Sortie de route en Creuse - Jacques Jung - E-Book

Sortie de route en Creuse E-Book

Jacques Jung

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Beschreibung

Un garagiste s'intéresse à un accident de la route qui lui parait suspect...

Une voiture dévale au fond d’un ravin près d’Evaux-les-Bains. Seul à bord, David Katze est tué sur le coup. Ce banal accident de la route aurait pu rester dans la rubrique des faits divers sans la perspicacité d’un garagiste. David Katze revenait des obsèques de Léonie Dorant qui l’avait caché lorsqu’il était enfant pendant l’Occupation. L’enquête va mener Martine et Diégo, policiers du commissariat de Guéret, au château de Chaumont près de Mainsat en Creuse, un lieu qui fut le refuge pour de nombreux enfants juifs pendant la Seconde Guerre mondiale. Les découvertes et les rebondissements de cette nouvelle affaire mettront à mal les nerfs des deux inspecteurs et du substitut Dura Lex.

Pénétrez dans le château de Chaumont en Creuse pour une enquête pleine de rebondissements, liée à la Seconde Guerre mondiale, dans ce roman policier régional trépidant !

EXTRAIT

De retour au bureau, Castellon traça ses perpétuels tableaux et se planta devant.
— Qu’est-ce que tu penses de tout ça ? demanda-t-il à Martine.
— Le coupable ne se trouve pas du côté de Mainsat.
— Du côté de Biarritz ? Le comportement de la demi-sœur est curieux ! dit Diégo, le doigt pointant le nom du couple.
— Et peu crédible ! estima Martine. Elle écrit : « Le ministère des Affaires étrangères m’a appris que j’avais un demi-frère domicilié en Creuse », cela voudrait dire que son père lui aurait caché l’existence de David pendant toutes ces années. Et pour quelle raison ? C’est peu plausible, ça.
Diégo douta :
— Que son père n’ait pas recherché son fils après la guerre, c’est un fait, mais de là à penser qu’il n’a jamais abordé le sujet en famille, c’est peu probable. Je pense que Rachel s’est appuyée sur ce manque d’intérêt pour justifier son attitude. Elle s’est sentie obligée d’écrire cette lettre après l’intervention du ministère, sa réponse devait couper court à toute relation ultérieure. Mais pourquoi ?
— Et le collabo ? fit Martine pointant de l’index le nom d’Edmond Delahir.
— Se venger trente ans plus tard, ce serait du réchauffé et rien ne dit qu’il connaissait la victime.
— Rien ne dit non plus qu’il ne la connaissait pas !
— Le comportement de la demi-sœur est incompréhensible, ce demi-frère est la seule famille qui lui reste, elle n’a pas d’enfant, elle aurait dû saisir la main qui lui était tendue. Or elle a dressé un mur, mais pour quelle raison ? Il y en a forcément une ! affirma le principal.

À PROPOS DE L'AUTEUR

Aujourd’hui retraité, Jacques Jung a grandi à Chénérailles dans la Creuse. Il a fait une carrière dans la fonction publique avant de devenir correspondant de presse et chroniqueur radio. Après un premier roman historique, Sortie de route en Creuse est son quatrième polar ayant pour cadre ce département.

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SORTIE DE ROUTE EN CREUSE

© – 2019 – 79260 La Crèche

Tous droits réservés pour tous pays

Jacques Jung

SORTIE DE ROUTE EN CREUSE

Avant-Propos

La Creuse a accueilli pendant la Seconde Guerre mondiale environ 2 800 enfants juifs.

L’Œuvre de secours aux enfants (OSE) gérait trois établissements laïques dans le département :

– Chaumont, près de Mainsat ;

– Le Masgelier, près du Grand-Bourg ;

– Chabannes, près de Fursac.

Avertissement

Ce roman est une pure fiction, le crime ainsi que l’enquête policière qui y sont relatés n’ont jamais existé et toute ressemblance avec la réalité ou avec des personnes vivantes ou ayant vécu serait pure coïncidence et totalement fortuite.

Il n’existe aucun lien entre les lieux et les événements décrits.

Jeudi 9 janvier 1975

Le principal Diégo Castellon musardait entre la machine à café et son bureau lorsque Nadine, la virtuose de la sténo, mit un terme à ce petit moment de détente :

— Diégo, le substitut te demande au téléphone.

Aussitôt dit, elle tourna les talons pour regagner sa machine à écrire d’un pas vif et sonore, satisfaite de sa petite intrusion.

— Pas moyen de souffler ! marmonna Castellon en saisissant le combiné.

Le substitut Jean Leboyer, Dura Lex pour les intimes, lui ordonnait d’auditionner rapidement Guénolé Vilaire, garagiste à Évaux-les-Bains au sujet d’un accident de voiture.

Diégo Castellon sortit de son bureau et interpella au passage sa coéquipière :

— Viens, on file à Évaux, ordre de Dura Lex.

Martine Malicette leva les yeux, bien contente de lâcher l’ennuyeux rapport sur lequel elle peinait depuis des heures. Elle passa avec fierté son superbe manteau en daim d’un lumineux beige clair, acheté la veille dans une boutique de la place du marché à Guéret, et se précipita derrière la haute stature qui s’éloignait déjà au fond du couloir.

— Attends-moi, mais où vas-tu ? La sortie, c’est par là !

— Oui, mais la machine à café est par là.

Martine se posta devant Diégo.

— On avertit Raoul1 ?

— On le fera en temps voulu, opposa le principal, sans porter la moindre attention au magnifique manteau en daim, acheté la veille, place du marché…

Déçue, elle dédaigna l’offre de café et préféra attendre seule dans le froid vif du parking, plutôt que de tenir compagnie à ce pignouf.

Dehors, elle eut beau resserrer son col, elle ne parvint pas à empêcher les tremblements qui la gagnaient. Le visage crispé, elle commençait à danser d’un pied sur l’autre, lorsqu’elle aperçut enfin la canadienne noire et la casquette à carreaux de Diégo.

Elle rejoignit le principal déjà assis au volant d’une nouvelle voiture, sa Disque Bleu filtre accrochée au coin des lèvres, l’œil droit fermé par le picotement de la fumée.

— T’as encore changé de bagnole ! fit-elle.

— Oui, la 304 était une voiture de pépère, j’ai acheté cette R12 Gordini d’occasion, modèle 73, c’est autre chose.

La mécanique se réveilla dans un ronflement tonitruant.

— S’il y avait encore des gens endormis, ils sont réveillés maintenant, s’exclama la jeune femme, on ne va pas passer inaperçus !

— Écoute-moi cette symphonie, un bijou ! Ceintures à enrouleur, sièges baquets, c’est confortable, non ?

Ne voyant pas ce qui justifiait une telle admiration pour ce qui n’était rien de plus qu’une bagnole, Martine se mura dans le silence. Bien autre chose était son manteau dont elle tira avec satisfaction les deux pans sur ses genoux.

Tandis que la merveille des mécaniques, la R12 Gordini modèle 73, sortait de Guéret, elle concentra son attention sur la campagne paisible, figée par le froid, avec çà et là des bâtiments aux toits d’ardoises blanchis par le givre. Plus loin, le bocage vallonné, parsemé d’arbres nus, de haies et de murets en pierres sèches se déroulait sous ses yeux, immuable, réconfortant. À Gouzon, ils quittèrent la RN 145, un troupeau de biches défila comme dans un tableau, sous un soleil rasant. Les râles d’exaspération de Diégo la sortirent brutalement de sa rêverie à Chambon. La voiture venait de tourner vers Évaux, lorsqu’elle se trouva nez à nez avec un camion de l’entreprise Dudeffant campé au milieu du pont. La manœuvre délicate ralentit le bolide et laissa à Martine le temps de plonger son regard dans les eaux sombres et agitées de la Tardes. Elle était remise de ses émotions lorsque, un peu plus loin, un tracteur et sa remorque surgirent de la route de Sannat à droite. Bien réveillée maintenant, elle se cramponnait à son siège… baquet.

Diégo s’arrêta à l’entrée d’Évaux près d’un vieil homme chaussé de bottes en caoutchouc noires. Mieux valait s’assurer être dans la bonne direction, Martine descendit donc à sa rencontre. Une casquette extraplate rabattue sur son nez masquait son visage d’où n’émergeait qu’une bouche pincée sur un mégot de Gitane Maïs et un menton anguleux. Il indiqua d’une voix morne la direction de l’atelier de Guénolé Vilaire, en pointant de son doigt la route d’Auzances.

La porte métallique du bâtiment sordide résistait. D’un coup d’épaule, Diégo parvint à la dégager dans un bruit de tôle gondolée suivi d’un crissement des plus agaçants. À l’intérieur, un tintamarre de coups de marteau rythmait La Flûte enchantée de Mozart, échappée d’un transistor.

Plongé dans une demi-pénombre, l’atelier était un capharnaüm de bidons et de chiffons graisseux. Plus loin, un fouillis de câbles serpentait parmi les carcasses de tracteurs et autres engins agricoles. En avançant, les inspecteurs aperçurent deux mécaniciens courbés sous les capots ouverts d’une 504 gris métallisé pour l’un et d’une Simca 1300 bleue pour l’autre. Au fond, Diégo crut reconnaître une antique Renault Celtaquatre qui surplombait l’atelier du haut de son estrade.

L’inspectrice s’époumona derrière le mécano de la 504, un jeune homme aux cheveux longs et gras ramenés derrière les oreilles. Il se redressa, jeta un coup d’œil sur la jeune femme avant de héler le patron.  

La silhouette d’un grand type brun aux cheveux tombant sur les épaules se dessina dans le fond de l’atelier. Guénolé Vilaire, en combinaison bleue, fit un signe aux policiers qui s’avancèrent jusqu’à l’intérieur d’un espace vitré. Là, ils refusèrent l’invitation de s’asseoir sur les chaises noires de saleté placées face au bureau et au-dessus desquellesune misérable ampoule nue pendue au plafond offrait parcimonieusement sa lumière blafarde.

— C’est au sujet de la 304 que j’ai remontée lundi après-midi du fond du ravin ?

Sans attendre la réponse, il enchaîna :

— Je ne vous raconte pas le mal que j’ai eu, j’ai même emprunté un câble à un fermier d’à côté. La voiture a d’abord raté un virage dans la descente, puis elle a terminé sa course par des tonneaux. Son conducteur est mort sur le coup, il est passé à travers le pare-brise, il ne devait pas avoir bouclé sa ceinture. Mais croyez-moi, ceinture ou pas, ça n’aurait rien changé, éjecté ou écrabouillé dans la tôle, il serait mort tout pareil.

Diégo l’arrêta d’un signe de la main :

— Oui, bien, et alors ?

— D’après les traces, la voiture a fait un tête-à-queue avant de sortir de la route. Les gendarmes ont conclu à une faute de conduite, il pleuvait, le véhicule est arrivé trop vite dans le virage, le conducteur a freiné trop fort. Mais venez avec moi.

Joignant le geste à la parole, il enfila une canadienne qui avait dû être beige clair en des temps anciens. Elle rappela à Diégo sa jeunesse, lorsqu’il portait la même à Troyes, les taches en moins. Les inspecteurs le suivirent dans un cimetière d’épaves rouillées de 4 CV, Frégate, Aronde, Traction et Juva 4 plus ou moins accidentées et de quelques carcasses de tracteurs dans le même état.

Le garagiste s’arrêta au bout de l’allée gadoueuse, près d’une 304 blanche sérieusement endommagée. Il passa sa main à travers le pare-brise brisé pour saisir un petit cabochon blanc, posé sur le tableau de bord.

— C’est le bouchon du réservoir de liquide de frein, je l’ai trouvé coincé dans le moteur entre des câbles.

Diégo l’interrompit, faisant rouler l’objet dans ses doigts :

— Rien d’étonnant avec le choc, vous dites que la voiture a dévalé au fond d’un ravin.  

— Oui, mais le réservoir est intact et vide, regardez.

Le capot déformé de la voiture grinça à l’ouverture. Le mécanicien vissa le bouchon à son emplacement sans effort.

— Arraché par le choc, il aurait dû être déformé, le pas de vis serait abîmé. Or, il est intact, le réservoir aussi. Non, il a été dévissé normalement.

— Qu’en déduisez-vous ? s’anima Diégo.

— Quelqu’un a ouvert ce réservoir, posé le bouchon sur le filtre à air ou sur la batterie comme on le fait toujours pour remplir. Mais là, je pense que cette personne a aspiré le liquide de frein avec une seringue. Le gars n’avait plus de freins, je vous le dis, moi. Celui qui a fait ça a oublié de remettre le bouchon à sa place ou il a été dérangé.

— Et les traces sur la route ? s’étonna Diégo.

— Il a essayé de s’arrêter au frein à main, c’était le tête-à-queue assuré, ça correspond bien aux marques et ça n’a rien à voir avec un blocage de roues habituel.

— Attendez, fit Martine, mais pourquoi s’agirait-il d’un acte de malveillance ? Le propriétaire de la voiture a pu oublier de refermer le réservoir ou un garagiste distrait !

— Impossible ! contesta Guénolé Vilaire, sûr de son fait. Si le liquide était encore dans le réservoir au moment de l’accident, il aurait aspergé le moteur et le capot pendant les tonneaux, il resterait des traces, c’est un produit gras et visqueux.

— Il a pu gicler hors du véhicule, loin de l’impact final, persista Martine.

— Impossible ! s’insurgea le mécanicien, énervé de voir ses compétences professionnelles discutées par une représentante de la gent féminine, qui n’ouvrait certainement jamais un capot. Le capot était fermé et j’ai même eu toutes les difficultés à l’ouvrir tellement il était coincé. Je vous le répète, mademoiselle, ce réservoir a été vidé avant l’accident sinon il resterait des traces sur le moteur et sur la face intérieure du capot.

— Les chocs successifs auraient pu détériorer les circuits de freinage et le liquide se serait déversé sans laisser de traces par-dessous la voiture, pendant sa dégringolade au fond du ravin, remarqua Diégo.

— Votre hypothèse est plausible, vu l’état du train avant, mais elle n’explique pas le bouchon intact coincé dans le moteur.

— Bon, selon vous, le réservoir a été vidé juste avant le départ de la voiture. Le conducteur a donc roulé avant d’amorcer la descente, il n’a rien senti ? s’étonna Martine.

— Non, au début tout fonctionne normalement, il faut exercer quelques pressions sur la pédale avant de ne plus rien avoir dessous, le temps que l’air prenne sa place.

— D’après vous, combien de temps faut-il pour faire ce sabotage ?

— Moi, je vous fais ça en cinq minutes.

— Il aurait été plus rapide et plus simple de percer le réservoir, observa Martine.

— Mais un trou, ça se voit alors que si le bouchon avait été remis en place, j’aurais pensé que le liquide s’était évacué par-dessous comme on l’a dit tout à l’heure et qu’il avait disparu dans la végétation. Je n’aurais pas été chercher plus loin. Le tête-à-queue dont on voit les traces sur la route aurait pu venir d’un dérapage dû à une faute de conduite, la route était mouillée. Celui qui a fait le coup a bien pensé son affaire.

— C’est bien observé, ne touchez plus à l’épave et ne laissez personne s’en approcher, termina Martine.

Diégo s’apprêtait à partir, mais Guénolé Vilaire le retint par le bras.

— J’ai encore une petite chose à vous montrer !

Martine et Diégo le suivirent tous deux, curieux de savoir ce qu’il pouvait bien encore leur montrer sur cette affaire. Lorsqu’ils furent arrivés à l’intérieur d’une aile opposée au bâtiment principal, l’homme retira le drap qui recouvrait une grosse voiture décapotable.

— C’est une Buick Super de 1950 ! Une vraie perle ! s’extasia Guénolé Vilaire, heureux de faire partager son bonheur.

— C’est pas vrai ! soupira Martine en tournant les talons, stupéfaite. On perd du temps, souffla-t-elle à Diégo qui s’apprêtait à partager l’enthousiasme du garagiste.

Une pointe de déception s’échappa des yeux du mécanicien qui regrettait d’avoir affaire à des gougnafiers incapables d’apprécier une telle merveille !

— Au sujet de notre affaire, je vous envoie une équipe de la scientifique, vous leur expliquerez tout ça, termina le principal.

Le garagiste opina de la tête.

De retour dans la voiture, Martine demanda :

— Tu penses qu’il a vu juste ?

— Trouve-moi la gendarmerie, qu’on en sache un peu plus sur ce gugusse.

— On est passés devant tout à l’heure.

Respecté pour ses actes héroïques en Indochine, le jovial chef de bridage Firmin Dantoux était un grand type athlétique de quarante-sept ans, dont les yeux bleus rieurs égayaient le visage aux joues grêlées. Il reçut les policiers dans une pièce sombre, un ancien grenier transformé en bureau de gendarme avec son plafonnier allumé jour et nuit, sa soupente, sa poussière et son désordre.

— Guénolé Vilaire ? Un bon mécano, fit l’adjudant, il a repris le garage à son retour du stalag en 45. Sa femme est institutrice, ils ont deux filles, l’aînée est infirmière et mariée à un toubib de Montluçon, la seconde est en classe de BEP de secrétariat au lycée technique de Guéret.

Le gendarme se leva, ôta son képi et, pour s’assurer de l’absence de désordre dans sa coiffure, se passa la main droite dans les cheveux parfaitement lissés en arrière à la manière de Tino Rossi. Il coinça son couvre-chef sous son bras gauche et, visiblement perdu dans ses pensées, il laissa son regard traîner pendant de longues secondes sur le mur blanc et nu face à lui, sans plus se préoccuper de ses visiteurs. Décontenancés, les inspecteurs ne surent quelle attitude adopter. Ils s’apprêtaient à prendre congé lorsque le major se réveilla :

— Ne vous arrêtez pas à la pagaille de son atelier, dans son métier il est reconnu comme un expert et il a une clientèle fidèle. Son témoignage est fiable, il est corroboré par les traces relevées sur la route.

— Ça prouve la défaillance des freins mais pas le sabotage. Bien, on va expertiser l’épave, fit Diégo.

— Vous connaissiez le défunt ? interrogea Martine.

— Non, je sais juste qu’il s’agit deDavid Katze, un professeur d’allemand du lycée Pierre Bourdan à Guéret, quarante et un ans, marié et père de deux adolescentes.

— Que faisait-il sur cette route un lundi matin, jour de rentrée scolaire ? continua l’inspectrice.

— Selon des témoins, il assistait à l’enterrement de Léonie Dorant. L’accident a dû se produire sur le chemin du retour vers son domicile à Guéret.

— Qui était Léonie Dorant, quelqu’un de sa famille ? reprit Diégo.

— Non, je ne pense pas. Elle s’était installée ici il y a une quinzaine d’années pour rejoindre son frère Eugène décédé depuis. Les gens du coin disent qu’elle a été résistante à Chénérailles pendant la guerre.

— À ce stade de l’enquête, faites établir la liste la plus exhaustive possible des personnes qui assistaient aux funérailles.

— Je vous fais ça rapidement. Je vous conseille de vous rendre sur le lieu de l’accident, vous aurez une idée de la violence de la cavalcade du véhicule jusqu’au fond du ravin. C’est impressionnant, un arbre a même été déraciné !

Martine et Diégo s’accordèrent une parenthèse pour visiter la célèbre abbatiale d’Évaux. Ils commencèrent par musarder dans le jardin attenant pour mieux profiter de la sérénité des lieux. L’édifice, de par sa hauteur et sa prestance, dominait le centre du bourg. Il diffusait une quiétude héritée des siècles passés et que rien ne semblait pouvoir ébranler.

Alors qu’ils contemplaient la bâtisse la tête levée, une femme âgée cessa momentanément de jeter des miettes aux oiseaux et s’approcha d’eux.

— C’est impressionnant, mais ça l’était encore plus avant. Un incendie a tout détruit pendant la guerre, l’église a été reconstruite, mais pas les annexes qui étaient à la place de ce jardin.

Les inspecteurs ressortirent du parc afin de mieux admirer la façade avec sa tour aux baies de style roman et sa flèche qui guidait immanquablement le regard jusqu’à son extrémité.

À l’intérieur, ils déambulèrent avec lenteur, happés par la majesté, le regard pointé sur la nef coiffée d’une voûte en berceau.

Leur parenthèse touristique refermée, les inspecteurs reprirent la direction de Chambon et la R12 Gordini ralentit à la sortie du bourg, devant le cimetière.

— Voilà un parking calme et idéalement situé pour trafiquer la voiture pendant une cérémonie, constata Diégo.

— Il est un peu à l’écart de la route, renchérit Martine.

La route amorçait ensuite une descente en corniche où les policiers ne relevèrent aucune trace suspecte d’écoulement de liquide visqueux.

— De toute façon avec la pluie et le passage des voitures depuis lundi, elles auraient disparu, remarqua Martine.

Des stigmates laissés sur le bitume par un dérapage et la végétation saccagée à la fin d’un virage indiquèrent le lieu de la sortie de route. Leur voiture garée en contrebas, les policiers remontèrent à pied les quelques mètres dans un silence seulement troublé par le chant de quelques mésanges.

Alors qu’ils s’enfonçaient à travers les buissons et les ronces, un bruit de glissade fit sursauter Diégo, qui n’eut que le temps d’entrevoir l’inspectrice avant qu’elle ne disparaisse au fond de nulle part. C’est assise dans un amas de boue qu’il la retrouva, le superbe manteau en daim beige lumineux acheté la veille étalé en corolle autour d’elle.

— Charmant tableau ! observa-t-il sans réussir à contenir un fou rire.

Confuse, Martine attrapa la main secourable tendue, le visage décomposé. Remise sur pied, elle grogna un « r’oh là là » en mesurant l’état de salissure du superbe manteau en daim…

La trajectoire de l’embardée du véhicule était facile à suivre : dans sa course folle, il avait laissé derrière lui une végétation dévastée et aplatie, jusqu’au plongeon fatal.

Ils remontèrent péniblement, en s’agrippant aux arbustes. Martine était à la traîne, le froid commençait à la gagner.

Diégo, les mains sur les hanches, reprenait son souffle en l’attendant. Dans un dernier effort, elle se hissa à sa hauteur. Arrivée sur la route, elle ausculta son manteau : les dégâts étaient importants. Elle était furieuse et craignait qu’il ne fût pas possible de faire disparaître toutes les salissures.

— Le parking du cimetière est tranquille mais visible de la route, le saboteur n’a pas dû traîner pour mener son affaire, nota Diégo qui avait perçu le trouble de la jeune fille.

— On ne remarque pas forcément un type qui trafique dans son moteur, il a dû jouer là-dessus, répondit-elle s’efforçant de paraître naturelle.

— Il connaissait cette descente dangereuse et savait que David Katze prendrait ce chemin.

Un moment silencieuse, Martine reprit :

— Hum, comment a-t-il ouvert le capot ? Il avait une clé de la voiture ?

— À voir, opina Diégo.

— Et il ne pouvait pas être certain du résultat, la victime aurait pu en réchapper. Si son objectif était de tuer, le procédé était aléatoire.

— Disons qu’il a joué le tout pour le tout, tirant profit d’un événement, l’enterrement. Il a peut-être improvisé. Voyons d’abord la personnalité du défunt et ses liens avec la femme enterrée ce jour-là.

— Voyons qui était M. Chat. Ben oui, sourit Martine devant l’air étonné de Diégo, Katze, c’est chat en allemand.

— Ah oui, tu fais un bond dans l’enquête, là !

La voiture traversa le village médiéval de Chambon2, un soleil hivernal enluminait de nuances orangées l’imposante abbatiale romane. Martine, tout en admirant le monument, s’extasiait devant le nombre d’édifices que compte la région, témoins de sa richesse passée.

— Tu te rends compte, l’abbatiale d’Évaux qu’on vient de visiter n’est qu’à cinq kilomètres d’ici ! fit-elle.

En fin d’après-midi, les policiers se rendirent au domicile de la victime, boulevard Carnot à Guéret. Un banal accident de la route devenait une affaire criminelle, la réaction de l’épouse devait être cueillie à chaud.

Arrivés dans l’immeuble, ils gravirent les marches deux par deux pour rejoindre l’appartement de la veuve situé au deuxième étage.

En réponse à la sonnette, l’abondante masse de cheveux frisés bruns passée par l’entrebâillement de la porte fit sursauter Diégo encore essoufflé. Josiane Katze les fit entrer. Elle était vêtue d’une blouse bleue et d’une courte jupe plissée couleur rouge vif.

Les inspecteurs prirent place sur d’inconfortables poufs ronds en plastique disposés autour d’une table en plexiglas. Diégo quitta du regard le papier peint de la pièce, dont les figures géométriques entrecroisées le faisaient loucher, alors qu’il sentait poindre un mal de tête sous l’agressif éclairage de deux globes pendus au plafond. Pour clore le tout, des grincements agaçants d’un violon maltraité sortaient de la pièce voisine.

Assise face à eux, la veuve releva délicatement une mèche qui tombait sur son front avant de triturer la chaîne en or attachée à son cou.

— J’espère que ce ne sera pas trop long, je donne un cours en ce moment, expliqua-t-elle en désignant du doigt la porte entrouverte.

— Vous enseignez la musique ? embraya le principal.

— Oui, piano, accordéon et violon, j’ai une vingtaine d’élèves.

Martine appuya sur le bouton d’enregistrement du magnétophone.

— Quand avez-vous vu votre mari pour la dernière fois ? questionna Diégo.

— Lundi matin, avant qu’il parte à Évaux pour l’enterrement de Léonie. L’accident a eu lieu sur le chemin du retour. Une enquête est ouverte ?

— La routine, nous vérifions les circonstances de l’accident, éluda Martine. Qui était Léonie Dorant pour votre mari ?

— Pourquoi cette question ? Quel rapport avec les circonstances de l’accident ? Vous me cachez quelque chose ! trancha Josiane Katze.

Sa méfiance vis-à-vis des policiers et des gendarmes ne l’avait pas quittée depuis qu’ils l’avaient pourchassée pendant la guerre parce qu’elle était juive.

Les grincements d’archet de l’élève mettaient à cran les nerfs de Diégo. « Décidément, tout dans cette maison m’exaspère » se dit-il, mais soucieux d’épargner Josiane Katze, il lui donna satisfaction :

— Bien, nous avons de sérieux doutes sur les circonstances de l’accident et des raisons de soupçonner un sabotage des freins de la voiture.

La femme blêmit, resta interloquée un bref instant avant de sangloter.

— Mais comment est-ce possible, je ne comprends pas. Qui aurait pu vouloir le tuer ?

Elle se dirigea vers la cuisine, choisit de se raccrocher à des choses simples. Elle réapparut avec un plateau chargé de tasses de café qu’elle proposa à la ronde. À l’invitation de Diégo, elle entama le récit de ce qu’avaient été sa vie et celle de son mari.

Déjà amis avant la guerre, les parents de Josiane et de David avaient fui la Sarre en janvier 1935 après le référendum qui avait rattaché ce land au Reich. Les deux familles juives choisirent de partager une grande maison à Forbach, la ville française la plus proche.

Josiane Katze remua son café, en but une gorgée, Martine et Diégo l’imitèrent. La veuve se moucha et reprit :

— Ces événements ont marqué notre enfance à David et moi, ils nous ont soudés pour la vie. En septembre 39, nous avons été évacués mais, au lieu de suivre les Mosellans en Charente, nous avons opté pour Paris. En octobre 40, nos pères ont refusé le recensement des Juifs dans les commissariats3 et ils sont entrés dans la clandestinité. Pour parer au plus pressé, ils ont envoyé leurs femmes et leurs enfants en zone libre. Dans un premier temps, nous avons échoué au camp de Rivesaltes, où nous avons connu le froid, la faim, la promiscuité et l’absence d’hygiène. Comme nous nous affaiblissions, nos mères nous ont confiés à l’OSE4, elles se sentaient impuissantes devant la détérioration de notre état de santé.

David et Josiane furent remis sur pied au centre de Palavas-les-Flots, puis envoyés au château de Chaumont à Mainsat5 en Creuse. Ils y restèrent jusqu’aux rafles de 1942 et de 1943 pendant lesquelles six adultes furent déportés avec leurs trois enfants. Seuls des enfants accompagnés de leurs parents avaient alors été arrêtés.

— Nous avions huit ans lorsque Mme Dorant, de Chénérailles, a pris en charge David, alors que moi j’ai été acheminée en Suisse par Annemasse6. Nous nous sommes retrouvés après la guerre et nous sommes mariés en 58.

— Pour terminer, aviez-vous remarqué un changement dans le comportement de votre mari les derniers temps ?

— Non, mais la disparition de Mme Dorant l’avait éprouvé.  

Il était tard, la place Bonnyaud qu’ils traversèrent pour rejoindre leurs domiciles respectifs grelottait sous une pluie froide d’hiver. Diégo grommela :

— Une mini-jupe rouge, c’est quand même plus de son âge.

— Passé un certain âge, les femmes ne peuvent plus mettre de rouge ? C’est toi qui es d’un autre âge, mon pauvre ! s’esclaffa Martine.

— Elle vient de perdre son mari en plus !

Les mauvaises conditions météorologiques et la fatigue accumulée tout au long de cette journée bien remplie les dissuadèrent de poursuivre cette conversation.Diégo retrouva son amie Liliane, la greffière du tribunal, dans leur appartement de l’avenue de la Sénatorerie. Quant à Martine, elle fila vers l’avenue Fayolle, dans le trois pièces qu’elle partageait avec son ami Stéphane.

1. Raoul Lepouic, le commissaire divisionnaire qui dirigeait le commissariat de Guéret.

2. Classé en 2014 troisième village préféré des Français dans l’émission du même nom de France 2.

3. Joly Laurent, L’État contre les juifs, Paris, Grasset, 2018, p. 44.

4. Œuvre de secours aux enfants.

5. Vivette Samuel, Sauver les enfants, Paris, Liana Levi, 1995.

6. Le voyage de Fanny