin - Alain Soleilhac - E-Book

Ultreïa ou plus loin sur le chemin E-Book

Alain Soleilhac

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Beschreibung

Ultreïa ! Ce mot résonne dans le cœur du pèlerin comme un encouragement, car il signifie « plus loin ». Chaque pèlerinage est un acte d’espoir qui incite l’homme à se déplacer vers un ailleurs jamais complètement atteint sur cette terre. C’est en raison de son manque de clarté, face à ses questions existentielles et à ce qui se trouve devant lui, qu’Alain Soleilhac décide de partir. Tout au long de ce témoignage, Alain vous invite à le suivre de Saint-Jean-Pied-de-Port à Saint-Jacques-de-Compostelle. Malvoyant, il est accompagné de deux amis guides, mais il a besoin de vos yeux et de vos oreilles pour saisir les mots qu’il cherche à exprimer les palpitations qui vibrent entre son cœur et son chemin. Dans ce voyage à la fois rude et joyeux, il vous convie à l’accompagner, dans un va-et-vient fascinant.


À PROPOS DE L'AUTEUR

Alain Soleilhac a toujours considéré la littérature comme un moyen d’explorer les questions essentielles de la vie, cherchant à y trouver des réponses pour y voir plus clair. Ironiquement, le destin a décidé de lui ôter progressivement la vue. Dans cet ouvrage, il raconte comment le projet de réaliser en tandem le chemin de Saint-Jacques lui permet de faire face à sa peur de perdre la vue.

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Seitenzahl: 169

Veröffentlichungsjahr: 2023

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Alain Soleilhac

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Ultreïa ou plus loin sur le chemin

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

© Lys Bleu Éditions – Alain Soleilhac

ISBN : 979-10-422-0240-8

Le code de la propriété intellectuelle n’autorisant aux termes des paragraphes 2 et 3 de l’article L.122-5, d’une part, que les copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective et, d’autre part, sous réserve du nom de l’auteur et de la source, que les analyses et les courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information, toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite (article L.122-4). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L.335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

À tous ceux qui se mettent en chemin.

 

 

 

 

 

Prologue

 

 

 

Momentanément interrompu à Saint-Jean-Pied-de-Port à la fin juin 2021, notre chemin de Saint-Jacques était forcément inachevé.

Ultreïa, le cri des pèlerins, ne signifie-t-il pas toujours plus loin, physiquement, mais aussi spirituellement ? Revoici donc notre trio de pèlerins-tandémistes parcourant le Camino Francès sur les routes espagnoles l’année suivante.

 

 

 

Comme dans mon premier ouvrage intitulé « Un chemin à contre peur », une part seulement de ce nouveau témoignage est réservée à la narration des onze étapes sur le chemin proprement dit. En définitive, j’ai le sentiment qu’un cheminement vers l’acceptation s’est mis en route. Du fait de l’affaiblissement de la vision, l’impression des images a été plus difficile pour la mémoire. Néanmoins, j’ai tenté d’exprimer la résonance intérieure qu’une telle expérience engendre. Dès mon entrée en écriture, le petit vélo zigzagant dans ma tête a eu l’intention de s’aligner au départ de l’épreuve pour la remporter. Comme le précédent, ce second livre est symbolisé par ce grand vélo que l’on nomme tandem. Si sur la route, j’ai eu le plaisir de faire tandem avec Gilles et Alain, je remercie également mes entraîneurs : Jean-Luc, Éric, Stéphane, Paul et Bruno. J’ai surtout été soutenu au quotidien par mon épouse Aline et encouragé par mes amis du Camino et ceux du Saint-Jacques du Velay, dont Patrick qui nous a aidés à monter l’itinéraire. Tel un malvoyant quelquefois hésitant entre les obstacles du pèlerinage de sa vie, rempli de reconnaissance, cette année encore, je vous propose de m’accompagner.

 

 

 

 

 

Avant-propos

 

 

 

Se rendre à Saint-Jacques-de-Compostelle ou en tout autre lieu où l’on vénère un saint, quelle que soit sa religion, c’est accomplir un pèlerinage. En ces jours de charnière entre le printemps et l’été 2021, avecGilles et Alain, nous avons parcouru en tandem la moitié du célèbre chemin menant à Saint-Jacques-de-Compostelle. C’était prévu ainsi. Honnêtement, si faire un pèlerinage n’était pas mon intention première, aujourd’hui, ce mot résonne en moi comme une question à approfondir. De la même façon que l’entièreté du parcours n’a pas été accomplie, j’ai le sentiment qu’il manque quelque chose à la réalisation du projet. Avoir pédalé onze jours consécutifs à « contre peur » n’a pas suffi. Au-delà du désir de prolonger les moments de satisfaction physique et mentale, l’idée de poursuivre la route en quête d’une nouvelle libération s’invite en un lieu secret de mon être. En ma quinzième année de retraite, j’ai eu la chance de pouvoir réaliser cette magnifique aventure malgré le handicap et j’en conserve toujours les fruits. Cependant, l’appétit pour savourer la suite du chemin subsiste. Les centaines de kilomètres n’ont pas étanché ma soif de réponse aux questions posées par mon âme.

 

 

 

Il y a deux ans, la narration de cette aventure commençait par ces mots : « Il me faut un projet ». Certes, le désir de mieux-être s’impatientait déjà, mais une forte part d’injonction personnelle le rendait obligatoire. Aujourd’hui, je me prends à souhaiter d’être mis en mouvement plus par un appel au pèlerinage que par la réalisation d’un défi physique et mental. Je ne crois plus que l’obligation de rebondir et de se surpasser représente la seule motivation. J’aimerais que les efforts du corps deviennent de simples outils au service d’un désir dont l’origine s’enracine dans l’appel de ce que je nomme l’Esprit. Ce n’est pas pour la part d’exploit que je veux terminer mon Saint-Jacques, mais plutôt répondre à l’espoir d’une sorte de guérison d’ordre psychique et spirituel. J’aimerais que cette deuxième partie du texte m’aide à avancer sur le chemin de la paix, de la confiance et de la foi.

 

Si la réalisation du trajet et la reprise du témoignage écrit à ce sujet constitueront une part de cet ouvrage, j’éprouve en même temps le désir d’y respirer dès maintenant l’atmosphère vivifiante d’un chemin d’espérance. Bien sûr, au fond du sac à dos du pèlerin, se trouve encore le handicap, mais je crois que le moment est venu de considérer cet ustensile comme un outil qui s’apparenterait plus à un levier pour soulever la vie éprouvée qu’à un simple couvercle masquant temporairement l’inquiétude.

 

 

 

 

 

I

Un pèlerinage à inventer

 

 

 

Donc, si ce n’est pas un tombeau, fut-il celui d’un grand saint qui m’attire, c’est peut-être la route à faire jusqu’au bout d’un certain continent ? Mais de quel continent s’agit-il ? Dieu sait si je donne au mot route un sens particulièrement large.

 

 

 

Avec mon copain Stéphane, sous un froid soleil de décembre, nous avons repris l’entraînement cet après-midi. Dans la montée à la sortie d’Espaly, je sens mon cœur qui se serre. Mais, même si on me dit qu’un effort physique intense n’est pas indiqué par temps froid pour un ex-cardiaque, le cœur n’est pas l’organe qui m’inquiète. Lui, je ne le vois pas. À vrai dire, je m’en fiche. À cinquante centimètres devant moi le rouge artériel du maillot de mon pilote rythme l’espace en dansant de droite à gauche. J’enfonce les pédales entre ce qu’il reste à voir et le rien que je ne vois plus. Subitement, j’ai le sentiment d’avoir découvert le contenu de ma démarche pèlerine. La voici, la prière au saint dont elle porte le nom. Tout autour du torse rouge qui s’agite, pour moi défile le flou du reste de la vie. Je ne sais plus ce qu’il faut espérer. La vie rouge comme la rage qui m’anime ou la paix dans l’acceptation de ce qui se trouve encore là devant mes yeux. Se contenter de ce qu’il y a à voir ici et maintenant. Là commence mon chemin de prière. Si je nomme ainsi ce travail d’acceptation, c’est qu’à l’exemple d’une prière telle qu’on me l’a apprise, je ne le trouve pas drôle du tout. En même temps, j’espère parvenir à croire qu’elle finira par être entendue. Puisque je n’ai pas le choix, je peux toujours penser que la colère ou la détresse, ruminées ou refoulées, représentent autant d’offrandes au saint qui m’a invité. Que Dieu me pardonne toutes ces interrogations, mais je ne comprends pas sa surdité. L’horreur de voir s’effacer le monde qu’il aurait créé pour l’homme mérite mon dépit. Mais au fond, tout cela n’est que mouvement de l’âme. Allons, mon petit gars pèlerine donc. Cherche ce qu’il reste à voir, parce qu’au-delà de la perte progressive d’un sens à accepter, il y a un essentiel à découvrir.

 

 

 

Pour commencer, tout à fait prosaïquement, je décide d’accepter le développement choisi par Stéphane. Qu’est-ce à dire ? Il me semble que le petit plateau du pédalier autorisant un moindre effort serait plus indiqué pour mes jambes. Mon entraîneur ne l’entend pas ainsi. C’est son style. Pour cette raison, le chef Roger a surnommé Stéphane « 53-13 », il s’agit d’un braquet plus propice à la descente des cols. Inversement en montée, ce développement contraindrait à une lenteur requérant une puissance à la limite du décrochage ! Pour l’heure, Stéphane fait sa part puisqu’il me concède ce plateau moyen qui provoque malgré tout une abondante sueur un tantinet irritante entre front et bonnet de laine. En hiver, choisir l’épaisseur de son bonnet de pédaleur est un véritable casse-tête ! Bref, il faut faire le sacrifice de transpirer malgré l’air froid aspiré à pleins poumons si on ne veut pas se geler dans la longue descente qui nous attend au retour. La beauté du paysage me manque chaque fois, mais la volonté de m’abandonner à toutes les sensations possibles augmente d’autant plus fort. Elles restent à disposition à portée de jarret, de poumons, de peau, d’oreilles, de narines et je le sais, même de vue. Mais le siège du savoir trône dans la tête. Celui de la reconnaissance du réel a sa place dans la chair. Mon oraison de pèlerin au mitan de son parcours consiste toujours en ce désir d’ancrage à l’instant présent que m’offre l’accueil des sensations, fussent-elles harassantes. En cette mi-décembre, une sérieuse remise en mouvement du corps reflète ce qu’il faut poursuivre sur le versant de l’esprit. À l’image de l’accueil sensoriel, je me sens appelé à voir plus clair en cherchant les chemins qui conduisent à d’autres découvertes et ouvertures. L’ampleur du programme devrait me motiver.

 

 

 

 

 

II

Un guidon à retrouver

 

 

 

Ce pèlerinage peut se réaliser grâce à tous ceux, entraîneurs et pilotes, qui ont la bonté de répondre à l’appel que j’ai lancé pour me conduire à Saint-Jacques. À tour de rôle, ils tiennent le guidon du tandem depuis plus de huit années. Une seule fois, alors que nous roulions à plus de cinquante kilomètres par heure dans une descente en ligne droite, surpris par un fourgon qui nous a serrés beaucoup trop près, Alain P., excellent chauffeur de profession par ailleurs, a dû subitement donner un coup de guidon pour s’écarter du véhicule agresseur. Il s’en est suivi une interminable série de « S » appelée guidonnage, que fort heureusement, la force des bras de mon copain a superbement rattrapée pour rétablir la trajectoire. Nous en fûmes quittes pour une belle peur doublée d’une forte colère contre ce conducteur malveillant qui aurait pu provoquer l’annulation du voyage à quelques jours du départ.

 

 

 

Cette fâcheuse expérience de guidonnage est à l’image de ce que signifie la perte du contrôle cérébral dans ces moments où j’ai le mental envahi par un brouillard devenu oppressant. Mais cela nous ramène à l’objectif de mon chemin défini par l’expression : « A contre peur ». Depuis que se met en place la préparation de la suite du pèlerinage, j’ai l’impression d’être engagé dans ce tournant qui m’invite d’une certaine manière à reprendre les rênes dans ces moments où le mental embrumé aurait encore tendance à zigzaguer. C’est un peu comme si le voile dans mes yeux m’ordonnait d’en pénétrer l’interminable épaisseur. Il semblerait qu’à ce point du chemin, le sentiment de peur commence à fléchir. Présenterait-il des premiers signes de lassitude ? Commencerait-il à envisager de céder face à la volonté qui m’habite ?

 

 

 

Dois-je y lire un signe du destin ? Pour ma séance hebdomadaire de locomotricité, j’ai eu l’idée de demander à l’instructrice si elle accepterait que je la suive au guidon de mon propre vélo qui languissait au fond du garage. Elle a été d’accord à condition d’emprunter une voie verte et de revenir par les pistes cyclables. Nous devrons en outre rester à portée de voix. C’est un peu comme si je passais du simulateur de vol aux commandes d’un décollage en situation réelle. Elle me fait confiance et je me fais confiance. Ma connaissance du terrain devrait faciliter cette balade à risques mesurés. Bien évidemment, sur les premières centaines de mètres, Mélissa va souvent se retourner afin de s’assurer de mon comportement. Installé en mode vigilance, je ne quitte pas des yeux l’image fugitive de mon entraîneur joliment féminin en le rassurant de mon mieux. À ses signalements de piétons et autres cyclistes, j’obtempère en me rangeant sagement derrière elle sans chercher à admirer le paysage. Nous progressons prudemment et joyeusement, avec sur notre droite une enfilade de jardins potagers endormis par la saison et sur notre gauche la rivière de la Borne qui opère sa confluence avec la Loire à quelques centaines de mètres. Au passage du vieux pont tordu d’époque médiévale, nous devons baisser la tête sous une des arches qui a soutenu tant de lourds carrosses et autres chars à bœufs au cours des siècles. Puis, nous ralentissons et jouons de la sonnette en franchissant l’étroit passage le long de la balustrade surplombant les rapides à la sortie du bief peuplé de canards cancaneurs. Les deux gués de béton sont à fleur d’eau, mais assez larges pour y croiser les promeneurs. À défaut de goûter un plaisir sportif, j’apprécie de jouer avec un guidon qui me permet de contrôler moi-même ma trajectoire en évitant les piétons. Je me réjouis de constater que même à allure réduite je conserve l’équilibre. En définitive, je prends conscience que l’exercice est idéal pour demeurer en cet état de présence qui me paraît si propice au dépassement de la peur. En m’offrant la motivation de ne pas percuter quelqu’un ou simplement de ne pas chuter, il emplit le champ de la conscience et repousse efficacement toute appréhension, au moins dans une longue succession d’instants. Au bout du chemin de terre battue, nous apprécions de voir que la piste cyclable est bien matérialisée et permet de traverser la chaussée en descendant de vélo pour plus de sécurité. Bientôt, après quelques lacets réservés aux cyclistes et aux marcheurs, nous faisons la jonction avec la voie verte que nous allons emprunter sur une centaine de mètres, en direction de Coubon, juste pour éveiller en moi l’envie d’y revenir seul après un ou deux entraînements supplémentaires. Je souris de me retrouver tel un acteur réussissant la première représentation dont il serait le héros. Ils ne doivent pas être nombreux à tenter l’expérience que je savoure cet après-midi ! Un malvoyant à vélo, ça ne se remarque pas. Mélissa est la seule à être dans la confidence. Accepter de me guider dans de telles circonstances prouve sa passion du métier et la confiance qu’elle offre à ses patients, incarnant une nouvelle preuve du fameux esprit du chemin : voilà une formidable thérapeute à remercier !

 

 

 

 

 

III

C’est l’espérance folle

 

 

 

Cette expression est le titre d’une chanson du poète Guy Béart. Elle m’est venue à l’esprit en terminant l’expérience précédente. Le plaisir de retrouver le guidon, l’espoir de me remettre à rouler seul maître à bord comme l’an dernier et la douce folie de cette sortie sont les trois raisons du choix du titre de ce chapitre. Il faut dire que deux jours après notre escapade, emporté par mon élan, j’ai décidé de retrouver aussi la joie de chanter au sein d’une chorale. C’est un peu avec cet objectif secret que deux semaines auparavant, je m’étais rendu sous la belle voûte de la chapelle des Chevaliers Saint-Jean pour écouter un concert donné par la chorale du bassin du Puy. Séduit par la qualité de la prestation autant que par l’atmosphère simple et joyeuse, j’ai rejoint les chanteurs et leur chef de chœur afin de leur proposer mon adhésion à l’issue de la soirée. Aussitôt dit, aussitôt fait, rendez-vous était pris pour l’après-midi du vendredi 7 janvier. Je me suis donc rendu dans la salle du centre culturel Pierre Cardinal réservée aux répétitions des chorales où j’ai été amicalement accueilli par une vingtaine de personnes heureuses de pouvoir se réunir malgré les menaces que le nouveau variant fait régner sur les associations. Assis et masqué comme tout le monde, je m’installe auprès des quatre messieurs détenteurs des voix de basse. Juste en face de moi, notre chef Jacqueline est au clavier d’un accordéon qui accompagne les trois pupitres pendant la répétition. Je retrouve enfin le plaisir de chanter les belles chansons françaises qui constituent le répertoire des membres pas tout à fait retraités de cet ensemble. J’espère retrouver ce plaisir au plus vite, car le problème de la mémoire se pose malgré tout lorsqu’on ne peut pas lire les partitions. De plus, même si ce type de chanson est bien connu par ceux de ma génération, le plus souvent les voix de basse ne chantent pas la mélodie, ce qui accroît la difficulté. Heureusement, les encouragements fusent avec la bonne intention de m’interdire le stress que décidément, je ne peux pas tout à fait mettre à distance même en pratiquant une activité censée détendre dans la bonne humeur. J’ai donc pris le parti de refouler cette tendance et de n’accueillir que la joie d’être là, petit fou chantant se laissant entraîner par la dynamique du groupe. Je profiterai de mes séances de home trainer pour mémoriser les morceaux, car j’ai pu expérimenter qu’un mouvement alternatif et cadencé du corps favorise ce genre d’apprentissage. Merci You tube !

 

 

 

 

 

IV

Cataractes

 

 

 

Souffrez ami lecteur que je poursuive mon chemin tel votre pèlerin obligé. J’imagine que sur bien des routes de pèlerinage, il se trouve des marcheurs qui vous collent aux basques. Ce matin donc, alors que mon intention n’était pas de descendre le fleuve Niagara ou celui du Nil en canoë, je suis malencontreusement tombé sur le panneau « Cataractes ». Néanmoins, je n’en fus pas totalement surpris, étant donné que depuis longtemps, je ne considère pas que la vie est un long fleuve tranquille. Y a-t-il un rapport entre les cascades d’un grand fleuve et l’opacification du cristallin de l’œil ? Faut-il imaginer que la couleur de la lentille interne de l’organe de la vue qui vieillit fasse penser à celle des chutes d’eau portant le même nom ? C’est vrai que ce rideau supplémentaire, qui s’abaisse progressivement, encombre mon regard posé sur des épaules pourtant bien déterminées à le déchirer. Tout ceci pour dire que s’il me venait à l’idée d’aller visiter de vraies cataractes, il faudrait se dépêcher avant qu’elles ne se déversent devant mon propre regard. Une pancarte les annonce en effet ou du moins, ce matin, l’ophtalmo me l’a confirmé alors que je lui racontais mes sensations visuelles. Bref, une petite cascade de pathologies lorsque le médecin énumère les mots de dégénérescence maculaire, kératocône et maintenant, cataractes. Pas si graves, puisqu’il paraît que l’opération ne semble pas être indiquée avant six mois, ce qui nous laisse le temps d’aller contempler les remous de l’océan à Cabo Fistera. Le docteur a eu le bon goût de me préciser que je craindrais moins la lumière du soleil si mes cataractes ont mûri un peu plus d’ici là. Faisons donc contre mauvaise fortune bon cœur en remarquant que cela nous laisse le temps de réaliser notre projet. La route d’Espagne, à l’image du parcours déjà effectué en France, nous offrira de belles sections ressemblant à ces rapides que descendent les canoës livrés aux courants impétueux. À l’arrière du tandem, faute de rames à empoigner, j’ai pu constater plusieurs fois combien il est important d’agripper le guidon et de serrer la selle des deux fesses pour ne pas se faire larguer dans les virages à la descente des cols lorsque mon pilote se laisse griser par la vitesse ! Pas de rochers éclaboussés de remous, mais des talus gravillonnés que nous mordons parfois, le pneu ripant sous nos appuis !

 

 

 

Pendant ce temps, en amont du départ, notre ami Alain dont les fraisiers en ce glacial mois de janvier ne déversent pas encore leur cataracte de goutteux et énormes rubis, s’active sur son ordinateur pour débusquer les adresses des gîtes d’étape où nous nous délasserons le mollet dans quatre mois et demi environ après notre cataracte quotidienne de coups de pédales ! Je rêve à ce refrain de sonorité catalane de ces noms d’auberges ibériques, encouragé par la nouvelle de l’aimable proposition de notre députée locale Isabelle Valentin de faire la promotion de notre projet en roulant avec nous sur une étape altiligérienne du superbe chemin.