Un p'tit coin tranquille en Creuse - Jacques Jung - E-Book

Un p'tit coin tranquille en Creuse E-Book

Jacques Jung

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Beschreibung

Le corps d'un ancien médecin SS de Dachau, installé incognito à Chénérailles, est retrouvé flottant dans l'étang des Landes...

Un corps flotte dans l’étang des Landes. Les inspecteurs Diégo Castellon et Martine Malicette découvrent au cours de l’enquête que la victime, ancien médecin SS de Dachau, s’était installée incognito à Chénérailles. Vengeance d’un rescapé des camps de la mort ? Pas si simple... La découverte d’un second corps, celui d’un homme lui aussi généraliste, mais à Gouzon,va brouiller les hypothèses échafaudées.
Les investigations policières évolueront sur fond de scandale du Thalidomide, dans ce milieu rural des années soixante-dix, où l’emprise de la bourgeoisie est forte.
Le substitut Dura Lex et les deux policiers tireront les fils de l’imbroglio de ces affaires, que le hasard a finement emmêlés au gré des événements.

Découvrez un polar dans lequel les investigations policières évoluent sur fond de scandale du Thalidomide, dans ce milieu rural des années soixante-dix, où l’emprise de la bourgeoisie est forte.

EXTRAIT

Diégo n’eut pas le temps de franchir le seuil de son bureau, la main encore posée sur la poignée de la porte, que Martine se pressait déjà sur ses talons :
— La galerie Vincert à Paris refuse d’exposer le Franz Marc. Malgré un carnet d’authentification apparemment sincère, ils ont un doute sur sa provenance. Le dernier propriétaire répertorié en 1931 s’appelait Aronstein, depuis, ils n’ont pas retrouvé la moindre trace de transaction et ils attendent de connaître les circonstances qui ont mis cette œuvre entre les mains de Madame Garmisch.
Castellon se redressa :
— Aronstein, c’est un nom juif. Je vois ça trop bien, notre nazi, l’aurait-il récupéré auprès de juifs déportés ?
— Il y a peu de chances que la famille Aronstein ait voulu tuer pour ça, si tant est qu’il y ait des survivants, en déduit l’inspectrice, un peu déçue car elle pensait avoir trouvé une nouvelle piste.
— Mmm, grogna Castellon, qui avait du mal avec les accueils tonitruants aux aurores.
Habituée à son humeur matinale maussade, la jeune fille n’y prêta aucune attention :
— Notre commissaire doit s’ennuyer, alors pour s’occuper, il a décidé de faire le point et il nous attend dans la salle de réunion.
— On n’abordera pas l’affaire de la peinture tant qu’on n’en saura pas davantage.
Raoul Lepouic, déjà installé, patientait, le dos bien droit calé au fond de sa chaise, les mains entrelacées posées sur la table. Martine ouvrit le trépied du tableau des conférences, Diégo saisit un fusain et traça sur le papier une première colonne pour inscrire en haut : Narcisse Galle et ses deux fils, Jean-Luc et Martin, suivi de mobile : ils reprochaient à Garmisch l’euthanasie de Mme Galle. Il indiqua sous le mot alibi : fragile, ils auraient pu s’absenter du pré Lenoir où ils travaillaient, sans que le fermier Turlupin s’en aperçoive.
Toujours à l’affût d’une bonne anecdote ou d’une blague, Raoul Lepouic leva la main pour prendre la parole, l’air rigolard :
— Martin Galle, espérons qu’il ne nous fasse pas le coup de la martingale et qu’il ne nous dupe pas avec une entourloupe, celui-là !


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UN P’TIT COIN TRANQUILLE EN CREUSE

Collection dirigée par Thierry Lucas

© – 2018 – 79260 La Crèche

Tous droits réservés pour tous pays

Jacques JUNG

UN P’TIT COIN TRANQUILLE EN CREUSE

Avertissement

Ce roman est une pure fiction, le crime ainsi que l’enquête policière qui y sont relatés n’ont jamais existé et toute ressemblance avec la réalité ou avec des personnes vivantes ou ayant vécu serait pure coïncidence et totalement fortuite.

Il n’existe aucun lien entre les lieux et les événements décrits.

Jeudi 1er août 1974

— Le corps d’un homme a été découvert ce matin par des pêcheurs à l’étang des Landes, le substitut Leboyer vous attend sur place, annonça le commissaire divisionnaire Raoul Lepouic.

Face à lui, le principal Diégo Castellon et l’inspectrice Martine Malicette scrutaient ce petit bonhomme d’un mètre soixante à la silhouette arrondie et au crâne d’œuf muni de petites lunettes en métal.

Nul doute que le moins habile des caricaturistes pourrait le croquer en trois coups de crayon, songeait Martine.

Pour compléter la scène, le nouveau patron avait accroché derrière son fauteuil une photographie prétentieuse de lui-même en tenue d’officier de police. Aussi les enquêteurs avaient-ils le privilège d’admirer simultanément l’original et la copie, signe que le divisionnaire se considérait comme un personnage important et qu’il entendait bien le faire comprendre à ses visiteurs.

— Tenez fiston.

Le commissaire remit à Castellon une feuille de papier griffonnée de quelques notes prises lors de sa conversation téléphonique. Il avait pour habitude d’octroyer un « fiston » aux hommes plus jeunes que lui. Puis il lui tendit un journal :

— Dans Le Républicain Guéretois de ce matin, il y a un article sur le nouveau juge d’instruction Edgar Bourriche qui vient d’arriver à Guéret.

Peu intéressés, les inspecteurs jetèrent un rapide coup d’œil sur la photo d’un homme âgé au regard dur.

Raoul Lepouic poursuivit :

— Vous ferez l’enquête ensemble, deux paires d’yeux c’est mieux qu’une et on ne sait jamais, on tombe parfois sur des tordus. Quand j’étais à Caen, tenez…

Il se cala d’aise dans son fauteuil à l’idée d’y aller de sa petite anecdote tandis que, devant lui, Martine et Diégo luttaient contre une crise de fou rire : le célèbre « Quand j’étais à Caen » du commissaire Lepouic était imité et ridiculisé dans la moitié des commissariats de France.

— Quand j’étais à Caen, tenez, une femme a arraché son corsage avant de courir dans la rue en criant « au viol, au viol », alors que l’enquêteur intervenait seul dans sa droguerie. Elle a fini par avouer son mensonge, mais le collègue a eu toutes les peines du monde à rétablir la vérité.

À 64 ans, sa promotion au grade de divisionnaire récompensait plus de quarante années de bons et loyaux services, comme Raoul Lepouic aimait à le répéter. Une carrière commencée en 1932 comme gardien de la paix dans le XXe arrondissement à Paris. Son ambition était simple : attendre la retraite dans un département calme. Il avait ainsi demandé son affectation dans la Creuse, qu’il imaginait être le paradis des fonctionnaires fatigués. Les menus larcins, les tapages nocturnes ou les querelles de voisinage devraient dorénavant occuper ses journées sans lui prendre la tête et c’est non sans malice qu’il aimait rappeler la menace préférée de son ancien chef à Caen : « Si tu continues à jouer au con, Raoul, tu vas te retrouver au fin fond de la Creuse ! »

Diégo avait aussi demandé sa mutation à Guéret, pour rejoindre son amie Liliane Adabranc, greffière au tribunal. Leur appartement était situé avenue de la Sénatorerie, à trois pas de la place Bonnyaud et de la cité administrative qui abritait le commissariat. Promu principal, il avait retrouvé goût à la vie, surmonté son divorce en 1969 avec Henriette, sa première femme repartie à Troyes, oublié la maison de Panazol vendue au plus offrant et l’appartement vieillot du boulevard Gambetta à Limoges où il s’était retrouvé ensuite. Tout cela était bien terminé.Son premier contact avec la Creuse, il l’avait eu à l’occasion de l’affaire Ténégrier en 1969. Comme beaucoup, il associait alors le département à la grisaille et à l’ennui, avec des troupeaux de vaches à contempler pour seule distraction. Il avait eu tort. Quatre ans plus tard, c’est lui qui avait insisté pour obtenir son poste dans ce pays attachant aux nombreux villages animés, parsemé d’étangs, de fraiches forêts, de landes et de prairies verdoyantes tachées par le rouge des coquelicots. Il avait envie de balades à travers les bois, de cueillettes de champignons et de pêche, une activité qu’il pratiquait déjà dans sa jeunesse au bord des lacs d’Auvergne, avec son père.

Les inspecteurs prirent la route de l’étang des Landes à bord de la toute nouvelle Peugeot 304 blanche que Diégo venait d’acquérir, à regret. Il s’était débarrassé de son Alpine sur l’insistance de Liliane qui ne supportait pas les voitures tape-à-l’œil et rapides. Maintenant, heureux propriétaire d’une berline poussive et ennuyeuse, il se consolait en s’autorisant quelques libertés avec le Code de la route. Une R8 Gordini, ce serait pas mal, pensait-il, un côté berline pour rassurer Liliane et un côté sportif pour son plaisir à lui. Mais son amie ne supportait pas les bandes blanches sur la carrosserie bleue, qu’elle jugeait agressives. Mais Diégo ne s’avouait pas vaincu…

À la sortie de Guéret, Martine claironna, toute rayonnante :

— Je suis la plus jeune inspectrice de France !

— C’est un privilège qui ne durera pas, tu vas vite déchanter, répondit sèchement Diégo à cette remarque déplacée.

Martine Malicette avait terminé son stage et venait d’obtenir son affectation à Guéret. Elle aussi avait souhaité ce poste pour rester dans sa Creuse natale. Elle s’était installée avenue Fayolle dans un appartement qu’elle partageait avec Stéphane, un jeune enseignant en gestion au lycée technique, route de Bénévent. Chaque samedi, il jouait de la guitare basse et chantait dans un groupe de rock.

Martine gardait un bon souvenir de son stage avec l’inspecteur Diégo Castellon. Son approche méthodique, sa perspicacité et son flair l’avaient impressionnée. Elle avait beaucoup appris en l’accompagnant et faire équipe avec lui était gratifiant et motivant.

Ainsi, Martine Malicette, Raoul Lepouic et Diégo Castellon partageaient le même sentiment de chance d’être là, « au fin fond de la Creuse ».

Après Gouzon, ils prirent la direction de Chambon et d’Évaux-les-Bains. Au bout d’une dizaine de kilomètres, après une courte côte, ils tournèrent à droite pour traverser le village de Lussat, avant d’apercevoir une étendue bleue au loin, l’étang des Landes. Castellon stationna la voiture le long de la rive. Alors que le substitut les attendait, ils s’attardèrent quand même dans la voiture, en admiration devant l’étendue d’eau nichée dans la verdure. Des vaguelettes ondulaient à sa surface et, au loin, trois cygnes majestueux se faufilaient délicatement à travers les plantes aquatiques. L’harmonie dégagée par la scène avait emporté le regard des inspecteurs. À proximité, des pêcheurs assis sur des tabourets pliants surveillaient leurs lignes avec patience. Ici, le temps faisait une pause, il ne manquait qu’une musique de Johann Strauss comme « Sur le beau Danube bleu », pour parfaire l’ambiance, pensait Diégo.

Dans un concert de grésillements de grillons, ils firent quelques pas jusqu’à la buvette devant laquelle stationnait l’estafette de la gendarmerie. Martine, de larges lunettes de soleil sur le nez, avait devancé le principal : elle se présenta au brigadier assis au volant du véhicule. Le militaire se saisit du micro de la radio pour appeler son chef de brigade posté à quelques centaines de mètres, là où le corps avait été transporté.

— Allo, ici ROMEO-OSCAR-GOLF-ECHO-ROMEO – Parlez.

L’appareil cracha :

— Ici CHARLIE-HÔTEL-ECHO-FOX TROT– Parlez.

— Il y a deux inspecteurs de police qui sont arrivés – Stop.

— Faites-les venir ici – Stop.

— Reçu. Terminé.

Les policiers longèrent le plan d’eau à pied, dépassèrent les habitations du domaine des Landes et, un peu plus loin, aperçurent un groupe d’hommes affairés. La présence d’Alphonse Piscouret, chef de la gendarmerie de Chénérailles, les étonna parce qu’il ne se trouvait pas dans son secteur. Le visage tendu et tiraillé par des tics, il conversait avec le substitut Jean Leboyer, surnommé Dura Lex du fait de son rapport rigide à la loi. Avec ses chaussures de marche et son jean, le magistrat avait adapté sa tenue aux circonstances. Il mit sa main droite en visière au-dessus de ses yeux cerclés de petites lunettes rondes et, apercevant les policiers, s’avança vers eux. De sa voix pointue et sur un ton condescendant, il leur apprit que le corps avait été caché dans les plantes aquatiques, ce qui expliquait qu’il n’ait pas été découvert rapidement et qu’il ait séjourné un bon moment dans l’eau. Le torse était dépourvu de vêtement. Dura Lex ajouta :

— La victime portait un pantalon de ville, elle n’était donc pas partie pour une balade et on peut écarter l’accident de baignade. Pour un suicide, on aurait retrouvé une embarcation à proximité du corps. Quelqu’un l’a emmené là-bas, c’est donc un meurtre.

Le magistrat montra du doigt le lieu, puis alluma un cigarillo avant de continuer :

— La victime est le docteur Garmic, médecin à Chénérailles. Sa femme avait signalé sa disparition le 3 juillet, les gendarmes avaient consigné sa déclaration, mais l’affaire en était restée là, les abandons de domicile par des adultes sont trop nombreux pour qu’on lance des recherches. Madame Garmic, que j’ai fait chercher par le major Piscouret, a reconnu les clés et les lunettes de son mari repêchées à proximité du corps par le pompier sauveteur. Par contre, nous n’avons pas retrouvé la moindre trace de chemise ni de polo.

— Que sait-on sur lui ? demanda l’inspectrice.

— C’était un généraliste âgé de 64 ans. Le jour de sa disparition, il n’est pas rentré de ses visites de l’après-midi. Pour le reste, selon les gendarmes, il était apprécié par ses malades pour sa disponibilité, sa gentillesse et ses compétences.

— Comment est-il arrivé ici, où était sa voiture ? continua Martine.

— On la cherche, je sais par les gendarmes qu’il conduisait une Ami 6 break bleue pour ses consultations à domicile.

Le substitut ajouta qu’en été, une multitude d’activités se déroulait sur le site. Récemment avait eu lieu le concours annuel de pêche, avec ball-trap, tir à l’arc, concours de pétanque, feu d’artifice et pour terminer, un spectacle animé par Francis Lemarque sur une estrade montée sur l’eau. Au moins 2 000 personnes étaient venues en une seule journée, plus les habituels pêcheurs, environ 300, les promeneurs et les campeurs. Avec une telle fréquentation, il ne fallait pas compter trouver d’indices.

La scène était insoutenable, les restes du corps en voie de décomposition étaient boursouflés, gonflés d’eau.

Dura Lex donna de la voix pour rassembler tout le monde :

— Le principal Castellon et l’inspectrice Malicette seront en charge de l’enquête et dirigeront les investigations, avec l’aide de vos hommes, major Piscouret, la victime étant originaire de Chénérailles. Pour l’instant, je vous demande une totale discrétion, motus et bouche cousue, vous m’avez bien compris. Surtout, je ne veux rien voir dans le journal.

Les frères Félix et Hippolyte Malauc, qui avaient découvert le cadavre, attendaient les policiers, allongés dans l’herbe à proximité de leurs cannes à pêche que nul frétillement ne venait réveiller. Ils avaient cédé chacun leur ferme située dans les environs de Gouzougnat à leurs fils et, depuis, ils coulaient des journées paisibles consacrées à la pêche ou à la chasse selon la saison.

Petits, moustachus tous les deux, avec leurs casquettes identiques et leurs mégots de cigarette en papier maïs coincés au coin de leurs bouches, Martine se demandait qui était le modèle de l’autre. Félix expliqua :

— En prévision de l’ouverture de la chasse aux canards, on voulait voir comment ça se présentait. On longeait les plantes aquatiques là-bas pour faire le tour de la Grande Marine, lorsque j’ai remarqué une masse qui flottait parmi les roseaux.

— Je me demandais ce qu’c’était, poursuivit Hippolyte. Au fur et à mesure qu’on se rapprochait, je doutais. Et puis quel spectacle ! Une vraie pourriture, il y en a plus d’un qui serait tombé dans les pommes pour sûr, mais nous deux, on a fait Verdun ! Alors on a fait demi-tour pour demander au garde de prévenir les gendarmes.

— Quelle position avait le cadavre ? interrogea Martine.

— Enfin… il était allongé sur le ventre.

— Vous n’avez rien vu autour du corps, un morceau de tissu par exemple ? Il n’avait pas de chemise ? continua Castellon.

— Non, non, firent les deux pêcheurs de concert.

Auguste, un pêcheur costaud d’une trentaine d’années, fut chargé d’emmener les policiers vers l’île aux roseaux. La frêle embarcation inquiéta Martine, sa fébrilité se remarquait malgré ses efforts pour la dissimuler :

— C’est une barque ? On ne va pas tenir à trois ! Elle n’a pas de moteur, il faut ramer…

— Un moteur ? pouffa le pêcheur, souriant de toutes ses dents en or.

L’inspectrice se résolut à descendre du ponton et à s’asseoir, tremblante. Une sympathique ritournelle d’oiseaux avait remplacé le crépitement des grillons. Diégo s’installa avec une lourdeur de pachyderme, volontairement appuyée, pour faire balloter l’esquif tout en surveillant, amusé, la mine angoissée de sa collègue.

— Tu ne peux pas faire attention ? pesta la jeune fille.

— Tout va bien se passer, rassura-t-il avec une fausse mansuétude. Et puis, si on chavire, tu pourras toujours revenir à la nage.

Il jouissait de sa petite revanche sur cette gamine vaniteuse avec son histoire de plus jeune inspectrice de France.

— Il n’y a plus de requins dans l’étang, hein, Auguste ?

— Je pêche surtout des gardons et des carpes, acquiesça le rameur tout en dégageant la barque de la rive.

Était-ce la sérénité et la beauté des lieux ou l’adresse du pêcheur ? En tout cas Martine oublia son appréhension et admira les alentours.

— C’est drôlement chouette ici, fit-elle.

Le canotier se contenta de sourire tout en poussant la barque de la rive. Le silence absolu accentuait le bruit des rames qui au fur et à mesure déchiraient le miroir géant où se reflétait le ciel d’azur parsemé de petits nuages blancs. Un peu plus loin, l’embarcation se fraya un chemin à travers un tapis de nénuphars blancs et jaunes, puis l’homme leur montra l’emplacement où le corps avait été découvert. Des libellules aux ailes transparentes tantôt volaient au ras de l’eau, tantôt se posaient sur les roseaux. Il expliqua que l’étang était peu profond avec une pente faible et que les roseaux étaient le meilleur endroit pour dissimuler un corps, le coin n’étant accessible qu’en barque.

— Ceux qui ont fait ça n’ont pas tenu compte de la baisse du niveau d’eau en été, ils auraient dû aller plus loin, ajouta Castellon.

— Ils ne pouvaient pas s’enfoncer davantage, entre les herbiers enracinés, le marécage et les fonds sableux, ils risquaient d’échouer à tout moment.

Sur le chemin du retour, Auguste se pencha et pointa de son index une dizaine de poissons avec des barbillons autour de la bouche qui passaient le long de la barque, des poissons-chats présents depuis peu dans l’étang.

De retour dans la voiture, la vue de moutons rendit Martine perplexe :

— Ils doivent avoir tout vu ceux-là.

— Peut-être, mais ils ne diront jamais rien, je connais ce genre de témoin !

L’inspectrice riait, puis sérieusement :

— Je me demande si on l’a immergé torse nu ou si sa chemise s’est décomposée dans l’eau.

— Il n’en portait pas, sinon il en resterait quelque chose, il n’est pas là depuis des années et l’étang n’est pas profond. Parti en pantalon de ville pour ses consultations, il n’aurait pas fait faux bond à ses malades pour aller caboter un mercredi après-midi.

— Oui, tu as raison, on l’a contraint, il y a peut-être eu querelle entre deux hommes ou bien il a été tué ailleurs et son corps a été transporté dans une barque. Ensuite on lui a enlevé sa chemise pour une raison que j’ignore avant de le jeter par-dessus bord.

— On lui a peut-être enlevé sa chemise avant de le tuer, qui sait ?

Les policiers s’arrêtèrent place du champ de foire et se rendirent au restaurant habituel « Au p’tit creux » pour déjeuner. Il était 13 h 30 et ils durent patienter un bon quart d’heure au bar, le temps qu’une table se libère. Diégo remarqua une affiche apposée sur un mur percé de trous de punaises qui annonçait le moto-cross d’Ahun pour le dimanche suivant. Grand amateur de sports mécaniques, il avait la ferme intention d’y assister et il sortit son calepin pour noter la date. La patronne Mme Pham vint les saluer et leur annonça avoir vendu les armes anciennes auparavant exposées : elle ne les supportait plus depuis que l’une d’elles s’était avérée être l’arme du crime dans le meurtre de Louis Ducral, le cordonnier d’Aubusson1.

La serveuse Chantou leur désigna leur place et leur servit une dorade accompagnée de riz, seul plat chaud disponible à cette heure tardive. Le souvenir du cadavre décomposé coupa l’appétit de Diégo alors que, tiraillée par la faim, Martine s’empressa d’avaler le contenu de son assiette. Arriva le plateau de fromages. La salle maintenant presque vide, Chantou s’attardait pour débarrasser la table voisine, désireuse de satisfaire sa curiosité. Elle demanda :

— Vous venez pour l’affaire de l’étang des Landes, je suppose.

— Oui, ils ont mis le feu à l’étang, répondit Castellon.

— Oh ! Ils ont fait ça ? fit-elle avec un sourire. Bien que décontenancée elle revint à la charge :

— Ne vous fatiguez pas, des pêcheurs sont venus boire l’apéro tout à l’heure, ils ont vu qu’un corps avait été trouvé dans l’eau. Vous l’avez identifié ?

— Bah ! allez donc savoir ! grommela Diégo, un vacancier qui s’est noyé sans doute.

— Ce ne serait pas plutôt le docteur Garmic ? Il a disparu depuis un mois. C’est lui, c’est sûr.

— Bon, voyons ce fromage, termina le principal pour mettre fin à ce jeu du chat et de la souris.

Martine se garda bien d’intervenir, préférant suivre la scène, amusée par les esquives de Diégo et les répliques éclairées de la serveuse.

Partis à pied, ils tournèrent à droite au premier carrefour pour emprunter la route de Peyrat-la-Nonière. L’inspectrice cessa de marcher : s’étouffant de rire, elle ne pouvait plus avancer, une larme coulait sur sa joue. Lorsqu’elle reprit sa respiration, elle leva son index droit :

— Motus et bouche cousue, je ne veux rien voir dans le journal ! s’esclaffa-t-elle en se tenant les côtes.

— C’est bien parti, avec le monde qui passe au bar, les commérages vont aller bon train. On aura droit à un article dans la feuille de chou du coin demain, Dura Lex va nous faire une syncope.

— Au moins, nous n’y serons pour rien.

Après la poste, ils aperçurent la plaque du docteur Garmic fixée sur le poteau en béton marquant l’entrée de la propriété. Ils empruntèrent l’allée gravillonnée qui menait au fond d’un parc où se dressait unepaisible demeure bourgeoise en pierres de taille flanquée de deux petites tours sur les côtés. À droite, uneCitroën SM couleur sable était stationnée. Les inspecteurs gravirent les quelques marches du perron, Martine actionna la sonnette et la porte s’ouvrit en grinçant. La soubrette coiffée d’un chignon couleur de jais, et dont le décolleté dévoilait le début d’une généreuse poitrine, se présenta : elle se nommait Béatrice Legrel. Elle les précéda dans un balancement de hanches qui aurait donné le mal de mer à qui le fixait trop longtemps, et les invita à pénétrer dans une pièce spacieuse, aux doubles rideaux de guipure. Diégo admira le piano à queue Steinway, sur lequel était posée, ouverte, la partition de la Chanson de printemps de Mendelssohn. Quant à Martine, elle faisait le tour de la pièce, les mains derrière le dos ; elle s’arrêta un peu devant la bibliothèque puis observa distraitement les tableaux accrochés au mur du fond.

Magda Garmic entra, le visage blême, sans maquillage, les cheveux blond vénitien mi-longs, coupés au carré. Elle portait une robe bleue unie à manches courtes qui descendait jusqu’à ses chevilles et une imposante croix en or pendait à son cou. Elle proposa aux inspecteurs les fauteuils crapauds pourpres et s’installa face à eux, dans un canapé en cuir fauve. Elle se tenait à l’extrémité de l’assise de son siège, le dos droit et raide comme pour jouer au piano. Lorsqu’elle les posa sur ses genoux, Castellon remarqua ses mains fines aux longs doigts et aux ongles coupés courts, recouverts de vernis rouge. C’est elle la pianiste, pensa-t-il. Martine sortit son magnétophone et amorça l’enregistrement. Âgée de 47 ans, la veuve avait épousé Henri en 1951 à Clermont-Ferrand. La femme s’exprimait avec froideur en plantant son regard bleu-vert tour à tour au fond des yeux de Martine et de Diégo. Elle expliqua que son mari était né à Zurich où il avait fréquenté la faculté de médecine entre 1929 et 1936. Il avait commencé sa carrière par un poste de médecin hospitalier à l’hôtel Dieu de Clermont-Ferrand, avant de devenir médecin des armées en 1939. Il avait passé le reste de la guerre en captivité en Bavière, du côté de Munich à Wasserburg plus exactement. À son retour en 1945, il avait repris son activité à l’Hôtel Dieu :

— C’est là que je l’ai rencontré, poursuivit Magda d’un ton précieux de bourgeoise. Au cours de ma première année de droit, il m’avait prise en charge pour une cheville foulée.

— D’où vient votre accent ? rebondit Martine.

— Plait-il ?

La femme releva les sourcils, la toisa un moment en silence avant de répondre :

— Je suis née à Sélestat, en Alsace. Mes parents ont quitté la région en novembre 1939, lorsque l’université de Strasbourg s’est repliée à Clermont-Ferrand, mon père y enseignait le droit. Nous y sommes restés après la guerre.

La femme confirma qu’elle n’avait pas revu son mari depuis mercredi 3 juillet à 14 heures, alors qu’il partait pour ses visites de l’après-midi.

— S’est-il passé des choses inhabituelles avant sa disparition ? questionna Martine. La moindre anecdote peut s’avérer intéressante.

— Heu… non. Ah si ! Nous avons bien été cambriolés le dimanche précédent. Ce jour-là, nous nous détendions au lac de Vassivière. Mais je ne crois pas qu’il y ait un lien avec sa mort.

— Que vous a-t-on dérobé ?

— Rien, la porte d’entrée a été fracturée et le bureau était en désordre, mais rien n’a disparu, alors nous n’avons même pas porté plainte.

— Vous êtes certaine qu’il ne manquait rien ?

— Non rien.

— Avez-vous son carnet de rendez-vous ? continua Diégo.

La femme se rendit dans le bureau, fouilla un bon moment sur les étagères, ouvrit les tiroirs et s’étonna :

— C’est bizarre, je ne le retrouve pas, d’habitude il est à côté du téléphone !

— C’est peut-être ce que le voleur est venu chercher, en déduisit Martine.

— Il doit être resté dans sa voiture, mon mari s’en servait en permanence.

— Il avait des ennemis ? continua Castellon.

— Il y a bien les Galle, un homme et ses deux fils, des fermiers, des rustres, de vulgaires hobereaux incultes qui lui en voulaient à mort. Henri avait à cœur de soulager les malades qui souffraient trop en fin de vie.

— Soulageait ?

— Quand il n’y avait plus rien à faire, il les aidait à partir. Mais allez faire comprendre ça à des ignares sans aucune jugeote.

— Votre mari était insoucieux des lois et des règles de déontologie de la faculté, Madame, ce genre de soulagement comme vous dites s’appelle euthanasie, c’est un homicide avec préméditation, un assassinat si vous préférez, insista Diégo.

— Vous comptez le poursuivre, maintenant qu’il est mort ? répliqua sèchement la femme de sa voix pointue.

— Que s’est-il passé avec les Galle ? reprit Martine.

— La femme souffrait atrocement avec son cancer en phase terminale et elle avait imploré Henri de mettre fin à son supplice. Il avait accepté malgré l’opposition des trois hommes. Ils l’ont même traité d’assassin.

— Il les avait informés de son intention ? Même s’il répondait à la demande de la malade, il prenait un gros risque en les mettant dans la confidence !

— Non, les rustres l’avaient deviné tout seuls, la femme était très malade, mais de là à mourir aussi subitement…

— Où habitent-ils ?

— Dans une métairie à trois ou quatre kilomètres de la sortie de Peyrat-la-Nonière sur la route de Saint-Gouland. Vous trouverez facilement, une bâtisse délabrée sur la gauche, il y a toujours deux chevaux blancs devant, dans un enclos.

Elle mit fin à l’entretien pour conduire son garçon de 10 ans à son cours de tennis. Les deux fils du couple Garmic étaient scolarisés au collège Beaupeyrat, établissement privé catholique de Limoges.

Dans la voiture, Martine prit plaisir à imiter Mme Garmic :

— Plait-il ? La veuve ne semble pas éprouvée, c’est la bourgeoise type, maîtresse d’elle-même quoi qu’il arrive. Je la verrais bien fréquenter la boutique de Coco Chanel.

— Eh bien, moi, je la verrais bien en assassin !

— As-tu remarqué sa manière de parler ? Je me demande pourquoi les snobs ont toujours la voix haut perchée et pincée.

— C’est un accent qu’on prend dans les beaux quartiers, comme on roule les « r » en Bourgogne.

Martine fredonna d’une voix cristalline :

« Les bourgeois c’est comme les cochons, plus ça devient vieux, plus ça devient bête… »

Puis ils continuèrent ensemble :

« Les bourgeois c’est comme les cochons, plus ça devient vieux, plus ça devient con. »2

— D’où vient leur fortune ? demanda Martine.

— Certainement pas de ses honoraires de généraliste, il va falloir creuser. Et la disparition de ce carnet de rendez-vous va nous empêcher de reconstituer son emploi du temps de l’après-midi du crime. C’est une pièce maîtresse qui a été subtilisée.

— Pourquoi un médecin de Zurich viendrait-il s’installer à Clermont ?