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Un chemin à contre-peur livre le témoignage d’un septuagénaire, atteint d’une maladie évolutive de la vision, qui décide de mener à bien un projet sportif, relationnel, et à dimension thérapeutique afin de combattre l’aspect démoralisant de sa situation. Ce plan, précisément, consiste à rallier en tandem Saint-Jacques-de-Compostelle au plus près du chemin de pèlerinage. Le protagoniste y raconte avec sincérité sa préparation physique et mentale. Il nous fait également part de son quotidien affecté par la dégradation visuelle et nous déclame les activités mises en place pour rebondir et avancer vers son objectif.
À PROPOS DE L'AUTEUR
Face à la vie,
Alain Soleilhac s’interroge constamment. Souffrant d’un mal qui influe progressivement sur sa vue, il réalise
Un chemin à contre-peur, ouvrage qui décrit ses ambitions d’athlète et ses appréhensions.
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Seitenzahl: 218
Veröffentlichungsjahr: 2022
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Alain Soleilhac
Un chemin à contre-peur
Roman
© Lys Bleu Éditions – Alain Soleilhac
ISBN :979-10-377-6217-7
Le code de la propriété intellectuelle n’autorisant aux termes des paragraphes 2 et 3 de l’article L.122-5, d’une part, que les copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective et, d’autre part, sous réserve du nom de l’auteur et de la source, que les analyses et les courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information, toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite (article L.122-4). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L.335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.
À toutes les personnes
porteuses de handicap et à leurs aidants
Partons à la rencontre d’Alain à travers son quotidien et toutes les pensées positives que l’on trouve chez lui.
Il se définit avec son indéfectible humour comme un guerrier, un combattant qui ne veut pas se contenter de rester sur son canapé…
Au fil des pages, des étapes et de ses projets vous pourrez le constater.
Après avoir partagé deux semaines sur le chemin Le Puy-Saint-Jean-Pied-de-Port, très souvent il me revient de cette belle expérience des images et des impressions très fortes.
Régulièrement son Esprit et sa capacité d’adaptation me guident et m’orientent…
Pas mal pour un malvoyant… ?
Puissiez-vous aussi vous laisser emmener sur des chemins de Vie… ! Illuminés par Alain Soleil…hac.
Gilles Chalaye
Traduisez : « le soleil a chassé » les nuages, comme le lui a fait remarquer un jour une personne portant le même patronyme. En effet, du fait de sa maladie des yeux, Alain est contraint de traverser sa retraite d’instituteur dans une sorte de nuage plus ou moins sombre selon les jours. Refusant alors la pression d’un handicap qui aurait voulu le priver de son désir d’avancer malgré sa peur de l’avenir vers un horizon toujours attirant, il a imaginé un projet susceptible d’entretenir son amour de la vie.
Septembre 2019
Je fonctionne comme ça. La mise en mouvement est importante tant pour le corps que pour l’esprit. Puisque l’inquiétude concernant ma maladie aux yeux se fait de plus en plus pesante, j’ai l’idée qu’un projet sportif, relationnel et touristique serait un excellent dérivatif afin d’alléger ce poids en m’occupant l’esprit pour les mois qui s’annoncent. Depuis la préparation jusqu’à sa réalisation, il nourrirait également mon désir d’écriture, autour de ce besoin avoué de reconnaissance du combat à livrer contre le handicap visuel qui se précise.
Grâce à la personne qui répondra présente à mon appel, je m’affronterai aux brumes du paysage que je traverse. Ensemble, nous pédalerons et cela me permettra de soulever la chape d’absence des choses qui se coule progressivement entre moi et le monde. Je continuerai à respirer, présent aux rayons de lumière qui parviennent, çà et là, à peindre des touches de couleur sur le paysage. S’il est dit que « la vue, c’est la vie », j’expérimenterai que la vie ne se limite pas à la vue. Posée sur l’écran de mon ordinateur, ma page d’écriture est parsemée de taches vides, mais, tout autour de celles-ci, dansent des traces tour à tour claires ou fugitives des images perçues. Elles représenteront autant de cailloux affleurant sur la rivière de cette tranche de vie que nous traverserons. Je suis toutefois conscient que cette façon de voir n’est que le filtre actuel entre mes pensées et la réalité. Ce filtre personnalise nécessairement les choses. J’espère donc qu’au fil des chapitres, les mailles de ce filet desserreront l’emprise de la peur qu’elles y retiennent.
Toutefois, comme la vie ne se limite pas au vélo, ce récit voyagera hors du cadre du tandem. Je m’autoriserai donc à déambuler sur d’autres chemins. Ne dit-on pas « qu’ils mènent tous à Rome ? » Au cours du quotidien de ce voyage, il se pourrait même que nous assistions à certains allers-retours sur des sentiers balisés de réflexions apparues au cours de la longue attente provoquée par les confinements successifs.
Habitant au Puy-en-Velay, au départ du chemin de Saint-Jacques de Compostelle, à partir du mois d’avril, je vois quotidiennement des dizaines de pèlerins ou autres randonneurs s’en aller pour une semaine ou trois mois d’aventure en direction de ce lieu mythique. J’en ai moi-même effectué les premières étapes, à pied, en compagnie de Jean-Luc, mon fidèle pilote de tandem. Cependant, grâce à lui, le cyclisme est plus mon affaire que la marche et c’est plutôt sur ce vélo à deux places, qui me permet de bénéficier de l’aide d’un tiers, que j’envisage de relier Le Puy-en-Velay à Saint-Jean-Pied-de-Port. Si je ne m’attends pas à sortir comme par magie du pays des brumes, j’ose espérer que du moins, mon chemin sera ponctué de milliers de balises étoilées.
L’étymologie du mot tandem signifierait « cabriolet » en anglais. Il s’agissait d’un attelage dont les deux chevaux étaient attachés en file indienne : globalement, on pourrait traduire : « à la longue ». Nous retrouvons ce sens avec un type de vélo conçu pour deux cyclistes pédalant de concert. Le mien mesure deux mètres et cinquante centimètres. Difficile de le suspendre sur un porte-vélos à l’arrière d’une voiture ! En tout cas, il est bien utile pour un malvoyant désirant pratiquer la petite reine grâce aux yeux, au bon cœur et aux muscles d’une tierce personne bienveillante. Dans quelques mois, il n’y a aucun doute, je roulerai en compagnie de celui pour l’instant inconnu avec lequel je partagerai deux semaines de voyage par monts et par vaux entrecoupées de pauses, de visites et d’échanges amicaux. Préalablement à l’aventure, la perspective de faire sa connaissance et de créer des liens avec lui me procure déjà un certain plaisir. Même si, par hasard, nous nous sommes déjà croisés, la nécessité d’une certaine proximité éveillera des questions et des réglages relationnels nouveaux. Nous aurons à nous entendre sur bien des points. Nous nous écouterons et tomberons d’accord. Être candidat pour ce type d’expédition n’attire pas n’importe quel touriste. Prévenue dès le départ, la personne étant informée des limites de son compagnon de voyage sera disposée à en tenir compte. Mais si la dégradation visuelle n’a pas trop évolué d’ici là, ce ne sera pas très lourd pour elle. J’ai surtout besoin de ses yeux pour la route ainsi que pour retrouver les objets qu’il m’arriverait d’égarer ou encore pour déchiffrer toute information écrite. Bref je tomberai sur quelqu’un de naturellement empathique.
Bingo ! L’enthousiasme de l’écriture de ce premier chapitre n’est pas retombé que la sonnerie de mon portable retentit alors qu’Éric, l’un de mes entraîneurs me montre l’affiche collée sur le mur de sa boulangerie. Jean-Marie se présente déjà sur la ligne de départ, située non loin de chez moi, à la lisière du Puy. La motivation que je ressens à travers ce premier contact rebondit. Nous allons nous rencontrer dès son retour de vacances dans un peu plus d’une semaine. Je le remercie chaleureusement avant de remonter sur ma colline, le cœur excité par la rapidité de cette première réponse.
Quel pays inconnu que l’humanité de cet autre qui se tient en face de soi… Merci à Chantal qui, me demandant une semaine plus tard si j’avais reçu un retour à mes affiches pour rechercher un pilote, a répondu à mon acquiescement : « Tu vois, il faut toujours demander ! ». En avançant dans ma situation de handicapé visuel, j’expérimente à quel point cette affirmation s’avère véridique. Il existe toujours des personnes prêtes à offrir le coup de main attendu.
Pourtant, comme si je ne croyais pas vraiment à la chance, j’ai poursuivi ma distribution d’affiches. Françoise, mon amie musicienne, ma sœur Thérèse et sa copine d’enfance Christiane, Guillaume, mon opticien ainsi qu’un couple de parents d’une ancienne élève et enfin mon libraire de la rue Saint-Jacques, la bien nommée, ont aussi eu droit à leurs exemplaires. Excuse-moi Jean-Marie, mais si jamais tu ne pouvais plus m’accompagner, il faut bien tout prévoir ! Merci encore d’avance à tous les derniers destinataires de ma bafouille d’offre d’emploi à un bénévole. La semaine suivante, en effet, un autre grand cœur devait remplacer le précédent.
Si, depuis trois ans un tandem de route de marque Canondale nous promène une à deux fois par semaine sur les routes montagneuses de Haute-Loire, il n’aura peut-être pas le privilège de nous acheminer jusqu’à Saint-Jean-Pied-de-Port, étape ultime de notre périple. En effet, le seul organisme auquel je me suis adressé, pour une assistance éventuelle, indique que son itinéraire emprunte certes des petites routes mais également certains chemins nécessitant d’être équipé d’un vélo tout terrain ou au moins de type VTC dont les roues autorisent l’usage des voies vertes souvent sablonneuses. Heureusement, notre garage abrite aussi un second tandem. C’est un bel engin de marque Folies qui nous a très aimablement été prêté par Jean-Claude, valeureuse figure du cyclisme ponot. Son propriétaire ne s’en sert plus mais l’a méticuleusement entretenu dans l’espoir de le voir un jour utilisé par une personne qui à mon exemple ne pourrait pas rouler sans l’aide d’un pilote. Un petit problème cependant réside dans le fait que la machine demande beaucoup de doigté à son utilisateur pour réussir à passer d’un plateau à un autre. Tout le monde n’y parvient pas. Dans le cas où mon futur guide serait d’accord pour l’utiliser, après un ajustement mécanique du dérailleur, cela m’éviterait bien de faire l’acquisition d’un engin à pneus demi-ballons adaptés aux chemins vicinaux. Même s’il totalise quelques dizaines d’années de vol, ce superbe biplace à pédales de l’ex-champion attirerait bien des regards sur les chemins empruntés chaque année par des milliers de pèlerins.
Je sais que des loueurs de VTT existent, mais j’imagine qu’ils sont peu nombreux à proposer des tandems. On ne rencontre que rarement ces longs vélos sur les voies champêtres de notre département. Enfin, il y a quelques années, j’ai appris qu’un club de vététistes local en possède un exemplaire mais ma requête auprès de ses membres n’a pas abouti.
N’oublions pas de remercier Jean-Claude qui a été immédiatement d’accord pour me laisser utiliser son beau tandem rouge et m’a offert de travailler à aménager grâce à ses propres talents de mécanicien le système de changement de plateaux fatigué de sa monture.
Quelle que soit la petite ou plutôt la « grande reine » choisie, il nous faudra penser à organiser son rapatriement, une fois parvenus à la frontière espagnole. À l’heure qu’il est, notre voyagiste n’a pas la solution car l’engin est trop long pour profiter de la navette susceptible d’être mise à notre disposition. De plus je crois que la SNCF n’accepte que les bicyclettes démontées et emballées dans une housse adaptée. Il la faudrait grande pour notre belle machine. Au guichet de la gare du Puy, une aimable jeune femme préposée à la vente des billets m’a appris que notre méga bicyclette pourrait bénéficier du rapatriement à condition que nous voyagions avec elle. Il nous faudrait deux jours de train en nous occupant du gros paquet. Discuter avec les amis ajoute souvent des idées auxquelles nous n’avions pas pensé. Annick m’a suggéré la location d’un petit fourgon pour le retour. Cela paraît plus facile en effet. Merci à Annick pour la bonne idée et merci à la souriante guichetière de la gare. Être accueilli par le sourire en sentant ses questions bien prises en compte est fort agréable.
Il y a soixante et un ans, à une trentaine de mètres derrière la terrasse où je suis installé face à mon ordinateur parlant, je donnais mes premiers coups de pédales sur un vélo d’enfant dans les allées de la propriété que mes parents entretenaient. Plus d’un demi-siècle après, résidant toujours sur la même colline, je prépare mon Saint-Jacques et je revois les étapes cyclistes de ma vie. J’ai toujours aimé ces fines machines à guidon et à pédales grâce auxquelles je n’ai jamais abandonné ce loisir salutaire que représente la pratique du vélo.
À l’occasion de la communion solennelle, l’usage, au début des années soixante, était d’offrir aux garçons une première bicyclette que l’on appelait un demi-course parce qu’à la différence des vrais vélos de course, il était équipé de garde-boue et d’un porte-bagages. Je possède encore la photo sur laquelle, en aube de communiant, appuyé contre la pergola de la propriété, je posais dans la posture d’un champion. Ce premier vrai vélo était un luxe pour la catégorie sociale à laquelle appartenait ma famille. Je me souviens d’un petit exploit qui avait consisté à rendre visite tout seul à une tante habitant à une dizaine de kilomètres de la maison après avoir gravi au moins deux cents mètres de dénivelé qui permettaient d’accéder au village de Cordes.
Excepté une photo prise lors d’un camp pour adolescents, les années qui suivirent n’ont pas laissé de traces vélocipédiques dans ma mémoire. Il a fallu attendre l’âge de vingt-cinq ans pour que me revienne le goût de l’effort physique. Je commandais mon premier vélo de cyclotourisme à la Manufacture d’armes et de cycles de Saint-Étienne dont nous recevions le volumineux catalogue au milieu des années soixante-dix. Malheureusement à l’image de ce vélo de marque Manufrance dont on me cisailla l’antivol, la mythique manufacture devait disparaître elle aussi à l’aube des eighties. Le cœur gros, je le remplaçai dans la foulée par une « randonneuse » acquise à la CAMIF, coopérative d’enseignants à laquelle mon épouse adhérait. J’avais décidé de l’utiliser comme véhicule de travail pour me rendre à l’école située à trois kilomètres environ. La solidité de cette bicyclette me permit d’y installer un siège d’enfant afin de transporter quotidiennement mon petit garçon à la maternelle de l’établissement dans lequel j’enseignais. Autour du début des années quatre-vingt, nous nous offrions le luxe de longer un ruisseau le long de l’hôpital Sainte-Marie entre Brives-Charensac et Le Puy-en-Velay.
Le virus du vélo avait désormais colonisé mes jambes. Non content de pédaler quotidiennement une douzaine de kilomètres pour des questions pratiques, le désir me prit d’adhérer au club de cyclotourisme local et je projetai de m’offrir un véritable cycle de tourisme qui posséderait un cadre allégé de marque Reynolds et, fin du fin, agrémenté d’un guidon doré Brelli et de freins Mafac de même couleur. Pendant deux années, je mis de côté toutes les pièces de cinq francs qui me tombaient sous la main. Lorsqu’enfin les deux cent cinquante francs de l’époque furent réunis, je passais la commande à un artisan Brivois qui me monta amoureusement mon premier beau vélo. J’étais devenu un véritable cyclotouriste sillonnant en peloton les routes du département tous les dimanches matin. Vu mon niveau, j’effectuais seulement les cinquante kilomètres adaptés aux sportifs de ma catégorie. J’avais endossé le maillot de laine orange avec poches de poitrine du club et le casque à boudins qui se faisait à l’époque. Cependant ces courtes sorties devaient me suffire puisque je les sentais dans mes jambes tous les lundis matin en me rendant au travail. Je fréquentai ce club quelques années puis je préférai rouler avec deux ou trois copains dont l’un d’entre eux, Jean-Louis, était mon meilleur ami depuis le cours préparatoire.
Merci Jean-Louis pour toutes ces magnifiques virées que nous avons effectuées ensemble. J’espère que le jour venu, j’aurais assez de mollets pour gravir le dernier col jusqu’à ce firmament où tu résides depuis plus d’une douzaine d’années. Je te revois encore escalader la difficile montée qui accédait au lac d’Issarlès, la cigarette au bec ! Une autre fois, ensemble, nous nous étions rendus au monastère de Notre-Dame des Neiges. Une lettre de recommandation nous avait permis de visiter la bibliothèque pour y découvrir des manuscrits du XVIème siècle. En une autre occasion, nous avions parcouru à pied toute la crête depuis le col de la Chavade jusqu’à une descente sur le bourg de Thuyets au pied des Cévennes. Tu avais tenu à remonter toute la côte de Mayres en marchant sur le goudron fondant sous le cagnard, alors que moi, les jambes en compote et le crâne en feu, j’avais choisi le « stop » pour remonter jusqu’à notre voiture. Je n’en finirai plus de lister les sorties pédestres ou vélocipédiques effectuées en duo.
Aujourd’hui les beaux restes de la monture que je chevauchais alors sont le guidon doré et la selle de cuir de marque Idéale. Ces deux indispensables accessoires ont été montés sur le home-trainer que j’utilise afin de garder le souffle et les jambes entre deux sorties en tandem. Merci Jacques. C’est toi qui as fabriqué cet engin d’entraînement lorsque, commençant à souffrir de dégénérescence maculaire, j’ai cherché un pilote pour me conduire.
Mes débuts à vélo accompagné se sont faits sur le vieux tandem jaune que le club fréquenté jadis m’a aimablement prêté trois années durant. Malheureusement l’usure a fini par briser l’axe de la roue arrière et personne n’a réussi à le réparer. J’ai donc dû me procurer un remplaçant neuf que nous utilisons régulièrement avec Jean-Luc et un peu plus épisodiquement avec Éric et Bruno le dernier arrivé sur la liste des capitaines à mon service. Toute ma gratitude à ces trois « gradés » qui m’offrent leur temps, leur énergie et leur amitié.
Jamais donc, je ne devais abandonner définitivement ce que certains osent nommer le biclou. Au cours de ma carrière d’enseignant, aidé par une collègue sportive et un groupe de parents, j’invitais mes élèves à goûter au plaisir de pédaler. Des années durant, nous avons encadré des dizaines d’enfants au cours de belles après-midi, très sécurisées au départ de l’école jusque dans la campagne environnante. Enchantés par cette activité, les jeunes observaient une stricte discipline, excellente introduction à leur future vie de conducteurs. Merci à tous ces parents si coopératifs et aux automobilistes qui ont su patienter derrière la longue file de cyclistes en herbe à l’entrée de la ville.
Puis, bien des années plus tard, devait sonner l’heure de la retraite. Un magnifique « road », vélo de course à guidon plat m’attendait comme cadeau de la part des collègues attentifs à mes goûts de quinquagénaire. Qu’ils sachent que rien ne me faisait plus plaisir que ce vélo dont j’ai pleinement profité les sept années suivantes.
« Hé, derrière, il faut aussi pédaler ! » Rares sont nos sorties au cours desquelles ce genre d’encouragement ne nous est pas lancé au passage. Un clin d’œil moqueur qui n’a rien de méchant adressé à celui qui occupe la deuxième place, mais dont la répétition suggère quelque chose. « Il est toujours derrière, » comme dit la chanson. Peuvent-ils imaginer que, pour pratiquer le vélo, j’ai besoin de quelqu’un ? À la différence d’une personne en chariot, on ne discerne pas facilement le handicap visuel. Heureusement qu’il se trouve des aidants pour passer devant et montrer le chemin à ceux qui le voient mal. Parfois, les seconds mettent du temps à trouver les premiers, mais ceux-ci finissent toujours par se montrer. Merci « docteur » Jean-Luc de répondre présent depuis bientôt six ans. Cet après-midi, tu vas m’offrir une magnifique escapade dans les monts du Meygal à partir du bourg de Saint-Julien-Chapteuil. Après une journée de travail depuis cinq heures du matin, tu arriveras « de bonne heure et de bonne humeur » et te mettras au volant de ma petite auto si bien conçue pour transporter le tandem occupant toute la partie droite de l’habitacle depuis le tableau de bord jusqu’à la portière arrière. Ce devrait être un entraînement de premier ordre, au sens propre comme au sens figuré, puisque mon coach a des possibilités physiques bien supérieures aux miennes, il ne se contente pas de rester sur la touche. Il est forcément le premier à écraser les pédales. Malgré tout, je n’ai pas voulu faire pâle figure et je me suis démené comme un beau diable pour gravir la route forestière qui serpente entre les sucs des monts du Meygal jusqu’au village de Queyrières.
Mais avant tout, un peu de géologie et d’histoire locale. Les nombreuses collines au sommet arrondi appelées sucs sont les témoins d’une période volcanique très mouvementée dans la vieille province du Velay. En ces temps reculés, la croûte terrestre, en s’écartant, laissait surgir de toutes parts de gigantesques masses de lave épaisse qui, telle une pâte visqueuse, en se refroidissant rapidement formait des dômes élevés aux pentes abruptes. Le pays est fort ancien puisque Chapteuil, dérivé de Capitolium, mot ligure désignant le siège du gouvernement, a pu être la capitale de la nation vellave. Des ateliers monétaires étaient établis autrefois à Monedeyres, commune de Queyrières, à peu de distance du Capitole. La butte d’orgues basaltiques était occupée par un château où l’on battait la monnaie.
Une fois l’assaut terminé avec grande sueur sous les casques, Jean-Luc maîtrisa superbement notre destrier enivré d’oxygène tout au long des neuf kilomètres de descente. Nous ne pouvions en rester là car l’élan accumulé au retour à Saint-Julien nous propulsa sur le versant opposé en direction du hameau de la Pradette où un oratoire indique le passage de l’une de nos saintes figures locales en la personne de François-Régis qui, au XVIIème siècle, arpentait le pays en œuvrant vaillamment pour la défense de nos célèbres dentellières du Velay. En guise de « petit » tour, il ne le fut que par sa durée de deux heures.
À ce point du trajet, j’avoue en avoir eu bien assez accumulé dans les mollets. J’avais même roulé à crédit sans m’en rendre compte car, en ce lendemain, au moment où j’écris ces lignes, le repos de la nuit n’ayant pu faire son œuvre, je me sens fourbu d’une fatigue qui me cabosse un peu le moral. Contraint d’investir tout au long des jours beaucoup d’énergie pour compenser le trouble visuel, j’imagine que je récupère moins vite qu’autrefois. Vu ma condition physique, l’entraînement a dû être trop intense. Il nous faudra introduire plus de mesure et de progression si je veux m’aligner en bonne santé au départ du Puy vers Saint-Jean-Pied-de-Port. Malgré six ans d’entraînements réguliers, la bête n’est pas à l’optimum de sa forme. Les soixante-neuf années de carrière l’ont marquée de quelques égratignures qu’il lui faut prendre en compte en veillant à gommer ce qui peut encore l’être.
Deux semaines après mes premières distributions d’invitation, nulle réponse ne m’est encore parvenue. Puisqu’on dit qu’il n’y a que la foi qui sauve, il est excellent que je la garde en continuant à mobiliser connaissances et amis. Vendredi, sous la baguette de Françoise, trois copains clarinettistes sont venus à la maison, comme ils le font régulièrement afin de m’encourager à ne pas lâcher la pratique instrumentale devenue difficile puisque la lecture des partitions s’avère impossible. Grâce aux enregistrements audio que m’envoie Françoise, je parviens, à force de répétitions, à mémoriser un morceau par semaine. Hier soir, j’ai reçu le titre bien à propos : « Les copains d’abord ». Grâce à eux, pour mon projet de voyage, je peux m’exclamer : « En avant la musique ! » Comme Françoise qui distribue les partitions, je distribue les flyers de demande d’un pilote. Nicole, Yves, Alain sont repartis avec leur lot d’invitations à déposer quelque part. Tout le monde est mis à contribution. Avant-hier, ma sœur Thérèse m’en a pris également puis elle m’a conduit au village natal de mes parents où l’on a rencontré Jean-Louis, un petit cousin qui m’a promis d’en placarder une sur sa porte d’entrée. C’est donc, l’étape importante des appels lancés à offrir de l’attention et de la bienveillance à une personne handicapée. Merci Marie-Christine de m’avoir communiqué le numéro de Mathieu, bénévole à l’Office des Sports de la ville du Puy.
Ce dernier m’a demandé d’en déposer une dans la boîte à lettres du dit office. J’en ai profité pour gravir les pavés de la vieille ville dans l’idée d’en confier une au Camino, lieu de passage et de renseignements pour les randonneurs et pèlerins en partance pour le chemin. En ce lieu accueillant, j’ai rencontré François qui m’a promis de parler de mon projet à l’association des « Amis de Saint-Jacques » ainsi qu’à Mathilde qui a été une de mes élèves il y a une dizaine d’années. Actuellement elle effectue un stage de journalisme à la rédaction d’un quotidien célèbre dans tout notre département. J’ai nommé l’Éveil de la Haute-Loire. L’ultime affiche du jour sera prise en main par un aimable monsieur travaillant dans les bureaux du DALHIR dont la fonction est de mettre en lien les personnes handicapées de notre département avec les associations sportives ou culturelles lorsque celles-ci en font la demande. Plusieurs centaines d’individus bénéficient des services du DALHIR. Merci à toutes et à tous pour l’aide précieuse que vous nous offrez.
Un tel chapitre ne pouvait se clore sans une excellente nouvelle. Ce matin même, la sonnerie de mon téléphone a retenti pour qu’une voix m’annonce : « Je suis très intéressé par votre projet ! » C’est Gilles qui dès hier soir a reçu l’e-mail de François faisant part de ma requête. La réponse ne s’est pas fait attendre. Nous sommes tombés très vite d’accord. Il suffisait d’y croire !