Un enfant tant attendu - Elaine Vallet - E-Book

Un enfant tant attendu E-Book

Elaine Vallet

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Beschreibung

Le parcours semé d'obstacles d'Elaine et son mari Cédric pour accueillir un enfant.

« Enfant, ma mère me disait souvent : “ Tu as bien le temps d’y penser ! ”, lorsque je parlais du jour où je serais maman à mon tour. Le temps, certes, je l’ai eu, mais bien plus qu’elle ne l’envisageait alors. Il aura fallu sept années d’acharnement, d’échecs, d’évolutions et de déchirements pour pouvoir fonder une famille. Ce livre retrace le chemin tortueux qui nous a menés, mon mari et moi, à la rencontre de notre fille, pupille de l’État, depuis les essais fébriles pour concevoir un bébé aux premières désillusions qui nous ont conduits vers un long parcours de procréation médicalement assistée, en France, puis à l’étranger, avant de nous tourner vers l’adoption nationale et internationale, avec ses embûches et ses espoirs fluctuants. Notre infertilité a entraîné des bouleversements profonds dans notre couple et dans nos liens sociaux – bouleversements face auxquels je me suis souvent sentie isolée et démunie. Les rencontres et récits de mes pairs m’ont aidée à avancer et je souhaite, à mon tour, apporter ma pierre à l’édifice en témoignant à propos de ce parcours hors norme vers une autre parentalité. »
Chaque année, la France compte près de 6000 demandes d’adoption. Des demandes auxquelles elle ne peut répondre : près de 16 000 familles agréées sont toujours en attente d’un enfant. Elaine et son mari sont aujourd’hui les parents d’une petite fille, après sept ans de démarches. Ce témoignage est porteur d’espoir pour tous les couples qui connaissent les mêmes difficultés.

Découvrez un témoignage touchant, optimiste et empli d'espérance qui incite à surmonter ses doutes et ses angoisses !

EXTRAIT

Huit mars, le médecin qui nous reçoit pour l’échographie n’est pas encourageant et ne souhaite pas se prononcer sans avoir confronté ses résultats à ceux de la prise de sang. Il laissera donc aux infirmières le soin de nous appeler dans la journée pour dire si l’on continue ou pas. Forts de trois années d’échographie et de PMA, nous savons bien reconnaître les signes d’une tentative avortée, et nous nous retrouvons le long de ce long boulevard vide avec le même goût amer dans la bouche. Nous savons qu’une page se tourne en silence, sans dire son nom. Cédric me prend dans ses bras, avant de me laisser m’envoler vers le collège où je noierai ma douleur dans une hyperactivité de circonstance. Mon téléphone vibre au croisement des rues : Vincent nous annonce fièrement qu’il est papa en cette belle journée de « Fête des femmes » ! Je pleure en silence en envoyant tous mes vœux de bonheur, embrasse l’homme que j’aime et descends dans la bouche de métro qui m’aspire dans sa moite béance.
Les infirmières me laissent un message dans l’après-midi, pour m’informer que l’on poursuit le traitement et que je devrai revenir dans deux jours pour un nouveau contrôle. Je n’en attends rien pourtant et mets ces deux jours à profit pour me pencher sur les procédures d’adoption. Je sais que c’est le dernier essai, la dernière chance pour moi d’être enceinte de cet enfant, combinaison unique de nos patrimoines génétiques pour créer la vie, mais je me refuse à me projeter dans la réussite de cette aventure, car une autre déception serait trop violente.

À PROPOS DE L'AUTEUR

Elaine Vallet, originaire de Bordeaux, y enseigne l’anglais en collège, après treize ans en ZEP en Seine-Saint-Denis.

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© La Boîte à Pandore

Paris

http ://www.laboiteapandore.fr

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ISBN : 978-2-39009-342-8 – EAN : 9782390093428

Dépôt légal : D/2018/11906/13

Toute reproduction ou adaptation d’un extrait quelconque de ce livre par quelque procédé que ce soit, et notamment par photocopie ou microfilm, est interdite sans autorisation écrite de l’éditeur.

Elaine Vallet

Unenfanttant attendu !

De la PMA à l’adoption,surmonter tous les obstacles

À ma fille

“It’s good to have friends in life”, she said. “If you want to have friends, you have to remember that nobody’s perfect.”

« C’est bon d’avoir des amis dans la vie, dit-elle. Si tu veux avoir des amis, il faut te souvenir que personne n’est parfait ».

Freedom, Jonathan Franzen, 2010

« Cette réaction contre la tendresse, ce souci du jugement d’autrui, c’était un pas vers la solitude. Parce que j’ai eu peur, parce que j’ai eu honte, parce que j’ai été déçu, j’ai voulu jouer les héros indifférents. Quoi de plus seul qu’un héros ? »

Boris Vian, L’Herbe rouge, chap.16

Préambule

IAC, FIV, test de Huhner, bêta-HCG, FSH, LH, AMP, prolactine, œstradiol, AMH, négatif, positif, ovocytes, embryons, TEC, J14, J3, autant de mots qui ne font sens que pour les patients impatients du parcours de procréation médicalement assistée ou pour les initiés en blouse blanche. Puis ces mots sont devenus à leur tour agréments, ASE, CG, OAA, AFA, EBS, La Haye, EFA et encore et toujours psy, aide, conseils. Mots témoins de toute une histoire, celle d’un couple, mon couple, qui ne peut concevoir d’enfant, mais ne renonce pas à être parents et qui avance inlassablement, pousse des portes, se heurte à des obstacles, tombe, se relève, explose, se retrouve. Mettre ces mots sur des douleurs et des doutes à deux pour traverser ce que certains appellent « un parcours du combattant », pour tenir, un jour, une petite main dans la nôtre et ne plus la lâcher, parce que c’est celle de notre enfant et que nous sommes ses parents.

Autour de cette intimité blessée gravitent les amis, la famille, les copains, le travail, les gens croisés ici et là, curieux ou empathiques, voire les deux, les gens du quartier, les « et vous ? Vous ne voulez pas d’enfants ? », les « alors, c’est pour quand ? » – poids d’une société normalisée où la douleur est tue ou exclue, non par méchanceté ou mesquinerie, mais plutôt, sûrement, par incompréhension, maladresse, individualisme, conventions, pudeur peut-être…

C’est pour cette micro-société qui est la mienne et pour toutes celles qui lui ressemblent que je couche ces phrases sur le papier. Ce chemin vers un enfant tant attendu, on le suppose, on l’envisage, mais les chamboulements relationnels et émotionnels qu’il induit, les plaies qu’il ouvre entre les êtres, les rancœurs et les ressentiments qu’il fait surgir pas à pas, rien ne nous y avait préparés. Écrire pour clore une parenthèse qui met la vie en suspens et pouvoir tourner la page de façon apaisée – onguent pour meurtrissures de l’âme.

Toutes ces heures, semaines, mois, années, passés sous surveillance médicale pour ovuler, ponctionner, féconder, implanter, puis espérer ont été un hors temps, une coupure dans la linéarité des échanges. Lorsque l’on sort la tête de l’eau au bout de cette course, on réalise, tardivement, que le temps est passé pour les autres aussi, ces autres avec qui nous n’avons pas pu, su, voulu trouver les mots pour expliquer cette étape douloureuse. Certains ont été patients, sont toujours là, infatigables, d’autres reviennent au sein du cercle confortable de l’amitié et l’on essaye de mettre des paroles sur cette absence, d’autres encore sont loin, perdus, pour longtemps… À jamais ? Et l’on regarde rétrospectivement ce que la vie aurait pu être sans ces moments gâchés, ces contraintes, encore et toujours, sur les corps et les cœurs.

On se demande alors ce que l’on aurait pu faire quand chaque instant était conditionné par les traitements, prises de sang, échographies de contrôle, attentes de résultats, toujours négatifs, face auxquels il fallait accuser le coup. Comment vivre quand le futur ne comporte qu’une interrogation : « Et si demain ça marchait ? »

Et tous ces gens autour de nous, pour qui, justement, ça marche, parfois même du premier coup. Le quotidien ne sait plus se partager alors, car trop différent. Envier leur légèreté ou leurs moments de bonheur, leurs yeux brillants de joie et de fierté à l’annonce d’une grossesse, radieux futurs parents qui caressent le ventre béni, pleins de tendresse et d’affection, la cérémonie de l’annonce qui se répète, les premières dents, les premiers pas, la fatigue et les craintes. Notre incapacité aussi à écouter leurs peines, occupés à panser nos propres blessures, à courber l’échine en attendant un « après » idéalisé. Leurs interrogations silencieuses, notre absence remarquée auprès d’un berceau sur lequel nous n’aurons pas eu le courage de nous pencher. Les larmes, les sautes d’humeur, les « c’est normal, avec toutes ces hormones, ma brave dame ! », le corps qui gonfle, qui devient lourd et ennemi, le ventre vide qui attire des regardsque l’on voudrait à tout prix éviter, l’irritabilité quand on exprime nos craintes et qu’on y oppose un « mais tout va bien se passer ». Et justement, si tout ne se passait pas bien ? Si l’appel salvateur n’arrivait jamais, si tout le temps passé dans l’attente éteignait la petite flamme qui brûle en nous ? Chaque jour de doute est un jour qui nous coupe de l’autre. Puis on relève la tête et l’on continue…

Première année

Avoir un enfant fut un choix de commun accord entre Cédric et moi. Le germe d’envie que nous portions chacun a mûri dans nos cœurs, jusqu’à devenir une évidence partagée. Arrive alors l’euphorie de ce beau jour de mai où nous décidons de nous passer de toute contraception. Puis surgit l’excitation mêlée d’angoisse au moment où l’on se dit que peut-être ça a marché du premier coup, que peut-être je vais être enceinte, porter en mon sein une petite personne en devenir, vivre neuf mois en symbiose avec ce petit passager. La machine est lancée, on ne peut plus reculer. Quand il sera là, ce sera pour toute une vie. On projette sur cette grossesse notre histoire personnelle, nos propres images idéalisées d’une main de papa en devenir qui vient glisser sur ce ventre qui s’arrondit. Ce papa qui dit des mots tendres dans le creux du nombril, qui se demande à qui ressemblera ce petit bébé à naître. Voir l’empreinte de ses pieds minuscules dessinée sous la peau tendue, entendre les battements de son cœur, magie sans cesse renouvelée et un peu stressante, « ça bat pas trop vite, là ? » Les échographies où se profilent les contours de notre trésor – la fébrilité de cette première rencontre par ultrasons interposés, le sexe, « le savoir ou pas ? » Il va bien ? Alors nous aussi ! Images mentales d’une culture occidentale commune qui met la femme enceinte en son centre.

Juin arrive, nouveau cycle, je ne suis pas enceinte. Cela ne nous trouble pas, car on sait que l’on va recommencer, revivre cette joie et cette attente tapie, là, en filigrane. Par moment, gonflée d’une bouffée de joie quasi lacrymale, fière et tremblante, je me regarde dans la glace et me dis : « Je vais être maman ». Je commence à en parler un peu avec quelques amies proches qui me confient qu’elles aussi vont essayer, qu’elles en parlent avec leurs amoureux et vivent cette même période d’ébullition. On rigole comme des gamines en se souvenant du jeu « du papa et de la maman », conditionnement sociétal de notre plus tendre enfance : « Il est où, mon poupon ? » On se fait sérieuses quand on parle des angoisses contingentes – la grossesse c’est autre chose que « allez-y, poussez, faites le petit chien »… Professeure, je rêve d’un bébé d’enseignant, conçu en juillet, né en avril, pour enchaîner le congé maternité sur les vacances scolaires et profiter de cette rencontre pour tisser des liens forts, prendre le temps de l’adaptation et de la découverte.

Juillet arrive justement et nous partons en vacances. Remèdes de grand-mères et croyances populaires : rien de tel que des congés pour faire un bébé, paraît-il ! Et si tu surélèves le bassin après l’amour, ça augmente les chances de fécondation. Début des privations auto-infligées : si je bois moins d’alcool et que je ne fume pas, je tomberai enceinte plus facilement, d’autant plus que j’ai 30 ans déjà ! Pensée magique en boucle… Et tout le monde qui répète : « Le mieux pour tomber enceinte, c’est de ne pas y penser ». Mais bien sûr que l’on y pense, car il n’y a pas de décision plus bouleversante que celle de vouloir un enfant… Les vacances s’étendent en un road trip chaotique à travers l’ouest des États-Unis, rythmé par des étreintes régulières, où sensualité et espoir se mélangent. Mille aventures se succèdent outre-Atlantique, souvenirs engrangés pour le futur, déboires mécaniques et rencontres improbables. Retour en France et, de nouveau, la déception au moment où le sang menstruel apparaît : pas pour cette fois. Dommage ! On aurait bien aimé ramener un cowboy du Montana ou une cowgirl de l’Idaho que l’on aurait prénommée Missoula, comme cette ville américaine où nous sommes tombés en panne et restés coincés une poignée de jours délicieux. On découvre alors à quel point les statistiques et les forums de tout poil peuvent avoir un effet pervers sur la conception du monde. J’ai entendu dire que la fécondation réussit en moyenne une fois sur quatre. On pourra donc s’inquiéter à partir d’août ? J’ai lu que la moyenne de temps pour concevoir un enfant en France est de 6 mois. On s’inquiètera donc en octobre ? J’ai vu qu’après 30 ans, une femme est moins féconde. Alors on s’inquiète déjà ? D’où viennent ces chiffres, de toute façon ? Espoirs virtuels glanés sur la toile, réconfort de pairs lointains aux discours contradictoires.

Essai bébé, mois 4 : août amènera-t-il les 25 % de réussite statistique ? J’appelle deux de mes collègues pour prendre quelques nouvelles. Elles m’annoncent de concert qu’elles sont enceintes. Et c’est la première fois que le doute lancinant s’installe en moi après ces tentatives infructueuses… Pourquoi les autres et pas moi ? Les mois suivants, on nous annonce deux autres grossesses autour de nous. Il m’arrive de regarder les enfants de nos amis comme témoins de l’âge qu’aurait pu avoir le nôtre si la vie avait été autre, et je mesure à travers eux la longueur du parcours qui nous emmène vers lui... Nous sommes heureux pour nos copains ; je parle grossesse avec les futures mamans pour mieux me préparer à celle que je compte vivre dans les semaines à venir. Le temps passe et je me dis que, peut-être, il y a quelque chose qui ne tourne pas rond, et cela devient un peu douloureux de les voir s’épanouir et se projeter dans leur bonheur. Un peu décalée par rapport aux conversations « crèche, pédiatre, couches, biberons… » Un peu heurtée par celles qui ne vivent pas bien cette étape de leur vie, qui n’aiment pas voir leur corps changer, souffrent de ne pas boire un verre de vin en soirée, souffrent tout simplement de leur état pour tout un tas de raisons légitimes que je ne peux alors pas entendre, obnubilée par mon vide. Chaque fois qu’elles laissent s’exprimer une crainte ou une douleur, je ne suis pas l’amie aimante et attentive que je devrais être, grondant intérieurement : « Ne te plains pas à moi qui souhaite plus que tout au monde être à ta place ». Je me dis qu’elles devraient apprendre à partager ces frustrations et ces angoisses avec d’autres que moi qui les envie tant. Je me déplais dans cette attitude et culpabilise de ne pas être empathique, mais ne sais déjà plus faire autrement. Première brique du rempart contre la souffrance. Je les juge : les sacrifices de la grossesse ne sont rien par rapport aux joies envisagées qu’elle amène. Je me dis aussi que je donnerais bien toutes mes grasses matinées contre des nuits de sommeil fragmentées par les hurlements d’un nourrisson affamé. Et le fossé de l’incompréhension grandit… Je m’ouvre à une amie célibataire à propos de l’angoisse d’infertilité au sein de notre couple. Sa réponse est sans appel : « Te plains pas, t’as un mec, toi ». Chacun voit midi à sa porte… et pourtant je ne lui pardonne pas cette attitude que je m’autorise avec autrui. La relativité de la diplomatie est un travail de longue haleine que je mettrai sûrement encore des années à finaliser, si j’y arrive un jour...

Le premier trimestre de l’année scolaire s’étire lentement, et je fête mes 31 ans en octobre. En soufflant les bougies, je troque intérieurement mon sempiternel vœu stérile de bonheur universel pour un égoïste désir de maternité imminente : je veux être maman avant mes prochaines bougies ! Le mois de mai et son insouciante fébrilité semblent déjà bien loin et, en décembre, notre voyage romantique à Dublin sera le lieu de déchirements épuisés autour de nos craintes pour l’avenir. Premiers mots durs et froid glacial, l’Irlande de mon cœur devient terrain de guerre. Nous ne savons pas nommer ces angoisses et cherchons de faux exutoires…

L’hiver est là, et je prends rendez-vous avec ma gynécologue pour lui faire part de nos tentatives infructueuses, à la recherche de conseils rassurants. Je mens un peu sur les dates, histoire d’être prise en charge plus rapidement. Si tout est bon, alors, on pourra continuer les essais sous la couette, sinon on s’en remettra à des mains expertes.

C’est à partir de ce premier rendez-vous que la conception de notre enfant a fait basculer notre rapport au corps et au couple. Finie l’intimité… Je ne suis plus que cycle, menstruation, ovulation avec prescription de rapports sexuels entre J10 et J15. J’échappe de justesse à la courbe des températures, mais j’apprends à compter jusqu’à 28 comme un mantra sans cesse répété, et la litanie des J1, J2, J3… est entamée. On nous prescrit un test de Hühner – aussi appelé test post-coïtal – examen top sexy qui consiste, après un rapport sexuel, à vérifier la qualité de la glaire cervicale et le comportement des spermatozoïdes qui s’y trouvent, le tout en phase préovulatoire. Le mode d’emploi nous fait d’abord sourire et mon amoureux apprend lui aussi à compter à rebours : trois jours d’abstinence avant le J12 du cycle de Madame, puis entre six et douze heures avant le recueil au labo, rapport sexuel suivi d’une phase de repos (ne pas bouger pendant vingt minutes avec un coussin sous le bassin. Les jambes, à quel angle ?). Réveil enclenché de bonne heure le lendemain matin, un samedi, pour aller effectuer le recueil au laboratoire, sans toilette intime bien sûr. Trajet en métro un peu morose. C’est notre premier rapport obligatoire avec minutage précis… Adieu glamour et bonjour discussions ultra affriolantes : « Alors, ta glaire, elle va comment ? » Résultats : une glaire un peu acide qui semble attaquer les spermatozoïdes de Monsieur, à moins que ce ne soit eux qui ont tendance à mourir un peu tout seuls, mais rien d’alarmant. Dans le doute, on nous prescrit de nouveau le même test. Vingt-huit jours plus tard, nous y revoilà, avec en prime une prise de sang pour voir comment se débrouillent mes hormones ! Alors bien sûr, dès que l’on cherche quelque chose, on trouve… Tout un tas de petits indicateurs qui ne semblent pas inquiétants, mais qui ne sont pas optimum. Peut-être que ce sont eux qui posent problème. Au cas où, je n’ai qu’à prendre ce traitement-là pendant quelque temps, puis un autre, puis on verra bien… Nous tâtonnons et jetons les tests de grossesse trop vite achetés.

Me voilà donc sous antibiotiques au printemps. Ils ont la mauvaise idée d’activer la photosensibilité de la peau. Qu’à cela ne tienne, je me tartine de crème solaire et en route pour des vacances au Cap Corse (mais oui, les vacances c’est idéal pour concevoir un bébé… Personne n’oublie de me le rappeler !). Nous découvrons, gourmands, l’île de Beauté. Comme une andouille, je me lave consciencieusement les mains après avoir mis de la protection solaire : mes doigts gonflent et cloquent dans le maquis. Premiers effets secondaires.

Le biologiste a trouvé des taux trop élevés de prolactine dans mon sang, cette hormone qui influe, entre autres, sur la lactation. Il va falloir essayer des traitements pour faire baisser ce taux anormal. Bilan en juin, puis fin août. Un an déjà est passé, et l’appréhension grandit…

Deuxième année

Nous décidons d’en parler à demi-mot à nos familles, de leur dire que nous essayons d’avoir un enfant, mais que cela n’arrive pas aussi vite que prévu. Envie de les protéger pour ne pas créer chez eux une attente sans cesse déçue, mais besoin aussi de leur dire que nous passons par des étapes un peu compliquées et douloureuses et que tout devrait rentrer dans l’ordre bientôt. Je viens d’une famille pudique qui ne verbalise pas beaucoup les choses du corps et du cœur, alors on reste dans le flou ou dans des échanges un peu bourrus, mais l’essentiel est dit avec affection. Du côté de mon amoureux aussi. Il explique un peu, et le changement s’opère par le nombre plus espacé d’occurrences de « alors, le bébé, c’est pour quand ? » Ils ont tous envie d’être grands-parents, arrière-grands-parents, oncles, tantes, mais souhaitent surtout que nous soyons heureux bien sûr, alors on laisse cela de côté et on continue notre petit bout de route, même si, là aussi, une pointe de culpabilité persiste, amertume de ne pas remplir notre rôle social…

Par un bel après-midi printanier, je regarde avec une amie, par hasard, le film La fabrique des sentiments et sors bouleversée du cinéma. L’héroïne du film, jouée par Elsa Zylberstein, souffre d’une tumeur à l’hypophyse qui dérègle ses hormones et, notamment, ma fameuse prolactine. Je bascule dans une hypocondrie latente, me dis que je souffre du même mal et ne dors plus la nuit. Prise de sang suivante, tout va bien, mon taux de prolactine se trouve idéalement entre les deux bornes de référence. Le problème n’était donc pas là… On va devoir jeter un œil du côté de la semence de Monsieur. C’est à son tour de se rendre au labo pour un prélèvement. On en rit pas mal pour dédramatiser la situation : « Alors, t’as eu quoi comme magazine ? C’était bien ? » Quatre jours d’abstinence avant la séance d’onanisme encadré. Notre vie sexuelle s’écrit en chiffres.

On nous oriente alors vers un centre de fertilité. Nous aurons rendez-vous dans quatre mois, en octobre, pour envisager un protocole et demander une prise en charge à 100 % au titre de « l’infertilité » de notre couple. Le gros mot est lâché ! Tout prend du temps, mais nous sommes rassurés d’être entre les mains de spécialistes de la procréation médicale assistée (la fameuse PMA dans l’air du temps médiatique) et nous partons en vacances souffler un peu dans les Pyrénées espagnoles : l’air de la montagne, c’est bon pour ce qu’on a, il paraît, alors nous randonnons allègrement entre deux tapas. Et puis c’est bon aussi de se retrouver tous les deux, loin du quotidien et de cette année qui n’a pas été celle que l’on attendait.

Octobre. De nouveau, des prises de sang, raconter notre histoire, nos antécédents. Je découvre que l’opération bénigne d’un kyste sur l’ovaire droit il y a quelques années n’était pas, contrairement à ce que l’on m’avait dit, sans incidence sur ma fertilité, et que je souffre d’un mal que l’on écrit en rouge sur mon dossier à l’hôpital : endométriose – ces petites cellules d’endomètre qui s’amusent à se balader ailleurs dans le corps et à y saigner selon le rythme des cycles menstruels, si je comprends bien (mais rien n’est moins sûr, l’inférence en situation de stress joue des tours à la mémoire). A priori, rien de bien grave là non plus puisqu’à la ponction du kyste, il ne semblait pas rester de cellules ailleurs — à moins qu’elles ne reviennent... L’ovaire a été pas mal abîmé par tout cela, mais il m’en reste un autre, alors on y croit ! On me conseille d’aller faire une échographie pelvienne chez « The Specialist » de la détection de l’endométriose. Elle ne trouve rien de particulier et ce soulagement valait bien un détour.

Le temps devient pour nous une denrée rare, car courir de cabinet en cabinet, de labos en échos, se fait au détriment d’autres activités beaucoup plus épanouissantes. Nous refusons des invitations à partir à droite et à gauche pour les week-ends, car ils tombent à J3, juste quand on doit faire un examen de contrôle, ou à abstinence J4, quand Cédric doit aller déposer ses spermatozoïdes dans le gobelet du labo. Spermatozoïdes qui, au demeurant, ont l’air de ne pas se porter trop mal : c’est donc Moi le fond du problème a priori, comme on me le demande souvent maladroitement : « C’est lui ou toi qui peux pas ? »

Nous n’avons pas trop la tête à faire la fête en cette période, un peu perturbés par tout ça et à fleur de peau. Susceptibilité exacerbée et liens sociaux ne font pas toujours bon ménage.

Novembre, batterie de tests sanguins et j’ai la mauvaise idée de lire les résultats que je ne suis, bien sûr, pas en mesure d’interpréter toute seule. Je vois cependant les indicateurs de référence et m’aperçois qu’un certain nombre de chiffres ne sont pas inclus dans l’espace entre les bornes rassurantes. Le taux d’AMH (mystérieuse Hormone anti müllérienne, la vedette du moment) est au plus bas et, sous le résultat, il est écrit :

A M H (Hormone anti müllérienne) ng/mL : 0,15

Dans le cadre d’une évaluation de la fonction ovarienne, un taux compris entre - 2 et 10 ng/mL serait très favorable. S’il est inférieur à 0,5 ng/mL, le pronostic est réservé.

Voilà donc que je me découvre par un après-midi d’automne pluvieux avec un pronostic réservé (un pronostic de quoi au fait, qu’est-ce que cela mesure donc ?). Autre marqueur, autre inquiétude :

Inhibine B - sérum 21 pg/mL Au 3e jour du cycle une concentration d’inhibine B supérieure à 45 pg/mL serait en faveur d’une meilleure réponse à l’assistance médicale à la procréation et d’une plus grande probabilité de la survenue d’une grossesse.

Glurps, mais moi je ne suis pas au-dessus de 45 machins trucs… Et en attendant le rendez-vous avec le spécialiste, il faut que je vive avec ces chiffres épouvantables qui m’effraient. Je tape donc AMH et Inhibine dans un moteur de recherche : environ 52 400 résultats (0,26 seconde) et je vois pour la première fois les termes de réserve ovarienne faible ou d’insuffisance ovarienne précoce (IOP pour les intimes). Je suis au trente-sixième dessous et les paroles encourageantes de mon chéri, qui lui n’est ni hypocondriaque ni pessimiste, n’y font rien : je suis convaincue, pour l’avoir lu quelque part peut-être, que le médecin va refuser de nous accompagner avec un « pronostic réservé ». Mais pourquoi avais-je donc besoin de surfer sur les rêvedebébé.fr et allodoc.net de toutes sortes qui n’apportent pas de réponses scientifiques ou alors me noient dans des dossiers abscons pour la profane que je suis ?

L’exploration de mon système reproducteur continue. Impression amusante de rejouer une scène de La vie intérieure de Joe Dante. Le médecin, Dennis Quaid du réel, susurre : « Nous sommes en approche, et voici les follicules. Oh, c’est beau ! » Je deviens experte en échographie pelvienne, ces échographies où une sonde (de la longueur d’un phallus en érection) est introduite dans le vagin afin d’envoyer ses ultrasons en direct live depuis l’intérieur de mon corps. Au bout de la douzième, je reconnais sans problème l’utérus, l’endomètre et les deux précieux ovaires sur lesquels reposent tous nos espoirs. J’ai même parfois droit à l’écho-doppler, bien plus onéreux, au cours duquel on évalue ma circulation sanguine avec de jolies courbes de couleurs et un son qui rappelle le chant des baleines au fond des océans. Et je continue à sourire pour ne pas pleurer, autant tenter de dédramatiser quand on peut, surtout que demain il faut aller travailler dans la joie et la bonne humeur pour motiver mes collégiens et les initier à la langue de la perfide Albion.

Autre mot barbare qui fait partie du vocabulaire des initiés dont nous sommes en train d’acquérir le statut : l’hystérosalpingographie. Un peu d’étymologie nous permettra de comprendre que cela a trait à l’utérus (matrice : hystéro) aux trompes (de Fallope : salpingo) et à une forme d’écriture (graphie). Dans les faits, il s’agit d’une radiographie (rayons X) de l’appareil reproducteur féminin par injection, via une sonde utérine, d’un liquide iodé qui, par opacification, en dessinera la forme afin de s’assurer de l’absence d’anomalie et de la perméabilité des trompes. C’est en effet tout aussi digeste et étrange que sa définition, mais bien plus douloureux. Cela étant dit, je repars avec une belle image inédite de mes entrailles sur lesquelles le liquide s’est bien propagé. La tuyauterie fonctionne à merveille !

Bien qu’au début seulement de la procréation médicale assistée (PMA), j’en ai déjà assez de traverser la ville tous les quatre matins pour que l’on m’assure que tout va bien et qu’il faut y croire, car le côté psychologique joue beaucoup et que, franchement, cela irait bien mieux si je n’étais pas stressée. Comme ça, je peux ajouter la culpabilité de mes angoisses à l’impression que tout m’échappe ! D’ailleurs, en dehors de la médecine occidentale, on m’en a recommandé d’autres durant ces années : les médecines douces, l’acupuncture, la méditation, l’ostéopathie, les plantes, la médecine chinoise, les marabouts, les massages, un changement d’alimentation, etc. Et bien qu’a priori je n’aie rien contre quoi que ce soit, il faudrait une demi-douzaine de vies pour écouter toutes les sirènes qui vantent la conception à coup sûr. Alors, mettre le maximum de chance de son côté, oui, mais surtout, garder la tête froide…

Nouveau rendez-vous à la clinique pour faire le point sur les résultats divers et variés. Avec soulagement, j’entends le médecin dire que les chiffres ne sont que des indicateurs pour l’aider à nous aider, mais que la conception d’un enfant est bien plus complexe et miraculeuse que tout ça, et qu’on va tenter l’insémination artificielle, car il n’y a pas de raison que cela ne fonctionne pas. En effet, les spermatozoïdes de mon amoureux sont de bons nageurs et, de mon côté, il n’y a rien que l’on puisse pointer du doigt comme la cause évidente de nos échecs répétés.

Justement, s’il n’y a pas de raisons particulières, le doute s’installe de nouveau. Chacun y va de sa théorie, bien sûr, et revient parfois le « peut-être qu’au fond de toi tu ne veux pas vraiment d’enfants ». Je suis donc bien obligée de me confronter à cette question, même si je suis convaincue que si ne pas vouloir d’enfants était un moyen de contraception valable, cela serait une révolution pour les femmes… Petite fille, la question n’était pas de savoir si je souhaitais avoir des enfants, tant cela semblait une destinée sociale inéluctable, tout comme le mariage. Si bien que jamais le « quand » ne devenait « si » dans la phrase « quand je me marierai » ou « quand je serai mère ». Puis, en fin d’adolescence, je me suis dit que cela pouvait être un choix justement, de ne pas avoir d’enfants, et je ressentais le désir de vivre pour moi, d’expérimenter, de laisser ouvertes des alternatives et d’attendre que ce désir se réveille… ou pas. Il ne s’est pas réveillé pour moi, mais pour nous. Peut-être n’aurais-je pas eu envie d’enfants si « mon » homme n’avait pas été dans ma vie. L’histoire ne le dira pas, mais c’est un projet à deux que j’ai construit grâce à lui.