Vieilles coutumes, usages et traditions populaires des Vosges - Alban Fournier - E-Book

Vieilles coutumes, usages et traditions populaires des Vosges E-Book

Alban Fournier

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Extrait : "Il existe encore, dans les Vosges, des adorateurs du soleil. Plusieurs fois, aux sommets du Ballon de Guebwiller, du Ballon d'Alsace, j'ai trouvé — le 24 Juin, au solstice d'été — des montagnards arrivés de très bonne heure (il y en avait même qui passaient la nuit) pour assister au lever du soleil. Ils étaient là, immobiles, comme hypnotisés, regardant bien en face le soleil encore pâle."

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Il existe encore, dans les Vosges, des adorateurs du soleil.

Plusieurs fois, aux sommets du Ballon de Guebwiller, du Ballon d’Alsace, j’ai trouvé – le 24 juin, au solstice d’été – des montagnards arrivés de très bonne heure (il y en avait même qui passaient la nuit) pour assister au lever du soleil.

Ils étaient là, immobiles, comme hypnotisés, regardant bien en face le soleil encore pâle ; ils suivaient des yeux son ascension et s’en allaient une fois qu’ils ne pouvaient plus en supporter l’éclat.

Pour eux, la vue merveilleuse des Alpes et de leurs glaciers apparaissant tout à coup éclatants dans un rayon lumineux ; le Jura, la Forêt-Noire, la plaine d’Alsace s’éclairant successivement ; pour eux, dis-je, rien de tout cela n’existait. Ils ne regardaient pas ! Le soleil seul les fascinait : c’est pour lui qu’ils étaient venus et non pour le panorama splendide qui se développait devant eux.

Ces adorateurs du soleil étaient toujours des montagnards Alsaciens.

Nos aïeux Gaulois étaient de fervents adeptes du culte du soleil ; ils avaient pour Belen – leur dieu soleil – la plus grande vénération. Plusieurs sommets vosgiens étaient consacrés à ce culte, et ce nom de Belch (en français devenu Ballon), qu’ils ont conservé, en est une preuve évidente.

Plus tard, pendant la période romaine, Belen se confondit, dans l’esprit des populations romanisées, avec Mithra, Belus, divinités syriennes, représentant aussi le soleil et apportées en Occident par les légionnaires de Septime-Sévère, qui venaient de faire un long séjour en Asie.

Quoique le Belen celtique eût une origine bien différente du Belus asiatique, la confusion fut telle qu’Ausone a pu doter le Belen gaulois des attributs du Belus oriental.

Quoiqu’il en soit, le Belen gaulois, le Belus syrien représentaient pour les populations gallo-romaines le culte du soleil, et les monuments où Mithra est identifié à l’astre du jour, abondent sur les frontières des provinces romaines d’Occident.

Quoi d’étonnant que la tradition ait conservé le souvenir de ce culte et que l’on trouve encore des personnes qui viennent assister – aux époques où, dans l’antiquité on célébrait les fêtes de « l’astre radieux » – au lever du soleil.

Dans les Vosges, on trouve encore dans les fêtes religieuses, dans les réjouissances publiques, des traces de ce culte du soleil, des restes de coutumes antiques, et c’est cette recherche qui sera le but de ce travail.

I

Il est certain que les principales fêtes chrétiennes se sont substituées à celles du paganisme, et que les dates de ces dernières s’imposaient, consacrées qu’elles étaient par des siècles de culte populaire.

Il y a quatre de ces dates qui, de tout temps ont été observées : les deux solstices, les deux équinoxes.

C’était le 25 Décembre, au solstice d’hiver, qu’avait lieu la grande fête du Dieu-Soleil.

Elle se célébrait au moment où le soleil, arrivé à son extrême limite de faiblesse, commençait à renaître.

Le Christianisme, devenu la religion victorieuse et universelle, plaça à cette même date la fête de la Nativité du Sauveur, de même qu’un général vainqueur établit son quartier général dans la place prise sur l’ennemi.

Il est hors de doute que, plus d’une fois, le culte nouveau dut subir des confusions entre ses fêtes et celles de l’ancienne religion. Accepter des concordances de dates, n’était-ce pas le seul moyen d’amener à soi la foule qui était loin d’avoir une conception bien nette de la religion nouvelle qu’elle venait d’accepter ? Si franche que soit une conversion, il était bien difficile, en effet, de faire disparaître subitement les traces d’une religion que l’on avait pratiquée de père en fils pendant des siècles.

Il fallut faire des concessions : « Retrancher tout à la fois dans ces esprits incultes, écrivait le pape Grégoire-le-Grand, est une entreprise impossible ; car, qui veut atteindre le faîte doit s’élever par degrés et non par élans ; gardez-vous de détruire les temples, détruisez seulement les idoles et remplacez-les par des reliques. »

Il est donc naturel d’admettre que l’Église dut subir des pratiques de dévotion populaire antérieures au Christianisme ; ce qui le prouve, ce sont les critiques de rigoristes auxquelles répondait saint Augustin dans un sermon :

« Nous solemnisons ce jour (Noël), non comme les infidèles à cause du soleil, mais à cause de Celui qui l’a fait. »

Noël, qui ressemble tant à Hoel, Héol qui, dans les dialectes celtiques, désignent le soleil, est l’aurore, la naissance du culte nouveau qui se lève sur le monde – soleil nouveau – pour l’éclairer ; comme, le 25 décembre, le soleil après de longs jours sombres, se lève plus brillant et occupe plus longtemps l’horizon.

M. Duruy explique que nombre de païens prenaient le Dieu des chrétiens pour le dieu-soleil ; ils les voyaient pratiquer un culte qui venait d’Orient comme celui de Mithra ; ils les voyaient prier en se tournant vers l’Orient ; il était dès lors tout naturel et surtout très habile de prendre la date, de substituer à la grande fête du soleil celle de Noël.

Plus tard, le clergé eut à lutter contre cette intrusion du paganisme dans la religion chrétienne ; il parvint après des siècles d’efforts, à transformer en « amusements » de ces pratiques auxquelles il ne pouvait donner une apparence religieuse. À la longue, les feux, les roues enflammées, les feschenotes, les brandons, etc., etc., devinrent des occasions de joie populaire qui revenaient à dates fixes, mais qui, dans l’esprit des populations, avaient perdu tout caractère religieux.

II

« Lorsque l’on faisait sa provision de bois, raconte M. Noël, la maîtresse de la maison mettait de côté la plus belle bûche que l’on appelait la souche, ou calendeau ou calende. La veille de Noël, le père de famille ou le maître, suivi de toute la famille, promenait cette souche en chantant des Noëls. On apportait la souche au foyer, et après l’avoir bénie et aspergée d’eau bénite, on allumait le feu et on ne quittait plus cette souche que pour aller à la messe de minuit, d’où l’on revenait, pour faire régalade de grillades. On ne se couchait que lorsque la souche était entièrement consumée. On croyait ainsi avoir brûlé toutes les iniquités passées. »

Ailleurs, on disait en plaçant la souche dans le feu : « Calende, viens, tout va bien, » et on la baptisait avec un verre de vin.

Il existe de ces Noëls en patois, il en est de ravissants :

Noué ! Noué ! Chantons teurtous Noué !
J’èvons un nouveau-né
En depaye di damné.
Noué ! Noué !
Quand Dei évit tout le monde baiti
Evou in pô de terre Adam creê,
Et pu dalet une cote en tiri
Dé léquelle Ève i’fit
Pou lou ben mérié.
Noué ! Noué ! etc.
Mâ pou les tèni en lè sujétion
En pérédis ou s’qu’i faihôt si bon.
S’lor b’eilli toute permission
Dè mingi pa rahon
Di frut d’in si bé may.
Noué ! Noué ! etc.
Il y avôt eune aibre deffendu,
Ève en mingi ; Adam lou goulu,
Y toucha ça : si bien que j’atins padiu
Si lou divin Jesu
N’avôt veni nous savé.
Noué ! Noué ! etc., etc.

Voici quelques passages d’un autre Noël d’une adorable naïveté :

Eune jeune baisselle
De boins parents,
Que fut toujou pucelle
En son viquant,
Dehan, in joû,
Ses patenates é sè chambe
Vit un ainge dehante
De le paï de noute Schegnou (Seigneur.)

On conçoit l’épouvante de la « jeune baisselle » (fille), en voyant un homme « dedans son cabinet, » elle en est « toute eschemondhie » (effrayée.)

Mais :

L’ainge pien de louquance
Fât compliment
Evou la révérence,
Mou himblement,
Déhant : boinjou,
Mère pieine de graice,
Dei qui veut en voûte race
Soye toujou èvoû vous.

Dieu, ajoute cet « ainge pien de louquance » (plein d’éloquence), a songé à elle

Pour li servi
De mère et que soyè pucelle,
Et en co lé pu belle
De tourtou lou peys.

Mais la pauvre fille est effrayée, elle ne veut point être mère et a promis à Dieu de mourir vierge :

Mais l’ainge li eschure
Que lou Saint-Esprit
En evôt pris les ahaires
Et entrepris l’effaire lé
Que jesma sur la terre,
L’affant n’èrot de père
Ce que moult l’é consolée.

La jeune fille finit par se rendre :

Val (voilà), dit-elle, lé demhalle (demoiselle)
Di Rô que vinret,
Je li sera toujou lealle (fidèle)
Tant que viquerai (vivrai),
Et tout astot
Jesu fût son entraie
En sé mère sacraie
Verge comme l’atôt…

Après le repas ou réveillon, que l’on appelait aussi recinon, il était d’usage dans certaines localités de détacher de la souche un morceau de charbon embrasé, que l’on suspend au plafond au moyen d’épingles attachées à une ficelle. Toute la famille se place autour et chacun se divertit à souffler de manière à l’envoyer au nez de son voisin. Ce jeu se prolonge jusqu’à ce que le charbon soit éteint ou tombé.

En se retirant, chacun emportait un tison ou quelques charbons provenant de la souche : on les plaçait sur le ciel du lit. Ces débris de la bûche de Noël jouissaient de la vertu de préserver de la foudre.

Nous verrons plus loin qu’au solstice d’été on allumait des feux dans les rues, sur les hauteurs, dans les champs ; ces feux, image du soleil, purifiaient l’air. À Noël, au solstice d’hiver, on ne pouvait les allumer en plein air, aussi l’allumait-on dans les maisons qu’ils purifiaient de toutes les iniquités de l’année ; en même temps, c’était un hommage rendu au soleil qui allait reprendre sa marche ascendante, pour obtenir de lui un nouveau cours favorable.

Ce charbon, ce tison, débris de la souche que l’on se partageait, avait le pouvoir de préserver d’un autre feu, celui du ciel : la foudre.

III

Pendant les douze jours qui suivent le 25 décembre, les jours n’augmentent, ni diminuent. Il semble que le soleil soit arrêté ; mais, au moment où il reprenait définitivement sa marche ascendante, il y avait fête dans l’antiquité : c’était le complément de celle du solstice d’hiver. La religion chrétienne a placé ce jour-là celle de l’Épiphanie, c’est-à-dire l’adoration du Christ par les Rois-Mages, par des prêtres du dieu-soleil !