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Les Éditions Anthemis vous proposent un retour complet sur l’actualité du droit alimentaire
Depuis de nombreuses années, les inquiétudes en matière alimentaire occupent une place de plus en plus importante dans notre quotidien. Plus précisément, c’est le lien entre nos habitudes alimentaires et notre santé qui a cristallisé les nombreuses questions que se posent les consommateurs, au regard notamment des dangers de l’obésité, de la composition des aliments (lasagnes « 100 % pur boeuf »), ou encore des risques de l’aspartame (dans les sodas light).
Cette évolution s’est traduite par des règles très détaillées adoptées au niveau de l’Union européenne.
Le présent ouvrage vise à examiner les principaux développements intervenus récemment, ainsi que des thèmes cruciaux tels que notamment la sécurité alimentaire, la responsabilité, l’information et la publicité, l’EFSA et les OGM.
Cet ouvrage s’adresse à un large public : avocats, juristes d’entreprise, praticiens et à toute personne intéressée par le droit alimentaire.
Un ouvrage écrit par des professionnels et destinés à tous
A PROPOS DES ÉDITIONS ANTHEMIS
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Seitenzahl: 555
Veröffentlichungsjahr: 2016
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Place Albert I, 9 B-1300 Limal
Tél. 32 (0)10 42 02 90 – [email protected] – www.anthemis.be
ISBN: 978-2-87455-873-3
Toutes reproductions ou adaptations totales ou partielles de ce livre, par quelque procédé que ce soit et notamment par photocopie, réservées pour tous pays.
Mise en page : Communications s.p.r.l.
Alberto Alemanno
Christophe Verdure
Aude Mahy
Edern Thébaud
Marine Friant-Perrot et Amandine Garde
Citlali Pintado
Nicolas de Sadeleer
Ce recueil dirigé par Ellen Van Nieuwenhuyze et Christophe Verdure revisite et examine certains développements du droit et de la politique alimentaire européenne en rassemblant les points de vue de plusieurs académiques et praticiens. Bien qu’il ne soit pas possible de rendre compte de la diversité et de la richesse des commentaires que le lecteur trouvera dans les pages qui suivent, j’aimerais succinctement contextualiser ces contributions à l’égard de développements plus généraux touchant à cette discipline émergente qu’est le droit alimentaire européen. L’objectif déclaré de l’ouvrage est d’examiner l’avenir des réglementations alimentaires au sein de l’Union européenne (UE), par le biais d’une analyse détaillée d’une sélection de sujets. Les contributeurs semblent bien conscients des nombreux défis que rencontre aujourd’hui le droit alimentaire, tels que ceux qui résultent des liens étroits entre produits alimentaires, méthodes d’agriculture et modes de consommation. Il semble particulièrement urgent d’élargir le champ d’action des réglementations alimentaires, en déplaçant l’attention du produit vers ses méthodes de production et son impact sur l’environnement.
Le droit alimentaire implique, à l’instar de l’ordre juridique européen, une interaction complexe d’acteurs différents au sein de systèmes de gouvernance supranationaux qui sont historiquement déterminés, mais aussi relativement jeunes et constamment en évolution. Il ne s’agit pas seulement des institutions européennes, y compris l’EFSA – l’Autorité européenne de sécurité des aliments –, mais aussi des autorités centrales et locales des États membres. Partant, cette structure émergente – généralement présentée comme un réseau – suppose plusieurs couches de responsabilité pour le développement et l’administration du droit alimentaire européen. Cependant, il n’y a pas beaucoup plus que dix ans, en dépit de l’existence d’un important corpus de législation européenne, il manquait à l’UE un régime de sécurité alimentaire cohérent, scientifiquement fondé et coordonné. De nos jours, le droit européen de l’alimentation n’a pas seulement acquis son autonomie au sein du droit européen et vis-à-vis d’autres disciplines (tels que le droit administratif ou le droit agricole), mais – et ce, à l’instar de ce que le droit alimentaire a connu au-delà de l’UE – a atteint une maturité, tant au sein du monde académique que dans la pratique. Ainsi de plus en plus d’universités dispensent des cours de droit alimentaire et nombreux sont les cabinets d’avocats qui offrent leurs conseils juridiques à l’industrie alimentaire1.
Par conséquent, cet ouvrage ne rend pas seulement compte de ce processus progressif d’autonomisation et du développement du droit alimentaire en Europe, mais illustre également comment ce corps de droit émergent reste une discipline en constante évolution, aussi bien en tant que domaine d’étude qu’en tant que champ de pratique. Le concept de droit alimentaire, défini par la législation alimentaire générale (LAG)2 comme regroupant « les dispositions législatives, réglementaires et administratives régissant les denrées alimentaires en général et leur sécurité en particulier, au niveau communautaire ou national »3, semble évoluer sans cesse et est aujourd’hui en cours de révision par la Commission européenne et sa Direction générale de la santé et des consommateurs (DG SANCO). Contrairement à la vision classique du droit alimentaire qui le considère comme un ensemble de règles relatives à la sécurité alimentaire – tel qu’examiné par Christophe Verdure dans sa contribution sur les régimes de responsabilités –, l’étude et la pratique le conçoivent comme une discipline plus large. Dès à présent, le droit alimentaire comporte également un nombre croissant de mesures législatives qui poursuivent des objectifs de qualité4, tels que les systèmes de qualité relatifs aux indications géographiques5 ou la production biologique6. Pareillement, pendant l’adoption d’importantes législations telles que le règlement relatif aux allégations nutritionnelles et de santé7 – qui fait l’objet d’une partie de la contribution d’Aude Mahy –, les limites du droit alimentaire européen ont été largement étendues afin d’englober également les aspects nutritionnels des aliments8. En outre, à la lumière du déplacement continu des aspects de sécurité vers la qualité – et maintenant vers le nutritionnel – et les objectifs de modes de vie, il semble de plus en plus accepté que le droit alimentaire recourt, pour atteindre ces objectifs, à un ensemble de mécanismes différents de ceux que l’on qualifie communément de « direction et de contrôle (command-and-control) ». C’est assurément le cas – tel qu’illustré par le chapitre d’Amandine Garde et de Marine Friant-Perrot – de la nouvelle politique européenne qui vise à prévenir l’obésité. Cette politique se réfère non seulement au paradigme de l’information du consommateur, qui vise à autonomiser les consommateurs dans leurs choix alimentaires – ce qui est également expliqué par Aude Mahy –, mais aussi à d’autres approches réglementaires, tels que l’autorégulation9. Cet effort a récemment été mis à l’épreuve par la création d’une plateforme multi-parties dont l’objectif est d’amener l’industrie et les États membres à s’accorder sur des engagements volontaires, portant notamment sur la reformulation des aliments ou les restrictions de commercialisation. Bien qu’elles ne tombent pas formellement dans le champ de la définition du droit alimentaire tel que prévu par la LAG, la somme de ces initiatives caractérise clairement les transformations dont fait l’objet le droit alimentaire européen. En ce qui concerne les États membres, ils s’exercent à des mécanismes de marché au niveau national, tels que la Hongrie qui recourt à une taxation des produits caloriques de type « fat tax »10 ou d’autres initiatives européennes inspirées de recherches comportementales11. Il n’est dès lors par surprenant que, suite à l’évolution et l’expansion du droit alimentaire européen, l’EFSA ait été dotée – ainsi que l’illustre avec justesse Citlali Pintado – de nouvelles responsabilités qui étaient assumées par les organes nationaux en charge de l’évaluation du risque, notamment en ce qui concerne les organismes génétiquement modifiés (OGM) et les additifs alimentaires. En même temps, elle a également pris la charge de conduire des évaluations de l’impact des OGM sur l’environnement et, tel que prévu pour le cas des pesticides, d’évaluer les risques et les bénéfices12. Nicolas de Sadeleer offre quant à lui une excellente analyse des défis que pose la réglementation existante des aliments OGM au sein du marché intérieur UE. En outre, étant donné que l’UE a progressivement pris en compte les impacts de l’obésité et des maladies causées par les régimes alimentaires sur la santé, le travail de l’EFSA dans les domaines du conseil diététique et de la nutrition a considérablement évolué et comprend aujourd’hui les profils nutritionnels, les valeurs de références alimentaires ainsi que les allégations nutritionnelles et de santé.
Enfin, tel que l’expose Edern Thébaud, les développements technologiques concernant les alicaments requièrent une meilleure démarcation entre les aliments et les produits pharmaceutiques.
En examinant quelques-uns des sujets les plus en vogue en droit alimentaire européen – tout en ayant aussi l’œil sur le rôle institutionnel joué par l’EFSA –, cet ouvrage présente les visions prospectives d’experts en droit alimentaire sur les futurs développements scientifiques et réglementaires au sein de l’Union européenne. Je vous souhaite une agréable lecture.
Alberto Alemanno
Professeur, Chaire Jean Monnet en droit européen et régulation du risque, HEC Paris Global Clinical Professor, NYU School of Law
1 À titre exemplaire, la Harvard Food Law and Policy Clinic et la Harvard Food Law Society ont préparé un guide de carrière disponible à l’adresse http://blogs.law.harvard.edu/foodpolicyinitiative/careers-in-food-law-and-policy/guide/.
2 Règlement (CE) no 178/2002 du Parlement Européen et du Conseil du 28 janvier 2002 établissant les principes généraux et les prescriptions générales de la législation alimentaire, instituant l’Autorité européenne de sécurité des aliments et fixant des procédures relatives à la sécurité des denrées alimentaires (J.O., 1er février 2002, L 31/1).
3Ibid., art. 3, 1).
4 Règlement (UE) no 1151/2012 du Parlement Européen et du Conseil du 21 novembre 2012 relatif aux systèmes de qualité applicables aux produits agricoles et aux denrées alimentaires (J.O., 14 décembre 2012, L 343, p. 1).
5 Règlement (CE) no 510/2006 du Conseil du 20 mars 2006 relatif à la protection des indications géographiques et des appellations d’origine des produits agricoles et des denrées alimentaires (J.O., 31 mars 2006, L 93, pp. 12–25) ; règlement (CE) no 509/2006 du Conseil du 20 mars 2006 relatif aux spécialités traditionnelles garanties des produits agricoles et des denrées alimentaires (J.O., 31 mars 2006, L 93, pp. 1–11).
6 Règlement (CE) no 834/2007 du Conseil du 28 juin 2007 relatif à la production biologique et à l’étiquetage des produits biologiques et abrogeant le règlement (CEE) no 2092/91 (J.O., 20 juillet 2007, L189).
7 Règlement (CE) no 1924/2006 du Parlement européen et du Conseil du 20 décembre 2006 concernant les allégations nutritionnelles et de santé portant sur les denrées alimentaires (J.O., 30 décembre 2006, L 404/9).
8 A. Alemanno et A. Garde, « The Emergence of an EU Lifestyle Policy : The Case of Alcohol, Tobacco and Unhealthy Diets’ », Common Market Law Review, vol. 50, no 6, 2013.
9 Accord Interinstitutionnel – « Mieux légiférer » (J.O., 31 décembre 2003, C 321, pp. 1–5).
10 A. Alemanno et I. Carreno, « Fat Taxes in the European Union between Fiscal Austerity and the Fight Against Obesity », European Journal of Risk Regulation, vol. 2, no 4, 2011.
11 A. Alemannoet al., « Nudging Healthy Lifestyles – Informing Regulatory Governance with Behavioural Research », European Journal of Risk Regulation, vol. 3, no 1, 2012.
12 S. Gabbi, « Scientific regulatory cooperation within the EU : on the relationship between EFSA and national food authorities », in A. Alemanno et S. Gabbi (dir.), Foundations of EU Food Law, Ashgate, 2014.
Christophe Verdure*
Docteur en sciences juridiques Avocat au barreau de Bruxelles Chargé de cours invité à l’Université catholique de Louvain Chargé de cours associé à l’Université du Luxembourg
* L’auteur peut être contacté à l’adresse [email protected].
Depuis plus de vingt ans, le secteur alimentaire a connu une profonde mutation, consécutive aux diverses crises alimentaires qui se sont succédées, parmi lesquelles les plus retentissantes furent l’épizootie de la «vache folle» en 19961, la crise de la dioxine en 19992 et l’épidémie de fièvre aphteuse en 20013.
La réforme du cadre juridique, initiée en conséquence et cristallisée par le règlement (CE) no 178/2002, a permis de préciser les principes transversaux qui jalonnent désormais l’ensemble du domaine alimentaire. Ce règlement cadre a été progressivement complété par une kyrielle de réglementations sectorielles, relatives aux questions de droit alimentaire les plus diverses.
Plus de dix ans après l’adoption du règlement (CE) no 178/2002, l’heure du bilan s’est avéré très positif, tant sur l’implication des nouveaux acteurs4 que sur les réponses apportées aux crises qui sont intervenues par la suite5. Il aura fallu une «fraude alimentaire»6, avec la lasagne «100% pur bœuf» (composée de cheval), pour tenter d’ébranler, sans succès, le régime mis ainsi en place.
Si le marché intérieur a suscité l’adoption de cette réforme, ce n’est pas tant pour permettre aux denrées alimentaires de circuler, que pour favoriser la circulation de denrées alimentaires sûres et saines7. Le règlement (CE) no 178/2002 précise d’ailleurs que la libre circulation des denrées alimentaires8 ne «peut être réalisée que si la sécurité des denrées alimentaires et des aliments pour animaux ne diffèrent pas de manière significative d’un État membre à l’autre»9.
La question de la sécurité est ainsi centrale et fera l’objet de la première partie de la présente contribution. Il conviendra, dans un premier temps, de retracer les différentes étapes de l’émergence d’un principe de sécurité générale des produits alimentaires. Dans un second temps, il sera examiné si le futur paquet «sécurité des produits», initié par la Commission européenne en 2013, emportera des modifications spécifiques.
La seconde partie de cette contribution examinera le corollaire de la sécurité des denrées alimentaires, à savoir la responsabilité qui peut en découler. Les régimes spécifiques de droit de l’Union européenne qui existent et leur lien avec le règlement (CE) no 178/2002 seront plus particulièrement examinés.
La sécurité des produits constitue de longue date une préoccupation essentielle du législateur de l’UE. Adoptée dans le prolongement de la Communication de la Commission relative à une nouvelle impulsion pour la politique des consommateurs10, la directive 92/59/CEE11 avait pour objectif, en réalisant une harmonisation des législations nationales éparses, la mise sur le marché de produits «sûrs»12.
Cette garantie de sécurité des produits était en réalité issue de «l’inquiétude suscitée par l’idée du marché intérieur, en particulier en raison de la généralisation en découlant des principes de l’équivalence et de la reconnaissance mutuelle des réglementations et normes des autres états membres»13.
Bien que le choix de sa base légale fut discuté14, la directive 92/59/CEE a permis d’établir un principe de base, à savoir que seuls des produits sûrs pouvaient être mis sur le marché. Cette assertion nécessite plusieurs commentaires.
En premier lieu, le champ d’application ratione materiae n’était pas défini de manière claire. En effet, la définition du produit, contenue à l’article 2 de la directive 92/59/CE, surtout de la tautologie et concernait avant tout les caractéristiques extrinsèques de ce dernier. Le produit était ainsi défini comme «tout produit destiné aux consommateurs ou susceptibles d’être utilisé par les consommateurs, fourni dans le cadre d’une activité commerciale, à titre onéreux ou gratuit, qu’il soit à l’état neuf, d’occasion ou reconditionné»15.
La doctrine avait estimé que, «sans que cela soit explicitement formulé par le texte de la directive, celle-ci vise tout produit meuble ou immeuble, industriel, artisanal ou agricole y compris les éléments dont il se compose tels que les matières premières, les substances, les composants et les semi-produits»16. Les produits alimentaires y étaient ainsi soumis. Cette solution nous paraît d’autant plus logique que la directive 92/59/CEE constitue une législation horizontale ayant pour objet de couvrir l’ensemble des produits.
En deuxième lieu, bien que son champ d’application englobe prima facie de très nombreuses catégories de produits, la directive 92/59/CEE ne s’applique qu’à défaut de texte plus précis encadrant des catégories déterminées de produits17. Ainsi, son application est, par définition, supplétive, garantissant une sécurité «générale» des produits, tel que le prévoit son intitulé, et non une sécurité «spécifique».
Il a d’ailleurs fallu attendre l’adoption du règlement (CE) no 258/97 relatif aux nouveaux aliments et aux nouveaux ingrédients alimentaires18 pour que des règles spécifiques de sécurité soient initiées dans le domaine alimentaire.
En troisième lieu, si le produit est au centre de la directive 92/59/CEE, c’est surtout sa qualification en produit sûr ou, son antithèse, en produit dangereux, qui en constitue la pierre angulaire. Le «produit sûr» est défini par cette directive comme «tout produit qui, dans des conditions d’utilisation normales ou raisonnablement prévisibles, y compris de durée, ne présente aucun risque ou seulement des risques réduits à un niveau bas compatibles avec l’utilisation du produit et considérés comme acceptables dans le respect d’un niveau de protection élevé pour la santé et la sécurité des personnes, compte tenu, en particulier, des éléments suivants:
– des caractéristiques du produit, notamment sa composition, son emballage, ses conditions d’assemblage et d’entretien;
– de l’effet du produit sur d’autres produits au cas où on peut raisonnablement prévoir l’utilisation du premier avec les seconds;
– de la présentation du produit, de son étiquetage, des instructions éventuelles concernant son utilisation et son élimination ainsi que de toute autre indication ou information émanant du producteur;
– des catégories de consommateurs se trouvant dans des conditions de risque grave au regard de l’utilisation du produit, en particulier des enfants»19.
Le corollaire de cette définition est que tout produit qui ne répond pas aux critères qu’elle édicte est qualifié de «produit dangereux»20.
Enfin, en marge de la question du champ d’application, la directive 92/59/CEE a surtout eu pour avancée l’instauration21 du système d’alerte rapide (ci-après «SCAR»), à propos duquel le Tribunal de l’Union européenne avait eu l’occasion de préciser qu’il «confère aux seules autorités nationales, et non à la Commission, la responsabilité d’établir s’il existe un risque grave et immédiat pour la santé et la sécurité des consommateurs»22 et que «la responsabilité de la Commission dans le cadre du SCAR est limitée à la circulation des informations en tant que telles»23.
Eu égard à l’expérience acquise dans l’application de cette directive24, et compte tenu des difficultés relatives à sa mise en œuvre et à son application, la directive 92/59/CEE a été abrogée et remplacée par la directive 2001/95/CE25.
L’adoption de la directive 2001/95/CE s’est inscrite dans le prolongement de la directive 92/59/CEE, tout en veillant à tenir compte des difficultés relevées dans le rapport de la Commission sur l’application de celle-ci.
L’approche de la directive 2001/95/CE demeure classique, dès lors qu’elle constitue «une législation communautaire horizontale instaurant une obligation générale de sécurité des produits, et comportant des dispositions relatives aux obligations générales des producteurs et des distributeurs, au contrôle de l’application des prescriptions de la Communauté en matière de sécurité des produits et à l’échange rapide d’informations, ainsi qu’à une action au niveau communautaire dans certains cas»26.
Une question a toutefois suscité certaines interrogations, à savoir le choix de sa base légale, et ce d’autant plus que le premier considérant de la directive 2001/95/CE estimait la refonte de la directive précédente nécessaire au regard notamment «des changements introduits dans le traité, en particulier dans les articles 152, concernant la santé publique, et 153, concernant la protection des consommateurs, et à la lumière du principe de précaution».
Nonobstant l’émergence de ces deux dispositions, la directive 2001/95/CE a exclusivement été adoptée sur la base de l’article 95 CE (devenu article 114 TFUE), ce qui témoigne de l’objectif principal qui la sous-tend, à savoir le marché intérieur. En effet, il est opportun de rappeler que la base légale déterminée par le législateur de l’Union reflète la «philosophie même de l’acte»27. Il ne peut ainsi dépendre de la seule conviction d’une institution28 et ne peut être adopté en se référant à la base juridique retenue pour l’adoption d’autres actes de l’UE présentant, le cas échéant, des caractéristiques similaires29.
Si le législateur de l’UE a choisi exclusivement l’article 95 CE comme base légale, c’est que l’objectif d’harmonisation primait. Par ailleurs, lorsque deux dispositions peuvent être le soubassement de son intervention, le législateur de l’UE doit se fonder sur des éléments objectifs, susceptibles d’un contrôle juridictionnel, parmi lesquels se trouvent le but et le contenu de l’acte, pour choisir la base légale de ce dernier30. Si l’une des finalités de l’acte est identifiable comme principale tandis que l’autre n’est qu’accessoire, l’acte devra être fondé sur la seule base juridique concernant la finalité principale31.
Au regard de l’objectif unique poursuivi, la volonté première du législateur était d’harmoniser les diverses législations éparses qui nuisent aux échanges commerciaux et causent des distorsions dans la concurrence. En outre, le législateur de l’UE vise à prévenir et gérer des risques dans le but de protéger la santé et la sécurité des consommateurs32. La directive 2001/95/CE «préconise une approche préventive à la matérialisation de risques connus, laquelle repose sur l’autorégulation des secteurs d’activités économiques par le biais de la normalisation»33.
À l’instar de la directive 92/59/CEE, la pierre angulaire de la directive 2001/95/CE est la notion de «produit sûr», à telle enseigne que les producteurs «sont tenus de ne mettre sur le marché»34 que de tels produits.
La notion de produit sensu stricto est définie comme «tout produit qui – également dans le cadre d’une prestation de services – est destiné aux consommateurs ou susceptible, dans des conditions raisonnablement prévisibles, d’être utilisé par les consommateurs, même s’il ne leur est pas destiné, et qui est fourni ou mis à disposition dans le cadre d’une activité commerciale, à titre onéreux ou gratuit, qu’il soit à l’état neuf, d’occasion ou reconditionné»35. À cet égard, le législateur n’est pas davantage intervenu, au regard de l’ancienne directive, pour exclure éventuellement certaines catégories de bien. Aussi, l’interprétation la plus large doit être maintenue, ce qui a pour conséquence d’englober les produits alimentaires. Toutefois, les aliments pour animaux ne sont pas couverts36, ce qui s’avère logique, dès lors que la directive 2001/95/CE vise avant tout les consommateurs et les produits qui leur sont destinés ou susceptibles d’être utilisés par eux.
Plus précisément, le «produit sûr» est, quant à lui, défini comme celui, qui, «dans des conditions d’utilisation normales ou raisonnablement prévisibles, y compris de durée et, le cas échéant, de mise en service, d’installation et de besoin d’entretien, ne présente aucun risque ou seulement des risques réduits à un niveau bas compatibles avec l’utilisation du produit et considérés comme acceptables dans le respect d’un niveau élevé de la santé et de la sécurité des personnes»37.
La directive 2001/95/CE établit à cet égard une série de critères pour faciliter l’appréciation du caractère sûr d’un produit. Une disctinction intervient alors entre les deux présomptions instituées et les critères d’évaluation devant être suivis. Le critère de démarcation relève en réalité du degré de vérification qui interviendra. Ainsi, un produit sera considéré comme sûr lorsqu’il est conforme au droit national de l’État où il est commercialisé, en l’absence de dispositions spécifiques relatives à la sécurité au niveau de l’Union européenne38. En d’autres termes, à défaut d’harmonisation, et pour autant que les dispositions de l’État de commercialisation soient respectées, le produit fabriqué dans un État membre (autre que celui de commercialisation) devra être reconnu comme étant sûr par l’État membre de commercialisation. Il s’agit d’une application du principe de reconnaissance mutuelle.
Ensuite, à défaut de normes nationales, un produit conforme aux «normes nationales non obligatoires» transposant des normes techniques européennes sera présumé conforme à la directive 2001/95/CE. Ces normes techniques constituent «la formulation, à un moment déterminé, des règles du savoir-faire, susceptibles de s’appliquer à une activité donnée»39.
En marge de ces deux présomptions, la directive 2001/95/CE prévoit une série de critères qui permettront d’évaluer, dans des circonstances autres que celles instituant les présomptions, la conformité d’un produit à l’obligation générale de sécurité. Parmi ces critères40, pris en considération «quand ils existent»41, se retrouve «l’état actuel des connaissances et de la technique». Ce critère s’avère très pertinent dans un secteur en constante évolution. En outre, il fait écho à l’exonération pour risque de développement institué dans le cadre de la directive 85/374/CEE sur les produits défectueux42 (voy. infra).
L’articulation entre la directive 2001/95/CE et la directive 85/374/CEE, qui s’avère évidente43, dès lors que toutes deux visent les produits sûrs mis sur le marché, bien qu’à deux moments différents (mise sur le marché et survenance d’un dommage), est ainsi confortée.
La directive 2001/95/CE vise en premier lieu les producteurs qui «sont tenus de ne mettre sur le marché que des produits sûrs»44. Les producteurs sont définis comme ceux qui, étant établis dans l’Union européenne, fabriquent le produit. Sont assimilés aux producteurs, toutes les autres personnes «qui se présentent comme fabricant en apposant sur le produit son nom, sa marque ou un autre signe distinctif, ou celui qui procède au reconditionnement»45.
Ce texte y assimile également celui qui reconditionne le produit ou qui se présente en tant que fabriquant du produit, alors qu’il y appose son nom, une marque de commerce ou encore un signe distinctif permettant de l’identifier. Si le producteur n’est pas établi sur le territoire de l’Union, son représentant ou, à défaut, l’importateur, sera assimilé au producteur. Enfin, les autres professionnels de la chaîne de commercialisation pourront être assimilés aux producteurs, «dans la mesure où leurs activités peuvent affecter les caractéristiques de sécurité d’un produit»46.
Les producteurs doivent fournir aux consommateurs les informations utiles qui leur permettent d’évaluer les risques inhérents à un produit pendant sa durée d’utilisation normale ou raisonnablement prévisible, lorsque ceux-ci ne sont pas immédiatement perceptibles sans un avertissement adéquat, et de s’en prémunir47.
Cette obligation d’information s’étend également après la vente, dès lors que l’article 5, § 1, de la directive 2001/95/CE dispose que «[l]orsque les producteurs et les distributeurs savent ou doivent savoir, sur la base des informations en leur possession et en tant que professionnels, qu’un produit qu’ils ont mis sur le marché présente pour le consommateur des risques incompatibles avec l’obligation générale de sécurité, ils en informent immédiatement les autorités compétentes des États membres […], en précisant notamment les actions engagées afin de prévenir les risques pour les consommateurs».
Par ailleurs, la nature du produit en cause détermine la portée de la connaissance qui doit peser sur les producteurs. En ce sens, l’article 5, § 1, al. 3, de la directive 2001/95/CE «leur permet de prendre toutes les autres mesures utiles pour réaliser leur devoir d’information en engageant des actions proportionnelles (telles que le marquage, la réalisation d’essais, l’examen des plaintes, le retrait, la mise en garde et le rappel), et en coopérant étroitement avec les autorités compétentes en vue de prévenir ces risques»48.
Enfin, relevons que les États membres ont l’obligation de s’assurer que les producteurs et les distributeurs respectent les obligations qui leur incombent49 et disposent de plusieurs moyens pour y parvenir, notamment en édictant des sanctions «efficaces, proportionnées et dissuasives»50.
Le caractère sûr d’un produit n’endigue pas la possibilité pour les autorités compétentes d’un État membre de prendre des mesures opportunes pour restreindre la mise sur le marché ou demander le retrait du marché ou son rappel si, malgré la conformité du produit aux critères édictés par la directive, il se révèle dangereux. Aussi, dans le cadre des présomptions de conformité instituées, est-il possible de préciser que celles-ci sont réfagables.
Parmi les mesures qui peuvent être adoptées par les autorités compétentes, celles-ci varieront selon la gravité du risque. L’article 8 de la directive 2001/95/CE en énumère plusieurs, de la vérification de la sécurité au retrait du marché. Il va de soi que toute décision intervenant dans ce cadre doit s’exercer dans le respect du droit primaire et notamment des dispositions relatives à la libre circulation des marchandises, ce qui implique in fine un éventuel contrôle de proportionnalité de l’entrave51. L’article 8, § 2, al. 1, de la directive 2001/95/CE relève également l’importance du principe de précaution qui doit être «dûment» pris en compte.
Lorsque des mesures spécifiques sont prises, les États membres doivent notifier leur décision à la Commission via le système d’information rapide RAPEX, lequel vise à permettre une diffusion des informations liées à un potentiel de risque élevé52. La Commission informe les autres États membres de la mesure prise par l’État concerné, ou informe ce dernier qu’elle considère que cette décision n’est pas conforme au droit de l’Union européenne53.
Enfin, la Commission peut, de sa propre initiative, si elle a connaissance d’un risque grave et après consultation avec les États membres, arrêter une décision conformément à la procédure de comitologie54 en enjoignant aux États membres de prendre les mesures nécessaires visées à l’article 8 de la directive 2001/95/CE.
Le règlement (CE) no 178/2002 a institué un nouveau système de sécurité alimentaire au niveau de l’Union européenne. Pour ce faire, il contient des principes, des obligations et des prescriptions qui ont été intégrés dans toute législation alimentaire, qu’elle soit nationale ou de l’Union européenne, depuis le premier janvier 200755.
Ces règles de sécurité concernent toutes les étapes de la production, de la transformation et de la distribution des denrées alimentaires, ainsi que des aliments destinés ou donnés à des animaux producteurs de denrées alimentaires56.
Le règlement (CE) no 178/2002 établit des «principes généraux» sur lesquels doit reposer la législation alimentaire. Ces principes forment un «cadre général de nature horizontale»57, lequel est une émanation de l’approche globalisée, plutôt que sectorielle, du règlement. Ces principes sont de quatre ordres.
En premier lieu, le règlement renseigne les divers objectifs poursuivis par la législation alimentaire58. Celle-ci se doit de poursuivre au moins un objectif de protection (de la vie et de la santé humaine, des intérêts des consommateurs et, le cas échéant, de la santé et du bien-être des animaux, de la santé des plantes et de l’environnement) et un objectif tenant à la libre circulation des produits alimentaires. Le législateur est également invité à prendre en considération les normes internationales pertinentes dans l’élaboration ou l’adaptation des législations59. Cette dernière considération revêt une importance majeure, dès lors que le système européen ne peut se concevoir de manière isolée. Il s’intègre en effet dans un ensemble régulatoire plus vaste, géré par des institutions et des normes internationales, à l’élaboration duquel l’Union européenne participe activement60.
En deuxième lieu, si les circonstances ou la nature de la mesure s’y prêtent, la législation alimentaire doit se fonder sur un principe d’analyse des risques61. Ce principe permet d’atteindre un haut niveau de protection de la santé par des mesures efficaces, proportionnées et ciblées, adoptées en vue de réduire, d’éliminer ou d’éviter un risque pour la santé62.
Le risque est une notion centrale dans la réglementation, qui se réfère à une «fonction de la probabilité et de la gravité d’un effet néfaste sur la santé, du fait de la présence d’un danger»63.
L’analyse des risques comporte trois volets. Tout d’abord, une évaluation scientifique des risques qui doit être menée en toute indépendance, objectivité et transparence64, dans la logique du nouveau mode régulatoire érigé au sein de l’Union européenne en matière de sécurité alimentaire. Elle consiste à identifier les dangers, les caractériser, en évaluer l’exposition et caractériser le risque65. En pratique, les instances nationales et/ou l’Autorité européenne de sécurité des aliments sont les organes amenés à évaluer les risques et à produire des avis scientifiques en conséquence (voy. infra).
Ensuite une gestion des risques qui consiste à «mettre en balance les différentes politiques possibles, en consultation avec les parties intéressées, à prendre en compte l’évaluation des risques et d’autres facteurs légitimes et, au besoin, à choisir les mesures de prévention et de contrôle appropriées»66. Cette phase de l’analyse des risques est ainsi, en premier lieu, fondée sur l’évaluation.
Enfin, une communication sur les risques visant à restaurer la confiance du public, il ne suffit pas de disposer d’un nouveau système amélioré et efficace. Encore faut-il que celui-ci soit compris et accepté par la société qu’il est censé protéger. Le règlement (CE) no 178/2002 entend dès lors assurer la transparence et l’ouverture du système de sécurité alimentaire, par un «échange interactif»67 d’informations sur les risques entre les différents intervenants institutionnels du système, les opérateurs économiques, les consommateurs et le public au sens large. Au sein du système instauré par le règlement, l’Autorité européenne de sécurité des aliments se voit reconnaître un rôle majeur dans la communication sur les risques.
Dans le cadre de la communication, la Cour de justice de l’Union européenne (ci-après la «Cour») a eu l’occasion de préciser que, si une denrée alimentaire était «impropre à la consommation humaine», sans être «préjudiciable à la santé»68, rien n’empêchait les pouvoirs publics d’en informer les consommateurs. Cette interprétation extensive de l’article 10 du règlement (CE) no 178/2002 s’inscrit en réalité dans le prolongement de l’article 14 du même règlement qui précise que si une denrée est, d’une part, impropre à la consommation humaine et, d’autre part, préjudiciable à la santé, elle doit être déclarée dangereuse et ne peut être mise sur le marché. Si l’une des conditions manque, la denrée ne sera pas qualifiée de dangereuse, mais il n’en demeure pas moins qu’un risque pour la santé peut être soupçonné au sens de l’article 10, dès lors qu’elle reste impropre à la consommation.
La Cour de justice a alors livré une réponse «utile» à la juridiction de renvoi qui l’avait saisie sur question préjudicielle, en estimant que si la condition «impropre à la consommation humaine» est uniquement remplie, la denrée alimentaire ne répondra pas aux «prescriptions relatives à la sécurité des denrées alimentaires»69, sans toutefois être qualifiée de dangereuse, et les autorités nationales pourront, ainsi que le prévoit l’article 17, § 2, al. 2, du règlement (CE) no 178/2002 en informer les consommateurs. Cette information est précisément liée au système de contrôles officiels qui doit être institué par les États membres.
En marge de la solution, relative à l’information relative à la sécurité de la denrée alimentaire, certains ont estimé que la marge de manœuvre laissée à la discrétion des États membres, lorsqu’une question de santé des consommateurs était en jeu, contrebalançait le principe de reconnaissance mutuelle, voire même illustrait l’importance accrue d’un contrôle du pays de destination (et non plus du pays d’origine)70.
En troisième lieu, le règlement (CE) no 178/2002 consacre, en tant que principe fondamental de la législation alimentaire, le principe de précaution. Recevant sa première définition en droit dérivé de l’Union européenne, celui-ci permet de justifier ou de rendre obligatoire l’action des pouvoirs publics, afin de prévenir la réalisation d’un risque, en l’absence de certitude scientifique quant aux éventuelles conséquences pouvant être engendrées par une activité71.
Il est ainsi loisible de prendre en considération pour atteindre une protection optimale du consommateur, le «risque incertain»: «désormais, quelle que soit sa nature, le risque alimentaire fait l’objet d’une évaluation et de mesures de gestion»72.
En quatrième lieu, le règlement consacre un dernier principe général de la législation alimentaire: le principe de transparence. Celui-ci se matérialise dans deux obligations: la consultation des citoyens dans la rédaction de la législation alimentaire et l’information de ceux-ci en présence de risques potentiels d’un aliment pour la santé humaine ou animale73. Ce principe de transparence, central dans le nouveau mode de gouvernance des risques alimentaires – ouvert et participatif –, peut, en réalité, être considéré comme une application du troisième volet de l’analyse des risques: la communication (cf. supra).
Après avoir décrit une série de principes généraux, le législateur de l’Union européenne s’est attelé à énoncer et à détailler des normes matérielles de sécurité devant être inscrites dans la législation alimentaire.
Parmi ces normes, se trouve l’obligation fondamentale suivante: aucune denrée alimentaire et aucun aliment pour animaux ne peuvent être mis sur le marché s’ils sont dangereux74. Afin d’éviter des critères d’appréciation disparates de la sécurité d’un aliment dans les législations nationales, le règlement (CE) no 178/2002 établit des critères uniformes et communs permettant de déterminer si un aliment est dangereux75. Sont notamment considérés comme sûrs les aliments conformes aux dispositions communautaires pertinentes ou, à défaut de telles dispositions, aux législations nationales de l’État membre dans lequel ils sont commercialisés76.
Cette première obligation est suivie d’une interdiction d’induire le consommateur en erreur, notamment par l’étiquetage, la publicité, la présentation des produits alimentaires, ainsi que les informations diffusées les concernant77. Il convient à cet égard de se reporter au règlement (UE) no 1169/2011 qui vise à assurer un niveau élevé de protection des consommateurs en matière d’information sur les denrées alimentaires, dans le respect des différences de perception des consommateurs et de leurs besoins en information, tout en veillant au bon fonctionnement du marché intérieur78.
Le règlement énonce également des normes de responsabilités à l’égard des exploitants du secteur agroalimentaire et des autorités nationales79. Ces normes sont relatives à une obligation fondamentale de surveillance et de contrôle de la sécurité des aliments (voy. infra).
Enfin, en vue d’assurer un contrôle efficient de la chaîne alimentaire, le règlement (CE) no 178/2002 consacre le principe de traçabilité, c’est-à-dire «la capacité de retracer, à travers toutes les étapes de la production, de la transformation et de la distribution, le cheminement d’une denrée alimentaire, d’un aliment pour animaux, d’un animal producteur de denrées alimentaires ou d’une substance destinée à être incorporée ou susceptible d’être incorporée dans une denrée alimentaire ou un aliment pour animaux»80.
La traçabilité apparaît comme un complément nécessaire à l’efficacité du système de sécurité alimentaire. Elle permet, en effet, de réagir rapidement en cas de crises: lorsqu’un danger est identifié, il est ainsi possible de localiser et de rappeler les produits contaminés de manière ciblée et efficace. En plus de faciliter la surveillance du produit après sa mise en circulation, elle offre également un outil de vérification des informations mentionnées sur l’étiquette ou sur les documents accompagnant les produits alimentaires.
Le règlement (CE) no 178/2002 fait ainsi peser sur les opérateurs économiques une obligation de rechercher les informations pertinentes et de les communiquer: pouvoir tracer le cheminement d’un produit alimentaire implique une traçabilité en amont, par laquelle chaque intervenant de la chaîne alimentaire doit pouvoir identifier son fournisseur81, et en aval, qui implique que l’exploitant puisse identifier et communiquer, le cas échéant, le nom des entreprises auxquelles il a fourni le produit82. Afin de pouvoir effectivement identifier son fournisseur et l’entreprise à laquelle il fournit le produit (traçabilité «externe»), l’exploitant doit disposer d’un système (informatique ou autre) lui permettant de stocker, d’utiliser et de communiquer rapidement ces informations. Pour que le système soit réellement efficace, l’opérateur doit être en mesure de connaître l’utilisation prévue des produits: par exemple, en quels produits sont-ils transformés, dans quels aliments sont-ils insérés en tant qu’ingrédient? Ainsi, indirectement, le règlement (CE) no 178/2002 semble imposer également, dans une certaine mesure, une traçabilité «interne» à l’entreprise.
Ces exigences de traçabilité sont formulées de manière très générale. Elles doivent en réalité être adaptées et détaillées selon les secteurs83. Dans le domaine de la réglementation des OGM, des règles spécifiques de traçabilité ont été instituées par le règlement (CE) no 1830/200384 concernant la traçabilité et l’étiquetage des OGM, législation qui fait référence au règlement (CE) no 178/2002.
L’exigence de sécurité est inhérente au règlement (CE) no 178/2002, dont «l’esprit et la lettre sont imprégnés de l’idée de sécurité, fortement exprimée dès son intitulé»85. Elle se retrouve disséminée dans l’ensemble de la réglementation alimentaire, dès lors que le règlement (CE) no 178/2002 revêt le statut de règlement-cadre. Ce règlement prévoit des obligations relatives à la prévention du risque, via la mise en œuvre notamment des principes HACCP et d’autres mesures en matière d’hygiène86 (étant entendu qu’ils peuvent être précisés dans le cadre de réglementations sectorielles, à l’instar du règlement (CE) no 2073/2005 relatif aux critères microbiologiques87), ainsi qu’un système d’alerte rapide88, à l’instar de celui institué par la directive 2001/95/CE.
Comment convient-il d’apprécier l’articulation entre la directive 2001/95/CE et le règlement (CE) no 178/2002?
Cette question se pose avec d’autant plus d’intérêt qu’il a été exposé ci-dessus que la directive 2001/95/CE avait vocation à constituer une législation horizontale établissant un principe de sécurité général pour l’ensemble des produits. L’article 1, § 2, al. 2, de ladite directive précise d’ailleurs qu’elle a une application supplétive, dès lors que, «lorsque des produits sont couverts par des prescriptions de sécurité spécifiques imposées par la législation communautaire, la présente directive s’applique seulement pour les aspects et les risques ou catégories de risques qui ne sont pas couverts par ces prescriptions».
Le règlement (CE) no 178/2002 doit-il être considéré comme une telle législation sectorielle ou comme un régime distinct?
Il convient de relever à cet égard que le règlement (CE) no 178/2002 se réfère, en son considérant no 59, au régime général de sécurité des produits, se contentant toutefois de préciser qu’il existe déjà un système d’alerte rapide. Le règlement (CE) no 178/2002 précise par ailleurs que ce système a été révisé afin d’être amélioré et élargi pour l’ensemble des denrées alimentaires, en ce compris les aliments pour animaux.
Est-il permis d’en conclure que le système d’alerte rapide de la directive 2001/95/CE sous-tend celui du règlement (CE) no 178/2002, lequel constituerait alors une réglementation sectorielle?
Nous ne le pensons pas, et ce, pour plusieurs raisons. Tout d’abord, le règlement (CE) no 178/2002 ne contient aucune disposition modificatrice de la directive 2001/95/CE. Il est donc, en l’état, impossible à la directive de s’appliquer aux aliments pour animaux, alors même que le système d’alerte rapide alimentaire doit les englober (vu qu’ils sont visés par le règlement (CE) no 178/200289).
Ensuite, si l’intention du législateur avait été de recourir au régime institué par la directive 2001/95/CE, il lui aurait été loisible d’insérer cette précision, à tout le moins, dans l’un des considérants du règlement (CE) no 178/2002, ce qu’il n’a pas fait. Pour attester de cette possibilité, il peut par exemple être relevé que la directive 2009/48/CE relative à la sécurité des jouets90 précise que «les jouets relèvent également de la directive 2001/95/CE […], qui complète la législation sectorielle spécifique»91.
Il en résulte que la directive 2001/95/CE ne s’appliquera qu’à la marge dans le domaine alimentaire, à savoir pour les matériaux et objets actifs et intelligents, destinés à entrer en contact avec des denrées alimentaires92, et ce, uniquement à titre supplétif dès lors que ces derniers sont régis par une réglementation sectorielle spécifique.
Enfin, relevons que, pour les concepts ou notions non définies par le règlement (CE) no 178/2002, il pourra être référé, par analogie, à la directive 2001/95/CE. Tel est par exemple le cas pour la notion de retrait, non définie par le règlement (CE) no 178/200293.
La Commission européenne a souhaité remanier les réglementations existantes relatives à la sécurité des produits et à la surveillance des marchés. Aussi, a-t-elle proposé, le 13 février 2013 un «paquet unique», intitulé «sécurité des produits et surveillance des marchés». Sous cette appellation, deux volets coexistent, à savoir, d’une part, une proposition de règlement sur la sécurité des produits94, et, d’autre part, une proposition de règlement sur la surveillance des produits95. Ces deux volets sont par ailleurs complétés par un plan d’action pluriannuel de surveillance des marchés (2013-2015).
La proposition de règlement sur la sécurité des produits, qui remplacera la directive 2001/95/CE prévoit toujours comme pierre angulaire que seuls des produits de consommation «sûrs» doivent être mis sur le marché. Toutefois, son application et son interaction avec d’autres actes législatifs de l’Union ont été «considérablement rationalisées et simplifiées», tout en maintenant un niveau élevé de sécurité et de protection de la santé des consommateurs96.
Plus particulièrement, l’articulation entre la proposition de règlement et le règlement (CE) no 178/2002 a été clarifiée97. Le considérant no 4 de la proposition de règlement dispose que «[l]a législation de l’Union sur les denrées alimentaires, les aliments pour animaux et les domaines apparentés établit un régime spécifique garantissant la sécurité des produits concernés. Il n’y a donc pas lieu que le présent règlement s’applique à ces produits, sauf pour les matériaux et objets destinés à entrer en contact avec des aliments, pour autant que les risques qu’ils présentent ne soient pas couverts par le règlement (CE) no 1935/2004 du Parlement européen et du Conseil du 27 octobre 2004 concernant les matériaux et objets destinés à entrer en contact avec des denrées alimentaires ou par un autre acte spécifique de la législation sur l’alimentation humaine ne portant que sur les risques chimiques et biologiques aux denrées alimentaires».
L’article 2, § 3, exclut par conséquent les denrées alimentaires du champ d’application de la proposition de règlement, de même que les aliments pour animaux et les objets en contact avec les aliments, mais, pour ces derniers, uniquement pour autant qu’ils sont couverts par le règlement (CE) no 1935/2004.
La proposition de règlement s’appliquera toutefois aux «produits de consommation qui, sans en être, ressemblent à des denrées alimentaires et sont susceptibles d’être confondus avec celles-ci et, de ce fait, portés à la bouche, sucés ou ingérés par les consommateurs et plus spécialement les enfants, alors qu’une telle action pourrait par exemple provoquer un étouffement, une intoxication ou la perforation ou l’obstruction du tube digestif»98.
Le règlement (CE) no 178/2002 énonce également des normes spécifiques de responsabilité à l’égard des exploitants du secteur agroalimentaire et des autorités nationales99. Ces normes concernent une obligation fondamentale de surveillance et de contrôle de la sécurité des aliments.
L’article 17 du règlement (CE) no 178/2002 dispose, en son paragraphe 1er, que «[l]es exploitants du secteur alimentaire et du secteur de l’alimentation animale veillent, à toutes les étapes de la production, de la transformation et de la distribution dans les entreprises placées sous leur contrôle, à ce que les denrées alimentaires ou les aliments pour animaux répondent aux prescriptions de la législation alimentaire applicables à leurs activités et vérifient le respect de ces prescriptions». Notons que, par «exploitant du secteur alimentaire», il convient de se référer à «la ou les personnes physiques ou morales chargées de garantir le respect des prescriptions de la législation alimentaire dans l’entreprise du secteur alimentaire qu’elles contrôlent»100.
À côté de l’obligation générale de l’exploitant de veiller au respect des règles applicables à ses activités, le règlement (CE) no 178/2002 impose également à l’exploitant une obligation particulière de traçabilité. Il doit «être en mesure d’identifier toute personne [lui] ayant fourni une denrée alimentaire, un aliment pour animaux, un animal producteur de denrées alimentaires ou toute autre substance destinée à être incorporée, ou susceptible d’être incorporée, dans des denrées alimentaires ou des aliments pour animaux»101. L’article 18, § 3, du règlement (CE) no 178/2002 impose également à l’exploitant de mettre en place des systèmes et procédures permettant d’identifier les entreprises auxquelles leurs produits ont été fournis.
Enfin, les articles 19 et 20 du règlement (CE) no 178/2002 imposent également aux exploitants du secteur alimentaire et du secteur de l’alimentation animale des obligations particulières relatives aux denrées alimentaires: si un exploitant considère, ou a des raisons de penser, qu’une denrée alimentaire ou un aliment pour animaux qu’il a importé, produit, transformé, fabriqué ou distribué ne répond pas aux prescriptions relatives à la sécurité des denrées alimentaires/aliments pour animaux, il doit engager une procédure de retrait du marché et informer les autorités compétentes, lorsque cette denrée alimentaire/aliment pour animaux n’est plus sous son contrôle direct.
En outre, lorsque le produit en cause peut avoir atteint les consommateurs, il est tenu d’informer ceux-ci de façon effective et précise des raisons du retrait et, au besoin, rappelle les produits déjà fournis aux consommateurs, «lorsque les autres mesures sont insuffisantes pour atteindre un niveau élevé de protection de la santé»102.
En marge de ces obligations spécifiques, envers les consommateurs, les exploitants devront également collaborer avec les autorités compétentes «en ce qui concerne les actions engagées pour éviter ou réduire les risques présentés par une denrée alimentaire qu’ils fournissent ou ont fournie»103.
La nécessité de l’adoption d’une législation organisant les contrôles a été annoncée dans le Livre blanc sur la sécurité alimentaire104. Les principes généraux de responsabilité des autorités nationales en ce domaine, inscrits dans le règlement (CE) no 178/2002, sont ainsi détaillés et explicités dans le nouveau règlement (CE) no 882/2004105, qui est entré en vigueur le 1er janvier 2006106. Il fournit une définition commune du contrôle, notion recouvrant «toute forme de contrôle effectué par l’autorité compétente ou par la Communauté pour vérifier le respect de la législation relative aux aliments pour animaux et aux denrées alimentaires, y compris les dispositions concernant la santé animale et le bien-être des animaux»107.
Le règlement (CE) no 882/2004 organise les contrôles officiels portant sur les denrées alimentaires et les aliments pour animaux à toutes les étapes de la chaîne de production et de distribution, dans la continuation de la philosophie globale et intégrée consacrée formellement par le règlement (CE) no 178/2002. Cette nouvelle législation concerne toutes les activités relevant de la législation alimentaire, dont les aspects liés à la protection des consommateurs, tels que l’étiquetage.
À cette fin, cette législation contient des dispositions à l’attention des autorités nationales des États membres et à l’attention des autorités de l’Union européenne, que les produits soient originaires de l’Union ou en provenance de pays tiers.
En premier lieu, le nouveau règlement (CE) no 882/2004 détermine les dispositions que doivent respecter les autorités nationales chargées de mener des contrôles officiels. Ces contrôles doivent être réalisés de manière transparente108. Les informations pertinentes détenues par les autorités nationales, à l’exception des informations confidentielles, sont rendues accessibles au public 109. Le nouveau règlement introduit des mesures coercitives, telles que le retrait du marché ou la destruction d’une marchandise, la fermeture d’une exploitation, à prendre par les États membres en cas de manquement à la législation alimentaire110. Ces sanctions doivent être effectives, dissuasives et proportionnées111.
En second lieu, le règlement (CE) no 882/2004 précise les tâches qui incombent à l’Union en matière d’organisation de ces contrôles. Afin de vérifier l’exécution correcte de la législation européenne, la Commission dispose de trois instruments principaux: elle peut vérifier la transposition de la législation de l’UE dans les États membres, analyser les rapports envoyés par les États112 et les pays tiers113 concernant l’application de la législation et réaliser des inspections dans les États membres et dans les pays tiers114. Les rapports élaborés par la Commission, à la suite de ces constatations lors des contrôles, sont rendus accessibles au public115. Les mesures d’urgence prévues par le règlement (CE) no 178/2002 sont élargies pour permettre à la Commission, lorsqu’il s’avère que le système de contrôle d’un État membre est problématique, de prendre des mesures adéquates, telles que la suspension de la mise sur le marché de certains produits ou l’adoption de conditions particulières pour leur diffusion116.
Le règlement (CE) no 882/2004 sert de fondement à l’approche intégrée et horizontale du contrôle de la sécurité des aliments pour animaux et des denrées alimentaires. Les dispositions spécifiques qui sont élaborées en marge de celui-ci lui sont désormais complémentaires: c’est le cas notamment du règlement (CE) no 854/2004117 prévoyant les modalités d’organisation des contrôles officiels des produits d’origine animale destinés à la consommation humaine.
La directive 85/374/CEE a instauré un régime de responsabilité du fait des produits défectueux118. Son application au secteur alimentaire émane du règlement (CE) no 178/2002 lui-même, qui dispose en son article 21 que les dispositions relatives à la «législation alimentaire générale», qu’il contient, «s’appliquent sans préjudice de la directive 85/374/CEE».
Le régime de la directive 85/374/CEE prévoit que la responsabilité du «producteur», notion appréhendée dans son sens large119, peut être engagée lorsque la victime apporte la preuve de son dommage, du défaut du produit et du lien causal existant entre ces deux éléments120.
Ce régime de responsabilité assure ainsi une protection égale à la victime d’un dommage, qu’elle agisse dans le cadre d’une relation contractuelle (acheteur direct du produit ou intermédiaire), ou en dehors de toute relation contractuelle avec le producteur, et quelle que soit sa qualité (professionnel ou consommateur).
S’agissant plus particulièrement de la notion de produit défectueux, l’article 6, § 1, de la directive 85/374/CEE le définit comme un produit qui «n’offre pas la sécurité à laquelle on peut légitimement s’attendre compte tenu de toutes les circonstances, et notamment:
a) de la présentation du produit;
b) de l’usage du produit qui peut être raisonnablement attendu;
c) du moment de la mise en circulation du produit».
La directive 85/374/CEE précise, pour autant que de besoin, que la mise en circulation postérieure d’un produit plus perfectionné ne peut avoir pour conséquence de considérer le produit antérieur comme défectueux121.
L’article 7 de la directive 85/374/CEE prévoit plusieurs hypothèses dans lesquelles le producteur peut s’exonérer. Parmi celles-ci, l’exonération pour risque de développement revêt une importance particulière dans le domaine alimentaire, où l’innovation est constante, tant sur les nouveaux produits alimentaires (par exemple, les OGM), les fusions de produits (par exemple, les alicaments), les procédés de production, etc.
La notion de «risque de développement» a été précisée par la Cour dans un arrêt du 29 mai 1997. Celle-ci avait estimé qu’il fallait tenir compte de «l’état objectif des connaissances techniques et scientifiques», lequel doit être compris dans «son niveau le plus avancé»122 et ce, au moment de la mise en circulation du produit en cause.
En outre, l’exonération du producteur pour risque de développement implique «l’impossibilité de déceler le défaut pour tout le monde et non le fait que le défaut n’ait pas été décelé par le producteur alors qu’il pouvait l’être. L’impossibilité doit être absolue. Des considérations comme des difficultés d’entreprendre les recherches nécessaires ou le niveau de dépenses à engager pour déceler le défaut n’entrent pas en ligne de compte»123.
Le cadre de référence est donc constitué par l’ensemble du savoir et comprend toute information disponible dès lors qu’elle pouvait – ou aurait dû – éveiller l’attention du producteur quant au risque potentiel de son produit. Ainsi, un risque, dès lors qu’il était prévisible, ne peut entraîner l’exonération du producteur, lequel aurait dû approfondir les expérimentations ou s’assurer en conséquence124. Le Tribunal de première instance de Bruxelles a ainsi jugé qu’un producteur ne pouvait s’exonérer en invoquant le risque de développement lorsque, bien avant la survenance du dommage, «le compendium relatif au produit litigieux mentionnait déjà de façon implicite, mais certaine, qu’il y avait une minorité de cas dans lesquels les troubles de l’ouïe s’étaient avérés irréversibles»125. Dans le même sens, la défaillance d’un contrôle exercé pour déceler le risque connu ne permet pas de le déclarer indécelable126.
L’appréciation des données scientifiques connues ne se limite pas à «l’état des connaissances dont le producteur en cause était ou pouvait être concrètement ou subjectivement informé»127. Elle n’est pas non plus restreinte aux pratiques et normes de sécurité en usage dans le secteur industriel dans lequel opère le producteur. L’appréciation des connaissances scientifiques doit donc se référer à l’état des connaissances scientifiques et techniques au sens large, «sans aucune restriction»128, les opinions dissidentes étant comprises. Est ainsi instituée une présomption d’information dans le chef du producteur129.
L’état des connaissances scientifiques sera apprécié souverainement par le juge. À cette fin, celui-ci devra toutefois prendre en considération plusieurs éléments qui sont autant de tempéraments au caractère absolu des données scientifiques.
Un premier garde-fou est constitué par l’«accessibilité»130 des données scientifiques. Cette limite implique une certaine visibilité des résultats des recherches, via notamment une publication dans des revues scientifiques reconnues. Ainsi, toute thèse scientifique ne pourra être prise en considération que si elle peut être connue et dispose d’une certaine crédibilité.
Une seconde limite se déduit de ce que les connaissances qui doivent être prises en considération sont celles qui existaient au moment de la mise en circulation du produit en cause131. Les conditions d’application de l’exonération pour risque de développement ne peuvent être modalisées par les États membres. La Cour a ainsi précisé, dans un arrêt du 25 avril 2002132, que le recours à ce moyen de défense ne pouvait être conditionné à la preuve que «s’agissant d’un défaut qui s’est révélé dans un délai de dix ans après la mise en circulation du produit, le producteur a pris les dispositions propres à en prévenir les conséquences dommageables»133. En outre, compte tenu du temps de réaction nécessaire aux producteurs pour mettre leurs produits en conformité, il est irréaliste de prendre en considération les connaissances scientifiques publiées par exemple la veille de la mise en circulation du produit.
La notion de mise en circulation a des répercussions sur deux plans. En premier lieu, en amont, la responsabilité du producteur, pour le défaut de son produit, n’est pas retenue si ledit produit n’a pas été mis en circulation, ou l’aurait été contre sa volonté. La directive 85/374/CEE a prévu une exonération dans cette hypothèse, à l’article 7, litera a), qui s’applique avant toute autre cause d’exonération.
En second lieu, en aval, la notion de mise en circulation limiterait en outre la possibilité des victimes de se retourner contre le producteur qui arguerait de la cause d’exonération pour risque de développement. En effet, «les risques de développement, qui concernent essentiellement l’industrie chimique et l’industrie pharmaceutique, sont ceux qui apparaissent souvent de nombreuses années après la mise en circulation du produit. À ce moment-là, l’action de la victime sera éteinte par forclusion»134.
Outre ces deux limites qui encadrent l’application par le juge de la cause d’exonération, il convient de préciser que cette cause d’exonération doit être interprétée de manière stricte. La Cour a en effet rappelé, dans un arrêt du 9 février 2006, que «les cas limitativement énumérés à l’article 7 de la directive, dans lesquels le producteur peut s’exonérer de sa responsabilité doivent faire l’objet d’une interprétation stricte»135.
La délicate appréciation des données scientifiques, permettant d’admettre l’exonération pour risque de développement, n’enlève pas une difficulté supplémentaire relative à son application: la charge de la preuve.
Il revient au producteur désireux de s’exonérer de sa responsabilité d’apporter la preuve que l’état des connaissances scientifiques et techniques au moment de la mise en circulation du produit ne lui permettait pas de déceler l’existence d’un défaut. Relevons qu’en pratique, il s’avèrera difficile de remonter dans le temps et de prouver qu’au moment de la mise en circulation du produit, les dangers étaient totalement inconnus et imprévisibles.
Notons enfin que l’exonération pour risque de développement a connu un sort différent dans les États membres à l’occasion de sa transposition. En effet, dès l’origine, la directive 85/374/CEE prévoyait la possibilité pour les États membres de maintenir ou de supprimer cette cause d’exonération. Dans le cadre de la transposition de la directive, certains États membres ont en outre entrepris d’insérer dans leur droit national cette cause d’exonération, moyennant certains particularismes.
Ainsi, la France136 a exclu la possibilité pour un producteur de s’exonérer pour les dommages causés par un élément du corps humain ou par un produit issu du corps humain (sang, organes, …)137. Rentre également dans cette exclusion les médicaments dont la composition ferait apparaître des éléments du corps humain, tels des extraits placentaires ou des hormones.
La Cour de cassation française avait anticipé l’exclusion des produits du corps humain, à propos du sang contaminé, en jugeant que le vice interne du sang, «même indécelable» ne constituait pas une cause exonératoire de responsabilité138. Une telle limitation a également été suivie par la loi espagnole139, laquelle va néanmoins plus loin en excluant de l’exonération pour risque de développement, l’ensemble des produits alimentaires et pharmaceutiques.
Ainsi, les exclusions du champ d’application de l’exonération pour risque de développement comprennent principalement les produits issus du secteur des technologies nouvelles, lesquelles constituent les étendards de l’interaction croissante entre le droit et la science.
Il s’agit là d’un paradoxe, étant entendu que ces technologies nouvelles devraient pouvoir en bénéficier, sous peine de ralentir le développement technique ou de limiter la recherche dans les cas extrêmement rares