Vert bouteille - Yves Wellens - E-Book

Vert bouteille E-Book

Yves Wellens

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Beschreibung

Genèse d'un écrivain

Bruxelles, années soixante. Dans le chaos et la violence d’une enfance manquée, entre un père alcoolique et le spectre d’une sœur disparue, Je deviens écrivain. Comme une sortie à l’air libre. Comme une nouvelle ligne de vie à lire sur sa main.
Pourquoi construit-on une œuvre ? Quel temps veut-on faire revenir par-là ? Ici, il s’agit de dire sur quoi mon œuvre ne pouvait surtout pas être bâtie : contre quoi elle devait être construite.

Yves Wellens nous confie dans cette oeuvre autobiographique les raisons qui l'ont mené à l'écriture

EXTRAIT 

Il bégayait. Alors, on l’appelait Jean-Jean. Pour faire plus court, quelqu’un s’est avisé de le désigner autrement : « Lui, c’est Je ». Et c’est resté.

Ce n’était pas la première fois qu’on conduisait Je à la rue des Cendres, où se situe l’entrée secondaire de la clinique Saint-Jean, à Bruxelles. Il y était né, quatre ans et demi plus tôt.
Cette fois, c’était tout aussi sérieux. On l’y avait mené pour une opération à cœur ouvert, décidée dès le mois d’avril après de longues réflexions et de multiples consultations. L’intervention avait été jugée inévitable, suite à une batterie d’examens et des symptômes particulièrement clairs : Je ne pouvait dissimuler un état de fatigue constant et préoccupant : on l’avait retrouvé plusieurs fois, couché mais conscient, sur le tapis de sa chambre, au milieu de ses jouets et de ses livres d’enfant. Il était resté sans réaction quand on l’avait secoué, puis soulevé du sol afin de l’étendre sur son lit. Un jour, il avait été retrouvé à terre, une arcade sourcilière ouverte après qu’il fut tombé la tête en avant contre la coque d’un poêle.
Un médecin décela un canal artériel : le court vaisseau qui relie, pendant la vie intra-utérine, l’aorte et l’artère pulmonaire, permettant à la circulation sanguine de ne pas engloutir les poumons, et qui aurait dû se refermer presque immédiatement après la naissance, était resté ouvert.
C’était simple : si l’on ne pratiquait pas rapidement l’intervention, Je ne vivrait pas jusqu’à trente ans.
Les responsables de la clinique avaient approché une équipe de médecins de Lyon, qui s’étaient rendus aux États-Unis afin de se familiariser avec les techniques à utiliser pour ce type de chirurgie. Ils acceptèrent de venir à Bruxelles examiner le patient et, après une concertation poussée avec la direction, ils envisagèrent de pratiquer l’intervention.

CE QU’EN PENSE LA CRITIQUE

- « Le "vert paradis de l’enfance" selon Baudelaire est assombri par les bouteilles que le père vide à la chaîne pour Jean-Jean, dit "Je". Le raccourci ne compense pas la durée des phrases du bégayeur. Mais provoque d’étranges effets à la lecture : Je est sujet de verbes conjugués à la troisième personne. Itinéraire personnel complexe, rumeurs du monde qui se superposent par instants à un univers étriqué. Il y a de l’espoir. » (Le Soir)

A PROPOS DE L'AUTEUR 

Yves Wellens, de son vrai nom Yves Van Cutsem, est né le 6 avril 1955 à Bruxelles-Ville. Son milieu social d’origine est composé d’artisans, d’ouvriers qualifiés et de commerçants. Il a effectué des études de journalisme et de communication sociale à l’Université Libre de Bruxelles, et est actuellement fonctionnaire à la Ville de Bruxelles, chargé de questions d’urbanisme.


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Du même auteur

Le Cas de figure, Nouvelles, Didier Devillez, 1995 (rééd. Espace Nord, 2014).

Contes des jours d’imagination, Contes, Didier Devillez, 1996.

Incisions locales, Nouvelles, Luce Wilquin, 2001.

D’outre-Belgique, Nouvelles, Luc Pire, 2007.

Épreuve d’artiste, Roman, Grand Miroir, 2011.

Le bonheur est perdu quand on le critique ;le chagrin, quand on l’accepte

Ambrose Bierce, Épigrammes

Personnages

La sœur : Anne Van Cutsem (1958-1966)

Le père : Achille Van Cutsem

La mère : Renée Wellens

Le grand-père maternel : Louis Wellens

La grand-mère maternelle : Aline Massart

Le grand-père paternel : Jean Van Cutsem

La grand-mère maternelle : Constance Van Elewijck

Divers personnages qui se trouvaient là.

La scène se passe dans plusieurs lieux à Bruxelles (surtout dans une commune du Nord-Ouest), en Angleterre et à la Côte belge.

I

Il bégayait. Alors, on l’appelait Jean-Jean. Pour faire plus court, quelqu’un s’est avisé de le désigner autrement : « Lui, c’est Je ». Et c’est resté.

*

Ce n’était pas la première fois qu’on conduisait Je à la rue des Cendres, où se situe l’entrée secondaire de la clinique Saint-Jean, à Bruxelles. Il y était né, quatre ans et demi plus tôt.

Cette fois, c’était tout aussi sérieux. On l’y avait mené pour une opération à cœur ouvert, décidée dès le mois d’avril après de longues réflexions et de multiples consultations. L’intervention avait été jugée inévitable, suite à une batterie d’examens et des symptômes particulièrement clairs : Je ne pouvait dissimuler un état de fatigue constant et préoccupant : on l’avait retrouvé plusieurs fois, couché mais conscient, sur le tapis de sa chambre, au milieu de ses jouets et de ses livres d’enfant. Il était resté sans réaction quand on l’avait secoué, puis soulevé du sol afin de l’étendre sur son lit. Un jour, il avait été retrouvé à terre, une arcade sourcilière ouverte après qu’il fut tombé la tête en avant contre la coque d’un poêle.

Un médecin décela un canal artériel : le court vaisseau qui relie, pendant la vie intra-utérine, l’aorte et l’artère pulmonaire, permettant à la circulation sanguine de ne pas engloutir les poumons, et qui aurait dû se refermer presque immédiatement après la naissance, était resté ouvert.

C’était simple : si l’on ne pratiquait pas rapidement l’intervention, Je ne vivrait pas jusqu’à trente ans.

Les responsables de la clinique avaient approché une équipe de médecins de Lyon, qui s’étaient rendus aux États-Unis afin de se familiariser avec les techniques à utiliser pour ce type de chirurgie. Ils acceptèrent de venir à Bruxelles examiner le patient et, après une concertation poussée avec la direction, ils envisagèrent de pratiquer l’intervention.

Le temps pressait. Les médecins français ne pouvaient se permettre de rester trop longtemps loin de leurs bases. L’hôpital avait mis une salle d’opération à leur disposition, tout le matériel nécessaire avait été acheminé sur place. L’état de santé de Je ne pouvait se détériorer plus longtemps. Il fallait absolument résorber sa malformation cardiaque. La mère passa outre l’opposition de la famille.

Un matin, Je fut porté et déposé sur le siège arrière de la voiture. Il tenait en main une ambulance – mais il n’entendait pas de sirène. Le père conduisait : il emprunta le viaduc construit le long du boulevard Léopold II pour transporter le flot des visiteurs vers le site de l’Exposition Universelle de 1958. Il partit résolument dans le sens opposé. Il avait été convenu que Je entrerait à la clinique une semaine à l’avance, afin de prévenir tout risque d’infection.

Arrivé à la clinique, Je se retrouva seul dans une chambre, tout près du local de repos. Le lit avait été surélevé de manière à ce que, en se tenant debout, il puisse voir à travers la vitre le trafic dans l’unité de soins, comme s’il était dans une tour de contrôle : les médecins qui passent, les infirmières qui vérifient les dosages, le matériel qu’on amène ou qu’on déplace, les brancards, les civières et les lits à roulettes le long des murs, les patients qu’on examine, les visiteurs qui se présentent. Mais il ne tenait pas longtemps dans cette station : ses jambes finissaient par fléchir et il se retrouvait couché en boule, avant qu’on vienne l’étendre.

Un lundi, il fut mené dans la salle d’opération : on lui administra une anesthésie totale et l’opération commença. Elle dura plusieurs heures.

Annonce de nouveaux tarifs postaux au 1er novembre – Le président Eisenhower est favorable à un sommet des Quatre Grands pour jeter les bases d’un accord sur le futur statut de Berlin – Le chef des services de sécurité américains est indésirable à Moscou pour cause d’espionnage : on l’a surpris effectuant un paiement de 20 000 roubles à un informateur – Une restauratrice croit avoir retrouvé son mari qu’elle croyait mort depuis sa déportation à Buchenwald il y a 15 ans – Le gouverneur de Californie a refusé le recours en grâce de Caryl Chessman, condamné à mort – Rik Van Looy a remporté le Tour de Lombardie au sprint, à Turin – Le quatrième quatuor à cordes de Béla Bartók a été interprété aux Concerts de midi – Au théâtre des Galeries, on joue Requiem pour une nonne – Ce soir, première d’une nouvelle émission de radio, ayant pour titre Salut les copains – À la Bourse, le marché a été résistant et bien orienté.

Quand il se réveilla, Je fixa le plafond de la chambre. Soudain, un avion passa silencieusement au-dessus de lui. Le père tenait à bout de bras le modèle réduit d’un avion de chasse qu’il avait fabriqué et le faisait glisser souplement dans l’air confiné, multipliant les acrobaties – loopings, brusques montées à la verticale vers le ciel, décélérations et descentes en spirale puis en piqué avant de redresser et de saluer.

Alors que l’opération semblait avoir réussi, l’organisme de Je eut une violente réaction de rejet, qui demeura inexpliquée. Le troisième jour, sa température commença à monter, jusqu’à atteindre 41°. Les médecins se consultèrent et optèrent pour une solution désespérée. Il fallait absolument injecter à Je un certain antibiotique dont, hélas, l’hôpital ne disposait pas à cet instant. On sortit donc de la chambre et on s’adressa aux parents. Le père fut sommé de trouver cette Streptomycine et fonça à la pharmacie du boulevard du Botanique se procurer le médicament. Quand il le remit à l’un des médecins, chacun savait que la chance ne repasserait pas.

La fièvre de Je se mit à baisser progressivement, pour revenir à la normale après une heure (cette injection massive et victorieuse eut cependant des conséquences par la suite, les effets secondaires de l’antibiotique n’étant pas encore tous connus).

Je palpa le lit à côté de ses mains et découvrit son ambulance parmi d’autres jouets. Il entendait son cœur battre comme une sirène hurlante.

II