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Hortense a toujours un thé et un cake au citron pour les visiteurs. C'est une femme de son époque, elle vit à Belfort et adore sa ville. Bien dans sa vie malgré son veuvage, elle passe de longs moments à se raconter. Elle est drôle, vive et n'hésite pas à donner de son temps aux autres. Elle est le lien générationnel avec ses neveux et nièces, aimante et aimée. Hortense pourrait être notre soeur, notre tante, notre mère... Un événement va cependant perturber son environnement et en même temps, elle subira des bouleversements émotionnels, ses souvenirs seront alors ravivés. Une année de vie à Belfort avec tout ce qui fait palpiter la jolie ville de Franche-Comté !
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Seitenzahl: 229
Veröffentlichungsjahr: 2024
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« Les personnages étant purement fictifs, toute ressemblance avec des personnes ou des situations existantes ou ayant existé ne saurait être que fortuite, certains lieux ont existé, mais la plupart ont été librement inventés. »
« Le Code de la propriété intellectuelle interdit les copies ou reproductions destinées à une utilisation collective. Toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle faite par quelque procédé que ce soit, sans le consentement de l'auteur ou de ses ayants droits ou ayants causes, est illicite et constitue une contrefaçon, aux termes des articles L.335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle. »
À ma famille que j’aime et à tous mes lecteurs,
« Un baiser, mais à tout prendre, qu'est-ce ? Un serment fait d'un peu plus près, une promesse plus précise, un aveu qui veut se confirmer, un point rose qu'on met sur l'i du verbe aimer ; c'est un secret qui prend la bouche pour oreille, un instant d'infini qui fait un bruit d'abeille, une communion ayant un goût de fleur, une façon d'un peu se respirer le coeur, et d'un peu se goûter, au bord des lèvres, l'âme ! »
E. Rostand « Cyrano de Bergerac »
Chapitre 1
Août - Hortense Belvue
Astrid, la nièce d’Hortense.
Gerhard Fromm, voisin d’Hortense.
Astrid
Chapitre 2
Septembre - Hortense
Iris, fille d’Astrid.
Pascale, mère de Manon et Julia.
Chapitre 3
Octobre - Hortense
Manon, amie d’Iris, fille de Pascale.
Iris
Chapitre 4
Novembre - Gerhard
Hortense
Sylvain, demi-frère de Sabine, oncle de Morgane
Manon
Gerhard
Hortense
Mme Gentil, la voisine.
Chapitre 5
Décembre - Astrid
Hortense
Chapitre 6
Janvier - Hortense
Manon
Sylvain
Hortense
Chapitre 7
Février - Morgane
Gerhard
Hortense
Pascale
Chapitre 8
Mars - Gerhard
Hortense
Morgane
Hortense
Madame Gentil
Gerhard
Manon
Chapitre 9
Avril - Hortense
Iris
Hortense
Astrid
Gerhard
Chapitre 10
Mai - Hortense
Gerhard
Hortense
Gerhard
Madame Gentil
Iris
Morgane
Astrid
Chapitre 11
Juin - Hortense
Pascale
Morgane
Sylvain
Hortense
Gerhard
Hortense
Marie signe ici son deuxième roman, après avoir écrit deux recueils de nouvelles et des pièces de théâtre. Lorsqu’elle m’a demandé de faire la préface de son ouvrage, je n’ai pas hésité une seule seconde. Déjà parce que j’apprécie ce que l’auteure écrit, et j’aime la personne qu’elle est. Une femme intègre, intelligente, adorable, pleine d’humour et qui, comme moi, déteste l’injustice.
« Une valse à trois temps » est, comme ses précédents écrits, un roman qui fait du bien. Vous vous installez confortablement dans un fauteuil, une tasse de thé à proximité, et plongez dans la lecture qui se distille en vous, vous amène à réfléchir sur la vie, la beauté du monde, mais aussi ses horreurs.
Marie a le souci du détail, tant dans la description physique des personnages, que de l’environnement dans lequel ils évoluent. On ressent bien l’auteure de pièces de théâtre. D’ailleurs, ce roman pourrait en être une.
Il s’agit là de destins croisés, de plusieurs générations. Des tranches de vie de personnes qui partagent avec nous leur quotidien, leurs amours, leurs joies, leurs peines. Cela pourrait être vous, votre voisin, une amie, un membre de la famille. Nous nous sentons proche de chacun d’eux.
L’auteure, fidèle à ses principes, prône le vivre ensemble, le respect de l’autre et de la nature.
Prenez le temps de savourer « Une valse à trois temps », puis fermez les yeux, accueillez vos émotions, laissez-vous porter par les mots de Marie et par votre imagination.
Bonne lecture à vous !
Isabelle BRUHL-BASTIEN
Je me libérai de ce que j’appelais ma camisole de force, je jetai mon soutien-gorge sur le dossier du canapé, enfilai un léger pull confortable et un pantalon de jogging noir. Je relevai brusquement la tête quand la sonnette de l’entrée me fit sursauter. Machinalement, je consultai la pendule sous le téléviseur : dix-neuf heures. Qui venait me déranger ?
J’ouvris et me trouvai face à mon voisin, Gottfried ou Günter. Je ne me souvenais plus.
— Bonsoir, madame, heu… Hortense, je suis désolé de vous indisposer, mais je nécessite une échalote, auriez-vous une à me céder ?
— Bonsoir…
— Gerhard !
— Pardon, oui, Gerhard, entrez. Je vais en chercher à la cuisine. Une, deux ?
— Oui, deux sera bon !
Je fis signe à mon voisin d’attendre, me retournai, et, avec stupeur et un horrible coup au coeur, j’aperçus mon soutiengorge nonchalamment étalé sur le sofa. Il conservait encore les rondeurs de ce qu’il contenait précédemment. Je me sentis rougir, puis blêmir. Faisant mine de rien, je fonçai au cellier, dénichai les condiments demandés, traversai le salon à temps pour croiser le regard de Gerhard qui semblait hypnotisé par mon sous-vêtement. Un moment de confusion respective puis il s’empara des échalotes, remercia et sortit prestement de l’appartement.
Une fois la porte fermée, j’éclatai de rire. Je rangeai l’objet du délit, si je puis dire, et m’écroulai sur le canapé.
Je baissai un instant les paupières. Ce soir, je me sentais fatiguée. Il est vrai que j’oubliais parfois que je venais d’avoir soixante-dix ans. J’étais une vieille dame seule, veuve depuis bientôt douze ans. Lucien et moi n’avions pas eu d’enfant. Nous en désirions, mais ça n’a pas marché. Et à cette époque, pas de FIV, pas d’aide. On n’a jamais su si j’étais stérile ou si Lucien avait un problème.
Quand mon frère Georges eut ses gamins, je fus folle de joie. Bénédicte était née, puis Pierre et enfin Astrid. La benjamine voulait souvent venir à la maison. Lorsque j’étais en congé, elle rappliquait avec sa valise rose et enchantait notre appartement. Un lutin, une petite fée, elle adorait Lucien, qui le lui rendait au centuple. Dès la fermeture du cabinet, il fabriquait des jouets, inventait des automates, des maisons de poupées, mille merveilles qui faisaient pétiller le regard de la gamine.
Le téléphone sonna. Astrid venait prendre de mes nouvelles.
Ma nièce était mariée à Étienne, un dentiste. Ils avaient une grande fille de dix-huit ans, Iris, et deux garçons. Ils vivaient à quelques kilomètres de chez moi. Nous nous entendions parfaitement bien et, grâce à elle, je conservais une énergie et une jeunesse d’esprit !
Elle m’interrogeait souvent sur mon passé, mes expériences professionnelles. Comme elle me ressemblait beaucoup, il arrivait que l’on nous prenne pour mère et fille.
Assurément, cela me flattait, nous avions tant de points communs.
Elle rit aux éclats lorsque je lui narrai ma mésaventure avec le voisin.
— Il est charmant cet homme, je l’ai croisé à plusieurs occasions. C’est plutôt un beau gars, non ?
— Peut-être, je n’y ai pas prêté attention. Un peu jeune pour moi !
— Oh, Hortense, je t’en prie, à notre époque, on ne se préoccupe plus de ces contingences ! Tu m’amuses, l’excuse de l’échalote est un peu grosse !
— Mais non, je t’assure, « il nécessitait » une échalote pour son repas ! En parlant de repas, je ne sais pas ce que je vais me cuisiner ce soir…
— Si cela peut t’inspirer, chez nous ce sera spaghettis à la bolognaise, avec mes quatre morfalous, c’est le menu succès garanti !
— Bonne idée. Merci Astrid. Tu viens demain après-midi ?
Ça me ferait plaisir.
— C’est d’accord, je passe boire le thé. D’ailleurs j’ai quelque chose à te demander. Bisous Hortense !
Je suis née il y a soixante-dix ans dans un village de Franche-Comté. J’ai débarqué comme un cheveu sur la soupe après un grand frère, Georges, de quatorze ans mon aîné et une soeur, Ariane, de douze ans plus âgée que moi.
Maman avait quarante-cinq ans, papa cinquante. Malgré tout, je fus accueillie avec enthousiasme par toute la famille et je passai une enfance comblée.
J’étais adolescente quand mon frère décida d’épouser Gilberte, une collègue de travail. J’étais folle de joie à l’idée de faire la fête. Un samedi de septembre, vêtue d’une robe bleu pâle confectionnée par ma mère, j’entamai mon premier flirt en dansant un slow collé serré avec mon cavalier de mariage. Je crois me souvenir qu’il se prénommait Bernard et qu’il était un neveu de Gilberte. Je valsai aussi avec mon père, il était si fier de faire tournoyer sa benjamine. Au milieu de la soirée, après une dixième danse et un encore langoureux baiser, Ariane est venue m’arracher des bras de mon chevalier servant pour m’expédier au lit. Je rageais, j’aurais aimé que cette soirée ne se termine jamais !
Le lendemain, je fus longuement réprimandée par ma mère qui trouvait mon comportement pour le moins édifiant. Je souris à ces souvenirs, je n’ai jamais revu le fameux Bernard, mais j’avais pris goût à la danse. Dès qu’un bal était organisé dans un village voisin, je trépignais et implorais mes parents pour avoir l’autorisation de glisser sur le parquet. J’appris le jerk, le rock, la valse, le paso doble et toutes les danses à la mode des années soixante.
Les garçons des alentours aimant valser m’invitaient avant les soirées, pour réserver leur cavalière préférée. Je flirtais un peu aussi, avec les gars les plus gentils, mais nous nous contentions d’échanger quelques baisers et caresses dans les coins les plus sombres des salles. Dès que les mains de mes partenaires s’égaraient sur mes seins ou s’ils tentaient de relever ma jupe, je les plaquais aussitôt en courant.
Ma belle-soeur Gilberte était enceinte et je la trouvais tellement laide avec ce gros ventre que j’avais une peur bleue de me retrouver dans le même état !
Et pourtant, depuis toujours j’aimais les bébés. Déjà gamine, je me souviens de l’amour que je portais à ce poupon de plastique qui dormait avec moi. Il n’était pas joli comparé aux poupées d’aujourd’hui. Mais je l’adorais. Ma grand-mère maternelle lui avait tricoté un pull et une barboteuse, j’étais ravie.
En grandissant, je câlinais mes cousines et cousins dès que j’en avais l’occasion.
Je les trouvais tellement mignons. Georges et Gilberte avaient eu une fille qu’ils prénommèrent Bénédicte, elle était craquante. Un petit garçon, Pierre, leur deuxième enfant arriva le jour de mes dix-huit ans.
C’était décidé, je m’occuperais d’enfants.
J’ai passé avec succès le concours d’entrée à l’école de puériculture. C’est Ariane, ma grande soeur, qui m’aida à préparer mon trousseau. Entre temps, maman était tombée malade et ne quittait plus le lit. Il fallut acheter des blouses blanches, des tabliers d’une certaine forme et aussi cette drôle de coiffe amidonnée que j’allais porter pendant un an et qui faisait de moi une Florence Nightingale moderne.
J’étais partagée entre la joie d’entrer en internat et la tristesse face à l’état de ma mère. Elle mourut à la fin du premier trimestre de mes études. Je me souviens qu’au retour d’un stage à l’hôpital, Georges et Gilberte m’attendaient devant l’école. Je m’écroulai en larmes dans les bras de mon frère.
« Elle m’amuse Hortense, elle ne se rend pas compte à quel point elle peut être encore séduisante ! Je suis presque certaine que son voisin a un béguin pour elle. »
Elle montait l’escalier de la maison en haletant. Les sacs, pleins à craquer de provisions, lui arrachaient les bras. Arrivée devant la cuisine, elle souffla en déposant les lourds bagages. En chantonnant, elle rangea, organisa et planifia mentalement ses menus de la semaine.
Elle avait son diplôme de pharmacienne, elle avait longtemps travaillé au centre-ville. Mais à la naissance de son troisième enfant, elle décida de laisser l’officine à sa collègue et de faire ce dont elle avait envie. Elle aimait peindre et pratiquer le yoga, elle dut choisir.
Sa formation de yoga en poche, elle dispensa des séances du soir dans diverses associations et depuis deux ans, elle possédait sa propre salle. Son aînée, Iris, allait avoir dixhuit ans, Léandre quinze et Valère avait eu dix ans le mois dernier.
Ses visites à Hortense étaient comme des bonbons qu’elle laissait fondre lentement dans la bouche. Elle les savourait.
À sa naissance, sa tante avait vingt-huit ans et elle savait déjà qu’elle ne porterait aucun enfant. Elle reporta son amour sur cette nièce et s’occupa d’elle très souvent, comme si elle était sa propre fille.
Son père, Georges, était mort l’an dernier, il venait d’avoir quatre-vingt-trois ans. Gilberte était à présent en maison de retraite dans la ville voisine. Bénédicte, sa soeur aînée habitait en Allemagne avec son époux Jean-Lou et leur fils Maxime qui était handicapé.
Pierre, son frère, n’était pas marié, mais depuis huit ans, il vivait au Luxembourg avec Samira, une traductrice au parlement européen.
Elle entendit des bruits dans l’escalier, une frimousse crépie de taches de rousseur, surmontée d’une tignasse hirsute, fit son apparition. Valère rentrait du square. Pendant les vacances, son plus grand plaisir était d’aller faire du vélo ou du skate avec ses amis. Elle le serra dans ses bras, il sentait le chaud, une odeur aigrelette de transpiration. Elle glissa son nez contre son cou, il était moite, elle avait envie de mordre dedans, d’en profiter encore avant qu’il ne la repousse. C’était son bébé. Elle ne pouvait plus câliner Léandre, il détestait cela. Iris acceptait de temps à autre les étreintes de sa mère, à condition qu’elle fût décidée, ou qu’elle ait besoin de quelque chose.
— Tu fais des gaufres ce soir, maman ? J’aimerais bien des gaufres ! Mon copain Victor, ben, y va en manger !
— C’est d’accord pour les gaufres mon lapin ! Papa va adorer !
— De toute façon, il va rentrer tard comme d’hab, alors, pff !
— Non, chéri, nous sommes mardi, il ferme le cabinet plus tôt. File laver tes mains.
Étienne était dentiste, il travaillait avec quatre autres praticiens dans un centre mutualiste. Astrid avait rencontré son futur mari au lycée. Ils étaient dans la même classe de première, étaient tombés amoureux, puis avaient rompu avant de passer leur Bac. Ils s’étaient revus à une soirée organisée par des amis communs, étaient retombés amoureux et ne s’étaient plus quittés.
Astrid était jolie. Elle venait de fêter ses quarante-deux ans. Physiquement, elle ressemblait à sa tante Hortense, fine, élancée, blonde avec des yeux gris-bleu. Depuis qu’elle enseignait le yoga, elle portait plus souvent des leggings que des jupes, néanmoins, elle tenait à rester élégante pour son plaisir et pour son homme.
Sa fille, Iris, était semblable à son père. Elle avait une magnifique chevelure brune bouclée et indisciplinée. Elle était grande et sa longue pratique de l’athlétisme avait renforcé sa carrure, de même pour Léandre, toison frisée, couleur d’yeux identique. Le petit Valère restait menu et blond, comme sa maman.
Astrid était fière de sa famille. Elle regrettait juste le peu de contact avec sa grande soeur Bénédicte et avec Pierre, son frère. Ils se rencontraient rarement. La dernière fois, c’était pour les funérailles de Georges, leur père. Elle savait que Bénédicte n’était pas heureuse. Jean-Lou faisait de son mieux, mais à l’arrivée de Maxime, le monde s’était écroulé. Mettre au monde un petit garçon handicapé avait anéanti sa vie, son bonheur. L’enfant était à présent un adolescent, mais il ne parlait pas, ou peu ne faisait rien seul. « Attardé mental », lui avaient asséné les médecins.
Lorsque son neveu était né, Astrid fréquentait Étienne. Ils avaient beaucoup échangé sur le sujet, le terme attardé mental choquait la jeune femme. Et pourtant, le dictionnaire donnait bien la définition : « … dont le développement mental est en retard par rapport au développement physique. » Pas besoin d’en rajouter. Elle était allée voir le bébé en Allemagne. Elle avait voyagé avec Gilberte, sa mère. Toutes deux voulaient rencontrer ce nouveau-né, neveu pour l’une, petit-fils pour l’autre. Bénédicte les reçut froidement. Elle était triste, grise, épuisée.
Jean-Lou se mettait en quatre pour bien accueillir sa bellemère et sa belle-soeur. Quand Astrid avait vu le bambin dans son berceau, elle avait pensé que c’était une erreur, il était beau, si minuscule, si mignon. Puis elle avait remarqué les petites imperfections dues au Syndrome de Warkany. Le gamin avait subi de nombreuses interventions chirurgicales.
Maintenant, il allait bien, mais Bénédicte avait délaissé son travail, ses loisirs, sa vie de femme pour s’occuper de son fils. Plus d’une fois, Astrid avait imploré sa grande soeur de venir avec le garçon, de prendre un peu de temps pour elle.
Elle s’était toujours heurtée au mur d’un « non » implacable.
Léandre ouvrit la porte et ne la referma pas. Astrid cria « la porte ! » le gamin la claqua bruyamment.
— Salut m’man ! J’vais dans ma chambre téléphoner. Tu m’appelles pour souper !
Comme ce n’était pas une question, Astrid sourit, mais ne répondit pas. Léandre ne disait jamais qui il appelait. Elle se souvenait un peu de sa propre adolescence, des cachotteries, parfois des mensonges. Bon, se disait-elle, il y a une nana là-dessous. Pendant l’été, Léandre avait participé à un chantier de jeunes. Le jour des portes ouvertes, Étienne et elle avaient bien remarqué que leur fils ressentait un faible pour une jolie brunette.
Il était vingt heures, Iris et Étienne n’allaient pas tarder. Sa fille était actuellement en stage au cabinet mutualiste. Elle avait précédemment passé le concours d’entrée à l’école en soins infirmiers et, en attendant la fin des vacances, avait imploré son père pour qu’il l’embauche comme assistante.
Après consultation auprès de ses confrères, il avait accepté.
Ravie, elle l’accompagnait tous les matins et ils revenaient ensemble le soir. La rentrée scolaire avait lieu dans deux semaines. L’idée de demander à Hortense de prendre Iris avec elle le temps de ses études à l’IFSI* avait fait son chemin durant le week-end. Ce serait beaucoup plus pratique pour la jeune fille, les horaires de l’école étant irréguliers, elle serait moins fatiguée. Les trajets de la ville à la maison étaient épuisants après une journée de travail !
Pourvu qu’Hortense accepte. Le contraire m’étonnerait, elle a toujours eu le coeur sur la main. Quand j’étais enfant, j’adorais passer du temps avec elle et mon oncle Lucien. Je les trouvais lumineux, aidant et aimant. Lucien nous a quittés, mais Hortense reste la même.
* IFSI : Institut de formation en soins infirmiers
C’était par curiosité. Il se mettrait des gifles. Comme il avait dû avoir l’air stupide devant Hortense Belvue. Il voulait la voir de près et pas seulement sa silhouette depuis la fenêtre de son salon.
— Quel idiot je fais ! Une échalote ! Et j’ai mélangé les mots, quel idiot !
Il ouvrait sa main, les deux bulbes étaient toujours là et semblaient le narguer. Il les posa sur la table, perplexe, se demandant bien ce qu’il en ferait. En haussant les épaules, il s’assit à son bureau et reprit la correction des copies.
Gerhard Fromm était né à Heidelberg en Allemagne, un soir de Pâques, il y avait juste cinquante-six ans. Seul enfant d’une famille très pieuse, il fut interne, dès son plus jeune âge, dans un établissement catholique. Adolescent rebelle, il fugua plusieurs fois et fut expulsé pour conduite désastreuse. Son père, furieux, le mit à la porte de leur riche demeure le jour de ses seize ans.
Il traîna dans des quartiers sordides, fréquenta les mauvaises personnes, se drogua sans doute un peu. Il fut arrêté pour avoir volé un véhicule, puis relâché. L’année de ses dix-huit ans, sa mère Magda, ayant quitté son mari, remua ciel et terre et retrouva son fiston. Gerhard aimait à raconter qu’elle paya même un détective pour les recherches.
Il reprit tardivement ses études, puis devint professeur de collège. Il épousa Ruth, une collègue rousse et rieuse. Si rieuse qu’elle l’abandonna pour un comédien de stand-up deux années après. Gerhard se fit muter de l’autre côté de la frontière. Il avait visité la France de nombreuses fois et était tombé amoureux de ces « Grüne Hügel ».
Il enseigna d’abord dans la banlieue de Lyon, puis l’an dernier, fut nommé en Franche-Comté.
Il aima immédiatement la région, verte, vallonnée, avec le Ballon d’Alsace et les Vosges proches. Après six mois d’hôtel, il craqua pour cet appartement dans une rue calme de la petite ville universitaire. En se penchant par la fenêtre de la chambre, il pouvait même apercevoir le gigantesque Lion adossé aux fortifications. Le jour de son arrivée, il y a juste un an, fin août, il faisait froid et gris. La cité lui avait alors paru sinistre, mais dès le lendemain, le soleil transperça la couche nuageuse et donna un éclat inouï au château et aux bâtisses.
Il y avait aussi cette voisine. Une femme, selon lui, dynamique, à la silhouette incroyable. Il ne l’avait croisée qu’une ou deux fois dans l’escalier, elle semblait un peu plus vieille que lui, mais il la trouvait… intéressante et aimerait la connaître mieux. C’était un timide, Gerhard.
Il leva le nez de ses copies et se murmura :
— Je ne peux tout de même pas refaire le coup de l’échalote… Avec du sel, peut-être !
En souriant, il songea : sa fille lui ressemble.
Il avait croisé Astrid plusieurs fois et avait immédiatement pensé que les deux femmes étaient mère et fille. Il posa le stylo, se leva pour allumer le téléviseur, sortit une pizza surgelée du congélateur et la plaça dans le four.
Gerhard était un grand gaillard barbu. Le haut du crâne légèrement dégarni, mais sa chevelure abondait sur les tempes. Des mèches grises dansaient au milieu des cheveux châtains. Il avait des yeux sombres, peut-être gris ou noirs, il n’avait jamais pu dire. Magda lui rabâchait :
— Tu as mes yeux et mon teint, mon fils, c’est l’héritage des Ehrlich, mais tu as la carrure de ton père, les Fromm étaient tous des costauds !
Sa mère était morte cinq ans auparavant, elle ne savait plus trop qui elle était. Elle avait fui sa chambre de la maison de retraite un soir de décembre. On l’avait retrouvée sur un banc de la place du marché. Elle était transie de froid. À l’hôpital, ils avaient dit qu’elle n’avait jamais repris connaissance. Il eut du chagrin. C’était quelqu’un, Magda.
La femme qui avait tenu tête à ce borné de Rolf, avait osé le quitter et était même parvenue à lui faire signer les papiers du divorce, alors qu’il répétait : « On ne casse pas les liens du mariage ! On ne sépare pas ce que Dieu a uni ! » Magda s’était démenée pour payer des études à son fils pendant que son ex-mari, plein aux as, distribuait son argent à la paroisse. Elle fut caissière au supermarché, puis serveuse dans une « gasthaus » au pied du château d’Heidelberg. Et enfin, pour avoir des horaires plus adaptés, elle vendit des sous-vêtements à domicile. La dévouée petite Magda qui chantait les succès des années quatre-vingt en faisant la vaisselle : « Da, da, da », celle-là même qui a éconduit les hommes qui la courtisaient.
— J’ai mon fils, c’est mon but dans la vie ! Je ne me consacre qu’à lui !
— Et lorsqu’il quittera ta maison, tu te retrouveras seule, belle Magda !
— J’aviserai à ce moment !
Il sortit la pizza du four, s’attabla en regardant le journal télévisé. Parfois il changeait de chaîne pour écouter les informations d’Allemagne. Mais de plus en plus rarement.
Il se sentait bien en France. Il était chez lui. Demain samedi, il allait participer à un tournoi de tennis avec d’autres collègues des collèges de la ville. Ils étaient tous de retour de vacances et désiraient se retrouver avant la rentrée.
Dimanche, si le temps le permettait, il monterait le Ballon d’Alsace en vélo.
La pizza était molle, ce n’était pas appétissant. Fichu microondes !
Un jour, il avait offert un four semblable à Magda. Elle ne sut pas l’utiliser. Il vint manger un samedi midi, elle était fière de lui annoncer qu’elle mijotait un rôti de boeuf :
« dont tu me donneras des nouvelles ! » Inconsommable ! Elle l’avait cuit au micro-ondes pendant une heure. C’était devenu un morceau de bois sec marron qui s’effritait en répandant une odeur nauséabonde.
Furieuse, elle ordonna à son fils de la débarrasser du maudit appareil !
En mastiquant la matière molle et fade, il songea à prendre des cours de cuisine. Et s’il proposait à Hortense de lui enseigner quelques recettes ? Oh, il n’osera pas.
Il se plaisait dans cette ville, ni trop grande, ni trop petite et ce logement lui convenait parfaitement. Situé au deuxième étage, avec ascenseur, il recevait la lumière dès les premières heures du jour. En cette fin d’été, alors que ses fenêtres étaient grandes ouvertes, il entendait sonner les heures à la cathédrale toute proche. Il aimait à se pencher à la baie ou au balcon pour écouter les rumeurs douces du soir.
— Bonjour Hortense ! En forme ? On sent que la rentrée est proche, j’ai eu de la peine à trouver un parking.
— Assieds-toi, veux-tu un thé ou préfères-tu une boisson fraîche ?
— Mmm… Un thé vert, si tu as ! Mais, fais comme pour toi. Dis donc, Tatie, je compte sur toi pour le yoga cette année encore, j’aurai de la place dans les cours d’aprèsmidi !
Hortense répond de la cuisine.
— Évidemment ! Je n’ai pas l’intention de laisser tomber.
Que voulais-tu me dire ? Rien de grave, j’espère !
Astrid expliqua longuement que sa fille Iris allait rentrer à IFSI, ce que la vieille dame savait déjà. Elle aimerait que la jeune femme soit plus proche de l’école, serait-elle d’accord si l’adolescente habitait avec elle pour la durée des études ?
— Je n’y vois aucun inconvénient, répond Hortense. Avec beaucoup de plaisir, Iris est une gamine très chouette. On va bien s’entendre, toutes deux !
Elles papotaient en sirotant leur thé. Hortense avait préparé un biscuit qu’elles goûtèrent en commentant la saveur et le parfum. Aussitôt sa dernière bouchée avalée, la vieille dame se leva et emballa le reste du gâteau.
— Tu l’emportes pour votre souper !
— Oh merci Tatie, Étienne va adorer ! Je dois partir, j’ai un peu de couture, j’ai acheté un jean à Léandre et je dois raccourcir l’ourlet. Figure-toi qu’il ne voulait pas, il avait projeté de retourner le bas, ou de couper en laissant les fils pendouiller ! Moi vivante, jamais ! Elle rit.
— Ça me rappelle le mariage de ton père Georges. Ma mère, je veux dire, ta grand-mère Maria, m’avait confectionné une jolie robe bleue. Je devais avoir douze ou treize ans, environ. Une fois terminée, je l’avais fièrement suspendue à un cintre dans ma chambre. La veille de la cérémonie, tout le monde était parti préparer la salle, poser les décorations et mettre la table. Moi, je suis restée à la maison. J’ai pris la robe, plié l’ourlet d’au moins quatre centimètres, cousu, repassé et vite, je l’ai raccrochée à sa place. Le lendemain, quand je me suis présentée devant mes parents, tu n’imagines pas les hurlements. Le vêtement m’arrivait à mi-cuisse ! Mais bon, pas question de refaire quoi que ce soit, on n’avait plus le temps. Ma mère et mon père étaient hors d’eux : « Gourgandine, ce n’est pas une tenue pour une adolescente, c’est indécent ! » J’avais beau dire que c’était la mode, ça ne passait pas !
— Mais tu as tout même fait la noce avec ?