Agnosticisme - Eugène de Roberty - E-Book

Agnosticisme E-Book

Eugène de Roberty

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Beschreibung

Extrait : "Les grandes idées directrices, les concepts régulateurs de la métaphysique ne changent guère, d'une époque à une autre. Ils le pourraient, assurément, encore moins, dans le court espace d'un siècle. Aussi préférons-nous, dans les pages suivantes, nous adresser directement aux maîtres un peu délaissés aujourd'hui, à Emmanuel Kant et à Auguste Comte, plutôt qu'à leurs récents continuateurs."

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• Fiction : roman, poésie, théâtre, jeunesse, policier, libertin.
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Avant-propos

Les théories pessimistes de la connaissance envisagées en ces pages appartiennent au grand courant agnostique – je pourrais aussi bien dire métaphysique – qui a si fortement influencé notre époque. Cet opuscule se peut donc considérer comme une suite de mon essai sur la métaphysique et la psychologie de l’Inconnaissable, et comme le complément de mon dernier volume sur la Philosophie du siècle. Néanmoins, cet écrit n’aurait pas été publié à part, si je l’eusse pensé capable d’intéresser uniquement les lecteurs de mes précédents ouvrages.

E. DE R.

Paris, janvier 1892.

Introduction
I

« J’accepte les graves leçons qui émanent de l’incognoscible. La raison a la prétention de tout rationaliser, soit dit sans pléonasme. L’Incognoscible s’oppose directement à cette tendance téméraire, et il s’y oppose sans plus ample informé, sans discussion et par sa seule présence. Il me suffit de le contempler sur le trône de sa sombre grandeur pour me dégager de tous les dogmatismes, spiritualistes ou matérialistes. »

Ainsi parle Littré, le disciple le plus autorisé d’Auguste Comte. Mais la contemplation de l’incognoscible occupa constamment le métaphysicien et, tout d’abord, le théologien. Les dogmatismes religieux et philosophique n’eurent jamais d’allié plus ferme que cette doctrine. Et cela semble vrai aujourd’hui encore.

On en peut juger par la situation actuelle du problème de la connaissance. Quel profit la philosophie contemporaine tira-t-elle de l’accroissement de matériaux et de moyens d’enquête dus aux récents progrès en biologie et en psychologie ? Poser cette question suffit pour montrer combien de tels avantages paraissent douteux.

Les penseurs modernes s’attardent, se complaisent même aux vieilles explications.

Beaucoup suivent ouvertement l’ornière sensualiste. Subordonnant le monde des idées au milieu vivant déduit du milieu extérieur, ils proclament la suprématie de l’expérience et l’origine objective de nos concepts ; ils affirment l’impossibilité de sortir du phénomène organique, hypothétiquement posé comme fait ultime, comme raison dernière des choses.

D’autres demeurent attachés au culte des idoles idéalistes. Ceux-ci nous parlent de formes ou de moules dans lesquels l’expérience jette la matière brute du savoir ; ils défendent la suprématie de l’idée pure et l’origine subjective des concepts ; ils invoquent la vanité de toute science dépassant le pouvoir de l’idée, et attestent l’impossibilité de sortir du phénomène idéologique, hypothétiquement posé comme fait ultime, comme explication dernière des évènements.

D’aucuns, enfin, accordent leurs préférences aux théories simplistes du matérialisme et reculent ainsi la difficulté sans la résoudre. Pour eux, l’insondable énigme, ce n’est ni la vie, ni la pensée, mais la matière et le mouvement.

II

On a souvent insisté sur le contraste offert par ces deux ordres de spéculations, la science et la philosophie.

L’une nous semble avancer vers un horizon fuyant et mobile. Sans cesse elle multiplie le nombre des faits tombant sous les sens d’une manière directe ou indirecte, et sa sphère d’action subit des changements perpétuels, bien qu’elle se délimite avec beaucoup d’exactitude.

Un caractère différent marque le domaine limitrophe, le vaste inconnu revendiqué par la métaphysique. Nous ne pouvons mesurer ou supputer sa valeur sans nous contredire d’une façon grossière et évidente.

Le concept de l’inconnaissable ne ferait-il donc que déguiser le signe mental indiquant ce couple d’expériences journalières reliées par un rapport de cause à effet : l’indétermination nécessaire du domaine de l’inconnu, et la mobilité des limites scientifiques qui garantit la nature essentiellement progressive du savoir humain ?

Telle n’est certes pas la signification que la philosophie attribua toujours à ce terme équivoque du langage abstrait. On l’appliquait indistinctement soit aux idées scientifiques, aux connaissances exactes empruntées à l’expérience, soit aux idées philosophiques, aux notions vagues, aux suppositions générales fournies par l’observation et la sagesse vulgaires. Il se créait ainsi, entre les unes et les autres, une confusion regrettable.

Dans l’univers à peine soumis à quelques grandes lois naturelles, on affirmait, non pas l’absence présumée, mais la présence effective de certaines bornes à jamais infranchissables pour la faiblesse de notre esprit. Les philosophes jugeaient avoir suffisamment exploré l’inconnu pour y tracer des lignes frontières et en exclure une partie scrupuleusement réservée. Ils allaient plus loin. Ils désignaient par des noms les concepts et les groupes de concepts symbolisant certains phénomènes qui perdaient, à leurs yeux, ce caractère, et leur apparaissaient, par suite, comme noumènes.

La loi de l’identité des contraires trouve ici une application directe. Le philosophe atteint d’emblée les plus hautes généralités ; il les définit lui-même comme ne pouvant rentrer dans des genres plus vastes. Mais, en de semblables conditions, les espèces s’identifient, et la négation opposée à l’affirmation ne signifie plus rien. Si donc l’on concluait à la réalité de l’inconnaissable, on ne nous apprendrait pas davantage que si l’on rejetait cette hypothèse.

III

Une obscurité profonde voile les fondements de nos croyances scientifiques et philosophiques, les questions sur l’origine et la valeur de nos connaissances, les principes de la certitude.

Il est possible que la philosophie eût pu faire mieux que de s’aventurer en ces ténèbres ; il demeure acquis qu’elle n’a pas fait autre chose. Mais, en ce périple, elle dut malheureusement prendre pour guide le sens commun sujet à tant d’erreurs, et l’observation ordinaire, si notoirement incapable de corriger ses propres fautes.

Il en advint ce qui arrive régulièrement en pareil cas : les problèmes agités par les philosophes n’avancèrent pas d’une ligne. « Tels ils se sont offerts confusément aux génies méditatifs dès les premiers âges de l’humanité, tels ils se présentent, mais plus nettement exprimés, aux esprits éclairés des lumières de la science moderne, polis par la culture des lettres et des arts. »

Quel enseignement dérive de ce fait indiscutable ? Dirons-nous avec Voltaire : « la philosophie se compose de choses que tout le monde sait et de choses que personne ne saura jamais » ? Ou bien affirmerons-nous avec Montaigne méditant sur les phénomènes qui passent notre portée : « l’ignorance et l’incuriosité sont deux oreillers bien doux pour une tête bien faite » ?

Partant d’une observation plusieurs fois séculaire, la philosophie conclut à l’insolubilité radicale de certaines catégories de questions. Tout l’y sollicite et l’y convie : son histoire, son état actuel et un troisième facteur, l’atavisme inconscient qui inscrit sur l’esprit moderne la trace obscure de l’esprit passé.

Aux faits précis prouvant le caractère progressif du savoir particulier, la philosophie oppose l’expérience démontrant le caractère stationnaire du savoir général. Mais elle ne voit pas que cette seconde expérience forme justement la contre-épreuve de la première, comparable au procédé qui consiste à jeter un grain dans le sol fertile, puis un autre dans le sable stérilisé, afin de déterminer les conditions de croissance d’une plante. Elle ne désire pas – et cela est très humain – se reconnaître dans le sable stérilisé. Elle aime mieux s’en prendre au grain qu’elle cultive. Elle décrète purement et simplement l’Inconnaissable.

IV

La logique, quand on a soin de ne pas en fausser l’application, semble bien la chose la plus intraitable au monde. Aussi, pour saisir la portée réelle de quelques postulats généralement admis, faut-il de préférence s’adresser aux esprits qui ne reculent devant aucun corollaire engendré par de telles prémisses.

Je connais, pour ma part, un de ces logiciens de l’Inconnaissable, je crois même le plus intransigeant de tous. Il pose et résout le problème qui nous occupe avec une simplicité étonnante. Pour lui, les questions se distribuent en deux classes : les unes germent toujours et se résolvent constamment, ce sont les questions scientifiques ; les autres ne germent jamais, et paraissent essentiellement insolubles, ce sont les questions philosophiques.

Insoluble et philosophique constituent ainsi un véritable couple de synonymes. « Il impliquerait contradiction, dit Cournot, que l’on pût attendre des progrès de la connaissance scientifique la solution positive et expérimentale d’une question philosophique. Si l’on ne pouvait pas discerner a priori le caractère philosophique d’une question, on le reconnaîtrait a posteriori et par induction, en voyant que les progrès des connaissances positives maintiennent la question dans son état d’indétermination scientifique. » Et il nous prémunit contre l’erreur qui consiste à « confondre avec les questions vraiment philosophiques les hypothèses sur des faits inaccessibles à l’observation, soit dans l’état provisoire de nos connaissances, soit à cause des limites que les circonstances mettent à l’extension de nos moyens d’observation et d’expérience. » – « Il est plus que probable, ajoute-t-il, que l’observation ne décidera jamais ce qu’il faut penser de l’ingénieuse hypothèse de la pluralité des mondes, etc., etc… Toutefois, les obstacles qui rendent de pareilles observations impraticables, tiennent à des circonstances accidentelles et accessoires plutôt qu’à des raisons essentielles… Au contraire, il répugnerait à la raison qu’on pût… arriver à résoudre expérimentalement la question de savoir si le monde est ou non limité dans l’espace, à saisir les premiers éléments de la matière, à trancher par l’expérience la question du vide, des atomes, de l’action à distance… » Pour Cournot, au reste, comme pour l’immense majorité des agnosticistes, la philosophie pénètre la science de tous côtés : « Partout dans les sciences nous retrouvons la spéculation philosophique intimement unie à la partie positive ou proprement scientifique qui comporte le progrès indéfini, les applications techniques et le contrôle de l’expérience sensible. »

Voilà une condamnation formelle et sévère de la philosophie. Pourquoi nous épuiser dans une tâche qui doit demeurer stérile ?

À cela les agnosticistes conséquents ont une réponse toute prête : « Il est dans la nature de l’homme, rétorquent-ils, de poursuivre incessamment la solution de ces questions mystérieuses, qui ont pour lui un intérêt puissant ; et, soit qu’il puisse ou non atteindre le but, il y a une jouissance secrète attachée aux efforts qu’il fait pour en approcher. La pensée s’élève en approfondissant les conditions d’un problème insoluble, comme en résolvant effectivement un problème de l’ordre scientifique, en découvrant un nouvel être ou en assignant la loi d’une série de phénomènes ».

Loin de méconnaître la « jouissance secrète » dont on nous parle ici, j’en fais le plus grand cas. Je la considère comme une cause puissante du « phénomène métaphysique ». Mais je n’y aperçois pas l’unique et dernière ressource de l’esprit humain, auquel, ce me semble, il reste encore quelques chances de certitude.

Car il se pourrait que la stagnation de certains problèmes ne fût que la conséquence inévitable des conditions où l’on entreprend de les résoudre. Il se pourrait qu’on eût jeté en une lande aride un grain capable sans doute de germer sur un autre sol. En somme, et de même qu’il ne saurait exister, dans la nature, de faits absolument généraux et abstraits, il se pourrait qu’il n’y eût pas, dans le domaine corrélatif de la connaissance, de problèmes à jamais insolubles.