Une cuillerée de miel - Gilles la Carbona - E-Book

Une cuillerée de miel E-Book

Gilles la Carbona

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Beschreibung

Et là Honorine s’est levée, avec son mouchoir elle a séché ses larmes et a crié à son père de lui jurer de ne jamais toucher aux ruches de sa mère de les lui donner et pour toujours !
Le vieux a commencé par « rouméguer », les abeilles l’ont fait reculer. Alors mon père s’est approché de lui, et lui a dit de la laisser tranquille, de lui accorder cette faveur.
D’abord il a gueulé comme un cochon qu’on égorge qu’il n’allait pas être humilié une seconde fois, en s’abaissant à jurer à une enfant. Là mon père lui a parlé tout bas, personne n’a entendu. Le vieux s’est calmé, il est revenu à de meilleurs sentiments, et il a juré devant tout le monde qu’il lui laisserait les ruches.
– Il lui a dit quoi ton père ?
– Je n’en sais rien, il n’a jamais voulu me le répéter. Mais le plus fort petit c’est qu’une fois le serment fait devant tout le monde, les abeilles sont parties, en un clin d’oeil, elles ont foutu le camp ! Personne n’avait jamais vu ça ! Tu comprends à présent pourquoi elle y tient tant que ça à ses abeilles.


À PROPOS DE L'AUTEUR


Né à Villeneuve lès Avignon en 1963, Gilles la Carbona vit actuellement dans le Vaucluse. Bercé par la truculence de sa Provence natale, autant que par la douceur de l’océan ou le mystère des berges des gaves, l’auteur commence à écrire il y a plus de vingt ans. Romancier, dramaturge, passionné de littérature, de nature, épicurien à toute heure, il signe là son nouveau roman.

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Gilles La Carbona

Une cuillerée de miel

Roman

Du même auteur

Romans :

– La légende de la fleur de soleil Tome2

5 Sens Editions, 2021

– L’instant où les jours s’effacent

5 Sens Editions, 2020

– Le lys et la cocarde Tome 2

5 Sens Editions, 2020

– Le lys et la cocarde

5 Sens Editions, 2019

– Et les rossignols chantent encore

5 Sens Editions, 2019

– L’ami perdu

5 Sens Editions, 2018

– La légende de la fleur de soleil

5 Sens Editions, 2017

– Mathilde

5 Sens Editions, 2016

– La Louve de Haute Mauricie

Editions les deux encres, 2013

– Le choix ou l’enchevêtrement des destins

Editions des écrivains, 2002

 

Théâtre :

Il t’a quittée moi non plus ! 2017

La nuit de Pauline, 2017

L’emprise, co-écrite avec Sabine Lenoël,

Seconde édition, éditions Muse, 2019

Et Maintenant, co-écrite avec Eirin Forsberg, 2021

 

 

Éva avait répété nuit et jour pour être parfaite le soir du concert. Les représentations étaient rares, elle se devait d’être irréprochable. L’idée de jouer à Paris l’excitait. Du fait de son statut particulier dans le monde des solistes, elle avait dû cesser le métier de concertiste pour des raisons de santé, elle n’avait pas la même pression que les autres musiciens. L’exigence qu’elle se demandait était focalisée sur un laps de temps très bref. La musique prenait chez elle une allure de nécessité. Trop longtemps tenue à l’écart des scènes, Éva renaissait et retrouvait les chemins d’une certaine félicité, elle prolongeait ainsi la mystique de l’existence, sublime conversion où entre deux sons naviguent une pensée, une image, tel le sommet de la vague transformant un mouvement en autre chose, perceptible dans la chute soudainement flamboyante de ce qui n’était qu’impression, pour devenir dans le bouillonnement de l’écume, réalité. Il y avait chez elle ce besoin d’expression impossible à traduire avec les seuls mots. Les notes s’élevaient ensachant de leur douceur, indicible langage des yeux, du corps, de ces éléments qui suggèrent plus qu’ils ne disent. Le piano devenait son allié, son confident, le trait par lequel elle allait pouvoir crier tous ses murmures, et laisser entendre les humeurs de son âme. Donner la parole à ce puits d’amours cachées, cet écho muet seul capable d’évacuer ses détresses, et rendre l’impossible accessible. Finalement créer un futur malgré le vide. Retrouver la saveur de l’existence enfouie dans les méandres de la sordide banalité, laisser à nos secrètes sensations, la chance d’être saisies par une part d’esprit innocent, un éclat de pureté susceptible d’étreindre l’inexprimable fraction de nous-mêmes.

 

L’opéra de Paris l’avait sollicitée pour une représentation unique d’un concerto de Brahms. Très emballée, elle avait tout de suite accepté. Elle tombait au bon moment, après les premières découvertes faites par hasard dans le grenier de sa grand-mère, elle avait besoin de cet exutoire pour évacuer la tension et le trouble qui l’habitait.

Bien entendu aucune révélation n’avait été faite à sa mère, elle entendait être certaine avant de lui parler.

Le bonheur de retrouver le monde du spectacle l’avait sortie de ce marasme. Elle était entrée dans la partition, faisant sienne chaque note de musique, réglant sa respiration sur l’allure du mouvement vivant sous l’emprise même des images que la musique faisait jaillir en elle. Après chacune de ses répétitions, elle restait plongée dans l’obscurité, retrouvant le sens de sa propre existence à la source de ces ténèbres accueillantes. Vide de pensées, si ce n’est celles provoquées par la mélodie, elle revenait à sa réalité. À chaque fois elle puisait dans le plus profond d’elle-même l’intensité, la fougue et le désespoir pour rendre hommage à la musique, sublimer dans son interprétation le langage secret caché dans ce concerto. L’émotion ne peut se révéler pleinement que dans une mise en danger de soi-même, se mettre à nu, forcer l’ouverture de ses portes mystérieuses pour s’exposer et crier au monde, un bonheur indicible où se mélangent le drame, la douleur et la fragilité des sentiments. Elle devenait cristal, prête à se briser pour que s’exprime la musique. Cette exaltation avait souvent inquiété Kristen sa jeune fille. À présent, elle comprenait et acceptait la transformation nécessaire de sa mère pour interpréter au plus juste une œuvre. Elle adorait l’écouter, la voir jouer, elle en frissonnait.

Le moment arriva, Paris baignait d’un soleil pâle, Éva ne pensait plus qu’à son concert.

Éva venait à l’opéra Garnier pour la première fois. Elle avait donné des concerts un peu partout en Europe mais ici jamais. Elle découvrit le monument, somptueux, grandiose, ses ors et son luxe la charmèrent. Le maître l’attendait, il lui fit visiter les lieux succinctement, et lui montra la scène. Elle regretta, sans le lui dire, ce trop rapide tour à l’intérieur de l’édifice. Mais elle était là pour jouer non pour faire du tourisme.

Sans perdre une minute, elle prit possession de sa loge et se dirigea vers le plateau pour répéter avec le reste de l’orchestre.

La salle était plongée dans la pénombre, on devinait à peine les grandes colonnes et les dorures. Sur le devant de la scène, le piano brillait de son noir laqué. Le silence ouaté, sereine nappe de légèreté, rendait à ce lieu l’intemporalité voulue par ses créateurs. Éva salua les musiciens et s’installa. Les violons commencèrent l’harmonieuse mélodie, faite de subtile douceur et de tendres accords, le violoncelle attaqua à son tour, enfin, les doigts d’Éva avec une extrême agilité coururent sur le clavier, mus par la frénésie de l’élan, du rythme et de la passion maîtrisée. Ils savaient ce qu’ils avaient à faire, le cerveau les contrôlait-il encore ? N’y avait-il pas une indépendance totale de ses mains par rapport à sa conscience ? Éva n’y songeait même pas, elle jouait, elle vivait. L’ensemble de son corps ondulait sous l’effet de la partition, de ses changements d’allure, aucune hésitation, les notes s’enchainaient comme une respiration rapide, haletante, pressée de vivre, d’exploser dans son exubérance créative. Le silence venait de se transformer, de s’emplir du langage des notes.

Sa silhouette longiligne vibrait, se courbait, se redressait dans un balancement presque indéfinissable, telle une liane volubile enlaçant de ses arabesques contenues, les notes échappées de l’instrument, les caressant de sa présence. La musique devenait un être tout de sentiment vêtu, dont Éva prolongeait l’onde de son regard intérieur, ce puissant faisceau qui sait animer les choses par le seul reflet de notre propre vision.

Éva joua toute sa partition, superbement accompagnée par l’ensemble. Elle termina dans la douceur du mouvement. Les dernières notes vinrent en soupirant mourir au bord du silence apprivoisé. Presque épuisée, elle releva son buste, tourna la tête vers la salle vide, ouvrit enfin les yeux.

Étourdie par sa prestation elle reprit ses esprits. Le chef d’orchestre l’avait écoutée plus qu’il n’avait dirigé. Il s’avança auprès d’elle. L’homme était petit, mince, d’une élégance naturelle, plus âgé qu’elle, il lui baisa la main.

– C’était divin, comme chacune de vos représentations. Vos apparitions sont trop rares ma chère. Vous vous refusez une joie intérieure qui se lit sur votre visage. Surtout vous privez le public de votre talent.

– Vous me flattez, j’ai toujours beaucoup de plaisir à donner des concerts, mais j’aime aussi me consacrer à l’enseignement. C’est un choix que j’ai fait, je ne le regrette pas. Je suis certaine qu’en poursuivant ma carrière internationale je n’aurais pas eu la même ardeur, la même envie. Ma santé m’a rappelée à l’ordre. Vous le savez ?

– Oui très chère, enfin je me console quand vous nous faites l’honneur d’accepter de jouer. Ce soir ce sera une merveille, un moment inoubliable. Si seulement le temps pouvait l’arrêter, qu’il demeure présent pour toujours… La beauté en musique est comme toutes les beautés, sujette à l’instant présent. Son unicité dénude sa saveur. La partition est là, éternelle, mais il faut la sensibilité du musicien pour en dégager sa force et sa magnificence.

– J’espère alors ne pas vous décevoir et jouer avec la même intensité.

– Vous l’aurez, il y a en vous cette rareté qui n’appartient qu’aux plus grands, celle avec laquelle vous parvenez à vous dépasser dès que vos mains se posent sur le clavier. L’œuvre vous va à merveille, on dirait qu’elle a été écrite pour vous. Comme si Brahms pressentait, en la composant, que vous alliez venir. Ce concerto pour piano vous représente si bien, et vous l’interprétez avec tant de tendresse et de force…

– Vous êtes adorable.

Machinalement elle jeta un œil à son portable. Un appel manqué s’affichait. Elle regarda plus attentivement.

– Excusez-moi maître. Je dois rappeler d’urgence une personne.

– Monsieur Simon Bertier, vous avez essayé de me joindre ?

– Oui, avec les papiers que vous m’avez donnés j’ai pu trouver une piste qui me semble sérieuse. Je vous tiens au courant.

– Parfait, envoyez-moi ce que vous avez sur ma messagerie.

– À bientôt madame Bosmann. Et votre grand-mère ?

– Elle n’a plus du tout sa tête, la raison s’enfuit. Elle s’alimente toujours c’est déjà ça.

– Elle aura bien vécu tout de même.

– C’est ce qu’on dit dans ces cas-là…

Sur l’instant elle eut envie de crier sa hargne, son incompréhension. Sa grand-mère a beau être « cette chose qui va mouriret qui le sait », elle ne parvient pas encore à l’accepter.

Éva raccrocha et resta songeuse, allait-elle réussir enfin et offrir ce beau cadeau à sa mère…

La secrétaire lui confirma que le chauffeur était prêt pour la raccompagner à son hôtel. Le jeune homme se présenta à elle discrètement, il lui indiqua qu’il viendrait la chercher vers 16 heures.

Une des conditions imposées par Éva était de ne faire qu’une seule répétition. Ensuite elle se concentrait sur sa prestation et canalisait tout son influx pour cet événement. La Chambre était spacieuse, lumineuse et calme. Éva se ressourçait dans le silence, sans être totalement sauvage, elle appréciait la plénitude de ces moments de solitude.

Le soir vint vite et Éva se retrouva à nouveau à l’Opéra. Elle alla saluer les musiciens, pour chacun d’eux elle eut un mot. Profondément attachée à la sincérité des rapports humains, ouverte aux autres, elle se complaisait à ressentir les femmes et les hommes qui s’apprêtaient à l’accompagner durant un concert.

Elle avait à présent hâte d’être auprès d’eux.

Le moment fatidique arriva enfin. La salle était comble, son entrée sur scène fut suivie d’un tonnerre d’applaudissements. Dans sa longue robe de satin noir, sa silhouette gracile et ferme se détacha dans le faisceau des projecteurs. Elle s’avança d’un pas assuré et presque félin, salua le public, puis prit place à son piano.

Le public sembla retenir son souffle, le concert débuta. Dès les premières notes la magie opéra, des images naquirent spontanément, ici un champ frais aux fleurs éclatantes, là une cascade de roses chiffonnées au parfum puissant, ou une calme rivière aux berges ombragées sur laquelle glissent, dans une barque étroite, des amants heureux.

À la fin de la représentation Éva fut rejointe par le chef d’orchestre ému, il ne put que lui serrer chaleureusement les mains.

La fille d’Éva, Kristen, avait fait le voyage pour entendre jouer sa mère. C’était la seconde fois qu’elle assistait à un concert de sa maman. Le premier récital se déroulait à Salzbourg. Elle en gardait un souvenir bouleversant.

– Attends-moi dans ma loge ma chérie, j’arrive.

Le temps pour sa mère de saluer quelques personnages plus ou moins importants, de s’affranchir de la corvée des embrassades quelquefois hypocrites, et Éva put enfin retrouver sa fille.

Une journaliste attendait à la porte. Jeune, presque trop timide pour faire ce métier, cette candeur plut à Éva.

– J’aimerais vous poser quelques questions. Elle lui présenta son accréditation. Elle travaillait pour une revue de musique classique. Ce ne sera pas long, je crois savoir que vous n’appréciez pas trop ce genre d’exercice.

Éva sourit aimablement à la jeune femme et la fit pénétrer dans sa loge.

L’interview ne dura que quelques minutes effectivement. Éva se prêta volontiers au jeu et répondit avec plaisir aux questions. Pour une fois elles étaient pertinentes et n’abordaient pas le sempiternel refrain sur sa rareté sur la scène internationale.

Un coursier vint amener un bouquet de fleurs. À ce moment-là entra le directeur de l’opéra. La journaliste prit congé. L’homme en quelques mots lui exposa le contexte. Il pouvait téléphoner à son ami à Chicago pour organiser un concert à l’automne prochain. Il avait cru comprendre que sa situation avait changé, et qu’elle ne souffrait plus de ces malaises à répétition. Éva lui confirma les deux points. Kristen l’encouragea à accepter. Elle ne déclina pas son offre se donnant le temps de la réflexion.

Une fois cet entretien terminé, Éva et sa fille purent aller dîner dans un très bon établissement parisien.

– C’est très gentil d’être venue me voir, c’est une belle surprise.

– J’aime t’entendre jouer, en plus, habillée avec cette longue robe tu ressembles à une princesse.

– Moqueuse va !

– Pas du tout maman, la prochaine fois ce sera à Chicago, si j’ai bien entendu ?

– Tu vas très vite en besogne, je n’ai pas encore accepté. Mais c’est tentant.

– Ce serait une erreur à présent de refuser. Par contre je ne sais pas si je pourrais être du voyage. Si on te sollicite à nouveau, débrouille-toi pour que ce soit Milan…

– Ah oui l’Italie, ce serait très agréable aussi. Et ton entretien s’est bien passé ?

– Assez, j’aurais une réponse d’ici la fin du mois. De toute façon des conceptrices en imagerie industrielle ça ne peut pas rester au chômage longtemps.

– En attendant de retrouver notre chère Bavière, laissons-nous aller à la douceur de la vie, de cette soirée et des plaisirs que cette table va nous offrir.

Kristen regardait sa mère avec de l’admiration, sans le lui dire, pudeur oblige, mais elle la trouvait à la fois belle et talentueuse. C’est vrai qu’Éva est belle, assez grande, les cheveux courts, des yeux gris capables d’avaler toute la lumière du monde et de la restituer en un faisceau cristallin, un corps élancé. L’ensemble de sa personnalité respire la générosité, l’élégance et la vigueur, une sorte d’énergie maîtrisée, susceptible de se propager subtilement, de vibrer intensément. Derrière un visage aux traits fins se cache une femme au caractère trop longtemps étouffé, muselé. Depuis son divorce, Éva n’est plus cette dame timide effacée. Elle reste discrète mais sait se mettre en avant, expose ses envies, ses idées, sans craindre le regard des autres. Il y a pourtant encore au fond d’elle-même la douleur de la disparition de son père, et les épreuves qu’elle a dû surmonter avec sa mère, fragilisée par cette perte. Éva a été élevée dans cette tempête de sentiments, où ses grands-parents ont dû suppléer par leur présence et leur amour à tout ce qui s’était évaporé après la mort de son père.

Puis il y avait eu ce mariage, trop jeune, trop tôt, étouffant, et d’autres années à devoir lutter contre sa vraie personnalité qui tapait au fond d’elle-même sans trouver la force de se libérer. Enfin le divorce, la liberté et de nouvelles difficultés, mais là, Éva n’avait pas ressenti la peur, ni la faiblesse de se dresser, d’avancer. Pourtant il y avait bien une insuffisance, une absence indéfinissable, souvent elle se le disait à elle-même : il me manque quelque chose. Mais quoi ? Je ne sais pas !

L’effleurement de la vérité est un trouble grandiose quand il perturbe les âmes les plus sensibles, mais il laisse aussi des traces indélébiles. L’âme frémit agitée par un soubresaut incontrôlable, une sorte de frénésie tendre qui vous pousse à fouiller au fond de vous, dans une pudeur superbe, le pourquoi de ce tumulte, qui ressemble à un chemin que l’on cherche sans jamais le trouver.

Heureusement, la difficulté ne l’effrayait pas, d’ailleurs depuis son divorce, plus rien ne la faisait reculer. La seule chose dont elle craignait la rencontre, c’était son vide interne, cette vaste bouche capable de l’engloutir en un claquement de dents. Ce gouffre qui hante chacun de nous, et s’ouvre parfois pour nous projeter vers ce que nous ne sommes déjà plus ! De temps en temps elle y pensait et lâchait le mot tant redouté : « dépression ». L’unique façon de l’éloigner n’est certainement pas de feindre son ignorance, de lui tourner le dos avec un ricanement bravache. Non, Éva avait compris que pour s’en prémunir, elle devait vivre ! Oser être ce qu’elle était, accepter ses envies les plus insensées, les laisser naître et les assumer, sans jamais plus dépendre du regard d’un autre, de son aval pour réaliser son propre rêve. Car au final, une seule chose existe, le songe par lequel nous existons. Il nous fait aimer, détester souffrir et admirer, pleurer et rire, mais il est lui, un rêve éblouissant et délicat. Ne pas le vivre, se refuser à ses caprices à ses folies, c’est ne pas comprendre la fragilité de ce que nous sommes. Que sommes-nous ? Des points d’exclamation bondissant dans une interrogation permanente, des souffles trop courts perdus dans une bulle si vaste qu’on n’en voit jamais les bords. Tuer ce rêve qu’est la vie, c’est tuer la vie elle-même. Éva aimait à présent cette liberté de ton retrouvé, chasser l’ombre de ce mari trop sérieux, trop engoncé dans les affreuses réalités de la vie du quotidien. Elle aime les délices des conversations muettes qu’elle se tient avec elle-même, à l’abri des regards. Elle en échange quelquefois des bribes avec sa fille, Kristen. C’est là le premier pilier qui lui a permis cette métamorphose spectaculaire, cette jeune et brillante femme qui s’est, elle, libérée très vite du carcan du jugement des autres, de leurs avis. Elle vit sa vie comme elle le souhaite, suivant son instinct, ceux de son cœur, de son corps. Éva a pris exemple sur elle, Kristen est devenue pour bien des sujets, un modèle, la preuve que c’était possible.

L’autre pilier est la musique. Cet abri essentiel qui l’a sauvée de la bêtise humaine, de la méchanceté des autres, du monde ! Ce langage étrange qui parle avant tout aux sens les plus profonds, et permet aux hommes de se comprendre donc de s’accepter bien mieux que les mots. Le piano avait d’abord été un refuge contre le matérialisme imposé par son époux et la logique perverse du bon sens exagéré. Là, au creux des notes, elle s’était blottie. Havre de paix et d’amour pour elle, la musique avait été sa planche de salut pour quitter le sombre quotidien où son mari l’avait rabaissée. Les certitudes qui encadraient ses journées n’avaient plus de prise dès que résonnait une mélodie.

Elle l’avait sauvée, son besoin de vivre, étouffé durant son mariage, avait trouvé dans l’écho des notes l’énergie nécessaire pour briser la solitude des hommes, et ne conserver que celle des œuvres. Il y avait eu l’acceptation définitive par Éva de cette évidence, la musique est le monde des sens, la civilisation des profondeurs et des langages subtils. La vie est belle, terriblement courte, mais jouissive. Comment la savourer pleinement dans cette étroite parenthèse et rendre chaque battement de cœur inoubliable ? Surtout quand on s’est vu imposer des choix, au point de culpabiliser en rêvant à d’autres libertés, d’autres beautés. La vie doit rester ce jet d’encre sur la feuille de papier, ce sublime éclair dans lequel il nous faut exister et aimer. Il n’y a qu’une révolte possible, celle de notre propre frénésie à vivre, à faire de ce tourbillon éphémère une œuvre d’art. Éva avait pris conscience de la fragilité de cette onde par deux événements.

D’abord, lors d’un concert donné à Berlin pendant un festival de musique auquel elle avait été invitée. Là, elle s’était élevée comme jamais, se noyant dans le vide entourant la symphonie, ne laissant que son âme virevolter autour du monde enfin apprivoisé, plongeant avec fureur dans l’œuvre pour vivre à travers elle, autant qu’en elle. Elle avait compris qui elle était vraiment.

De refuge la musique s’était érigée en révélateur. Rempart contre les turpitudes du monde et des aphorismes de son mari, c’est au cœur du langage des notes qu’elle avait pu entendre ce que son cœur lui criait depuis des années. Elle avait d’abord reconnu ses convictions, puis les avait acceptées. À partir de là, la musique avait été son fer de lance, et c’est grâce à elle qu’elle avait pu dire NON. Non à son époux qui ne parvenait plus à l’ébranler par ses discours tantôt rassurants, tantôt déstabilisants et menaçants. Il n’avait plus de prise sur elle, car elle avait retrouvé la liberté dans la musique. S’exposer enfin au public, crier sa passion de la vie et sa liberté au monde entier était la meilleure des thérapies. Son mari avait dû finir par le comprendre. Comment lutter contre des notes, des mélodies, contre des armées de sons capables de faire chavirer autant de personnes à la fois ?

Ensuite il y avait eu la perte de son amie française, Christine. Une femme belle, brillante, qui respirait la vie. Soudain, le gouffre, la chute. Cette épouse douce, au sourire solaire, rongée sans que personne ne s’en rende compte par la dépression. Cet acide qui dissout les âmes les plus pures dans un futur sans nom. Les anges sont fragiles, en un battement de cils ils peuvent disparaître de notre lumière. Elle revit ce moment, elle n’avait trouvé que la musique pour crier sa douleur, son décès l’avait extirpée de son renoncement.

Sa fille dut sentir la vague de réflexions qui agitait sa mère, un regard plein de tendresse l’enveloppa.

Éva le vit et l’interrogea.

– Tu as une question à me poser ?

– Oui, je te préviens elle est indiscrète.

– Oh je me doute, mais dis toujours.

– Penses-tu un jour refaire ta vie ? Aimer à nouveau ? Ou as-tu tiré un trait sur tout ça et de façon définitive ?

– Grand Dieu non ma chérie, pourquoi penses-tu cela ?

– Tu es seule depuis bientôt deux ans et je n’ai pas eu le sentiment que tu te sois intéressée à d’autres hommes depuis ton divorce. Ni à une autre femme, dit-elle en riant.

– Tu es bête. D’abord je continue à aimer les hommes, je n’ai rien contre les homosexuelles, mais pour ce qui me concerne je ne suis pas attirée par une femme.

– Soit, mais les hommes alors, où sont-ils ? Je n’en vois pas l’ombre d’un seul dans tes relations.

– Je sais rester discrète, chérie. Plus sérieusement, j’ai la conviction profonde que je vais trouver quelqu’un qui m’aimera pour ce que je suis. Sans vouloir me changer, me transformer, en me respectant. En me laissant libre de vivre mes passions, et notamment le piano.

– Comment peux-tu en être certaine ?

– Croire en l’amour c’est croire en la vie. Depuis ma séparation avec ton père, la vie m’a explosé au visage. Elle se montre à présent généreuse. Je redécouvre tellement de choses. J’apprends à être divinement égoïste ! À ne penser qu’à moi en priorité. Ça me donne une force incroyable et surtout me permet de poser un regard différent sur les autres.

– Tu es devenue égoïste ? Toi ?

– Mais non, pas au sens premier du terme. Je suis simplement en train de te dire que je ne me sacrifierais plus pour quelqu’un, en laissant de côté mes envies, mes passions, bref ce qui fait ma vie !

– Depuis deux ans, cet homme providentiel n’a pas croisé ton chemin ?

– Non. Je ne pense pas. Il faut aussi être réceptive, et durant ces deux ans je me suis réhabituée à moi-même, à mes sentiments, mes goûts. Avec ton père j’étais une autre, une étrangère, j’ai dû faire connaissance avec la femme qui sommeillait depuis ces années. Ça prend du temps. Aujourd’hui c’est fait, je peux avancer.

– Je suis très heureuse pour toi. Je m’inquiétais un peu. Je voyais bien que tu n’étais pas dépressive, mais savoir que tu ne vibres pas que pour la musique est rassurant.

– Tu es une adorable jeune femme, la seule réussite que je partage avec ton père.

 

Les deux femmes trinquèrent, tout en savourant la magie de ce repas parisien.

*

Honorine regardait à travers les carreaux, le temps changeait, imperceptiblement, la douceur revenait. Le matin avait encore cet aspect de velours blanc, pailleté de cristaux fragiles et éphémères qu’un rayon de soleil caressant faisait lentement disparaitre.

L’air s’emplissait d’une force nouvelle, les premières fleurs des amandiers avaient ouvert leurs pétales immaculés, les bourgeons un peu partout gonflés d’un battement soudain, s’apprêtaient à renouveler le cycle de la vie. Leurs mémoires endormies s’éveillaient à la faveur d’un soleil clément. Un jet vert exaltant habillait timidement les buissons. L’exigence de la belle saison ne pouvait plus cesser, elle s’animait de ses parures oubliées, de ses couleurs assoupies le temps d’un hiver un peu trop gris, un peu trop froid. Les oiseaux goutaient l’insouciance des nouvelles abondances offertes. Dans cet univers chamarré, Honorine reprenait sa place. Le fil du temps s’était étiré, avec lui sa propre vie. Qu’en restait-il ? Qu’avait-elle retenu de ces années ? Elle se souvint des paroles de M. Pagnol « quelques joies très vite effacées par d’inoubliables chagrins ». Faut-il que nous ne puissions garder que ces instants de mélancolie pour se rendre compte des jours écoulés, et ne voir dans le puits de nos souvenirs que ces moments trop courts où nous fûmes heureux ? Elle chassa de son esprit cette humeur sombre : « à mon âge, il est trop tard pour avoir des regrets, ce que je n’ai pas fait, je l’ai finalement voulu ! Donc je n’ai plus rien à dire ! » Honorine était ainsi, dure avec elle-même, exigeante. La vie ne lui avait pas permis d’être faible, c’était un luxe impossible à cultiver chez elle. L’être l’aurait probablement conduite à se détruire. Orpheline à tout juste 10 ans, élevée par un père devenu taciturne, incapable d’exprimer le moindre sentiment de tendresse, d’avoir un geste de compassion, elle avait dû naviguer entre la douleur d’une maman absente et la peine de ne pouvoir rire aux éclats, comme une petite fille normale. Elle avait gardé au fond d’elle cette désolation, en s’ingéniant à pardonner à son père, alors qu’au fond d’elle-même elle le haïssait ! Mais une enfant ne peut pas avoir de tels sentiments, surtout quand elle se retrouve seule avec son papa, démuni, déboussolé, inconsolable et pourtant lointain. Si seulement il avait eu l’intelligence de se rapprocher d’elle, de déverser ses larmes sur ses cheveux bouclés, pour lui dire qu’il l’aimait. Mais non, son père n’était pas homme à se laisser aller à de semblables effusions. Elle avait fini par le détester parce qu’elle sentait qu’un secret inavouable l’enfermait dans son mutisme. Elle était donc doublement punie… Elle n’avait plus ni sa maman, ni son père à aimer. Malgré tout cela, elle s’était construite à travers ce dédale de ruines, elle avait réussi à fonder une famille, auprès d’un mari qui l’avait soutenue dans son épreuve, supportant sans relâche ses doutes, ses sautes d’humeur. La conduisant à changer son comportement, pour qu’elle devienne cette femme souriante et agréable tout en restant ferme et parfois intraitable. Rémy avait été le seul à qui elle s’était confiée. Au fil des années, il était arrivé à capter toutes les nuances de son caractère et lire dans ses silences. Vétérinaire de métier, il avait apporté la stabilité à Honorine tout en ne coupant pas le lien avec la terre. Compréhensif, tolérant, il était devenu dans bien des domaines le contrepoids d’Honorine. Il avait su manœuvrer avec ses enfants, sans pour autant parvenir à rassurer son fils.

Jean, son fils aîné n’avait pas tardé à manifester une certaine aversion pour cette maison, ce lieu, ces adultes l’entourant, incapables de dire franchement les choses. Sa pudeur l’avait lui-même empêché d’exprimer ses ressentis. Il en découlait une incompréhension entre lui et sa mère. Ce fossé ne s’agrandissait pas grâce aux efforts de sa sœur Audrey. Honorine la regardait avec une tendresse toute particulière, tant elle lui rappelait sa mère, du moins de ce que sa mémoire âgée conservait d’elle. La réalité la rattrapa. Elle fit un mouvement et se sentit gênée. Sa cheville était toujours douloureuse, elle fixait sa canne avec une certaine ironie et colère. Ah cette fichue vieillesse ennemie des corps. C’est en se rendant à ses ruches le matin qu’elle avait glissé sur une plaque de verglas, sournoise, restée là à l’ombre du talus. Elle aurait pu se faire bien plus mal. Avec énergie, elle s’était rattrapée à la branche basse d’un amandier, et la cheville n’avait pas résisté à cette acrobatie soudaine et violente.

Depuis, clouée chez elle avec sa foulure, elle pestait contre tout. Son ami d’enfance, Alphonse, s’était proposé pour l’aider et faire ses courses. Sa fille Audrey venait lui faire le ménage. Son frère demeurant à Aix en Provence n’avait pas voulu se déplacer. Il ne voyait plus d’un bon œil que sa mère de plus de 84 ans reste seule dans cette grande maison. Sa chute n’avait fait que conforter ses positions.

Pour Honorine il était hors de question de quitter le Mas familial. Trop de souvenirs planaient ici, dans ses murs, dans ses collines environnantes. Les larmes de son enfance n’avaient pas fini de sécher, même après toutes ces années. Partir aurait été pour elle tuer une seconde fois sa mère, fuir le lieu de sa dernière vision. Sa tendresse lui avait manqué toute sa vie. Elle ne l’avait jamais exprimé directement. Le sujet était resté tabou. Seuls quelques chuchotements parvenaient parfois à briser le silence sur cette grand-mère inconnue. Il n’y avait plus que cette maison, même si elle avait été rénovée avec goût, elle demeurait intacte à ce qu’elle avait connu. Enracinée dans ce calcaire dominant la Durance, son Mas la tenait debout. Audrey ne voulait pas l’accabler davantage, elle s’était bien gardée de faire la moindre allusion au désir réitéré de son frère de la voir venir vivre chez lui ou pire, d’aller dans une maison de retraite. Ce sujet déjà abordé entretenait un conflit entre eux toujours d’actualité.

Audrey lui avait juste parlé de ses abeilles, ces chères petites bestioles qui avec l’arrivée du redoux, commençaient à se réveiller. Elle savait pertinemment que sa mère s’était fait mal en inspectant les ruches. La version officielle restait une foulure survenue en allant faire ses courses.

– Tu ne pourras pas t’occuper encore bien longtemps des abeilles et des gîtes maman. Tu le sais n’est-ce pas ?

Audrey s’était exprimée avec une voix douce et calme. Pas le moindre reproche n’avait percé, son regard avait été tout aussi délicat, empreint de bonté.

Honorine avait serré tendrement la main de sa fille. Ses yeux clairs s’étaient portés vers elle. Elle avait murmuré un timide « je sais », sans se mettre en colère, sentiment qu’elle n’aurait pas pu maitriser avec son fils.

– Tu me suggères quoi ? Tu voudrais m’expédier dans une maison de retraite comme ton frère Jean ? Je préfère me pendre plutôt que terminer ma vie dans un de ces mouroirs !

– Je le sais maman, je ne souhaite pas de cette fin pour toi. Je me suis toujours opposée à Jean. Tu ne peux pas le nier.

– C’est vrai. Ah celui-là, il est bien comme son grand-père. À expédier les gens à droite à gauche, maudite famille !

– Tu es dur avec lui, il ne pense pas à mal, il désire juste ton bien.

– Non il veut sa tranquillité, et surtout vendre ici. Il n’a jamais aimé cette maison, ni mes ruches. Ce n’est pas un paysan, c’est un prétentieux, un arrogant, un vaniteux. Depuis qu’il gagne quatre sous avec son entreprise il se prend pour un génie !

– Maman, tu sais très bien que Jean n’est pas comme ça. Tu exagères. Il est bon avec toi.

– Non. Un fils qui laisse sa mère n’est pas bon ! C’est un intéressé. Heureusement que tu n’es pas comme ça.

– Je suis plus à ton écoute.

– Tu aimes cette demeure.

– Oui, je m’y sens bien.

Honorine se mit à réfléchir.

– Alors j’ai peut-être la solution.

– Dis toujours.

– Si j’embauchais quelqu’un ? Il s’occuperait des ruches et aussi des gîtes ; il pourrait également remettre un peu en valeur la propriété. Qu’en dis-tu ? La maison est assez grande pour loger quelqu’un, en plus ton frère serait rassuré. Il cesserait de me casser les pieds avec ma solitude et les risques que je cours toute seule.

– C’est-à-dire que, je ne pensais pas à une personne vivant sous le même toit. C’est plus délicat quand même.

– Tu as peur de quoi ? Qu’elle vole l’argenterie ? Qu’on me viole !

– Tu es bête maman. Non, mais un ou une étrangère ici, c’est…

– C’est inconcevable, cette maison n’est que pour mes enfants, c’est ça ? Mais ils sont partis mes enfants. Oh je ne vous en veux pas. Rester au Mas c’était bon avant, aujourd’hui vous faites vos vies loin du nid. C’est le progrès, parait-il.

Pendant son monologue, Audrey réfléchissait. Elle devait lui donner une réponse vite. Soit accepter sans aucune objection, soit s’opposer à sa mère une nouvelle fois. La perspective d’une confrontation l’épuisa par avance tout en la mettant mal à l’aise. Elle se ravisa donc et choisit de lui faire confiance.

– Je suis d’accord, et je trouve l’idée parfaite, même si j’ai quelques craintes quant à te savoir seule avec un étranger dans ta maison. Je pense que Jean approuvera également.

– Ton frère ? Autant te dire que son avis m’intéresse peu. Mais il est normal qu’il soit informé.

– Pourquoi es-tu si dure avec lui, ce serait tellement mieux si vous pouviez faire la paix.

– Je ne suis pas en guerre.

– Maman… Choisis bien cette personne alors.

Audrey refusait d’entrer en conflit avec sa mère, elle savait qu’elle ne ferait que la buter. Elle gardait pour elle des yeux d’enfant, elle connaissait sa peine, son histoire, et cela la rendait encore plus attachante. Impuissante à corriger son passé, elle souhaitait veiller sur son futur et lui éviter si possible, les déboires de la vieillesse. Au moins jusqu’au bout, pouvoir se dire, à présent il n’y a pas d’autres solutions. Jean ne l’entendait pas de cette oreille. Sa mère était âgée et la laisser seule dans cette grande maison demeurait une folie. Sa récente chute venait de raviver ses intentions. Audrey s’était rapidement portée à son chevet pour la soutenir et calmer les velléités de Jean. Elle avait eu avec lui une violente altercation. C’était la première fois qu’elle se mettait en colère de la sorte. Jusqu’à présent, elle avait ménagé les susceptibilités de chacun, trouvant du bon sens dans les propos de Jean, tout en refusant l’idée d’arracher sa mère à cette maison. Là, elle avait senti qu’il dépassait les bornes. Son frère n’avait pas reconnu la douce Audrey, toujours calme et souriante. Il s’était incliné face à la philippique de sa sœur. À présent, elle devait soutenir sa mère dans sa démarche, tout en expliquant à son frère les avantages de la solution envisagée.

– Tu m’aiderais à passer une annonce ?

– Bien entendu. Tu m’expliques comment tu vois la personne, je te fais le texte et ensuite on diffuse le tout sur Internet.

– Parfait, je vais réfléchir à tout cela. File maintenant et laisse-moi seule.