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Une violente explosion lors de la fête d'inauguration de la villa Brandi, une villa du XVIIIe siècle restaurée grâce à la contribution financière d'un célèbre entraîneur de football international, provoque la mort de quatre personnes et blesse grièvement une cinquième. Caterina Ruggeri, à la tête de la brigade criminelle locale, présente à la fête avec son compagnon et sortie indemne de l'attentat, prendra immédiatement les rênes de l'enquête, qui sera cependant déroutée par des personnages obscurs liés d'un côté à la franc-maçonnerie locale et de l'autre aux services secrets. Notre détective devra surmonter de nombreux obstacles pour parvenir à la vérité, qui plonge ses racines dans la nuit des temps.
La commissaire de police Caterina Ruggeri est une femme perspicace, brillante et courageuse. Elle est mère d'une magnifique petite fille nommée Aurora et adore passer ses soirées en compagnie de Stefano, son compagnon fidèle. Mais sous cette façade de femme ordinaire se cache une héroïne entreprenante et aventureuse, toujours prête à se lancer dans de nouvelles enquêtes. Comme celle qui la voit impliquée dans un attentat à la dynamite lors de la fête d'inauguration de la Villa Brandi, une résidence du XVIIIe siècle située dans les Marches, achetée par un célèbre entraîneur de football international. Il semble que l'attentat ait été magistralement exécuté par un ennemi sans nom et sans visage. C'est le début d'une nouvelle aventure, qui entraînera l'inarrêtable commissaire dans une énigme sans fin, plongeant ses racines dans les anciennes loges maçonniques. Il y aura également des détournements dus à des individus louches liés aux services secrets gouvernementaux.
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Seitenzahl: 650
Veröffentlichungsjahr: 2024
À mon épouse Paola
À mes enfants Diego et Debora
À mes petites-filles Maeve et Eileen
Éditions Tektime
Stefano Vignaroli
Une paisible petite ville de province
Les mystères de Villa Brandi
Traduction de Elisabeth Grelaud
©2013 MJM Éditeur (Les mystères de Villa Brandi)
©2021 Tektime (deuxième édition revue et modifiée)
Tous droits de reproduction, de distribution et de traduction réservés
Les extraits sur l'histoire de Jesi ont été repris et librement adaptés des textes de Giuseppe Luconi
Site web http://www.stedevigna. com
Contacts E-mail [email protected]
Piazza Federico II
Huile sur toile de l'artiste Jesino Mario Ciccoli
Stefano Vignaroli
UNE PAISIBLE PETITE VILLE DE PROVINCE
Les mystères de Villa Brandi
Les enquêtes du commissaire Caterina Ruggeri
ROMAN
LÉGENDE
1 – Piazza Federico II (Piazza San Floriano – Ex Acropole ou Forum)
2 – Palazzo Baldeschi-Balleani
3 – Porta Valle (Porta Pesa)
4 – Palazzo Battaglia
5 – Tour ronde
6 – Porta Bersaglieri (Porta Nova ou Porta Marina)
7 – Via Pergolesi (Via degli Orefici)
8 – Jardins de la prison
9 – Tour de garde
10 – Chantier pour la construction d'une remontée mécanique
11 – Costa del Montirozzo et Torrioncino
12 – Palazzo Pianetti II (ex Prison mandatoire)
13 – Citerne romaine antique
14 – Complexe de San Floriano (musée municipal et théâtre expérimental)
15 – Porta Garibaldi (porta San Floriano)
16 – Œnothèque régionale des Marches
17 – Zone de l'amphithéâtre romain antique
18 – Palazzo del Governo (ou della Signoria)
19 – Piazza A. Colocci
20 – Palazzo et Musée Fondation Colocci
21 – Palazzo Carotti-Honorati (siège du Tribunal)
22 – Palazzo Mestica
23 – Piazza Baccio Pontelli
24 – Costa Mezzalancia (Escaliers de la mort)
25 – Arc du Magistrat (Porta della Rocca)
26 – Cathédrale (San Settimio)
27 – Via delle Terme
28 – Piazza Indipendenza (Place des chaussures)
29 – Piazza Spontini (Place du Secours)
30 – Piazza delle Monnighette
31 – Arc du Secours (Arc de la Mort)
32 – Tour du Midi
33 – Piazza Sansovino
34 – Zone de l’ancienne usine de fabrication de savon (ex Église de San Benedetto)
A-B – Cardo Massimo (Arc du Magistrat – Via Pergolesi - Piazza Federico II – Via delle Terme – Porta Bersaglieri)
C-D – Decumano Massimo (Porta Valle - Via Lucagnolo – Costa Lombarda – Piazza Federico II - Via del Fortino – Porta Garibaldi)
TABLE DES MATIÈRES
PRÉFACE
PROLOGUE
LA FONDATION D’AESIS
FINALE DE LA LIGUE DES CHAMPIONS
MARIA LUCIA BRANDI
FÊTE À LA VILLA
DE NOUVEAU SUR LE TERRAIN
LE PROFESSEUR WHU ET LES NANOMACHINES
TRACES ET DÉPISTAGES
UNE AGRÉABLE PROMENADE DOMINICALE
FOIRE DE SAN SETTIMIO
PASSÉ, PRÉSENT ET FUTUR
LA LONGÉVITÉ DE VLADIMIRO BRANDI
SOUTERRAINS MYSTÉRIEUX
DES VACANCES COURTES MAIS INTENSES
L'ASCENSEUR DES PETITES PRISONS
LA DÉTECTIVE ET SON INFORMATEUR
UN ANCIEN CASSETÊTE
GRAFFITIS
TERREUR SOUS TERRE
LE MOMENT DE VÉRITÉ
ÉPILOGUE
FUTUR
NOTES DE L’AUTEUR ET REMERCIEMENTS
PRÉFACE
Le commissaire de police Caterina Ruggeri est une femme pleine d'esprit, brillante et courageuse. C’est la mère d'une adorable petite fille prénommée Aurora et elle adore passer la soirée en compagnie de Stefano, son incontournable compagnon. Mais sous cette façade de femme ordinaire se cache une héroïne entreprenante et aventureuse, toujours prête à se lancer dans de nouvelles enquêtes. Tout comme celle qui la voit directement impliquée, lors de l'inauguration de la Villa Brandi - une demeure du XVIIIe siècle dans la région des Marches, achetée par un célèbre entraîneur de football international - dans un attentat à la bombe mené de main de maître par un ennemi anonyme et sans visage. C'est le début d'une nouvelle aventure, qui entraînera l'inarrêtable commissaire dans une énigme sans fin, dont on peut même trouver les racines dans les anciennes loges maçonniques.
Avec Les Mystères de Villa Brandi, Stefano Vignaroli écrit un roman qui, mieux que tout autre, dessine les contours d'une Jesi mystérieuse et fascinante. Couleurs, sons, images et parfums sont condensés dans un livre qui a la saveur de l'histoire et l'arrière-goût du mystère.
Du IIIe siècle avant J.-C. à nos jours, un thriller époustouflant qui offre des émotions et des souvenirs. Et quand vous aurez fini de le lire, au moment précis où vous tournerez la dernière page, vous ne pourrez pas vous empêcher de réévaluer le charme de notre Pays.
Filippo Munaro
PROLOGUE
Août 2009
CATERINA…
Le pont de la mi-août était rapidement passé et le 17 au matin, je me retrouvais à nouveau sur le vol Ancône-Gênes pour retourner à mon lieu de travail, plongée dans mes pensées. J'avais été heureuse de passer deux jours entiers avec Stefano, à faire des projets pour l'avenir, à parler de nous et de l'enfant que nous allions avoir, et à nous câliner. Mon partenaire, au cours de cette courte période passée en Ligurie, avait changé son mode de vie, et je ne parle pas seulement de sa passion pour la musique. Il avait abandonné la chambre qu’il occupait à la clinique et il s'était installé dans une ferme à quelques kilomètres de là. C’était un endroit magnifique, au sein de collines verdoyantes de la région des Marches. La maison était accueillante et meublée avec goût dans un style tout à fait rustique. La cheminée qui trônait dans le salon devait servir à réchauffer les froides soirées d'hiver. En traversant une grande cour, l’idéal pour passer les journées et les soirées d'été à l'extérieur, on accédait aux écuries, où se trouvaient déjà deux chevaux et un poney. Un peu plus loin il y avait des boxes pour chiens, dont deux étaient déjà occupés par un dogue allemand et un setter Gordon. La ferme était bordée d'un bosquet à l'arrière et de champs cultivés sur les autres côtés.
« C'est magnifique », dis-je à Stefano, alors que nous nous trouvions dans la cour pour admirer les couleurs d'un beau coucher de soleil. « Dommage que je ne puisse pas profiter de cet endroit avec toi pendant longtemps ! »
« Oh, le dernier mot n'est pas dit ! Avec ta grossesse, tu pourrais demander un rapprochement. Et de toute façon, dès que tu seras en congé maternité, tu viendras ici et je ne te permettrai pas de t’éloigner d’aucune manière jusqu’à ce que notre enfant ait grandi. Nous monterons les deux chevaux, mais le Poney est réservé au petit. »
« Ou petite ! Pourquoi ne parler qu'au masculin ? »
En souriant et plaisantant, Stefano me prit par la main et il me conduisit rapidement à l'écurie, il détacha les chevaux, sans même les seller, et il m'invita à sauter sur la jument, tandis qu'il grimpait sur le mâle. Les chevaux étaient dociles et il était facile de les monter, même sans selle ni harnais. Tout cela me rappelait l'époque où, jeune fille, je rivalisais souvent avec lui pour avoir le meilleur cheval de l'écurie que nous fréquentions, en éperonnant le pauvre animal le long des sentiers et des chemins de terre et en m'accrochant à sa crinière. C'était le bon temps ! Bien sûr, j'aurais préféré vivre ma vie ici avec Stefano, mais comment faire avec mon travail ? il était très important pour moi et je n'en aurais changé pour rien au monde.
Le lundi matin, Stefano m'avait accompagnée à l'aéroport et était resté avec moi jusqu'à l'appel à l'embarquement. Le moment des adieux fut très difficile, mais le devoir m'appelait et je pris l'avion un peu à contrecœur. Maintenant que l'atterrissage était proche, j’avais envie de retourner au travail. À Imperia, je n’avais pas de gros problèmes et je m’entendais très bien avec mes collègues. Je m’étais rendue compte que le District était un peu comme une grande famille et j'avais senti que j'étais maintenant un bon supérieur, accepté par tous, non pas parce que j'imposais ma volonté, mais plutôt parce que j'avais la capacité de coordonner ce merveilleux groupe de policiers pleins de bonne volonté en montrant que je faisais ma part quand c’était nécessaire. Et en ce moment, à part l'enquête sur les crimes de Triora, tout était assez calme. Bien sûr, les épisodes de petite délinquance n’avaient pas manqué et, compte tenu du fait que les districts de police sont en sous-effectif chronique, il nous était arrivé souvent de devoir prolonger l’horaire de travail pour couvrir le service. J'étais heureuse que l'inspecteur Giampieri, confronté au choix de rester au district ou de retourner travailler aux côtés du préfet de police, ait, sans aucune hésitation, choisi la première solution. Je m’étais beaucoup attachée à lui, c’était mon adjoint, je le considérais comme mon alter ego et il aurait été difficile pour moi de m’en passer, surtout compte tenu de l’affinité profonde qui s’était établie entre nous dès le début.
Dans la salle d’arrivée de l’aéroport de Gênes, je ne trouvai ni lui ni personne d’autre pour m’attendre cette fois. Je récupérai mes bagages et je rejoignis Imperia en taxi. Quand je mis les pieds dans le district, je réalisai qu’il y avait une agitation inhabituelle. Pendant la nuit, une bagarre avait éclaté au port entre des immigrants étrangers et mes collègues avaient arrêté quelques personnes de couleur qui faisaient un bruit insupportable. Je demandai des explications à D’Aloia.
« Ils étaient presque tous ivres, Commissaire. Ils ont commencé à se disputer, probablement pour des questions de religion et, lorsque la discussion a dégénéré, ils se sont lancés à la tête des bouteilles de bière vides. Certains les ont reçues justement sur la tête et ils ont dû se rendre aux urgences. Maintenant, je prends note, je vérifie leurs permis de séjour et je les expulse d’ici le plus rapidement possible. »
« Bonne chance, D’Aloia ! ça ne va pas être facile. » À six heures de l’après-midi, quand je sortis de ma chambre, Walter était en effet toujours aux prises avec certains d’entre eux qui, malgré un permis de séjour non régulier, affirmaient travailler, clairement au noir, pour certaines entreprises de construction. « Madame, je ne sais plus quoi faire. Je devrais leur donner l’ordre d’expulsion, mais ils me font de la peine ! »
« Il y aurait une solution : il leur suffit de dénoncer ceux qui les font travailler au noir et nous leur fournissons un permis de séjour provisoire pour un maximum de trois mois. » Je souris à D’Aloia, car je savais très bien qu’aucun d’entre eux n’aurait eu le courage de porter plainte, pour ne pas mettre en difficulté des amis ou des parents qui travaillaient pour les mêmes entreprises ; alors je sortis du district pour rentrer chez moi. J’étais sur le point de prendre un taxi, quand Mauro apparut derrière moi. « J’ai ma voiture et j’ai fini de travailler pour aujourd’hui. Je vais à Vintimille pour rencontrer Anna, je pense qu’un détour pour te ramener chez toi ne me fera pas trop tarder. »
J’acceptai volontiers et, en un quart d’heure, j’arrivai enfin chez moi. Clara était dans le jardin en train de jouer avec Furia et je remarquai que son salut à mon collègue laissait transparaître une grande complicité. Sur le moment, je n’y prêtai guère attention, après tout, nous avions passé beaucoup de temps ensemble ces derniers temps. Et puis, j’avais d’autres choses en tête.
L’une des priorités à affronter les jours suivants fut de consulter un gynécologue pour me faire suivre pendant ma grossesse. Laura me conseilla une jeune docteure qui travaillait dans le service d’obstétrique de l’hôpital d’Imperia. « La Docteure Valeri est toujours disponible et pas trop chère. D’autre part à Imperia, le service est à la pointe et on préfère se faire suivre dans la structure publique plutôt que dans des cabinets privés externes. Vous verrez, vous vous trouverez très bien. »
Le conseil de Laura fut excellent et, après quelques jours, je sortis du cabinet de la gynécologue avec les premières images échographiques de la créature que je portais en moi et la liste d’une série infinie d’analyses de laboratoire à effectuer. Le sexe du fœtus n’était pas encore certain, mais la Docteure s’était avancée. « À quatre-vingts pour cent, c’est une fille, mais je ne jurerais de rien pour l’instant. »
Le sexe serait confirmé dans la prochaine échographie, environ un mois plus tard et, je décidai déjà qu’elle s’appellerait Aurora. Ma grossesse ne me causait aucun désagrément et je parvenais à accomplir tous mes engagements, tant professionnels que personnels. À l’approche de l’automne, pour me maintenir en forme, j’avais commencé à fréquenter une salle de sport, où l’instructeur m’avait proposé un plan personnalisé, adapté à mon état de grossesse.
À la mi-octobre, la restauration de la maison Della Rosa fut achevée en un temps record, prête à accueillir Clara comme Directrice de la Fondation d’Études Ésotériques de Triora. J’avais soutenu Clara durant tous ces mois et je l’avais aidée à développer ses idées. La jeune femme était vraiment douée et elle possédait une intelligence et une sagesse remarquables. Je crois en fait qu’elle écoutait mes conseils plus par courtoisie que par nécessité. Elle connaissait déjà bien les textes et les manuscrits présents dans la maison de la sorcière, pour les avoir catalogués et rangés à l’époque, même si beaucoup de matériel avait ensuite été perdu dans l’incendie de la demeure. Le salon du pentacle deviendrait un centre d’études ouvert à tous ceux qui souhaiteraient enrichir leur bagage culturel en matière de magie et d’ésotérisme, sous la vigilance de la directrice et bibliothécaire Clara Giauni. Mauro était de plus en plus présent pour aider notre amie, surtout dans les travaux difficiles, comme l’installation de rayonnages, la mise en place des meubles et autre. La partie la plus délicate, celle d’adapter les passages secrets et les tunnels souterrains pour une visite guidée, fut pratiquement dirigée par Mauro, car il semblait être un véritable expert de la Surintendance des Beaux-Arts ou des Biens Culturels. Ce qui m’étonnait le plus, et m’inquiétait un peu, c’était que je voyais de moins en moins souvent Anna à ses côtés. Je commençais déjà à suspecter quelque chose, quand un jour je surpris Mauro et Clara en train d’échanger de tendres effusions. Pris au dépourvu par ma présence inattendue, Mauro balbutia quelque chose.
« Ne t’inquiète pas, Anna sait tout depuis quelques jours. Nous nous sommes quittés en bons amis. »
Bien sûr, on dit toujours ça, mais il faut aussi savoir comment se sent la personne qui a subi l’abandon car, en général, elle ressent un grand vide même si elle essaie de faire comme si de rien n’était et de ne pas faire peser la chose sur l’autre.
Je téléphonai donc à Anna et je compris qu’elle allait très mal.
« Je sais que je ne devrais pas le prendre comme ça, Caterina. Mauro et moi avons toujours vécu notre relation en toute liberté et j’ai toujours trouvé normal qu’elle puisse se terminer du jour au lendemain, mais maintenant je me sens mal. Je n’en veux ni à lui, ni à Clara, mais soyons clairs, Mauro me manque beaucoup. »
Nous décidâmes d’aller dîner ensemble et il me fallut beaucoup de patience pour la consoler et essayer de détourner la conversation vers d’autres sujets. Après le dîner dans une trattoria de Sanremo, nous décidâmes de nous consacrer totalement au loisir, en franchissant la frontière de la principauté de Monaco et en passant la nuit au casino de Monte-Carlo. Je rentrai chez moi à l’aube, mais ce fut la dernière folie que je me permis, car l’augmentation de la circonférence de ma taille me suggérait de commencer une phase de vie plus tranquille et réglée.
En novembre, Clara et Mauro s’installèrent définitivement dans l’ex maison Della Rosa et je restai seule à partager le cottage dans la basse Valle Argentina avec Furia. L’inauguration du Centre d’Études, en présence d’importantes autorités, à la mi-novembre, fut une fête vraiment magnifique. La maison Della Rosa resplendissait d’une nouvelle vie. Le salon du pentacle, restauré, était splendide, l’incendie n’avait pas du tout endommagé le marbre du sol qui, poli, était spectaculaire. Le miroir avait été laissé ouvert, pour que la bibliothèque riche en anciens textes et manuscrits soit bien visible. Une longue table en bois massif avait été disposée dans le salon pour les chercheurs qui voulaient consulter des textes ; ils étaient présentés sur un bureau qui se trouvait entre le salon et la bibliothèque ; celle-ci était autrefois délimitée par le miroir coulissant. Ce dernier fonctionnait encore, mais le mécanisme d’ouverture compliqué avait été remplacé par une télécommande plus pratique. La longue table était ce soir préparée pour le buffet et, après les discours du Maire, d’un Sous-secrétaire du Ministère des Biens Culturels, de Monsieur Leone et de la Docteure Honoris Causa Clara Giauni, une entreprise de restauration y prépara des choses délicieuses.
Quand tous les invités importants furent partis l’un après l’autre, je restai seule avec Clara et Mauro. J’étais vraiment contente d’avoir pu aider cette jeune femme car non seulement je lui avais sauvé la vie, mais maintenant elle avait un bel avenir devant elle. Elle avait trouvé aussi un excellent compagnon, même si c’était au détriment d’une autre femme. Et voilà qu’Anna fit son apparition à la porte d’entrée.
« Je suis venue te féliciter sincèrement, Clara, tout est merveilleux et tu l’as amplement mérité. »
Elle embrassa Clara et Mauro avec affection, et je remarquai qu’il n’y avait aucune trace de rancune dans ses gestes, qui étaient clairement sincères.
« Heureusement », me dis-je, « la tempête doit être passée. Ou peut-être qu’Anna est très habile à cacher son véritable état d’âme ! »
« Eh bien, les amis, je vous souhaite tout le meilleur. Malheureusement, dans quelques jours, je vais vous quitter. J’ai déjà préparé ma demande de congé de maternité et je pense passer la dernière phase de ma grossesse dans les Marches, près de mon compagnon. Mais, même si nous ne nous verrons pas, nous resterons en contact ! »
Mauro, Clara et Anna m’assurèrent qu’il ne se passerait pas un jour sans que nous nous parlions par téléphone, peut-être avec un simple SMS. Ce soir-là, je rentrai chez moi heureuse, pleine de cette chaleur humaine que j’avais rarement ressentie dans ma vie. Ce serait dur de quitter ces lieux, merveilleux à bien des égards. J’étais convaincue que, de toute façon, après quelques mois, je reviendrais ici, ne sachant pas encore ce que la vie et le destin me réservaient.
Quand j’entrai dans le bureau de Monsieur Perugini pour remettre l’enveloppe contenant ma demande de congé, je vis que le Préfet tenait à son tour dans ses mains une grosse enveloppe avec mon nom écrit en majuscules dessus.
« Je savais que vos contacts avec les sorcières de Triora vous avaient dotée de pouvoirs surnaturels, mais ceci est de la pure télépathie, ma chère Madame. J’étais justement sur le point de vous convoquer ! »
« Très bien. Alors d’abord vous ou d’abord moi ? » dis-je, en regardant alternativement mon enveloppe puis la sienne.
« Je crois qu’après avoir lu le contenu de celle-ci, vos n’aurez plus besoin de me présenter quoi que ce soit, demandes de congé, de vacances ou autre… », dit-il en me tendant l’enveloppe fermée, mais dont, à en juger par le sourire complice qu’il arborait, il connaissait très bien le contenu. J’ouvris le pli, qui venait du Ministère de l’Intérieur, et je commençai à lire ce qui y était écrit.
Vu les remarquables capacités d’investigation, ainsi que le mépris du danger, le dévouement et l’attention envers les personnes impliquées dans les enquêtes… Madame Caterina Ruggeri, actuellement en poste à la Préfecture de police d’Imperia avec le grade de Commissaire, par décision du Ministre de l’Intérieur, est promue Vice-préfet de police adjoint et affectée à la Préfecture de police d’Ancône, où elle devra prendre service avant le 15 décembre prochain. Le Préfet de police déterminera son lieu de service, en fonction des besoins et en tenant compte des excellentes qualités de Madame Ruggeri...
Je n'arrivais même pas à croire ce que je lisais. En l'espace de très peu de temps, j'avais progressé dans ma carrière de manière inattendue, voire incroyable. Le Ministre de l'Intérieur se complimentait avec moi et, de plus, après seulement quelques mois passés loin de mes lieux d'origine, je pouvais retourner travailler tout près de chez moi, et tout cela coïncidait avec ma maternité. Je saluai Monsieur Perugini, le remerciant pour tout ce qu'il avait fait pour moi durant cette courte période, et je quittai la Préfecture de police, la tête pleine de pensées qui se bousculaient les unes les autres. Je montai dans ma voiture et je ne prêtai aucune attention au trajet jusqu'à chez moi, tellement j'étais absorbée par mes réflexions. Il n'y avait pas de décisions à prendre, comme cela avait été le cas quelques mois plus tôt. À présent, elles avaient déjà été prises pour moi, et je ne pouvais certainement pas m'y opposer. Pourtant, j'adorais ces lieux, même si j'y avais vécu très peu de temps, et je ne supportais pas l'idée de me détacher, peut-être pour toujours, de mes nouvelles amitiés. Dans ma vie, je n'avais jamais eu de relations humaines aussi intenses, d'amitié, de solidarité, comme celles que j'avais vécues au cours de cette dernière période. Je n'avais même pas le courage de dire adieu à Mauro, Clara, Anna, Laura, D'Aloia et même à l'Inspecteur Gramaglia ou au dernier agent travaillant au district. Mais, d'autre part, je retournerais dans mes lieux d'origine bien-aimés, je serais proche de mon amour, le père de ma fille. Et la petite pourrait vivre dans un environnement familial normal et profiter de la présence d'un papa affectueux. Je savais que mon travail m'éloignerait souvent de la maison et que, si ma fille devait grandir seule avec moi, j’aurais dû constamment la confier à des crèches et des baby-sitters. Mais de cette façon, tout serait beaucoup plus simple. Il ne restait que quelques jours à passer en Ligurie. L'hiver était désormais tout proche et le froid, accentué par la proximité des montagnes déjà enneigées sur les sommets, commençait à se faire sentir. Furia cherchait de plus en plus souvent à entrer dans la maison pour se blottir devant la cheminée allumée. Moi, non sans une pointe de mélancolie, je commençais à rassembler mes affaires en préparant quelques cartons à charger dans la voiture avec les valises.
Je fis une réflexion : « Qui sait pourquoi même en si peu de temps, une personne est capable d’accumuler dans la maison une quantité incroyable d’objets dont elle ne veut se séparer pour aucune raison. »
Parmi les autres choses, je retrouvai le précieux livre écrit en hébreu avec une traduction en face en latin, qui était resté entre mes mains le jour de l’incendie de la maison Della Rosa. Je l’avais toujours gardé comme souvenir de l’enquête et du danger évité, mais à présent, je décidai qu’il était juste de le rendre à Clara. Je saisis donc l’occasion pour lui rendre visite et la saluer ainsi que Mauro.
« Merci, Caterina. Je pensais que ce livre avait été perdu à jamais dans les flammes, mais donc, ce n’était donc pas le cas… Permets-moi de t’offrir une copie de la Clé de Salomon traduite en italien. Tu pourras la garder comme souvenir et tu pourras comprendre la puissance, la sagesse et les mystères cachés dans ce texte. Il n’y a que toi qui sais comment cette nuit-là tu as été capable de réciter de mémoire l’invocation qui t’a permis de me sauver la vie. Et tu l’as récitée en parfait hébreu. »
Comme nous étions seules, Mauro étant sorti chercher du bois pour la cheminée, je lui ai confessé ce que je pense qu’elle savait déjà.
« C’est Aurora Della Rosa qui a inculqué les mots dans mon esprit, mais je n’en ai jamais parlé à personne. Je pense qu’il n’y a que toi pour me comprendre. En fait, après avoir eu ce rapport avec la sorcière, j’ai changé, j’ai des perceptions que je n’aurais même pas rêvé d’avoir avant. Si je me concentre, je vois l’aura des gens, et j’ai l’impression de pouvoir aussi deviner les pensées de la personne qui est en face de moi. »
« Ce sont des pouvoirs, ma chère Caterina, que chacun de nous possède de manière innée. Les frontières de l’esprit humain sont encore inexplorées. Il y a ceux qui apprennent à utiliser certaines capacités et ceux qui les négligent, ils ne s’entraînent pas à les utiliser et donc c’est comme s’ils ne les possédaient pas. »
« Mais je crois que c’est Aurora Della Rosa qui a favorisé le développement en moi de ces perceptions ; elles sont nouvelles et fantastiques pour moi, et c’est la raison pour laquelle j’ai décidé que ma fille s’appellerait Aurora, en son honneur et en sa mémoire, et aussi parce que je me sens en partie responsable de sa mort, ou du moins de ne pas avoir fait suffisamment pour l’éviter. »
Je vis que, en entendant ce nom, les yeux de Clara s’étaient remplis de larmes.
« Tout cela te fait honneur, Caterina. Il est certain que ta petite fille, quel que soit le prénom que tu lui donneras, aura une personnalité exceptionnelle, nous en sommes convaincus. Ne crois pas que, à cause de la distance, je ne viendrai pas connaître ta fille ! Ce ne seront certainement pas quelques centaines de kilomètres qui m’en empêcheront ! »
Mauro était rentré avec une brassée de bois, coupé en bûches, qu’il avait déversée près de la cheminée
« Si les commérages des commères sont terminés, j’aimerais aussi saluer ma collègue, avant qu’elle ne parte pour une région éloignée du centre de l’Italie. La police de l’État là-bas doit encore être à l’âge de pierre ! »
« Ce qui est certain c’est qu’ils n’ont pas une Lamborghini Gallardo en dotation », dis-je, en imitant son ton sarcastique. « Mais rien ne m’empêchera de demander ta collaboration spécifique, quand j’aurais des difficultés dans une enquête particulièrement complexe. »
« Et puis avec la manière dont tu les attires, je suis sûr que tu ne tarderas pas beaucoup à m’appeler ! »
Je restai dîner chez eux et, entre plaisanteries, un verre de vin rouge, une grappa et un punch à la mandarine, je remontai dans ma voiture avec un taux d'alcoolémie supérieur à la limite autorisée, mais heureuse d'avoir passé une soirée entre véritables amis. Je décidai de retourner dans les Marches non pas en avion, mais en affrontant le long voyage avec ma voiture, afin que Furia puisse voyager avec moi.
Automne/hiver 2009/2010
VERONICA…
L'automne était désormais bien avancé, même si la température était encore agréable. Les jours avaient raccourci et déjà à 20h30, il faisait nuit noire. La jeune fille, mince même si plutôt grande, aux cheveux blonds courts, coupés à la garçonne, avançait lentement, claudicante, en s’aidant d’une béquille. Dans sa main libre elle tenait un petit sac en papier contenant son dîner frugal. Elle atteignit l’abri de l’arrêt de bus, au début de l’avenue Trieste, et s’assit péniblement sur le banc. Elle regarda autour d’elle pour s’assurer qu’il n’y avait aucun malintentionné dans les parages. Le seul passant était le vétérinaire qui continue d’habiter dans ce quartier, peut-être parce que sa maison et son cabinet sont là, et contrairement à la plupart des familles italiennes, il n’avait pas cédé à la tentation de déménager de l’autre côté de la ville. Heureusement, c’était une présence rassurante, une personne qui à cette heure faisait faire sa promenade du soir à son sympathique petit chien blanc. La jeune fille mangea son sandwich en quelques bouchées, puis chercha son paquet de cigarettes, mais elle se rendit compte que celui qu’elle avait dans sa poche était vide. Leonardo Albini surgit de l’obscurité comme lui seul savait le faire, comme s’il sortait tout à coup d’une cape d’invisibilité. Ses mouvements n’échappèrent pas à une autre personne, Zanardi, la commissaire du commissariat de police, qui se trouvait invariablement sur le trottoir de l’autre côté de la rue, appuyée contre le mur, feignant de jouer avec les clés de sa voiture. Leonardo s’assit sur le banc à côté de la jeune fille et il lui mit sur les genoux des feuilles à rouler et du tabac. Elle se fit une cigarette et l’alluma.
« Es-tu sûre de vouloir savoir ? Crois-moi, la vengeance ne paie pas. »
« Mais elle laisse un bon goût en bouche, comme ce tabac. » Leonardo écrivit un nom et une adresse sur une feuille et la laissa dans la main de la jeune fille.
« C’est une personne en vue. Es-tu sûre que la plaque d’immatriculation était bien celle-ci ? »
« Je l’ai gravée dans ma mémoire. Il m’a renversée là, sur ce passage piéton, et il s’est enfui. Mais avant de m’évanouir, j’ai bien lu la plaque. »
« Et pourquoi ne l’as-tu pas signalée à la police ? »
« Je l’ai fait, bien sûr, après m’être réveillée du coma. Ils ont vérifié et m’ont dit que j’avais peut-être mal vu ou que je m’étais mal souvenue, qu’il n’y avait aucune trace de l’accident sur la carrosserie. Bien sûr, entre-temps, ce type aurait eu tout le loisir de faire réparer sa voiture ! Et puis, de toute façon, je ne fais plus confiance à la police depuis longtemps. »
Seul un léger accent trahissait l’origine slave de la jeune fille, prénommée Anna. Il y a plus de seize ans, elle était arrivée de Serbie avec ses parents, elle n’était qu’une petite fille de 4 ans. Son père, pour joindre les deux bouts, avait rapidement poussé sa femme à la prostitution. C’était une femme jeune et jolie et le quartier se prêtait bien à ce genre de business. Mais un soir, le père d’Anna, complètement ivre, commença à accuser sa femme de ne pas ramener tout l’argent à la maison, mais d’en garder une partie pour ses petits caprices, pour les vêtements, les chaussures, les collants... La dispute se termina par un coup de couteau. Anna vit son père s’enfuir, pour ne jamais revenir, tandis que sa mère gisait sur le sol, perdant beaucoup de sang. La petite fille savait composer les numéros d’urgence sur le téléphone portable. Elle réussit à composer le 118 et à faire venir les secours à temps. Mais la police ne retrouva jamais le père, qui avait probablement réussi à retourner dans son pays d’origine. Sa mère survécut quand même, mais elle se mit à faire des petits boulots comme femme de ménage ou aide-soignante pour les personnes âgées, sans plus vendre son corps et naturellement en gagnant beaucoup moins. Anna avait 14 ans lorsque sa mère, épuisée par la vie, mit fin à ses jours. Elle descendit dans la rue devant la maison, se versa de l’essence dessus et s’immola. Une fin horrible, dont heureusement Anna ne fut pas témoin direct. En rentrant de l’école, elle vit une sorte de mannequin noirci sur le trottoir, comme si quelqu’un avait brûlé une grande poupée, et elle mit du temps à comprendre que c’était le corps de sa pauvre mère. Il y avait un attroupement de curieux autour de cette braise encore fumante, mais personne n’avait eu le courage d’essayer de la secourir.
Et tout cela en plein jour.
Anna fut confiée à une maison familiale, mais elle s’enfuit rapidement, allant vivre dans la rue et commençant à faire le même travail qu’elle avait vu faire à sa mère quand elle était petite, avec pour résultat de gagner juste assez pour pouvoir survivre. Souvent, quand ses « clients » voyaient qu’elle n’était guère plus qu’une enfant, soit ils prenaient la fuite par peur d’être accusés de pédophilie, soit ils la payaient au maximum 20 euros, car après tout, c’était une gamine, et il lui fallait peu pour s’en sortir, juste de quoi s’acheter à manger.
« Va voir un avocat, donne-lui ce nom et il s’occupera de te faire indemniser », lui conseille Leonardo.
La jeune fille secoue la tête.
« Je n’ai pas d’argent à donner à un avocat. Ce salaud doit payer et je vais m’en charger moi-même, sois-en sûr. Cette jambe ne redeviendra jamais comme avant. Le fémur a été broyé sous les roues de ce gros SUV. Quoi que les médecins aient fait, la jambe est toujours restée plus courte que l’autre de plusieurs centimètres, et en plus elle me fait toujours un mal de chien. Juste au moment où j’avais réussi à donner un tournant à ma vie. J’avais passé les sélections et j’allais être prise comme mannequin. J’avais un travail et une carrière devant moi, mais maintenant que plus personne ne m’appellera pour un défilé de mode ou une publicité, je devrai retourner faire le trottoir pour survivre. »
Leonardo, sans répliquer davantage, laissa à la jeune fille une autre feuille à rouler et un peu de tabac suffisant pour se faire une autre cigarette et il s’éloigna. Il traversa la rue et passa près de Veronica, la policière qui le surveillait.
« Ce n’est pas que tu passes inaperçue en me suivant. Quand comprendras-tu que je suis clean ? Je devrais te mettre dans mon lit pour te le faire comprendre. Tu n’aurais plus rien à redire et tu me chercherais pour d’autres raisons. »
« Évite de faire le coq, veux-tu ! Plutôt, je t’ai vu clairement passer la dose à cette fille. Tu t’es mis à dealer, maintenant ? »
« Je te l’ai dit, je suis clean », répond Leonardo en levant les bras. « Tu peux me fouiller si tu veux, si j’étais un dealer, j’aurais d’autres doses sur moi, n’est-ce pas, commissaire ? »
Veronica le fouilla minutieusement et elle réussit à sortir de ses poches, en plus du portefeuille, du tabac, des feuilles à rouler, un briquet et un paquet de Marlboro.
« Comment diable faites-vous pour vous rouler des cigarettes avec cette saleté ? Bah ! » La femme prit une Marlboro du paquet et l’alluma, puis elle lui rendit le tout. « De toute façon, tôt ou tard, je te prendrai la main dans le sac, et je te ferai passer de belles vacances dans un charmant village d’Ancône appelé Montacuto. Au frais, dans une résidence avec des barreaux aux fenêtres et entourée d’une haute clôture. »
« Je pense qu’avant ça j’arriverai à te mettre dans mon lit pour te faire l’amour. Je crois que tu es déjà prête pour ça. », répliqua Leonardo en se roulant habilement une cigarette avec le tabac et l’allumant sous le regard stupéfait de Veronica. Chacun alla de son côté, tandis qu’Anna resta encore longtemps assise sous l’abri de l’arrêt de bus. À un moment donné, elle se leva et, pas à pas, avec la lenteur imposée par sa démarche incertaine, elle arriva à l’adresse donnée par Leonardo. Elle observa la villa, elle observa ses occupants et déjà, dans son esprit, se dessinèrent les actions et les étapes de sa vengeance.
Le lendemain, Anna était déjà prête à agir. Elle fabriqua la Molotov en suivant scrupuleusement les instructions et fut sûre que ça marcherait. L’adrénaline qui circulait dans son sang était à des niveaux si élevés qu’elle oublia toute douleur. À trois heures du matin et il n’y avait pas âme qui vive dans les parages. Elle abandonna la béquille près de la clôture de la villa, qu’elle parvint à escalader assez difficilement. L’échelle qu’elle avait repérée dans le jardin devait servir à tailler les arbres, mais ce qui l’intéressait, c’est qu’elle avait la bonne hauteur pour atteindre les fenêtres du premier étage. Anna la plaça sous celle qu’elle avait compris être la fenêtre de la chambre à coucher. Le type dormait avec sa femme et ils avaient un bébé de quelques mois qui dormait dans la chambre à côté. La veille, à trois heures et quart précises, la lumière de la lampe de chevet s’était allumée et la femme était allée dans la chambre du petit, qui s’était réveillé et réclamait son biberon. Anna calcula que cela pourrait se reproduire toutes les nuits à peu près à la même heure. Elle monta les échelons de l’échelle, un par un, avec un peu de difficulté, mais pas trop. Le volet était baissé seulement à moitié. Au moment opportun, après un coup de coude pour briser la vitre et lancer la Molotov, ce sera l’enfer.
« Ce salaud mourra de la même manière que ma pauvre mère. Il le mérite ! Si sa femme est rapide, elle sauvera sa peau ainsi que celle du petit. Quant à moi, j’attendrai sagement qu’on vienne m’arrêter, désormais de toute façon… »
En haut de cette échelle, Anna mis une cigarette dans la bouche, un briquet dans une main, la bombe incendiaire dans l’autre. La lumière s’alluma ponctuellement et la femme se leva. La flamme du briquet brille, atteignit la cigarette, mais ne parvint pas à atteindre la mèche de l’engin rudimentaire.
« Non, je ne veux qu’à cause de moi cet enfant grandisse comme moi, sans père, et avec une mère détruite par la douleur. »
La jambe recommençait à lui faire mal et il était difficile de redescendre l’échelle, de la remettre à sa place, de franchir la clôture et de récupérer la béquille, mais elle y parvint.
La vie pour Anna continua comme toujours, ses ressources économiques étaient de plus en plus limitées, et chaque soir elle se retrouvait à manger son sandwich, assise sur le même banc. Elle appela le petit chien blanc, qui dévia de sa trajectoire pour venir chercher sa dose de caresses, en traînant derrière lui son maître Le chien se mit sur le dos, pour se faire gratter le ventre, ce qui lui plaisait beaucoup Le vétérinaire sourit à Anna, elle le regarda dans les yeux, deux yeux verts qui inspiraient confiance.
« Dans ce billet, il y a le nom et l'adresse de celui qui m'a mise dans cet état. Fais-en ce que tu veux, je n'ai ni argent, ni crédibilité pour demander des dédommagements. »
En silence, l'homme prit le billet, le mit dans sa poche et il s'éloigna. Quelques jours plus tard, par la poste, la jeune femme reçut un chèque de 300.000 euros signé par celui qui l'avait renversée et s'était enfui comme un lâche. Dans l'enveloppe, un mot : J'espère que cela suffira. Je vous prie de ne pas me dénoncer. Un scandale me ruinerait à jamais.
Comme à son habitude, Leonardo apparut soudainement et s'assit sur le banc à côté de la jeune fille.
« Cigarette ? » lui demanda-t-il.
« Non, merci. J'ai arrêté de fumer. Le goût du tabac dans la bouche ne me plaît plus. »
« Comment ça s'est passé ? As-tu bien utilisé mon information ? »
« Grâce à toi et à un autre ange, j'ai maintenant l'argent pour aller en Amérique et subir une opération qui rendra à ma jambe sa longueur normale. J'ai calculé qu'entre le voyage, le séjour et les frais de la clinique, il faudra 300.000 euros tout rond. C’est tout ce que j'ai, mais quand je reviendrai en Italie, je serai prête à affronter une nouvelle vie. »
« Très bien, bonne chance, alors ! »
Leonardo traversa la rue et rejoignit la policière en planque. À l’improviste, il approcha son visage de celui de Veronica pour effleurer ses lèvres. Surprise, Veronica accepta le baiser et commença à faire tourner sa langue autour de celle de Leonardo pendant quelques instants. Puis, d'un geste brusque, elle se raidit et s'éloigna juste assez pour lui asséner une gifle sonore sur la joue.
« Tu es fou ! » s'exclama-t-elle. Puis, suivant son raisonnement de policière : « Aujourd'hui, la petite pute a refusé la dose que tu lui as offerte ? Mais souviens-toi bien de ceci : tôt ou tard, je te prendrai en flagrant délit. »
« Tu ferais bien de jeter un œil autour de toi et de te concentrer sur les vrais criminels, qui ne manquent pas dans cette zone. Mais à quoi bon te le dire ? De toute manière c'est en me suivant que tu attrapes des criminels. Tôt ou tard, je te demanderai des comptes, ma chère ! »
Il approcha sa bouche de celle de Veronica et, cette fois-ci, et non pas par erreur, elle s'abandonna à un long baiser. Lorsqu'elle rouvrit les yeux, Leonardo avait disparu dans l'obscurité, comme lui seul savait le faire.
VERONICA…
Il fait noir. Pendant que les citoyens honnêtes profitent du repos bien mérité dans la tranquillité de leurs appartements, dans certaines zones de la ville, une vie alternative se déroule, animée par des sans-abris, des toxicomanes, des ivrognes, des prostituées, des transsexuels, des immigrés plus ou moins clandestins et des personnages sans emploi fixe et sans domicile fixe. À Jesi, le cœur battant de ce type de société se trouve entre la gare ferroviaire et celle des autobus, et les lieux qui accueillent cette lie humaine, capables de l'absorber sans la rejeter, sont représentés par la terrasse extérieure du bar de la place de Porta Valle et les bancs qui restent presque entièrement dans l'obscurité sous les arbres, où la lumière des lampadaires peine à arriver, voire n'arrive pas du tout. Là, il n'est pas rare de voir une prostituée ivre allongée sur un banc, les fesses nues à l'air, dans la même position où elle est restée après le rapport avec son dernier client, qui peut-être l'a laissée comme ça sans même la payer.
Il est minuit passé depuis longtemps et le rideau du bar-pizzeria est à moitié baissé depuis plus d'une demi-heure. Veronica, commissaire de police quadragénaire, avec un glorieux passé de championne olympique d'escrime, est appuyée contre le côté de sa berline noire. La fumée de sa cigarette se mêle à son souffle condensé et au brouillard de cette nuit d'automne avancé qui rend floues les silhouettes des personnes et des choses. Une prostituée de couleur s'approche d'elle.
« Pour 20 euros, je peux te donner du plaisir, mieux qu'un homme. »
« Va-t'en ! » répond-elle, en montrant sa plaque. « Tu as de la chance que j'ai autre chose à faire ce soir, sinon je te ferais passer la nuit en prison. »
« Donne-moi une cigarette, alors. »
Veronica jette son mégot, cherche dans ses poches, allume la dernière du paquet, qu'elle froisse et jette par terre.
« Comme tu vois, je n'en ai plus. Va-t'en ! », et elle souligne cette dernière phrase en soufflant directement la fumée au visage de la prostituée et en la fixant du regard le plus dur qu'elle puisse avoir.
Un des rares lampadaires fonctionnants s'allume et s'éteint de manière intermittente, comme s’il était commandé par un étrange mécanisme à minuterie, il est probable que son ampoule est en fin de vie mais il faudra du temps avant qu'un ouvrier municipal ne passe la remplacer. Profitant de l'obscurité et du brouillard, le gitan aux longs cheveux gris et au large chapeau vide sa vessie derrière la silhouette d'un bus garé, puis il retourne sous la terrasse du bar, vide son verre et se dirige en titubant vers sa bicyclette. Trois coups de pédale et il tombe lourdement au sol, se relève et se perd dans le brouillard.
Chaque soir, on se demande s'il arrivera sain et sauf à sa roulotte, tout au bout de la zone industrielle, mais le lendemain, il revient ponctuellement mendier de l'argent, de l'alcool et des cigarettes.
Veronica se serre dans son blouson de cuir pour se protéger du froid et de l'humidité. Voilà, maintenant son attention est centrée sur les deux silhouettes qui sortent de sous le rideau du bar. Leonardo, l'ingénieur Leonardo Albini, est en compagnie d'une grande femme à la peau ambrée, minijupe, jambes vertigineuses et poitrine tellement gonflée d'hormones et de silicone qu'elle pourrait exploser d'un moment à l'autre.
« Cette grande femme exubérante a certainement encore quelque chose d’un homme. Quelque chose pend certainement entre ses jambes ! » pense Veronica, mais cela ne l'intéresse pas vraiment. Ce qui l'intéresse, c'est Leonardo, cet ingénieur en bâtiment dont l’intention est de devenir détective privé. « Et comme il est toujours en contact avec la pègre locale, qui mieux que lui pourrait attraper des criminels ? »
Leonardo salue le transsexuel, qui s'en va en direction de Via Setificio, tandis que lui il se dirige vers Porta Valle et entre dans le centre historique. Veronica le suit en essayant de garder ses distances, mais l'homme disparaît dans les méandres des ruelles.
Un homme avec un fort accent d'Europe de l'Est s'approche d'elle par derrière et fait claquer un couteau à cran d'arrêt.
« Pas très prudent de se promener par ici pour une femme seule ! »
Pas du tout intimidée, la policière exécute une pirouette et, grâce à un coup de pied bien placé, désarme son potentiel agresseur.
« Même pour un homme, surtout s'il embête les mauvaises personnes ! »
Et pour cette nuit, c'est fait, elle a perdu de vue sa cible, elle n'a pas pu vérifier sa connivence et sa complicité avec les criminels de la zone sud de Jesi, qui était autrefois considérée comme une paisible petite ville de province. Autant rentrer à la base. Avec la certitude que tôt ou tard, Leonardo fera un faux pas. Pure fantaisie ? Ou peut-être est-elle secrètement et inconsciemment amoureuse de lui, qui sait !
Les journaux locaux du lendemain, une journée caractérisée par un pâle soleil qui perce à travers la couche de brouillard, rapportent une énième nouvelle de faits divers.
Jesi. Dans la zone de Porta Valle, un transsexuel a été agressé et poignardé. Rapidement secouru par l'ingénieur Albini, qui passait par là par hasard, il a été déclaré guérissable en 10 jours. Mais où est la police ?
CATERINA…
En une froide journée de mi-décembre, je me présentai au Préfet de police d'Ancône. Spanò était mon ancien supérieur. J'étais de retour à la base, mais j'étais là juste pour remettre l'enveloppe contenant ma demande de congé de maternité.
« Je suis heureux de vous revoir parmi nous, Ruggeri. Un élément précieux comme vous, il vaut mieux l'avoir ici en congé de maternité, plutôt que de savoir que vous êtes affectée à un District de police si éloigné. Grâce à votre nouvelle qualification, j'ai une mission particulière pour vous. Ici, dans les Marches, nous n'avons pas de Section des Homicides. Mais vu comment vous avez su conduire l'enquête à Triora, et vu l'augmentation notable de la criminalité dans nos régions, j'ai décidé d'ouvrir la Section ici à Ancône, avec compétence sur tout le territoire régional, et c'est vous qui la dirigerez, assistée par l'Inspecteur Santinelli. »
« Non, ce n'est pas possible ! » dis-je en moi-même. « Encore dans mes pattes. Ne devait-il pas diriger le Détachement Cynophile à ma place après mon départ ? En si peu de temps, a-t-il réussi à saboter tout mon travail de dix ans ? Les Cynophiles sont en déroute et le Détachement est-il sur le point de fermer ? »
Je n'avais même pas le courage de demander des éclaircissements à mon supérieur, mais celui-ci en interprétant mes pensées profondes, me rassura.
« Ne vous inquiétez pas, votre cher Détachement Cynophile se porte très bien même sans vous, d’autre part l'Inspecteur Santinelli n'était pas capable de le diriger. Pendant l'été, trois chiens sont tombés malades de la leishmaniose et deux conducteurs ont demandé leur transfert à cause de leur incompatibilité avec l'Inspecteur. Et avant d'en arriver à l'irréparable, j'ai remplacé Santinelli par un collègue très compétent, l'Inspecteur Principal Della Debbia, qui a été transféré ici depuis Nettuno. »
Je poussai un soupir de soulagement et je continuai d'écouter ce qu'il avait encore à me dire.
« Mais, pour en revenir à nous, je vous disais que cette nouvelle section, à portée régionale, sera dédiée aux enquêtes sur les homicides et les personnes disparues, et je crois vraiment que vous êtes la personne la plus appropriée pour la diriger. Vous pourrez venir en toute liberté, sans négliger vos engagements de future maman, pour organiser le bureau, et quand vous me direz que vous êtes prête, nous commencerons. »
J'étais enthousiaste, et déjà les idées sur l'organisation de la nouvelle équipe tournaient dans ma tête.
« Tout va bien, mais dois-je vraiment prendre en charge aussi l'Inspecteur Santinelli ? »
« Il semble que vous soyez la seule à avoir toujours été capable de le gérer ! Je dirais que oui ! »
J'acquiesçai, pas très satisfaite de cette perspective, et tendis la main à mon supérieur pour prendre congé.
« Une dernière chose, Commissaire. Dans les prochains jours, nous aurons ici des spécialistes qui donneront un cours sur le Langage du Corps et la Proxémie, ce sera très intéressant. Si vous souhaitez y participer, même en étant en congé, vous verrez que vous pourrez apprendre des notions très importantes pour la gestion des interrogatoires. »
J'acceptai l'invitation, tout en sachant que Stefano n'en serait pas du tout content, car le cours portait sur des sujets qui m'avaient toujours fascinée : le fait de pouvoir comprendre ce que quelqu'un pense, s'il ment ou dit la vérité, par les attitudes qu'il adopte. C'étaient des notions qui, une fois apprises et combinées à mes nouvelles capacités perceptives, feraient de moi un détective infaillible.
Ainsi, malgré mon ventre rond et malgré les protestations de mon compagnon, je commençai à passer la majeure partie de mon temps à la Préfecture de police, un peu pour suivre le cours sur le langage du corps, un peu pour organiser mon nouveau bureau et ma nouvelle équipe. L'Inspecteur Santinelli me suivait de manière serviable et docile, et somme toute, je ne pouvais pas me plaindre de lui. Je ne pouvais pas demander à avoir une Lamborghini comme celle que nous avions à Imperia, mais j'obtins qu'on installe sur une Alfa 159 un ordinateur similaire à celui qui nous avait tant aidés dans l'enquête de Triora. Je donnai quelques instructions à Santinelli sur son utilisation et je le fis également inscrire à un cours avancé de technologie informatique, même si j'étais convaincue qu'on ne pourrait jamais trop en attendre de lui.
Noël passa, le Nouvel An passa, et le Carnaval passa également. Le temps filait à toute allure, entre mille engagements, et mon ventre devenait de plus en plus encombrant, le bébé donnait des coups de pied à l'intérieur et sa présence se faisait de plus en plus sentir. Ainsi, au début de mars, malgré les prévisions de Mauro, je décidai qu'il était temps de se calmer, de se retirer en bon ordre et d'attendre l'événement.
Mais, pour ne pas me détacher totalement du travail, je fis installer à la maison un PC avec webcam et une puissante connexion à large bande. J'appris rapidement à lancer des chats vidéo avec mes amis, en particulier avec Clara et Mauro, et de longues vidéoconférences avec Santinelli, pour vérifier comment les choses avançaient dans mon nouveau bureau. Nous avions désormais une bonne organisation. Nous avions aménagé notre section dans une petite aile de la Préfecture de police, quelques pièces, quatre en tout, mais équipées de toutes les technologies modernes. La salle d'interrogatoire était isolée acoustiquement et équipée de caméras et de microphones qui permettaient de suivre à distance depuis une pièce tout ce qui s'y passait. Mon bureau, pour le moment, était occupé par Santinelli, à qui j'avais imposé de garder l'ordinateur toujours allumé avec la webcam active afin de pouvoir contrôler son travail. L'équipe était composée de trois autres jeunes collègues très compétents. La surintendante Roberta Gualandi était la plus jeune, très déterminée et passionnée par le travail qu'elle avait choisi. L'inspecteur Andrea Rosati se débrouillait aussi bien avec les ordinateurs pour les recherches en ligne que sur le terrain. L'agent d’élite Gaetano Perrotta, d'origine calabraise et récemment transféré à Ancône, avait une intelligence très aiguë, c’était un observateur très attentif et il avait tiré profit des notions apprises lors du cours sur le Langage du Corps et la Proxémie. Nous étions prêts à affronter n'importe quelle enquête et je me retrouvai à suivre notre premier cas, concernant un jeune homme disparu, depuis l'écran de mon PC, chose que, jusqu'à quelques jours auparavant, je n'aurais jamais imaginé. Un matin, les parents d'un garçon de dix-neuf ans, nommé Thomas Vindici, s'étaient présentés à la Préfecture de police, inquiets parce que le jeune homme avait quitté la maison la veille au soir et ils n'avaient plus eu de ses nouvelles. Son téléphone portable était éteint, et personne ne savait ce qu'il était devenu. Je suivais avec attention ce que leur disait l'inspecteur Santinelli, tout en espérant ne pas avoir à intervenir en faisant entendre ma voix depuis les haut-parleurs du PC.
« Le garçon est majeur et il a disparu seulement depuis hier soir. C’est un peu tôt pour déposer une plainte pour disparition. Avez-vous essayé de le chercher chez des amis ou dans les lieux qu'il fréquente habituellement ? » commença Santinelli.
« Oui, il n'est chez aucun des amis que nous connaissons. Il a eu une dispute avec sa petite amie hier soir chez nous, elle ne sait pas non plus où il a pu aller et d’autre part, elle s'est refermée sur elle-même et ne veut même pas nous dire la raison de leur dispute. Thomas a claqué la porte en sortant. Samantha, c'est ainsi que s'appelle la fille, a essayé de le suivre mais il a enfourché son scooter et a disparu avant même qu'elle puisse lui parler », dit la mère du garçon, tandis que le père restait plutôt silencieux et laissait parler sa femme.
« Ce n’est certainement rien de grave, peut-être qu'il est allé boire quelques verres de trop pour oublier la dispute et quand il sera dégrisé, il retrouvera le chemin de la maison. »
« Non, Thomas n'est pas ce genre de garçon, il ne boit pas d'alcool, c'est un bon garçon, et c'est la première fois qu'il se comporte comme ça », insista la mère.
« Alors voilà ce que nous allons faire, sans déposer de plainte pour disparition pour l'instant, nous allons lancer quelques enquêtes discrètes. Procurez-moi une photo récente de votre fils et je la transmettrai aux patrouilles. Rosati, essaie de tracer le téléphone portable du garçon. Toi, Roberta, va chez les parents et regarde son ordinateur, surtout les e-mails, les conversations enregistrées sur Messenger, en somme tout ce qui pourrait nous être utile pour comprendre où ce garçon pourrait se trouver. En plus, interroge la fille, Samantha, mais avec délicatesse, n’insiste pas trop car elle est mineure. »
Dans l'ensemble, il semblait que Santinelli s'en sortait bien et je poussai un soupir de soulagement. À ce moment-là, je n'aurais pas su faire mieux et ce qu'il avait proposé était logique.
Quelques heures plus tard, les deux collègues revinrent au bureau. Rosati n'avait pas de nouvelles rassurantes : le téléphone de Thomas était introuvable, il avait sûrement enlevé la batterie et la carte SIM, ce qui montrait que le garçon n'était pas naïf. Roberta, par contre, avait quelques informations supplémentaires.
« Rien d'intéressant sur la part de l’ordinateur réservée au garçon. J'ai aussi jeté un œil à son profil Facebook, et là non plus, je n'ai rien trouvé. Ce qui m'a cependant déclenché un signal d’alarme, c'est qu'il y a un dossier sur les fichiers utilisateurs réservés à Monsieur Vindici, le père du garçon, dont le contenu est protégé par mot de passe. Il ne m'a pas été difficile de contourner la protection et d'accéder au contenu du dossier, où se trouve une série d'images, plus de mille quatre cents, représentant des femmes qui fument. »
« Des photos pornographiques ? » intervins-je par voie télématique, en attirant l'attention des collègues au bureau.
« Pas vraiment. Oui, il y a quelques photos de nus, mais ce sont toujours des femmes jeunes, belles, avec une cigarette à la main ou à la bouche. Beaucoup de gros plans de ces femmes, souvent en train d'inhaler ou d'exhaler de la fumée, ou enveloppées dans une nuée bleuâtre ou blanchâtre. »
« C’est un fétichiste. Très probablement, les rapports avec sa femme sont très sporadiques ou inexistants et il se satisfait sexuellement devant ces images. Mais jusqu'ici, rien de mal, je dirais, si ce n'est le portrait d'une famille un peu désagrégée. »
« Et vous avez raison, Commissaire. J'ai essayé de me renseigner discrètement sur les relations entre Giorgio Vindici et sa femme Elisabetta. Pratiquement, ils sont séparés sous le même toit, ils dorment chacun dans une chambre à part et ils n'ont plus de relations depuis longtemps. Il y a cinq ou six ans, la femme a été très malade et a subi une intervention chirurgicale importante, une greffe de foie. Les deux ne s'entendaient déjà plus très bien depuis longtemps, et la femme a saisi l'occasion pour dire que, comme elle suivait une thérapie immunosuppressive indispensable pour ne pas rejeter l'organe greffé, elle devait rester isolée pour éviter de contracter même un simple rhume. Depuis ce temps, elle s'est installée dans une autre chambre et n'a plus jamais dormi avec son mari. Ce dernier n'a jamais eu le cœur de la quitter et, par respect, par peur ou par timidité, il n'a jamais pris de maîtresse. Et donc, sa manière de s’échapper, il l'a trouvée avec les images qu'il a sauvegardées sur l’ordinateur. »
« Une personnalité un peu complexe. Dans ces cas-là, il y a peu de dialogue en famille. Mais tout cela ne nous aide pas beaucoup à retrouver Thomas. »
« D’accord. Sauf que j'ai découvert que la fille, Samantha, en plus d'être rebelle, anticonformiste et transgressive, est une grande fumeuse pour son âge. Pourquoi ne pas mettre en relation ces éléments avec le penchant du père de Thomas ? »
« Tu penses que Monsieur Giorgio n'a pas résisté et a importuné la fille ? »
« J’en suis convaincu. Et je pense que peut-être le fils l'a surpris en flagrant délit. Ça pourrait être pour cela qu'il est parti en claquant la porte. »
« Avant de tirer des conclusions hâtives, je voudrais me faire une idée personnelle des profils de Giorgio et de Samantha. Nous pouvons convoquer Monsieur Vindici. Je veux qu'il soit interrogé par Perrotta et je veux suivre l'interrogatoire. Quant à la fille, Roberta, tu iras chez elle pour discuter. Emporte ton appareil portable et active l'appel vidéo afin que je puisse analyser son caractère et entendre ce qu'elle a à dire. »
Environ trois quarts d'heure plus tard, Monsieur Vindici fut introduit dans la salle d'interrogatoire. Perrotta le laissa seul pendant un bon moment afin de pouvoir observer son comportement à travers la caméra, compte tenu de ce que nous avions appris au cours sur le langage corporel. Je pouvais voir sur une moitié de l'écran de mon ordinateur la salle d'interrogatoire et sur l'autre la moitié mon bureau, occupé à ce moment-là par Santinelli. Monsieur Giorgio était anxieux, très nerveux, il plissait les yeux, levait les paupières, jouait avec tout ce qui lui tombait sous la main, à commencer par sa montre, puis avec n'importe quel objet se trouvant dans la pièce. Mais ce qui frappait le plus, c'était que ses pieds étaient toujours dirigés vers la porte de sortie ou la seule fenêtre de la pièce, en somme vers une voie de fuite, comme on nous l'avait enseigné au cours. Il n'attendait qu'une chose : pouvoir s’en aller. Perrotta le tint habilement en haleine pendant environ vingt minutes, puis il entra dans la pièce.
« Restez calme, mettez-vous à l'aise, nous ne dirons rien à votre femme de ce que vous direz ici. Les murs sont insonorisés, personne ne nous écoute. Voulez-vous un verre d’eau ? » Dans la petite salle, il y avait un distributeur d'eau fraîche. Gaetano remplit un verre en plastique et le lui tendit. « Alors, il y a des photos intéressantes sur votre ordinateur. On peut en parler ? »
Monsieur Giorgio commença à transpirer et balbutia quelque chose pour se justifier.
« Il n'y a rien d'illégal. Ce ne sont pas des photos pornographiques et il n'y a pas de mineures représentées. Je ne suis pas un pédophile. »
« Bien sûr, bien sûr. Chacun a ses passions. Moi, j'aime jouer au foot à cinq, vous, vous aimez les femmes qui fument. À propos, voulez-vous une cigarette ? »
« N.… non. Je ne fume pas. »
« Vraiment ? Alors donc comment expliquez-vous cette passion ? »
« Je ne sais pas, je ne me l'explique pas non plus. La psyché humaine est parfois incontrôlable. Toujours est-il que lorsque je vois une femme qui fume, surtout lorsqu'elle utilise la flamme d'un briquet ou d'une allumette pour allumer sa cigarette, je ne peux pas m'empêcher de m'exciter. Cela me fait cet effet depuis que je suis jeune. Je ne sais pas quoi y faire. »