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Voici la véritable histoire d'une mère de famille multipliant les contrats professionnels, tout en élevant ses enfants. Ce livre relate autant de réalités crues, que de situations rocambolesques, le tout saupoudré de réflexions existentielles. Une immersion totale dans la vie du monde du travail... et surtout un tas de conseils essaimés, avec humour et simplicité au fil de toutes ces expériences. Un ascenseur émotionnel à découvrir... Vous allez être spectateurs de vies en entreprise. Avec autant de vérités, j'ai finement analysé et converti ces cas, parfois extrêmes, en conseils. Les employeurs aux premières loges. Les jeunes entrant dans la vie active sont concernés. Donc, si vous n'avez connu qu'un seul employeur, si vous êtes curieux ou tout simplement inscrits à Pôle emploi, ce guide est fait pour vous. Pas de claquement de doigts ou de magie, il faut se battre.
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Seitenzahl: 498
Veröffentlichungsjahr: 2023
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À mon conjoint pour sa patience,
À mes aînés qui ont souffert de ces situations,
À mes loulous, pour l'innocence de leurs questionnements,
À mes merveilleuses anciennes collègues, aux collaborations trop éphémères.
Depuis toujours, les hommes ont toujours suivi le fil de leur vie au gré des saisons, des besoins de nourriture, des situations géographiques et des expériences passées. Une sédentarisation s’est effectuée en un lieu stratégique avec la connaissance d'un outil supplémentaire. Par la suite, l'homme a eu le pouvoir de créer son métier et de transmettre son savoir.
Chaque personne, du fait du génie de la génétique, acquiert une connaissance et l'enrichit de génération en génération pour une nouvelle utilisation.
Les savoirs partagés, les sciences développées, le service rendu toujours amélioré et le travail à profusion, autant de faits qui font qu'un jour, on se pose enfin, là où tout semble propice pour être à la fois heureux de vivre, continuer d'apprendre, transmettre et cerise sur le gâteau : gagner sa vie.
Car, pour avancer dans la vie, il faut un minimum d'argent.
On peut se vanter d'avoir une belle maison, une grosse voiture, un porte-monnaie bien rempli ou bien d'avoir serré la main d'une célébrité mais personne ne déclare fièrement : « j'ai effectué cinquante emplois. » Ça ne se dit pas.
Comme mon frère ou ma sœur, si vous n'avez connu qu'un seul employeur, si vous n'avez pas beaucoup d'expérience ou vous voulez savoir, par curiosité, pourquoi j'en suis arrivée à ce nombre record, je vous laisse découvrir mon parcours professionnel.
Rien ne me prédestinait à accomplir autant de postes. Mis à part peut-être le manque d'exemple parental, de diplôme, d'expérience et ce besoin permanent de bosser à tout prix. Mes premiers enfants me posaient parfois cette question pertinente : « Maman, tu travailles où cette semaine ? » Très juste, car j'ai toujours travaillé sans jamais rien lâcher, malgré les différents pièges et embûches.
Au fil de votre lecture, vous allez être immergés dans mes histoires au sein du monde du travail. Une véritable envie de vous faire partager mes expériences pour accéder au bonheur de travailler. Laissez-vous porter par mes aventures parsemées de remarques et astuces.
Je vous dédie ce livre, ce petit morceau de ma vie personnelle et familiale. Échantillon d'une poussière d'existence parmi des milliards d'hommes et de femmes travaillant sur notre planète.
Né en 1938, au sein d'une région viticole dans une famille de huit enfants, Claude, mon père, n'était jamais avare de détails sur son passé. C'est là que j'intervenais en mode interrogatoire.
— Tu sais ma maison, c'était au sol de la terre battue…
— Ah bon ! ont été les seuls mots qui ont pu sortir de ma bouche.
— La cheminée pour seul chauffage…
— Et les chambres ?
— Trois pour toute la famille. Nous, les enfants, nous dormions trois par lit, celui du milieu était couché dans l'autre sens !
— Beurk, les odeurs de pieds !
— On était tellement serrés, qu'on n'avait pas le temps d'avoir froid.
Ces pauvres pièces et la salle de vie principale résumaient la masure dans laquelle évoluait la cellule familiale. Son instituteur avait une pie qui parlait. Il est toujours fier aujourd'hui de nous montrer une rare photo en noir et blanc avec trois autres de ses frères et sœurs, la pie sur l'épaule de l'instituteur. Cet instit en blouse grise lui a tout donné. Sans lui, il n'aurait jamais eu les bases pour savoir écrire, l'apprentissage de la lecture et compter. De l'âge de six ans à quatorze ans, Claude a arpenté en sabots, les chemins de terre poussiéreux ou de boue par temps pluvieux pour se rendre à l'école. À l'époque, on arrêtait l'école comme cela, sans diplôme. Les études étaient réservées à ceux qui avaient les moyens de les payer, les notables ou les grands propriétaires terriens.
Aussitôt, le métier d'ouvrier agricole s'offrait à lui. Épais comme un fils de fer et 1,75 m de haut, Claude s'est musclé en travaillant la terre, en récoltant le foin, en arrachant les haies à coups de pioche, en taillant la vigne, en vendangeant, en pansant et en soignant les vaches et autres cochons. Son quatrième employeur était et restera son meilleur souvenir. Il est parti travailler dans une famille du vignoble dont la dame vit encore à ce jour. Une véritable chance pour lui. De la nourriture correcte à table, une instruction continue des bonnes manières et il s'occupait de la taille des vignes et de basses besognes. Au moment du service militaire, il revenait toujours dans sa famille d'attache. La pièce donnée lui permettait de rembourser son billet de train pour près de sept cents kilomètres à parcourir. « Tac et tac, tac et tac », il imite toujours ce bruit de train.
Robert Doisneau le célèbre photographe a dit : « Tout le monde travaille ou presque, mais je pense aux mouilleurs de chemise, à ceux qui sont près du feu ou qui vont au charbon, et à tous ceux qui se font posséder par l'orgueil de faire un métier dangereux. » De 1934 à 1939, il photographiait des mécaniciens chez Renault à Boulogne-Billancourt, des sidérurgistes, leurs conditions de travail au quotidien. Robert Doisneau immortalisait de nombreuses scènes de travail dans cette usine qui a été la première de ce style, de cette superficie et du travail à la chaîne, l'industrie à grande échelle.
Pendant la guerre d'Algérie (1954-1962), Claude a été sauvé par le premier régiment étranger de parachutistes – 1er REP de la Légion étrangère. De retour en France, il reprenait le cours de sa vie là où il l'avait arrêtée. Dans ses vignes où il resterait jusqu'à ses vingt-huit ans.
À partir de là tout a bougé. Il a décidé de faire une formation en plomberie-zinguerie dans une commune située à cent six kilomètres à vol d'oiseau de sa commune natale. Une révolution et une véritable galère. Exit les sabots de bois. Le transport, le logement, la nourriture et il fallait en plus, étudier. Neuf mois plus tard, le diplôme en poche et c'était déjà mai 1968. Mais Claude était un bosseur. Son cinquième employeur sera son premier dans la profession de plombier-chauffagiste.
D'un autre côté, Marie, ma mère, était l'aînée d'une famille de six enfants. Son père était maçon et sa mère, femme au foyer. À partir de six ans, elle allait à l'école à vélo. Toujours mal à l'aise avec les engins à deux roues, elle avait une peur bleue sur ce vélo. La roue a été l'invention majeure de l'homme, trois mille cinq cents ans avant notre ère. Un adulte censé aurait pu lui expliquer, cela l'aurait peut-être rassurée !
— Tu vois, c'est l'exemple même de l'apprentissage, tomber, se remettre en selle, tomber et recommencer…
— Oui, la lecture c'est pareil…
— Tu connais la prononciation des lettres, des syllabes et les règles de liaisons …
— Je recommence jusqu'à ce que j'y arrive !
Les filles de son âge le savaient bien. Pluie, vent, grêle, aller à l'école à vélo. Elles en profitaient pour lui faire des frayeurs. Des collants rouges quand la mode était au vert, des chaussures trop petites alors qu'elle grandissait rapidement et des vêtements rapiécés. La messe à jeun le dimanche et les évanouissements en plein milieu de l'homélie n'étaient pas rares. De retour à la maison, chétive et maigrichonne, elle était le souffre-douleur de ses premiers frères et sœurs. Entre les coups de pieds, les corvées d'eau, de linge ou d'épluchage plus difficiles que celles des autres, elle devait se taire.
Mes grands-parents ne partaient jamais en vacances. Le calvaire de la rentrée était pour elle de répondre à une question existentielle posée par l’instituteur. Où avez-vous passé vos vacances ? Elle a toujours cru que c’était par curiosité. Mais en fait et depuis toujours, il s’agissait de vérifier ou de contrôler le vocabulaire. Que les enfants s'expriment sur leur été familial. Alors que les autres avaient fait des cures à Vichy, elle inventait des histoires. Ses notes sur dix, à l’époque, passaient rarement la barre de deux pour cet exercice littéraire !
Désormais, sa mère avait trouvé sa vocation : garder les enfants des autres à domicile, plus communément nommée assistante maternelle. Marie aimait l'école mais à l'âge de quatorze ans, il fallait travailler pour redonner le gain de son salaire à ses parents. Passer un diplôme supplémentaire coûte de l'argent et apprendre une langue étrangère dans une famille ouvrière était inconcevable. Deux jours après la fin des cours obligatoires, elle était chez un vendeur d'appareils ménagers afin de passer un CAP d'employée de bureau en trois années d'apprentissage.
Une semaine par mois, Marie prenait le bus pour rejoindre l'école se situant à la préfecture, pas beaucoup de cours mais énormément de travail physique. On lui a souvent reproché de ne pas rapporter assez de sous à la famille ! À la boutique, elle assurait la réception du magasin, bougeait les bouteilles de gaz de treize kilogrammes mais aussi un peu de travail administratif parmi le nettoyage des vitrines et le ménage. L'histoire se répétera une génération plus tard… Fraîchement diplômée, elle est restée dans la même société avec l'ensemble de son travail en rapport ou pas avec ses connaissances.
Toujours très attaché à ses racines agricoles, Claude ne manquait pour rien au monde la foire annuelle régionale, pour laquelle des lettres datant de Louis XIV ont été retrouvées. Une attraction déclarée officielle depuis l'année 1852. Celle qui montre tous les engins agricoles, les commerciaux ayant la plus grosse voix, la plus grande verve pour faire avaler toutes les couleuvres aux mères de familles médusées par le nouvel objet si pratique qu'il faut absolument avoir à la maison.
L'année de ses trente ans, Claude rencontre Marie. Grande perche d'un mètre soixante-dix-huit, cheveux longs châtains et yeux gris. Elle regardait les vendeurs, déambulait dans l'herbe tout en essayant de ne pas tomber dans les nids-de-poule du terrain un peu cabossé par les chevaux et autres vaches ayant arpenté le terrain dans la matinée. Sur le coup, Marie n'a pas remarqué Claude mais ce dernier a eu le coup de foudre.
À ses vingt ans, les employeurs de Marie ont ouvert une succursale dans la grande ville à vingt minutes de leur première. Elle a assuré seule la gestion de la boutique. C'était l'année du mariage de mes parents. En bus ou en covoiturage avec les ouvriers, elle se levait très tôt le matin.
Mes premières heures dans le ventre de ma mère annonçaient déjà des moments difficiles sur terre. Au début de la grossesse, malade et ne tenant plus debout, Marie était allongée, clouée au lit. Sa patronne regardait par le trou de la boîte aux lettres pour voir si elle était réellement à domicile. Cette employeuse a même téléphoné à la Sécurité sociale pour demander le passage d'un contrôleur chez mes parents afin d'avoir des nouvelles sur la santé de Marie. C'est alors que l'inspecteur, pourtant tenu au secret professionnel, lui a annoncé la grossesse de ma mère. Neuf mois après leur mariage, j'ai pointé le bout de mon nez en hurlant et en ne voulant pas dormir la nuit. Après l'accouchement, les négligences médicales ont eu raison de sa santé et Marie a démissionné à mes six mois. Une opération chirurgicale était nécessaire pour enlever les compresses oubliées dans l'utérus de maman !
Constat 1 : la santé prime sur le travail.
Claude a trouvé un nouveau travail un petit peu plus loin, mieux rémunéré et, après recherches, ils se sont installés dans une autre petite maison en location, sans boîtes aux lettres avec une vue directe sur leur pièce de vie ! Et il y aura deux autres déménagements, deux autres employeurs et deux autres enfants, Sandrine et Éric. Autant que je m'en souvienne, le travail de papa était capital pour les rentrées d'argent. Sans salaire pas de nourriture, pas de voiture, ni vêtements, ni chaussures correctes. Les sabots étaient désormais relégués à une autre vie !
Tout au long de notre enfance, le rituel du début du mois de septembre était d'aller à cette foire dont on a appris plus tard le secret de la rencontre de nos parents. Maman savait qu'il fallait nous acheter des pantalons, manteaux et autres vêtements ainsi que des cartables pour effectuer notre rentrée scolaire dans de bonnes conditions. Bien que les revenus des parents soient très précaires, elle a toujours veillé à ce que nous soyons bien habillés et chaussés. Elle avait beaucoup trop souffert des sabots et des vêtements hors du temps. Se faire moquer de soi à l'école cela n'a rien de drôle et pourtant c'est bien pire aujourd'hui avec tous les harcèlements subis par les autres élèves via les réseaux prétendument sociaux !
Comme beaucoup d'autres habitants de la commune, à sa petite échelle, ma grand-mère contribuait à des tâches bénévoles. Le secret des animations ou autres spectacles qui durent dans le temps c'est le bénévolat. Ce week-end précis, il fallait prévoir une bouteille de gaz neuve pour ne pas tomber en panne. Elle faisait des crêpes, des tas de crêpes. Dès qu'elles étaient prêtes, mon grand-père, une de mes tantes ou encore Marie, descendait en voiture un gros paquet de crêpes enveloppées dans une feuille de papier en aluminium. Elles étaient ensuite vendues sur le stand parmi les commerçants pour rapporter une petite cagnotte à son association. Cette fête se terminait toujours par un magnifique feu d'artifice, le seul qui nous était permis de voir très tard sans aller se coucher comme les poules.
Incontestablement, certains achats étaient nécessaires mais Marie ne manquait pas de faire de la couture. Loin des tutos de nos jours, elle avait suivi des cours pour apprendre les bases. Elle ne se souvient plus du coût de sa première machine à coudre mais elle avait avalé la facture de travers. Nos premiers manteaux vert et jaune, les couleurs de l'époque, avaient été confectionnés par ses soins.
L'année 1972 restera celle des changements. Je n'ai eu que des couches en tissu que maman lavait inlassablement. Les premières couches à jeter sont apparues en même temps que Sandrine. De même que laver son linge à la machine était une véritable révolution. Leur première machine à laver – une Philips EA 3559 – avait coûté presque l'équivalent d'un demi-salaire mensuel paternel. Elle avait été achetée chez son ancien employeur et durerait vingt-neuf ans. À chaque mariage d'un de mes oncles ou tantes, maman confectionnait des robes. Une photo souvenir de nous cinq, les filles avec nos robes noires à volants, imprimées de minuscules fleurs blanches, longues jusqu'aux chevilles bordées de bolduc à dentelle. Un mariage avec les invités en noir, c'étaient les tendances des années quatre-vingt. Cela n'a pas empêché mon frère de se marier, la robe noire de madame faisait ressortir sa chevelure blonde !
Les déménagements successifs ont été guidés par les situations géographiques des employeurs de mon père. Il est passé par l'âge du cuivre, à celui du plastique pour finir au zinc. Acquérir des aptitudes supplémentaires, des nouvelles expériences, changer d'employeur, mon père était devenu zingueur.
Malgré moi, j'ai fait subir la même chose à mes enfants. Subir et non imposer car effectivement, lorsqu'on est enfant, il est difficile de quitter ses amis et copines de cours d'école et sa chambre. Les souvenirs s'estompent peu à peu mais certains restent et subsistent, parfois une situation dans notre quotidien nous les fait remémorer. C'est comme une vague qui ravine la plage de galets avec une force incroyable qui monte du ventre par picotements jusqu'au cœur. Mais en fait, il s'agit juste d'un fragment de notre mémoire épisodique révélé par une odeur, une musique ou un contexte ressemblant à un instant identique vécu dans notre enfance et revenant à la surface de notre mémoire. Comme une petite goutte d'huile nageant lentement vers la surface de l'eau ou encore les bulles remontant le long de la paroi de la bouteille de Perrier, publicité remise à jour à la télévision en 2017, après une première apparition en 1990 avec le lion qui rugit !
Au troisième déménagement, Marie a eu pour habitude, une fois ses filles entre les mains des maîtresses, de livrer l'hebdomadaire « Chez nous » à leurs abonnés. Éric, alors âgé de quelques mois, était déposé au bout de l'impasse, chez le petit pépé aux sabots, de quatre-vingt-quatorze ans. Plus tard, elle a livré Picsou que tout le monde connaît. Puis elle a proposé d'autres abonnements comme des livres de cuisine comportant mille cinq cents recettes. Ce petit plus qu'elle a fait à deux roues pendant près de trois années lui payait son pain et la viande. Les jours de pluie, elle attendait que papa rentre du travail. À son tour, il prenait le vélo, la remplaçait et maman gardait les enfants.
Ces revues étaient déposées dans les boîtes aux lettres. De nos jours, ce sont les spams que nous recevons malgré toutes nos précautions pour faire en sorte que notre courriel ne soit pas diffusé partout à des fins publicitaires. Bref, elle travaillait toujours en journée pendant que nous étions à l'école.
Des petites anecdotes, elle en avait toujours à raconter. La plus marquante était la fois où elle avait repéré une maison dont le portail du garage était grand ouvert. En lieu et place de la voiture, une famille complète était autour d'une immense table. Tellement nombreux qu'ils étaient tous de corvée de patates pour l'épluchage de ses tubercules chers à Monsieur Parmentier ! « Mais le dimanche, pour tout dessert, nous mangerons des pommes de terre. »
Coïncidence, mon ex-belle-mère a eu dix-huit enfants. Ils avaient ainsi droit aux corvées d'épluchage et de taillage de légumes. Dans l'immeuble où ils vivaient, à l'étage du dessous, il y avait une autre famille avec seize enfants. Quand l'aide aux tâches familiales était terminée, les enfants pouvaient descendre dans la cour qui donnait face aux fenêtres des HLM sous les yeux attentifs de leurs mères respectives. Cela faisait deux véritables équipes de football rien qu'avec deux familles !
Quand nous réalisions nos leçons, notre père disait toujours qu'il ne comprenait rien aux mathématiques modernes. Avec mon frère, nous adorions l'algèbre avec ses équations, la géométrie et ses théorèmes de Pythagore et Thalès. Comment ne pas ignorer les connaissances de notre père et ses facultés à calculer, imaginer les toitures en trois dimensions, anticiper tel ou tel retour des angles ?
En 1979, mes parents ont fait construire dans une petite commune de six cent cinquante habitants. Le but recherché était le calme, la proximité du travail et le grand terrain pour récolter les fruits et légumes. Claude a passé plusieurs week-ends entiers à faire l'aménagement de tout le sous-sol : l'atelier, la buanderie, la salle de jeux et la cave. Dans cette dernière, on a collé des coques vides sur les murs, vous savez les petits coquillages au délicat goût de noisette. Sans oublier son premier métier, il a également réalisé la plomberie et l'évier dans le garage… Le calme, on ne pouvait pas rêver mieux. Le lotissement était le dernier de la commune, situé sur les hauteurs et composé de six maisons individuelles avec treize enfants au total dont j'étais la plus âgée. C'était une impasse avec une montée assez raide, rares étaient ceux qui la montaient à vélo.
Avec un panel divers de métiers, le voisin d'en face avait fait le choix d'arrêter de travailler à l'usine de chaussures pour se lancer dans la vente ambulante de vêtements pour toute la famille, un « Clothes Truck » pour les anglophiles. Sa femme travaillait à domicile toujours dans la chaussure. Du travail manuel nécessitant fil de cuir et aiguilles adaptées ou laçages des chaussures avant la mise en boîte avec la feuille blanche ou colorée extra fine recouvrant nos chaussures neuves. Elle comptait scrupuleusement les heures à ne pas dépasser pour pouvoir à la fois toucher son salaire et son indemnité de l'ANPE – actuellement Pôle emploi. Une de leur fille était, aux dernières nouvelles, à l'accueil d'une agence locale de Pôle emploi !
Un autre couple du lotissement avait des enfants avec exactement le même âge que le nôtre. Pas d'affinités particulières. Des bonjours cordiaux entre nos parents. Voisins certes, mais nous ne cheminions jamais ensemble pour se rendre à l'école.
La plus grande et la plus belle maison du lotissement surplombait toutes les autres. Un immense parterre de magnifiques fleurs et des arbustes d'ornement accueillaient les visiteurs. Lui était ascensoriste et avait pour loisir entre autres, la course à pied le week-end. Sa femme travaillait dans une caisse de retraite. Mis à part l'été où ils partaient ensemble, les parents prenaient régulièrement l'avion pour leurs vacances, en couple uniquement. Leurs enfants étaient gardés par leur mamie habitant le bourg. La confiance étant, maman qui faisait toujours ses comptes sur un petit carnet à carreaux, a fini par faire quelques heures de ménage pour ce couple. Lors de relais sportifs récurrents, le voisin sollicitait mon père, l'union entre la course à pied pour le voisin et le vélo paternel pour des petits challenges locaux.
Nos proches voisins en remontant l'impasse, étaient les moins agréables. Comme notre maison, ils avaient un sous-sol complet et les pièces de vie à l'étage. Le couple le plus jeune du lotissement mais aussi les moins souriants, des fumeurs invétérés et des buveurs d'alcool bruyants. Fille de l'ancienne maire de la commune, elle travaillait à l'usine et son mari, le plus lent que j'aie jamais connu était ouvrier en tôlerie carrosserie.
À toutes les générations, les enfants trouvent toujours des trucs rigolos ou des surnoms aux personnes atypiques. Avec Sandrine et Éric, on avait un code quand on parlait de lui : « Énydarpus ». C'est l'envers d'une marque de vitamines dont la publicité passait à la télévision en 1980. Dix ans plus tard, on se souvient même des jeunes dormant sous la tente et faisant un chahut du tonnerre. La chambre de nos parents donnait directement sur leur pelouse. Plusieurs fois par nuit, l'été, ils se sont levés pour essayer d'avoir du calme et enfin dormir. Fermer la porte de la salle de bains était donc le dernier rituel avant de se coucher le soir. Car la peinture laquée blanche reflétait la lumière sur celle de la chambre d’Éric.
Le réveil des parents était plutôt matinal. La devise de la famille Martinau a toujours été : le monde appartient à ceux qui se lèvent tôt. Claude n'allait pas jusqu'à mettre en marche le motoculteur dès neuf heures du matin, de surcroît le dimanche. On ne voulait quand même pas déclarer la guerre dans le lotissement quand les zips des toiles de tente émettaient leur bruit caractéristique vers onze heures trente. À cette heure-ci, Marie avait déjà fini de préparer le repas du midi.
Cette nouvelle commune nous a accueillis bras ouverts. Aussi bien à l'école que dans les associations ou dans les quelques commerces épars qu'étaient la boulangerie et la supérette. La Poste et une autre banque tenaient à tour de rôle, une permanence hebdomadaire dans un utilitaire aménagé. Cela ne se fait plus, pas « sécure ». Village rural qui nous fournissait le lait de vache en direct et maman nous préparait son délice de riz au lait.
Polie et souriante, Marie est apparue dans ce village comme une personne sérieuse, ce qui est toujours vrai. Élégante, très souvent habillée en jupe, elle se tenait relativement droite. Un jour, une personne l'a abordée dans la rue.
— Madame Martinau ?
— Oui, bonjour – Marie a ajusté son gros pain sous le bras gauche pour serrer la main.
— Bonjour, je suis présidente de l'association de la cantine. Vous êtes nouvelle dans la commune ?
— Oui, c'est vrai.
— J'avais une demande à vous faire…
— Oui ?
— Est-ce qu'un travail à la cantine pourrait vous plaire ?
— Pourquoi pas ! – réponse sans trop d'hésitation et calcul vite fait.
— Quelques heures par semaine seulement…
Les parents n'allaient pas cracher dessus. Au début, c'était l'élaboration des menus avec des cohérences nécessaires dans l'équilibre, la cuisine avec la gestion de l'approvisionnement et des déchets, le service du midi aux instituteurs et aux quelques élèves de primaire, ainsi que la vaisselle, l'hygiène et le rangement. Petit à petit, le volume d'heures s'est étoffé pour lui permettre de surcroît le choix des fournisseurs, le suivi des dépenses et le détail des comptes à présenter tous les mois à la présidente. À cette date, la salle à manger était un « no children's land », faisant référence à « no man's land » expression datant de la Première Guerre mondiale signifiant l'absence d'homme entre les deux tranchées ennemies. Tel a été son quotidien pendant plus de quinze années.
À l'époque, il n'y avait pas de déchetterie ou de centre de tri communal avec les déchets verts, la benne à métaux ou à cartons… On allait tous jeter nos encombrants et déchets verts au dépotoir communal, même si nous avions le composteur maison au fond du jardin pour les épluchures de fruits et légumes, comme maintenant d'ailleurs.
Claude prenait soin d'avoir les yeux un peu partout. Il récupérait et réparait pour nous mais également pour son porte-monnaie. Grand soin pris pour nos appareils ménagers, il avait vraiment un don pour désosser et remettre en état avec trois fois rien.
Habiter au calme c'est bien, mais pour faire les courses pendant que papa travaille ce n'est pas facile. De fil en aiguille, une deuxième voiture s'est avérée nécessaire. Mon père avait trouvé l'argent de la voiture avec ses récupérations. Après avoir payé le pain à la boulangerie, Marie déposait régulièrement le surplus sur le livret bleu qui rapportait beaucoup plus que maintenant.
La petite supérette du bourg ne faisait que du dépannage. Il fallait bien aller au supermarché pour remplir un chariot de briques de lait, de yaourts, de fromages et de viande. À la boulangerie, nous achetions un jour sur deux un pain de trois, l'équivalent en grammes de trois pains. La grande ville offrait tout, la banque, l'école, la grande surface et le cinéma. En 1981, ma mère a décidé de nous y emmener.
— Les enfants, nous allons au cinéma !
— C'est vrai ?
— Oui.
— Nous allons voir quoi ?
— Rox et Rouky.
— Ah chouette !
— C'est un film de Walt Disney !
Cela restera notre seul film vu tous ensemble.
Outre son talent pour les comptes, Marie est douée pour embellir de couleurs le tour de notre maison sur sous-sol complet. Quelques marches montées et on se retrouvait devant la porte d'entrée massive, sur le côté c'était le garage semi-enterré. La pente étant importante, Claude n'avait pas eu d'autre choix que de mettre des cailloux plus ou moins gros pour faire un parterre de fleurs à étages devant notre salle à manger. Maman pouvait bouger en sécurité, naviguer sans besoin d'escabeau et arrangeait sa rocaille au mieux entre plantes couvrantes, annuelles ou saisonnières. Toutes les couleurs étaient présentes, les parfums également. Les habituelles comme le rouge, rose, orange et jaune mais aussi les plus inattendues comme les bleu, violet et autres bordeaux.
Plusieurs années de suite, Marie a été fière de remporter le prix de la maison la plus fleurie. Sans prétention et en toute simplicité. L'album photo témoigne encore de ce magnifique parterre de fleurs. Devant le muret, les trois enfants posaient. Éric avec un pull sans manches, col en V, tricoté à la main, Sandrine avec sa coupe de cheveux à la Mireille Mathieu et moi toujours avec un pantalon feu de plancher cousu par les soins maternels. Une comparaison de pousse entre ses fleurs et ses enfants !
Petit à petit, le travail arrivait seul. Mais cette commune avait une drôle de manière de fêter son 1er mai. Quand il s'agissait de concours de belote ou de fête des écoles tout le monde est au courant et cela fait grand bruit mais concernant la fête du Travail c'était très sournois. Dans la matinée du jeudi 1er mai 1980, toujours à s'occuper de son potager, papa est rentré à la maison tout énervé.
— On m'a volé ma remorque !
— Comment ça volée ? Maman était stupéfaite.
— Oui, piquée, envolée, subtilisée, volée quoi !
— La barrière était fermée hier soir ?
— Oui, comme d'habitude.
— Je fais le tour de la maison…
Après quelques minutes de recherches, les parents ont fait le tour de la maison et se sont rencontrés là où aurait dû se trouver la remorque. Rien. Nous les observions, sans mot dire.
— En dehors de ta remorque, j'ai remarqué aussi la disparition de pots de fleurs initialement posés sur le mur.
— Ah ça, c'est fort !
Puis, bizarrement, des voisins remontaient du bourg avec leur pain sous le bras ainsi que des seaux et des pelles.
— Bonjour, désolé pour la poignée de main mais nous sommes chargés… a annoncé le voisin.
— Ce sont vos outils ? Papa avait une idée en tête.
— Oui, on les a retrouvés.
— Et vous les avez retrouvés où ?
— Sur la place de l'église pardi !
— On nous a volé notre remorque…
— Et des pots de fleurs, ajouta Marie se greffant à la conversation.
— Pour sûr, vous allez les retrouver sur la place de l'église.
— Et en quel honneur ?
— Ah, ce ne sont que des jeunes…
— Des jeunes qui sont quand même rentrés par effraction.
— Il ne faut pas leur en vouloir. Ici c'est la tradition du 1er mai. Des jeunes ou des moins jeunes d'ailleurs, rassemblent la veille et durant la nuit, tous les outils ou objets symbolisant le travail de chacun. Ces derniers, plus ou moins gros, se retrouvent toujours à portée de mains.
— Mais force de constater que ces petits voleurs s'aventurent partout même à l'intérieur des propriétés privées…
— Ce n'est pas contre vous mais ils font cela pour tous et dans toute la commune. Tous les ans, on tâche de ramasser tout ce qui traîne mais ils arrivent toujours à récupérer quelques outils. Si j'étais vous, je ne tarderais pas à aller chercher vos biens.
— Merci pour l'info.
— Bon 1er mai quand même !
Illico presto, mes parents sont descendus en Peugeot 205 dotée de l'attelage pour rapporter tout en même temps dans la remorque. Une fois, sur la place, ils ont constaté tout ce qui avait été ramassé par les jeunes. Un véritable fouillis, un capharnaüm composé de balais, pots de fleurs, tuyaux d'arrosage, pelles et autres seaux gisant. Joyeux mélange au thème unique. Claude a enfin retrouvé sa remorque mais attachée à une autre voiture.
— Ah, ma remorque !
— Mais elle est fixée derrière une autre Peugeot !
Claude, penché, avait usé de sa poigne pour essayer d'extirper l'attelage de sa remorque. En vain. De l'aide était nécessaire.
— Impossible de l'enlever.
Il a interpellé une autre personne un peu perdue parmi tous les objets.
— Excusez-moi, savez-vous à qui appartient cette voiture ?
— Cela doit être au voisin du café, là-bas à gauche…
Le passant cherchant pareillement ses biens, montrait du doigt l'autre côté de la rue principale.
— Je vais frapper, a dit Marie, résignée.
Maman était sûre d'avoir réveillé le propriétaire du véhicule. Cheveux en pétard et veste de survêtement mal posée sur ses épaules… Après avoir expliqué que mon père voulait récupérer sa remorque, ils ont traversé la rue, et, à leurs deux forces unies, ils ont tiré et enfin réussi à les séparer.
— Tu peux être sûre que l'année prochaine, ils ne m'y reprendront pas !
À partir des années suivantes, il montait la garde tard le soir pour ne pas avoir à subir ces nouveaux désagréments. Malgré toutes ses précautions, certains petits malins réussissaient à dérober quelques outils épars au moment opportun. Tombant de fatigue, Papa partait se coucher las de faire le guet ! Depuis, le Maire de la commune n'a pas eu son renouvellement de mandat et le nouveau avait averti tous les habitants que de réelles représailles allaient être appliquées si de tels agissements perduraient. Au même moment, c'est François Mitterrand qui a créé le Ministère du Temps Libre qui n’aura eu le mérite d’exister que deux années et il n'y en a jamais eu d'autre.
Mon père avait trouvé l'employeur idéal lui confiant des responsabilités. En qualité de chef d'équipe, il adorait s'occuper des apprentis en couverture. Toujours avec une touche d'humour, il les envoyait parfois chercher auprès de ses autres collègues des outils complètement improbables.
— Ah mais là, il va me falloir le marteau à bomber le verre !
Et l'apprenti allait demander aux autres.
— Claude a besoin du marteau à bomber le verre…
— Va demander à Pierre, je pense qu'il en a un !
— Pierre, Claude a besoin du marteau à bomber le verre…
— Mais mon pauvre, cela n'existe pas.
— Hein !
— C'est pour te faire marcher !
Ah pour sûr, il avait arpenté l'atelier pendant quelques minutes… Parfois, Claude demandait à un nouvel apprenti la lime à épaissir ! C'était mignon et rien à voir avec les bizutages de nos jours dans les grandes écoles prestigieuses.
Avec sérieux cette fois-ci, Claude a toujours aimé transmettre la passion de son métier aux jeunes de passage dans son entreprise. Il savait tout de suite s'ils étaient doués et si leur carrière se poursuivrait dans ce même métier. Former les jeunes ayant envie d'apprendre un métier, quelle belle responsabilité que d'être maître de stage. C'est plus facile de voir le travail avancer au fur et à mesure, de copier et d'enregistrer les bons gestes. La création prend forme. Plus valorisant et concret que de rester en classe, les fesses rivées sur une chaise. Mais en fin de carrière, brisé par le métier physique, pour rien au monde il n'aurait voulu qu’Éric fasse le même métier que lui.
Couvreur-zingueur est toujours resté le dernier métier de mon père jusqu'à sa retraite. Je n'ai plus l'occasion de me promener avec lui en voiture. Afin d'optimiser les trajets, nous partions à la ville tous les quatre. Papa laissait ma sœur et mon frère au collège et moi au lycée puis se rendait à son travail. Bien sûr, nous arrivions tôt mais on en profitait pour réviser ou papoter avec nos copains. Ainsi, on économisait le tarif exorbitant du transport scolaire, dépourvu de subvention régionale.
Le privilège d'arriver hyper tôt, de voir les rues s'éveiller et tout le monde s'agiter, c'est génial. De la plus grande avenue à la plus petite ruelle, nos nez tournés vers les toits pour admirer le travail paternel. La fierté de nous montrer l'une de ses propres réalisations ou celles de ses collègues.
— Ici, c'est une couverture en zinc, ce n'était pas facile d'accès mais une fois installés là-haut, le travail devait se faire, a-t-il commenté-il tout en conduisant la 205.
— Waouh, mais c'est haut !
Éric avait les yeux rivés vers le ciel. Tous ces toits bleus pour les quartiers ardoisés et orangés pour les tuiles…
— Banane, le métier de papa c'est couvreur donc il monte sur les toits !
— Il ne fallait pas oublier d'aller aux toilettes avant !
J'ai toujours aimé la petite touche d'humour paternelle.
D'en bas, on ne voyait pas les petits détails mais l'œuvre minutieuse est calculée au sol, à l'atelier, comme on disait à l'époque. Aujourd'hui, on dit au taf, à la boîte, expressions péjoratives par rapport au mot atelier qui fait professionnel et donne envie de fabriquer et créer. Un vrai métier d'artiste.
Après la classe, alors que la plupart rentraient chez eux pour le goûter et les leçons en famille, nous rejoignions à pied la boîte de notre père. Aux côtés de sa « patronne », nos devoirs scolaires étaient réalisés dans un petit coin du bureau. Elle faisait le secrétariat et la comptabilité. Nous réalisions nos leçons à tour de rôle sur une petite table aménagée. Le silence était requis, de surcroît quand le téléphone sonnait. Si l'un d'entre nous avait fini ses devoirs, on pouvait observer le travail des zingueurs avec leurs plieuses, couteaux spécifiques et autres acides, distances de sécurité appliquées bien entendu.
Les couleurs des tuiles, des ardoises, les odeurs des divers matériaux… En ma qualité d’assistante de programmes pour une société anonyme d'habitations à loyers modérés, je n'ai jamais quitté le bâtiment et la construction. Pour départ à la retraite du gérant et non reprise de son activité, cet employeur licenciera mon père neuf années plus tard.
Une fois adulte, par deux fois, j'ai été voir et remercier le premier professeur de mathématiques que j'ai eu en sixième et cinquième. Un vif remerciement pour sa réussite dans la transmission de sa passion envers ses élèves pour sa matière de prédilection. C'était facile de le trouver, puisque sa femme tenait un bureau de tabac à l'entrée de la ville d'à côté.
— Bonjour, je suis Aline Martinau et j'étais élève de votre mari au collège…
— Ne bougez pas, il est présent, je vous l'appelle.
Son mari, mon prof s'est pointé derrière le comptoir.
— Bonjour Aline, je te reconnais bien.
— Je vous remercie pour vos cours de maths.
— C'est mon métier, tu n'as pas à me remercier.
— Non c'est normal, vous m'avez transmis votre passion et cela m'a permis d'avancer…
Il est vrai que j'avais testé l'ambiance de la ville avant ma sœur et mon frère puisque ces deux dernières années de collège étaient dans la même commune que le travail de papa. Force était de constater que l'enseignement donné y était complètement différent. Déjà, je n'avais plus l'étiquette de nulle en français, mais celle d'une élève pouvant approfondir ses connaissances. Un changement radical de leur manière de voir les choses ou de considérer les élèves.
Nous avions eu le même professeur de maths en quatrième et en troisième. Pendant les cours, il avait toujours pour habitude de nous appeler par nos noms de famille respectifs. À notre dernier cours, nous l'avons vivement complimenté à notre manière. Collectivement et assurément, nous avons tous écrit une feuille de remerciements pleine de gentillesses, signée de l'ensemble de nos prénoms. Sous une salve d'applaudissements, nous lui avons remis en main propre en fin de cours, il était ému. Ce n'est pas tous les jours que tout à chacun recevons des compliments dans le cadre de notre travail. Il y a des professeurs que l'on n'oublie jamais, dans le positif comme le négatif d'ailleurs.
À l'âge de quarante-sept ans, retrouver un employeur ce n'est pas facile pour un père de famille. Concours de circonstance, je me rends compte aujourd'hui que j'en étais au même stade, il y a quelques mois.
Les couvreurs, on en cherche tous les jours. C'est tellement rare qu'ils peuvent négocier leur salaire et choisir leurs conditions de travail. Un métier très physique que l'on exerce dehors par pluie, vent et grêle. Les risques du métier ne sont pas anodins. Ne pas avoir le vertige ou savoir faire les calculs de cosinus n’est pas suffisant pour s'avouer couvreur ! Lors d'un précédent travail, Gabriel, un collègue couvreur devenu conducteur de travaux, courait sur les toitures devant les clients. Deux manières de penser : « il est trop fou, il va finir par se tuer » ou bien « son audace me plaît, son devis intéressant, je le choisis. »
On a tous au fond de sa trousse un crayon cassé, un tee-shirt préféré presque transparent ou un slip légèrement troué auquel on tient. Le dernier employeur de Claude avait une échelle plate ne servant que pour certaines toitures en ardoises sans trop de dénivelé. Un collègue de mon père faisait toujours le malin. Tous l'appelaient le « mariole ». Un jour, ce rigolo a pris cette échelle et s'en est servi pour un autre usage. Il est mort.
Les uns après les autres, tous sont passés au Tribunal pour témoigner de la légèreté de ses actes et de son inconscience quotidienne. Mais le juge a décidé que l'employeur était fautif et qu'il aurait dû jeter cette échelle. On ne rigole pas avec la sécurité de son personnel. Les casques doivent être aux normes et révisés tous les deux ans en fonction de leur matière, les harnais tous les ans et les matériels cassés, pas de chichi, direction poubelle ou la benne si vous préférez. L'avocat de la famille avait requis un versement d'indemnités allant jusqu'aux petits-enfants du défunt couvreur seulement le verdict n'a requis aucune amende. Une somme privant de primes les autres ouvriers pendant plus de trois années.
Obligation 2 : l’employeur protège ses salariés.
Tous les équipements de protections individuelles (EPI) doivent être fournis par les employeurs à leurs salariés. Ils peuvent être condamnés pour homicide involontaire par violation manifeste d'une obligation de sécurité. Malgré ses dangers permanents et ses soucis d'intempéries, mon père aimait son métier de couvreur. C'était sa fierté.
Lui aussi avait ses petites histoires à raconter. Avant d'atteindre le toit, il faut rentrer chez les clients. Le pire, c'était la fois où en ouvrant la porte de la maison, une odeur suffocante l'a pris à la gorge…
— Madame, nous sommes les couvreurs, a-t-il dit en essayant de ne pas trop montrer de gêne.
— Bonjour, pour la fuite c'est par ici, seulement… (son regard insista sur les pieds des deux ouvriers) Messieurs, afin de monter dans les étages, je vous demanderais de bien vouloir enlever vos chaussures, s'il vous plaît !
L'odeur insoutenable, c'était de l'urine de chat. Plus de cinquante chats vivaient dans la maison ! La propriétaire devait avoir des problèmes de végétations ou le nez enrhumé en permanence pour ne pas sentir de l'odeur dans laquelle elle vivait au quotidien.
— Je ne vais quand même pas mettre des excréments sur mes chaussettes propres, je garde mes brodequins ! a susurré le collègue de mon père à son oreille.
— Madame, nos chaussures de travail nous assurent la sécurité et nous vous promettons la plus grande attention.
Claude, en sa qualité de chef d'équipe, a pris le plus grand soin à la rassurer. Ils ont fait de leur mieux afin d'essuyer doublement leurs pieds sur le paillasson. Dans l'immédiat, l'accès au toit était leur vœu le plus cher, rester dans la maison devenant insupportable. J'imagine assez bien les nez plissés pendant qu'ils montaient leur matériel vers le toit. Ne pas les pincer devant la propriétaire des félins !
— Ah, de l'air !
— On va enfin pouvoir respirer et travailler.
Dans ces conditions, la douche de fin de journée était indispensable. De temps à autre, il ramenait de véritables indésirables : des poux. Maman précise « des énormes poux » en me racontant cette histoire. Ces bestioles coriaces existent depuis des millénaires.
Après la classe de quatrième, j'étais en âge de travailler. Alors pourquoi pas en profiter pour gagner un peu d'argent. À huit kilomètres de petites routes sinueuses et ombragées, dans la commune d'à côté, j'ai tenté ma chance à la pharmacie.
— Bonjour, je suis Aline Martinau, je souhaiterais vous aider.
— C'est bien, me répondit la pharmacienne propriétaire.
— Je suis capable de faire du rangement et du nettoyage…
— Je pars pendant un mois, seriez-vous disponible ?
— Oui sans problème.
— Très bien vous pourrez commencer la semaine prochaine, vous soulagerez les autres employés…
Du sol au plafond, j'ai enlevé toutes les boîtes des médicaments, sirops et autres gélules pour faire toutes les poussières et répertorier les périmés. En plus, j'ai nettoyé le laboratoire et rempli des bouteilles de liquides de pharmacologie dans de plus petits contenants réservés à la vente, comme l'alcool, la glycérine et l'eau de rose. Les étiquettes collées pile entre les deux rayures sur le corps des bouteilles. Oui, prenez une petite bouteille d'alcool provenant de chez le pharmacien et observez-la. Il existe deux fines marques allant du culot vers le goulot, maintenant vous saurez qu'une étiquette bien collée doit l'être à égale distance entre ces deux fines rayures.
Avec l'aide initiale de l'autre pharmacienne puis seule, j'ai mélangé des ingrédients et au final composé des gélules. J'ai lavé le sol et les immenses devantures. Les présentoirs devant les caisses et les vitrines étaient rangés. Pratiquement toutes les arrivées des grossistes étaient assurées par mes soins. Sans moyen de locomotion, je faisais du stop quatre fois par jour. Le midi à la maison, j'appréciais le repas de maman.
Après mon mois de travail, le mardi, jour d'ouverture, je suis retournée à la pharmacie par le même moyen pour rencontrer la propriétaire des lieux fraîchement rentrée de vacances afin de percevoir mon salaire. Son bronzage apparent laissait présager un magnifique soleil.
— Mademoiselle, il me semble que nous n'avions pas signé de contrat ensemble…
— Non, mais…
— De fait, je ne vous dois rien, vous pouvez repartir chez vous !
Dégoûtée, j'ai fait le chemin du retour, la bouche sèche sans argument, et n'en ai jamais parlé à ma mère.
Obligation 3 : toujours signer un écrit.
Tant qu’il s'agit seulement des apprentissages de la lecture, de l'écriture et des tables de multiplication, l'école est simple et facile. C'est beaucoup plus délicat d'avancer dans les études supérieures. Après la dernière classe du collège, on est déjà dans les grandes études puisqu'il faut avoir trouver sa voie. On vous demande de faire un choix qui sera celui de votre avenir. Sans point de repère, ni exemple familial puisque j'étais l'aînée d'une famille d'ouvriers du bâtiment. Comme toute fille à sa maman, j'hésitais entre la cuisine et la couture ! En vue, d'une inscription dans une école de cuisine pas trop chère, maman m'avait trouvé un travail pour une durée de trois semaines dans le restaurant de la commune d'à côté. Il fallait bien commencer par se mettre dans le bain, Marie !
Quatre kilomètres à vélo deux fois par jour, c'était faisable. Des horaires de dix heures du matin à minuit, les repas compris et une pièce consentie en fin de contrat était le deal. Même petite, cela valait mieux que le rien du tout de l’année d'avant. D’accord j’étais novice, mais les tâches confiées étaient très restreintes. Au bout d'une semaine de plonge, d’essuyage de vaisselle et d'épluchage intensif de pommes de terre, j’ai jeté mon tablier.
— J'en ai marre d'éplucher les patates du matin au soir.
— Mais cela fait partie du métier.
— Je vois bien que je ne peux rien apprendre ici…
— Mais qui va me faire la plonge ?
— Pas moi en tout cas.
— Tu vas faire quoi après.
— De la couture.
— Tu sais quand tes professeurs te demanderont de coudre comme cela plutôt que comme ceci… De toutes les façons, il faudra bien écouter les ordres et dire non, sera impossible !
— Je verrai bien !
La restauratrice était en colère.
— Nous laisser tomber en pleine saison, cela ne se fait pas ! Comment va-t-on trouver quelqu'un pour te remplacer maintenant ?
Je ne lui ai pas répondu. À la force de mes jambes, je suis rentrée à la maison en pleine nuit. Les derniers coups de pédales, je les ai sentis passer ! Le lendemain matin, le téléphone a sonné et j'ai deviné le sujet de la discussion. Ma mère était déçue, je n'ai pas eu de pièce pour ma semaine de soixante heures de travail.
En secret, je dois vous avouer quelque chose. J'ai vécu la même situation en tant que mère puisqu'à l'âge de seize ans, Emmanuel, mon fils aîné, n’a réussi à tenir que quatre jours au restaurant d'à côté mais avec en prime un solde de tout compte en bonne et due forme.
À suivre, encore une bonne dizaine d’années plus tard, c’est l’histoire d’un autre jeune homme, mais cette fois-ci, en version plus luxueuse. Un bon travailleur a les yeux qui brillent à l'annonce de son intégration d’une équipe d'un restaurant d’un chef multi-étoilé. Rien que le nom de la ville, à la renommée mondiale, donne le vertige : villas, piscines et des bâtiments aux colonnes de marbre avec une esplanade à donner le vertige aux skateurs locaux. À l'intérieur du restaurant, les cuisines plus grandes que notre propre maison, étaient réellement envoûtantes. Malgré tout, les trois étoiles cachent des pratiques peu reluisantes. On déchante vite à l'interdiction de manger sur place, avec des horaires allant de neuf heures à deux heures du matin le jour suivant. Non-stop, le jeune a eu beau être en pleine forme, il s'est retrouvé éreinté, usé. La suite logique était de filer au lit plutôt que de se nourrir. Il a suffi de quelques semaines pour que ce jeune actif se transforme en une silhouette faisant de l'ombre à un simple fil de fer. Il est revenu à un restaurant plus classique.
Certes, maman a toujours travaillé mais en privilégiant avant tout nos rythmes scolaires. Chaque sou était compté. Elle avait la comptabilité familiale dans la peau. Je la voyais tellement souvent faire ses comptes que j'avais un peu peur des chiffres. Lors de ma première seconde, en plein questionnement d'orientation, j'ai refusé de suivre un cursus de comptabilité par crainte d'échouer. Comme dirait Titeuf « c'est trop mathisant ! » Aujourd'hui, j'aime les chiffres plus que jamais.
Je suis une maman divorcée avec deux grands d’un premier mariage, Emmanuel et Nicolas ainsi que mes jumeaux, Tom et Lola issus de la seconde union. À l'âge de cinq ans, je leur explique régulièrement que les comptes c'est important. De manière générale, tous les enfants sont de vrais copieurs. Ils vont mimer les gestes de leur maîtresse, notre démarche plus ou moins chaloupée mais aussi nos attitudes. L'autre jour, Lola, la cadette de dix minutes de Tom, a déclaré :
— Silence, je fais mes comptes !
Plantée sur sa chaise devant la petite table en bois déjà gribouillée et achetée quatre euros au vide-greniers du coin, le dos droit, devant une feuille de brouillon, elle remplissait ses lignes au crayon de papier avec de minuscules graffitis et boucles en prémices de l'écriture en attaché ou cursive. Trop mignon. Je ne veux pas que mes enfants en aient peur comme moi.
Suivre sa trésorerie et avoir de bonnes notions des débit-crédit sur ses comptes bancaires devraient être enseignés dans les écoles. Le mardi matin, au moment d'emmener les enfants au périscolaire, nous croisions toujours le poissonnier. Un jour, les enfants m’ont demandé ce qu'il faisait.
— Dis maman, pourquoi il s'installe ici ? a questionné Lola
— Parce qu'il a passé un accord avec la commune pour vendre son poisson le mardi.
— Pourquoi il vend du poisson ? a enchaîné Tom
— On dit : « pourquoi vend-t-il du poisson ? » (le clignotant mis pour tourner vers la droite en direction de la garderie et un œil dans le rétroviseur vers Tom) parce que c'est son métier.
— Il a appris son métier à l'école ? a demandé sa sœur.
— Oui, sans doute. Et il se lève très tôt tous les matins pour être là avant nous.
— Il habite loin ?
— Je ne sais pas, Tom, mais ce poissonnier va à la criée au bord de la mer pour acheter son poisson très frais et il le revend ici à ceux qui aiment le poisson.
— C'est bon le poisson.
— Il revend son poisson un peu plus cher pour payer son essence, son camion et il espère qu'il lui restera assez de sous pour faire comme nous, quelques dépenses pour sa femme, ses enfants et payer les factures à venir.
— Ça coûte cher tout ça !
— Les enfants, le péri est ouvert, vous pouvez vous détacher, c'est l'heure.
— Chouette, on est les premiers.
— Tu sais Lola, si nous travaillons ton père et moi, c'est pour avoir des sous pour payer l'eau qui coule du robinet, l'électricité du frigo, les courses au magasin, le péri et la cantine, nos vêtements et l'essence pour nos voitures.
Descendue la première afin de leur ouvrir leur portière toujours en position sécurité enfants, ils ont disposé leur cartable sur le dos, prêts à traverser.
— Hep et le bisou alors ?
— Bisou maman et à ce soir, a dit Lola en me bisant la joue gauche.
— Bisou et bonne journée maman, Tom m’a alors couvert la joue droite d'une légère bave.
— Bonne journée les loulous, soyez sages à l'école !
Dorénavant et pendant un certain nombre de mardis matin, Tom a déclaré fièrement :
— C'est pour gagner de l'argent !
— Oui, mon garçon.
Maintenant, grâce au poissonnier, je pense qu'ils savent que l'argent est nécessaire pour vivre.
Au bout des quinze années à réaliser les comptes, la cuisine et la vaisselle à temps partiel, ma mère aspirait à faire plus d'heures puisque nous étions autonomes dans nos déplacements vers nos écoles respectives. Le QG1 d'une petite bourgade est bien souvent la boulangerie.
— Bonjour Madame Martinau, la boulangère affichait son plus beau sourire commercial.
— Bonjour.
— Je vous mets le pain de trois ?
— Oui, s'il vous plaît.
— Le travail va bien ?
— Oui, mais en plus de la cantine, je souhaiterais faire quelques heures supplémentaires.
— Les enfants sont grands maintenant.
— Oui et les études coûtent cher.
— Je comprends… (elle préparait sa monnaie) Je pense à plusieurs associations dans la commune.
— Ah oui vous feriez cela ?
— Oui, je vais aborder le sujet avec les présidentes, a-t-elle dit, toujours dans les petits tuyaux.
— Merci bien et à demain.
Quelques jours après cette conversation, une responsable d'association a appelé à la maison pour proposer un travail comportant plus d'heures. Radio boulangerie avait fait son effet ! Effectivement, puisque nous, ses enfants, désormais plus grands, elle avait plus de temps. Néanmoins nos études pesaient lourd dans le budget parental.
Parallèlement, la direction de l'association de la cantine changeait. La nouvelle présidente fraîchement à la retraite cherchait de quoi s'occuper, elle aussi ! Rien de mieux que de faire les comptes, les attributions préférées de ma mère allaient également changer. Moins de chiffres, moins de passion.
Après avoir jaugé le besoin d'argent et ces derniers éléments, les parents n'ont pas mis longtemps à accepter la nouvelle proposition d'emploi. Elle a démissionné de l'association de la cantine pour devenir salariée de l'aide à domicile en milieu rural (ADMR) de notre commune. Le positif dans tout cela est que ses nouveaux horaires plutôt matinaux duraient jusqu'à l'heure du repas et lui permettaient ainsi de conserver les quelques petits employeurs particuliers sur sa fin de journée.
Un après-midi d'avant-veille de Noël, ma mère avait entrepris de nettoyer le dessus des placards de la cuisine de la grande maison du lotissement. Elle est grimpée sur une chaise tubulaire un peu design. Boum !
— Il n'y a rien de cassé ? – a demandé la collégienne de la famille qui faisait ses devoirs dans sa chambre. J'ai entendu du bruit.
— Non, il n'y a rien de cassé de matériel mais moi, oui.
La table en marbre sur laquelle maman avait atterri était bien intacte. Seulement, maman avait sérieusement morflé. Pour sûr, cela ne se voyait pas mais les radiographies montraient bien trois côtes de cassées ! Malgré les douleurs, elle continua de travailler sans déclaration d'accident de travail et sans se plaindre, le sourire aux lèvres, le masque de façade. Ne serait-ce qu'une côte de fêlée, je sais ce que c'est. Impossible de rire, de respirer profondément, d'éternuer ou encore d'avoir le hoquet sans souffrance. Alors trois de cassées de surcroît… Quel courage !
Obligation 4 : déclarer tout accident du travail aussitôt.
Ce travail auprès des personnes âgées était difficile mais varié. De l'aide à la toilette et à l'habillage, maman était au plus près des personnes âgées ce qui attirait des désagréments dont elle se serait bien passée comme des poux ou encore des