Alaïs ou l'histoire d'une renaissance - Colette Becuzzi - E-Book

Alaïs ou l'histoire d'une renaissance E-Book

Colette Becuzzi

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Beschreibung

Alaïs, une jeune femme peintre, vient de subir une autre déception amoureuse. Elle entreprend alors de peindre son cheminement vers la guérison de ses blessures. Cette introspection lui permettra-t-elle non seulement de mieux se comprendre mais aussi de retrouver l'homme qu'elle aime?

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Veröffentlichungsjahr: 2018

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Le Code de la propriété intellectuelle n’autorisant, aux termes des paragraphes 2 et 3 de l’article L. 122-5, d’une part, que les "copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective" et, d’autre part, sous réserve du nom de l’auteur et de la source, que les "analyses et les courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information", toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite (article L. 122-4). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L. 335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.

Écoute ton cœur. Il connaît toute chose, parce qu’il vient de l’Âme du Monde, et qu’un jour il y retournera1. »

1 Paulo Coelho, L’Alchimiste, Éditions Anne Carrière, 1988, p. 200.

Sommaire

Chapitre Un

Chapitre Deux

Chapitre Trois

Chapitre Quatre

Chapitre Cinq

Chapitre Six

Chapitre Sept

Chapitre Huit

Chapitre Neuf

Chapitre Dix

Chapitre Onze

Chapitre Douze

Chapitre Treize

Chapitre Quatorze

Chapitre Quinze

Chapitre Seize

Chapitre Dix-sept

Chapitre Dix-huit

Chapitre Dix-neuf

Chapitre Un

« Il n’y a pas de fumée sans feu ». Cette courte phrase résonne encore dans mon esprit alors que je roule à vive allure en direction de la ville. Je reviens d’une énième escapade dans le maquis par une route de campagne si sombre que même les phares de ma voiture parviennent difficilement à faire régresser la noirceur qui m’entoure. J’ai la désagréable sensation que mon être tout entier est plongé dans les ténèbres après ce que j’ai vécu il y a quelques mois. Ces retours réguliers mais vains sur le lieu où j’espérais revoir celui qui fait encore battre mon cœur n’ont fait qu’amplifier ma déception et mon mal-être. Il est vrai que je n’aurais jamais imaginé que les événements tourneraient aussi mal.

Dans le maquis corse, on peut s’attendre à tout. Mais je n’étais pas préparée à ce qui allait survenir.

Je dois avouer que j’avais beaucoup présumé de mes forces, force de caractère et force physique, le jour où j’ai décidé d’aller sur place comprendre ce qui se passait dans la relation que j’avais nouée avec cet homme. J’avais l’impression de vivre un conte de fées. Tout était magique. J’avais envie de le voir, il était là ; j’avais besoin de réconfort, il savait trouver les mots justes ; j’avais soif de vivre et les moments intenses que nous partagions me faisaient apprécier chaque seconde de ma vie. Comment ne pas succomber dans ces conditions ?

Nous étions partis en voyage et notre histoire semblait devoir durer toujours. Nous avions pris un bateau en direction de l’Égypte. Il était fasciné par ce pays dont il disait que les mystères qui entouraient la construction des pyramides l’avaient toujours fasciné ; qu’il avait lu de nombreux ouvrages sur l’histoire des pharaons mais que rien ne vaudrait une visite dans ce pays pour se rendre compte de ce qui avait pu s’y passer ; que si ce pays renfermait encore des secrets, il voulait se rendre compte par lui-même de ce qu’il laisserait éventuellement filtrer.

Ce périple aurait dû être extraordinaire si une panne de bateau n’avait dû nous y faire renoncer à peine étions-nous arrivés en Grèce. Ironie du destin, au lieu de visiter les pyramides, nous nous sommes retrouvés sur l’Acropole d’Athènes, puis nous nous sommes rendus au Parthénon, maigre compensation de nos rêves égyptiens. Nous sommes rentrés déçus et dès lors, notre relation s’est un peu dégradée.

Je ne connaissais pas cette facette acariâtre de Giorgio, mon compagnon, lorsqu’un événement ne se déroulait pas selon les plans qu’il avait prévus. Même si je n’étais pas responsable de sa déception, c’est à moi qu’il en tenait rigueur.

Nous avons pris un peu de distance pendant quelque temps. Il avait besoin d’aller se ressourcer dans le seul lieu où il sentait avoir planté de profondes racines, m’avait-il dit quelque temps après notre chaotique retour. Je savais que c’était le maquis. J’ai patienté une semaine sans me poser trop de questions, mais après une quinzaine de jours, j’ai commencé à avoir des doutes sur la durabilité de notre relation. J’ai essayé de me raisonner, mais il m’était de plus en plus difficile d’attendre sans rien tenter. Aussi est-ce au bout d’un mois environ que je pris la décision d’aller le questionner dans sa retraite.

J’avais quelques maigres indices que je croyais savoir mettre à profit en m’aidant de ce qu’une amie m’avait raconté avant même que je ne vienne m’établir en Corse. Elle avait fouillé le maquis à la recherche de sensations fortes et elle n’avait pas été déçue. Devais-je lui demander de m’accompagner ? D’une part elle était loin et venir en Corse, si elle était disponible et disposée à entreprendre un voyage maintenant, lui aurait pris du temps. D’autre part, je n’en avais pas très envie car je désirais affronter seule mon destin. Je m’en sentais parfaitement capable.

C’était cependant présumer de mes capacités à voyager en solitaire dans cette région aussi inextricable qu’imprévue.

Je faillis renoncer au bout de quelques jours, mais mon sentiment de frustration m’en empêcha. Je ne pouvais supporter l’idée de ne pas savoir où en était ma relation.

C’est donc munie de tous les instruments nécessaires à une aventurière pour me diriger de manière sûre que je commençai à me glisser dans ce désert de broussailles. Je n’allai pas bien loin car le premier sentier que j’empruntai se termina brusquement devant un fouillis de branches épineuses que je n’osai franchir. Je dus rebrousser chemin et me retrouvai quasiment à mon point de départ. La plupart de mes tentatives furent infructueuses et je cherchai donc un autre moyen de retrouver mon bien-aimé. J’étais fermement décidée à ne pas m’avouer vaincue d’avance. Je savais ce que signifiait le maquis, mais rien n’aurait pu m’empêcher d’avoir une explication de visu avec Giorgio. Malgré cela, je dus louvoyer auprès de ses amis pour que l’un d’eux me conduise à lui.

C’est avec beaucoup de réticence que Matteo accepta de me mettre sur la voie un matin de printemps quelque trois mois après que Giorgio ait disparu de ma vie. Nous allâmes assez loin en direction du sud, puis nous prîmes une route de campagne tortueuse que je ne connaissais pas, et ensuite nous marchâmes pendant au moins deux heures sur un sentier tortueux et rocailleux.

Aux abords d’un chemin de terre, il me banda les yeux et me dit que Giorgio avait décrété que c’était la condition sine qua non pour être guidée jusqu’à sa retraite.

Je jouai le jeu et c’est ainsi que nous atteignîmes son repaire en fin d’après-midi. Le trajet avait été rude car à mi-chemin la montée m’avait semblé plus raide qu’au départ. Ensuite, nous étions redescendus pendant un moment qui me parut long, la difficulté étant encore plus grande à la descente. Et même si Matteo guidait mes pas avec beaucoup de savoir-faire, l’angoisse de mal poser mes pieds avait rendu mon cheminement difficile et extrêmement désagréable. En arrivant, je demandai à mon guide s’il n’avait pas fait de nombreux détours pour me tromper, question à laquelle il s’abstint de répondre.

Heureuse à la pensée de retrouver mon cher Giorgio, anxieuse de savoir comment il m’accueillerait, je n’insistai pas. Il m’était déjà suffisamment détestable de penser que je pouvais être bafouée par celui qui me disait m’aimer et me respecter que je préférais passer sur les tromperies éventuelles de Matteo. Je me promis cependant d’éclaircir un jour le mystère.

Me remémorant les nombreuses fois où Giorgio m’assurait de ses sentiments à mon égard, je sentis la colère s’emparer de moi. N’affirmait-il pas que je n’étais pas comme les autres et méritais tous ses égards ? Il me jurait un amour sans commune mesure avec ce qu’il avait ressenti pour ses conquêtes précédentes. Il avait parfois peur que notre histoire se termine.

Il en serait tellement malheureux ! Maintenant, aurais-je le courage d’exprimer la colère sourde qui me suffoquait ?

Me connaissant, j’en doutais beaucoup alors qu’un éclat de ma part aurait été parfaitement justifié et salutaire.

J’étais vraiment perplexe. Comment pourrais-je à nouveau lui faire confiance s’il avait aujourd’hui aussi peu de considération pour moi, s’il faisait fi de toutes ses promesses à la moindre occasion ? Néanmoins, je gardais au fond de moi une lueur d’espoir. Était-ce vain ?

À l’issue de notre entretien qui, de sa part, se borna à deux ou trois phrases et un reproche que je ne sus comment interpréter, j’étais démoralisée. Il m’avait signifié sans ménagement qu’il était préférable que je reparte d’où je venais et de ne plus chercher à le revoir, puisque je l’avais si outrageusement trompé. Cela semblait clair et net et je me persuadais que tout était bien fini entre nous. Il n’avait malgré tout pas eu la franchise de me regarder dans les yeux comme il l’avait toujours fait auparavant. Son œil fuyant avait fait mine de s’intéresser à quelque chose au loin. Je n’avais pas envie de lui montrer combien j’étais humiliée et je lui tournai le dos, appelant Matteo pour que nous quittions cet endroit au plus vite.

Sur le chemin du retour, je me reprochais mon insistance qui, pensais-je, l’avait prodigieusement agacé et qui était certainement la raison pour laquelle il avait fini par me chasser de manière aussi brutale.

Il avait encore plus maltraité son ami Matteo qui avait osé me conduire jusqu’à lui. Rien ne me fâcha plus contre lui que cette attitude très cavalière et si peu reconnaissante envers une personne qui l’avait épaulé sans faillir dans les moments critiques de son existence.

Ils avaient tous deux vécu des galères dont Matteo avait su les tirer grâce à la force de caractère dont il avait su faire preuve. Giorgio s’en était remis entièrement à lui, lui faisant aveuglément confiance. Je ne saurais me montrer vaniteuse en affirmant que je lui avais apporté la stabilité dont il avait manqué pour que s’éveille en lui la combativité qu’il manifestait aujourd’hui.

Que cela se retourne contre moi avait réveillé ma rage contre les hommes et je pestais contre son ingratitude. Ce n’est pas ainsi que je l’avais jugé et cela me rendait extrêmement malheureuse. Je ne supportais pas de m’être trompée à ce point. Cela me semblait impossible. Je me sentais désemparée, bouleversée par son comportement froid et distant sans parvenir à croire qu’il ait pu changer autant en aussi peu de temps. Où était la confiance que nous avions eue l’un pour l’autre ? Nous nous étions promis de ne rien nous cacher, même dans les moments les plus difficiles de notre vie de couple. Que faisait-il aujourd’hui de tous les engagements que nous avions pris l’un envers l’autre ?

Pendant un long moment, je n’ouvris pas la bouche. Je sentais le regard de Matteo se poser sur moi à intervalle régulier.

Puis il finit par me dire :

— Ne te mets pas dans un tel état. Il a parfois des sautes d’humeur, mais elles ne durent généralement pas.

Je ne sais pas quelle mouche le pique en ce moment, je ne l’ai jamais vu ainsi auparavant et je le connais depuis plus longtemps que toi. Vraiment, je ne le comprends plus et ça me fait aussi mal qu’à toi qu’il t’ait traitée de la sorte. Il a gâché notre amitié, mais ce n’est pas grave. Des amis, on peut s’en refaire. Mais à toi, il t’a brisé le cœur, et ça, c’est vraiment moche de sa part.

— Je t’en prie Matteo, ne me parle plus de lui. Je désire oublier ce qui vient de se passer, oublier le bonheur que j’ai eu avec lui, oublier jusqu’à son existence. Aussi, ne prononce plus jamais son nom devant moi. Si tu as envie d’évoquer des vieux souvenirs, fais-le avec quelqu’un d’autre, mais à l’avenir, de grâce, ni avec moi ni devant moi.

Je savais que les événements importants de la vie de Matteo étaient liés à Giorgio. J’imaginais combien il devait lui être douloureux, à lui aussi, de penser qu’il ne verrait plus cet ami de tous les instants et de tirer un trait sur son passé, sachant que j’étais une des rares personnes avec qui il pouvait l’évoquer. Mais est-il nécessaire de sans cesse se retourner sur le passé ? Les bons souvenirs peuvent parfois nous aider à aller de l’avant, mais les ressasser ne présente, selon moi, aucun intérêt. C’est ce que je tentais d’expliquer à Matteo, mais il m’écoutait à peine. Il ruminait son chagrin.

Et moi, par cette pléthore de paroles, que cherchais-je à faire ? M’étourdir pour oublier ? Me convaincre que les conseils que je lui prodiguais étaient aussi valables pour moi ?

Nous arrivâmes devant mon appartement plus rapidement que je ne l’aurais cru. Je pris machinalement le courrier qui se trouvait dans ma boîte aux lettres. Nous avions fait une halte à Bastelicaccia. J’avais besoin de marcher dans un lieu où j’étais certaine de trouver une atmosphère de calme et de sérénité avant de rejoindre Ajaccio. J’étais encore sous l’effet lénifiant de ce petit village de montagne et je ne vis pas immédiatement l’adresse indiquée au dos de l’enveloppe. Le cachet de la poste était illisible, comme si on avait cherché à en effacer la date en y versant de l’eau. Désirant être seule pour ouvrir mon courrier, je saluai Matteo très rapidement. J’eus juste le temps de voir un drôle de rictus sur son visage, que j’attribuai à ma façon cavalière de prendre congé de lui.

Rentrée chez moi, je décachetai fébrilement l’enveloppe et commençai à lire. Il ne me fallut pas très longtemps pour arriver à la fin du message qui était plutôt laconique, et pas du tout dans le style de son signataire. L’écriture semblait mal assurée.

« J’ai appris sur toi des choses que je ne peux accepter. Ne cherche plus à me revoir, j’ai pris le maquis pour que tu ne retrouves jamais ma trace. Mes amis ont ordre de ne pas te conduire à moi, même s’ils savent où je suis. » Je comprenais mieux son insinuation lorsqu’il m’avait dit : « Il n’y a pas de fumée sans feu ».

De sombres pensées m’assaillirent. « S’il a pris le maquis, me disais-je, c’est qu’il a fait quelque chose qu’il n’aurait pas dû faire et qu’il est menacé par quelqu’un de puissant. On ne prend pas le maquis pour rien. »

Et dire que j’avais vécu auprès d’un homme peu recommandable et que je l’ignorais.

Il avait bien su cacher son jeu. J’enrageais contre mon manque de perspicacité, contre ma niaiserie. « Notre relation devait être basée sur la confiance » avait-il insisté ! Quelle confiance ? Sa première phrase insinuait que j’avais trahi sa confiance, et lui-même avait aussi trahi la mienne en réagissant de manière totalement différente de ce que je connaissais de lui.

Je me cloîtrai chez moi pendant une semaine, en proie à une déception qui me cloua au lit. Lorsque je ne dormais pas, je ruminais. À la fin de la semaine, n’y tenant plus, j’allai avec sa lettre voir un autre de ses amis. Il connaissait Giorgio moins bien que Matteo, mais suffisamment pour me dire si ce message était bien de lui. Lorsque je sonnai à la porte, je fus extrêmement surprise d’y trouver Matteo. Il m’avait semblé qu’Antone et lui ne s’appréciaient pas beaucoup et voilà que je les retrouvais ensemble. Que me cachait cette amitié soudaine ? Troublée par cette présence inattendue aussi bien qu’inopportune, je balbutiai un au revoir et je partis en courant. Le diable aurait été à mes trousses que je ne me serais pas enfuie plus vite !

Lorsque je remontai dans ma voiture, Matteo était encore sur le pas de la porte à me regarder. Je ne pus lire l’expression de son visage, car je m’y attardai assez peu, préférant m’éloigner aussi vite que possible.

Étais-je victime d’un complot, ou plutôt, Giorgio et moi étions-nous victimes d’un complot ?

Je ne pouvais en outre plus entrer en contact avec lui puisque je n’avais aucune adresse. Matteo avait refusé de me donner le nom du lieu où il se cachait. Il m’avait conduite par des sentiers de montagne, me faisant marcher pendant plusieurs heures avant d’arriver. « Le maquis, c’est comme ça. On marche pendant longtemps en se repérant seulement avec la boussole. Si on ne connaît pas, on se perd. On risque d’y rester, à moins qu’un berger ne passe par là. Heureusement, Giorgio n’est pas très loin. Aller à sa rencontre aurait pu être encore plus ardu. Tu as de la chance. »

Maintenant que j’avais vu Matteo chez Antone, je me demandais si je devais avoir entière confiance en lui. J’essayais de me remémorer tout ce qui s’était passé depuis que Giorgio m’avait quittée. Je trouvai peu d’indices qui auraient pu me mettre sur la voie d’une trahison de la part de Matteo. J’en vins à évoquer plus particulièrement notre randonnée à travers le maquis. Je tentai de retrouver des détails qui auraient pu m’aiguiller vers des découvertes importantes. En fouillant ma mémoire, je me souvins qu’à un moment, avant qu’il ne me prive de la vue, il m’avait semblé que nous étions repassés devant le même arbre. Cet arbre avait un tronc très particulier. Lorsque je m’en étais ouverte à lui, il m’avait dit que c’était la particularité de certaines espèces qui ne se trouvent qu’aux abords du maquis.

« Avec la chaleur, tu as certainement la vue moins aiguisée, et tu crois que le tronc est pareil. Mais il y avait certainement de petites différences que tu n’as pas pu voir » avait-il affirmé pour me convaincre que j’hallucinais.

Ces soupçons me chagrinaient immensément. Non seulement à la pensée que Giorgio était victime de la machination de Matteo, mais aussi parce que, par ricochet, j’en faisais aussi l’objet, si machination il y avait et dans quel but. C’est ce que je devais absolument découvrir maintenant. Comment procéder ? Je n’avais aucune piste et retourner voir Giorgio me semblait impossible. Matteo m’avait bandé les yeux en prétextant que Giorgio y tenait absolument. Était-ce vrai ? Maintenant je doutais de tout ce que Matteo m’avait dit ou fait faire. Je pris une feuille de papier et un crayon et décidai d’inscrire d’un côté tout ce que le comportement de Matteo avait de positif et de l’autre tout ce qu’il avait de négatif, ainsi que tous les événements du même ordre.

Ce fut un travail long et pénible car je devais fouiller dans les profondeurs de ma mémoire pour en faire jaillir des faits oubliés. Le jeu en valut la chandelle car une foule de petits événements, anodins en apparence, devinrent, mis bout à bout, très parlants. Ainsi je me rendis compte que ce meilleur ami n’était pas aussi bon envers Giorgio qu’il voulait bien le laisser paraître. Bien sûr, il tentait de cacher ses manigances sous de petites allusions qu’il faisait passer pour de l’humour.

Il avait quelques phrases toutes prêtes du style : « Oui, je sais, mon humour est un peu noir, mais vous me connaissez bien, vous n’allez tout de même pas en prendre ombrage ! » ou bien « Vous n’allez tout de même pas croire ce que je vous dis ! Vous ne me connaissez pas encore ? Depuis le temps que nous nous fréquentons ! »

Finalement, je me rendis compte que l’amitié de Matteo avait changé depuis que Giorgio avait fait ma connaissance. Ou bien Giorgio ne se souvenait-il que des bons moments passés avec son ami et avait-il tout simplement occulté ce qui aurait pu le déranger ? Ce qui s’était passé avant mon arrivée semblait si idyllique. Aucun nuage n’avait jamais terni l’amitié des deux hommes. Devais-je en conclure que j’étais la brebis galeuse qui avait semé la zizanie entre eux ? Matteo avait lancé, à l’encontre de notre histoire, quelques petites piques qui me dérangeaient. « Ah ! le grand amour ! Quand il se meurt, il ne reste que haine et souffrance ! » « Nous ne sommes plus au Moyen-Âge. Les sentiments nobles n’existent plus dans notre monde et ceux qui prétendent en avoir l’un pour l’autre finissent par se quitter de manière si affreuse que les souvenirs en sont douloureux pour très longtemps. »

J’avais appris par la bande ce qu’il avait un jour confié à Giorgio, et que ce dernier s’était bien gardé de me répéter : « J’espère que vous ne finirez pas par vous lasser l’un de l’autre, sinon, gare aux dégâts ! Quand on aime comme vous, ça doit faire très mal si les choses se gâtent.

Ne dit-on pas que c’est trop beau pour être vrai ! Enfin, je ne veux pas être un oiseau de mauvais augure, mais à ta place, j’essaierais de garder la tête un peu plus froide. Depuis que tu la connais, tu ne jures que par elle, tu ne vois ta vie qu’à travers elle. J’espère que jamais elle ne te décevra, sinon, tu seras anéanti. Enfin, je serai toujours là pour toi, tu le sais. »

La réponse de Giorgio ne m’avait pas été retransmise malgré mon insistance. Il faut croire qu’elle n’était pas en ma faveur. Ainsi Matteo avait-il réussi à semer le doute dans l’esprit de mon amant. C’est ce que j’en déduisais aujourd’hui, puisqu’il avait rompu de manière si inattendue, si brutale avec moi que je ne parvenais pas encore à me convaincre qu’il ne faisait vraiment plus partie de ma vie. Je ne pouvais m’empêcher d’espérer un revirement complet de situation. Lasse de ruminer encore et encore de sombres pensées, je décidai de partir quelque part pendant un temps indéterminé afin de prendre de la distance avec tout ce qui me rappellerait Giorgio.

Chapitre Deux

Choisir une destination n’est pas toujours chose facile lorsqu’aucune motivation profonde ne nous inspire. Confrontée à ce problème, je ne savais comment le résoudre. Je fis plusieurs tentatives qui furent infructueuses car j’avais décidé de partir sans en avoir vraiment envie. Je me laissai encore quelques jours pour me décider. C’est alors que je tombai par hasard sur un article qui parlait des sites druidiques de Bretagne et de Stonehenge. J’avais lu avec beaucoup de plaisir la Légende des chevaliers de la Table ronde et j’avais eu un affectueux penchant pour Merlin le magicien. La quête du Graal m’avait impressionnée. Mais ce qui, en voyant les images de ces deux lieux, me fascinait maintenant était la tradition celte à la base de cette légende. Aller ressentir ces endroits me semblait la meilleure façon de prendre contact avec cette tradition.

Je me mis en demeure de trouver une agence qui aurait pu me conseiller dans ma recherche, car je ne voulais pas seulement aller sur les lieux, mais je voulais aussi m’assurer qu’une personne suffisamment éclairée puisse me guider lors de ma visite. Les seules réponses que je pus obtenir étaient orientées tourisme de masse, rien qui ne m’attirât réellement. Je décidai donc de surseoir à mon projet. Mon moral était loin d’être au beau fixe, et les jours s’étirèrent à l’infini jusqu’à ce qu’une poussière dans l’œil m’oblige à m’inspecter dans mon miroir. La personne que je vis en face de moi n’avait plus rien en commun avec celle que j’avais été. Un laisser-aller évident avait conduit à l’image que je reflétais. Mon teint était terreux, mes yeux cernés de bleu violacé, mes joues creusées par des nuits sans repos.

Devant ce visage que je reconnus à peine, je choisis de réagir. Puisque je ne pouvais pas aller me promener, j’allais travailler d’arrache-pied pour oublier au lieu de me morfondre dans la solitude de mon appartement. Dès demain, j’allais me remettre à la tâche et peindre, peindre, peindre jusqu’à ce que j’aie exorcisé mon malaise. Je me couchai plus sereine et je dormis un peu mieux. Le lendemain, j’étais réveillée très tôt et, le petit-déjeuner englouti plutôt qu’apprécié comme auparavant, je me rendis à mon atelier. Là, au milieu de mes toiles, je me sentirai moins seule. Je pourrai mettre ma préférée bien en vue, de sorte qu’elle me stimule. Je fixai au mur un tableau que j’avais peint bien avant que Giorgio n’apparaisse dans mon existence.

Je l’avais exécuté à une période où tout me souriait et j’espérais ainsi conjurer le mauvais sort qui semblait s’être abattu sur moi. Les couleurs pastel étaient tendres et les motifs tout en rondeur évoquaient le bonheur si bien que poser mon regard sur ses courbes et l’harmonie de ses tons m’apaisa.

Après ce long temps d’inertie, je décide de matérialiser les émotions négatives qui m’assaillent régulièrement. La colère est la première qui me vient à l’esprit car c’est celle que je ressens le plus fréquemment lorsque je pense à Giorgio ou aux différents échecs de ma vie sentimentale. Mais comment la représenter ? Je sais que les couleurs associées à cette émotion sont le rouge et le noir, mais pour moi, il ne suffit pas de mettre ces deux couleurs sur une toile pour satisfaire ma représentation de la colère. Je cherche donc un personnage qui pourrait la traduire au mieux. Je me souviens tout à coup des chimères de Notre-Dame. Je sais que ces allégories sont à l’origine le symbole du Mal, et qu’au fil du temps, elles ne sont devenues que des êtres fantastiques aux formes humaines. Il me suffit de m’en inspirer. Mon crayon trace sur la toile un personnage central que je tente de faire ressembler à un monstre. Je l’entoure d’un halo dentelé et ma main prend plaisir à en souligner les pointes. De sa gueule ouverte sortent des flammes. Lorsque je passe la première couche, je me laisse guider et le mélange de couleurs que je fais me surprend. À l’exception du contour, les tons se limitent à des variantes de rouge et d’ocre.

Je ne fais aucune tentative pour revenir à mes habitudes et laisse mon pinceau teinter le monstre que je viens de dessiner. Pour lui, j’utilise un ocre de chair léger qui se fond dans le halo dentelé rouge qui l’entoure. Au-delà de ce halo, le reste de la toile sera noir. Par ce contraste de rouge et de noir, j’espère pouvoir exorciser ma colère.

J’avais oublié de me restaurer et la journée avait passé sans que je m’en aperçusse. Ce n’est que lorsqu’il fit trop sombre pour que je continue à peindre que je pris conscience de l’heure.

Je quittai l’atelier et rentrai chez moi. Le soir, j’appelai ma mère, avec qui j’eus une altercation. Elle souleva en moi une telle colère que je criai dans le combiné. Malgré l’agitation d’une nuit peu reposante, très tôt le lendemain, je partis pour une grande promenade au bord de la mer. J’avais un impérieux besoin de me calmer et laisser voguer mon regard au gré des vagues de la Méditerranée m’était salutaire. Quelques jours plus tard, j’étais à nouveau à pied d’œuvre. La première couche étant sèche, je pus continuer mon travail et pour la deuxième, je changeai quelques teintes, notamment celles du personnage pour lequel j’utilisai un dégradé de gris. Je choisis un mélange de deux rouges pour que le halo qui l’entourait soit aussi lumineux que possible et contraste d’autant plus avec le noir qui bordait ma toile. Lorsque je l’eus terminé, je m’éloignai de mon chevalet pour mieux voir le résultat de mon travail. Je découvris avec bonheur que ce que j’avais exprimé traduisait parfaitement mon ressenti.

Des langues de feu sortaient de la gueule béante d’un être au faciès diabolique. Il n’était ni homme ni bête, mais il traduisait parfaitement toute la hargne et la rancœur que j’avais accumulées ces dernières semaines.

Colère

Face à mon canevas, je sentais toute la violence qui s’en dégageait et mon cœur se mit à cogner dans ma poitrine alors que j’avais eu l’impression de peindre comme une automate, sans aucun ressenti. J’en demeurais interdite. Comment pouvais-je être aussi agressive moi qui n’avais, depuis ma rencontre avec Giorgio, exprimé que douceur dans mes œuvres ? Cependant, je me sentais libérée d’une émotion qui m’avait gardée prostrée pendant de longs jours et ne m’avait apporté que souffrance et déplaisir.

Quelques jours plus tard, je revins vers ce premier tableau. En le regardant, je fus surprise de constater qu’il émanait du monstre censé représenter cette colère plus de douceur qu’à ma première impression. C’était probablement dû au fait que j’avais extériorisé cette émotion et qu’elle n’avait plus le même impact sur moi. J’analysai mon ressenti. J’étais heureuse d’avoir apaisé ma colère en peignant ces contrastes de noir et de rouge. Je savais aussi que cette colère n’était pas seulement dirigée contre Giorgio, mais aussi contre ma mère. Enfant, j’étais souvent révoltée, mais j’avais rarement des accès d’agressivité envers elle, et cette altercation que nous avions eue le jour même où j’avais traduit cette émotion en peinture en était la preuve indéniable.

Puis j’eus des moments de doute et je me demandais à nouveau si cette agressivité n’était pas aussi dirigée contre Matteo. Ce n’était pas clair dans mon esprit. Aussi ne m’y attardai-je pas trop et me remis-je au travail pour voir ce qui allait se dessiner sur la toile.

J’avais vraiment besoin de laisser mon inconscient s’exprimer à travers la peinture. De la colère contenue dans mon premier tableau due à ce que j’avais considéré comme un échec, Giorgio n’ayant pas été le premier homme qui m’avait quittée, je passais à la déception. J’avais cru en notre histoire et, comme les précédentes, elle se terminait en me laissant une angoisse au ventre qui me déchirait. Bien sûr, l’exercice un peu forcé auquel je venais de me soumettre m’avait aidée, mais la déception que je venais d’essuyer était très dure à accepter. Le personnage peint, chez qui je décèle une imperturbable froideur, me met mal à l’aise bien qu’il me ressemble. Aucun paysage ne l’entoure, et le fond du tableau est uniformément gris. Près de lui, une corde au bout de laquelle un nœud coulant semble attendre un cou à enserrer, pend à une branche morte qui n’est rattachée à rien. Ce détail lugubre exprime de manière évidente ma séparation d’avec Giorgio et le vide qui entoure cet autoportrait n’est que le reflet de l’immense désert affectif dans lequel cette rupture me fait à nouveau plonger. De plus, ce n’est qu’un tronc bleu surmonté d’une tête.