Ambre - Amandine Ré - E-Book

Ambre E-Book

Amandine Ré

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Beschreibung

Ambre a eu le malheur de tomber amoureuse d'un des bikers du gang des Peaceful Demons dans sa jeunesse, elle a subi leur cruauté jusqu'au jour de sa fuite...

Les flammes léchaient encore le ciel de Ojai lorsque, détruite par le gang des Peaceful Demons, je suis partie.
Fuir pour survivre… La vie ne m'en laissait pas le choix.
Aujourd'hui, chacun de mes pas est calculé ; chaque instant de ma vie est régenté par la peur de mourir.
Malgré la prudence dont je m’arme à chaque inspiration, je vais tomber sur l'homme qui me mènera tout droit vers les enfers de mon passé.
Denué de coeur et vide d'émotions, Hugo Layers est obnubilé par sa quête de vengeance.
Tuer les Peaceful Demons pour enfin respirer…
De proie, je deviendrai appât. D’appât, je redeviendrai enfin celle que j'ai toujours été : Ambre.
Ce retour aux sources risque d'être cruel, palpitant, agonisant, charnel et surtout destructeur.
Mais après tout, ne dit-on pas que le Phénix renaît toujours de ses cendres ?

Ce récit de dark romance palpitant et sensuel vous emmènera tout droit dans l'enfer de vengeance qui entoure Ambre et qui l'aidera à surmonter son passé pour se révéler à elle-même !

EXTRAIT

"Mon calvaire allait s’éterniser, les jours allaient devenir semaines, le mois allait se multiplier par six.
Viols, violences, insultes et ramassis de conneries.
Je ne disais mot. Je ne geignais plus quand ils discutaient de leurs plans devant moi, entre deux passes qu’ils m’imposaient.
— Tu t’es encore pissée dessus ?
Ils passaient leur temps à me violenter physiquement, psychologiquement.
Je m’étais éteinte, j’étais persuadée de crever. Ils voulaient me buter.
Un matin, après qu’Alec soit venu me jeter une tranche de pain au visage, j’ai trouvé la force de me redresser, de profiter de cette porte mal fermée.
Et pour la première fois, j’ai osé.
Pour la première fois, je me suis choisie.
Je suis sortie."

CE QU'EN PENSE LA CRITIQUE

"Une fois plongée dans cette histoire impossible d'arrêter ma lecture en cours de route. Donc oui, je peux dire que cette histoire est un réel coup de coeur et qu'elle devient vite addictive. Une fois de plus Amandine Ré a su m'embarquer dans son univers et m'émouvoir par sa plume merveilleuse." - FloppyCorse, Babelio

"Pour « Ambre », j'ai décidé de lui faire confiance les yeux fermés, surtout après avoir tant aimé Mystérieux et je peux vous dire que je suis loin d'être déçue. En effet, avec ce livre, Amandine Ré m'a retourné l'esprit et a bien failli me briser le cœur." - VirtuellementVotre, Babelio

"Encore un roman d'Amandine Ré englouti en une fois. Encore une lecture qui m'aurait transpercé, transporté. Amandine Ré est pour moi la reine de la dark romance." - ternoisejennifer, Babelio

Ambre » est un livre qui amène ses acteurs à repousser leurs limites. Il sème le doute dans l’esprit de son lecteur et l’invite à chercher des réponses au milieu d’événements choquants qui ne laisseront personne indifférent."- VoluptueusementVotre, Booknode


À PROPOS DE L'AUTEURE

Amandine Ré est une jeune auteure belge de 28 ans passionnée par l’écriture depuis la découverte de Wattpad il y a deux ans. La nuit, elle range son tablier de maman au foyer et revêt son costume d’auteur pour faire prendre vie à des héros sombres et torturés, mais pas seulement. Grande fana de jolies romances, elle collectionne les livres.

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Ambre

Par Amandine Ré

 

 

Mentions légales

Ambre

Amandine Ré

 

Illustration - mise en page : © Tinkerbell Design

Source image : © 123RF

ISBN : 9782378233013

 

 

« Le Code de la propriété intellectuelle interdit les copies ou reproductions destinées à une utilisation collective. Toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle faite par quelque procédé que ce soit, sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayant cause, est illicite et constitue une contrefaçon, aux termes des articles L.335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle. Tous droits réservés. Les peines privatives de liberté, en matière de contrefaçon dans le droit pénal français, ont été récemment alourdies : depuis 2004, la contrefaçon est punie de trois ans d’emprisonnement et de 300 000 € d’amende. »

 

 

 

© Art en mots éditions, 2019

 

 

 

 

 

À Jeanne R., mon Alix. Continue de veiller avec amour sur les nôtres,

du haut de ton nuage.Merci d’avoir été celle…

Prologue

 

Ambre

 

Je me souviens encore des mots que j’avais prononcés ce jour-là, face à ma psychothérapeute :

on a la vie qu’on se fait, pas vrai…

Elle avait alors souri, puis avait acquiescé avant de me répondre doucement : je pense que oui.

Elle ne pensait pas que oui, elle ne pensait pas que non.

Elle se contentait d’aller dans mon sens pour que je ne souffre pas plus que je ne le faisais déjà, pour que je cesse de me remettre en question alors que je n’avais pas à le faire. Je la payais soixante dollars de l’heure, elle savait que j’étais une fille impulsive, elle n’avait plus osé me contrarier par peur de me voir encore partir avec son dû dans ma poche. Elle n’allait pas me contredire.

On a la vie qu’on se fait…

Avec les années qui passent, avec les ans que je me prends en pleine poire, je ne peux que revenir sur mes mots. Je voudrais les reprendre, les ravaler, et les empêcher de sortir.

Parce que dire des conneries, j’en étais la pro. Aujourd’hui, maintenant que j’ai grandi, mon discours est autre.

On n’a pas la vie qu’on se fait, non. On fait notre vie avec ce qu’on a fait de nous. Avec ce qu’ils ont fait de nous.

 

Mon histoire fut composée de tellement d’éléments, que moi-même je ne sais plus si je suis dans le vrai, si je suis dans le faux. J’ai besoin de m’accrocher à chacun de mes souvenirs. Qu’ils soient erronés ou non. J’ai besoin de rejouer chaque scène, de me replonger dans ce passé impétueux pour exploiter les divers scénarios possibles. J’ai besoin de comprendre… Pour avancer.

Millimètre par millimètre, je dois le faire.

Pour moi. Rien que pour moi cette fois.

Je ne suis pas folle, je ne suis pas à lier, je ne suis pas une folle à lier. Je suis seulement une femme perdue.

Les gens disent de moi que je ne suis qu’un cas.

Cas un, cas deux, cas trois, cas cent mille. Nous sommes tous des cas à part.

Vivre recluse de cette société, je le fais et pourtant je ne voulais pas de ça pour moi.

Le monde extérieur m’effraie, le monde extérieur me donne le tournis, le monde extérieur me fait vomir.

J’ai peur, je suis angoissée, je suis phobique sociale, phobique de tout et pourtant je ne suis pas malade.

Il y a eu lui, puis eux. Puis lui, elle et encore lui. Il y a eu lui et moi.

Puis, plus rien. Le néant a pris possession de mon cœur, la douleur a remplacé les mouvements de mes jambes, l’affliction a séché mes larmes.

J’essaie de comprendre, je voudrais qu’il se remémore nos peurs, nos doutes, nos rires, nos baisers, nos baises à n’en plus finir.

Je voudrais juste qu’il se rappelle du pourquoi il m’a aimée.

Je voudrais juste qu’il se souvienne du pourquoi je l’ai chéri.

Je voudrais juste qu’il se remémore notre histoire, puisqu’il a fini par tout effacer de sa mémoire.

Laisse-moi te parler de ma vie, de mon passé, de cet événement qui a changé le cours de mon existence…

 

J’avais quinze ans. À l’époque j’étais encore une jeune fille pleine de rêves, de projets et emplie d’espoir.

Quinze ans et je me prenais déjà pour une grande.

Quinze ans, adolescente en conflit perpétuel avec ses parents. Ils m’énervaient ces cons. Ils me bassinaient les oreilles avec leurs leçons de morale sur chaque choix de vie que je prenais.

Si je faisais un pas de travers, je m’en prenais une.

Un pas en avant, ma génitrice sortait la ceinture.

Un pas en arrière, ma mère ricanait de me voir échouer, ne pas oser, ne pas m’affirmer.

Mon père lui, ne mouftait pas. Il regardait sa femme sévir contre sa gosse sans aucune réaction. Il s’en tapait de mon éducation, tant que je lui foutais la paix.

Lorsqu’on a quinze ans, l’espoir est présent en nous comme l’affliction l’est chez les plus âgés.

Des cicatrices, j’en avais. Mon corps en portait, mon âme en saignait.

Mais quand on a quinze ans, on est consciente qu’un jour, on s’en sortira.

Je n’étais pas rouée de coups mais j’étais élevée à la dure, je ne manquais de rien mais je n’étais pas heureuse, je rêvais d’évasion surtout, je rêvais d’un bonheur éternel que personne ne pourrait entacher.

À quinze ans, je comptais les ans qui me séparaient de la majorité. Je les comptais sur une seule main avec la boule au ventre quand je ne parvenais pas à m’imaginer heureuse, quelque part loin de chez moi.

Et puis, je l’avais aperçu…

Alec.

Beau, grand et plus âgé que moi. C’est son putain de regard qui avait fendu l’armure sous laquelle je barricadais mon cœur.

Ses yeux ténébreux m’avaient fait frissonner, l’assurance qu’il affichait m’avait séduite.

Il était beau, Alec.

Il était l’homme avec lequel je me voyais bien partir pour le restant de mes jours.

Chaque soir, alors que je descendais du bus scolaire, il était là. De l’autre côté de la route, appuyé nonchalamment sur sa bécane. Je me souviens encore de la façon dont mes yeux le dévoraient, dont les siens me parlaient.

Jusqu’au jour où, il m’avait interpellée.

— Hep Blondie !

Ce surnom valait tous les maux qui m’étaient infligés depuis ma naissance.

La gamine écervelée que j’étais s’était approchée, son cœur s’était emballé.

Boum. Boum boum. Boum. Boum boum.

À toute vitesse.

Entre lui et moi une histoire d’amour était née.

Entre mes yeux et les siens, une jolie romance voyait le jour.

Je me voyais à travers lui, je me voyais belle, je me voyais moi, je me voyais enfin comme une personne aimée. Ses iris s’illuminaient quand il me voyait, ils devenaient durs et sombres lorsque nous nous disputions.

Parce que chaque vérité, chaque mensonge passait dans son regard, détenant ainsi le contrôle de mon émotion.

 

Je l’aimais bien, Alec. Je l’aimais bien plus que bien.

J’étais amoureuse. Pour la première fois.

Je le voulais, il me désirait et rien d’autre ne m’importait. Même pas les activités qu’il pratiquait au sein du gang des Peaceful Demons.

J’étais heureuse. Pour la première fois.

Mais à quinze ans, je n’avais pas encore la notion du danger véritable. Je savais qu’en approchant mon doigt d’une flamme je pouvais me brûler, je savais que si je traversais la route je pouvais me faire écraser. Je savais même que les pédophiles existaient.

Par contre, ce que j’ignorais, c’est que la vraie douleur est souvent provoquée par les gens que nous aimons. J’ignorais encore plus qu’un amour à sens unique était la pire des tortures que l’humain était capable de supporter.

Il était biker. À quoi m’attendais-je ?

 

À seize ans et demi, j’en avais marre de ces filles qui déambulaient à moitié nues toute la journée. Je les entendais jouir tandis que je grinçais des dents pour ne pas péter un plomb. Parce que des câbles, j’en pétais bien souvent, créant des disputes insignifiantes à ses yeux, créant la fin de mon paradis.

Je voulais être celle. Je voulais être sienne. Celle pour qui il aurait tout abandonné, tout laissé sans jamais le regretter.

À la place de ça, j’avais le rôle de la fille de passage qui pourtant était là depuis assez longtemps. Le rôle de celle qu’on baise parce qu’elle est nouvelle, parce qu’elle est mignonne avec ses grands yeux bleus et ses cheveux blonds, parce qu’elle fait du bien à l’égo. J’avais le rôle de la nana trop collante qui ne comprenait pas trop ce qu’elle était censée faire pour se faire un peu plus aimer encore.

Quand je rentrais chez mes parents, j’étais dévastée, mais aussi révoltée.

La gentille fille que j’étais devenait le synonyme d’arrogance.

Arrogante, impertinente, pleine d’assurance, fragile, en plein doute. Détruite.

J’en voulais à ma famille qui ne se souciait guère de voir leur enfant souffrir le martyre.

Je le voulais lui. Rien que lui et je ne parvenais pas à le désaimer malgré la souffrance qui me retournait les tripes.

Et je savais comment faire pour qu’il reste à mes côtés.

Ivre jusqu’à ne plus savoir comment je me nommais, Alec m’avait embrassée. Je lui avais fait l’amour alors qu’il ne faisait que de me baiser.

— Je te baise, Ambre, j’aime te baiser.

Et moi aussi j’aimais le baiser, surtout quand à son insu, il me faisait un bébé.

 

J’avais alors presque dix-sept ans et j’étais enceinte de la bestialité.

C’était anxieuse et à la fois heureuse que je lui avais annoncé la grande nouvelle.

— On va avoir un bébé, amour.

Je me souviens encore de ses sourcils froncés, de ses iris qui s’étaient teintés de surprise, de violence.

Alors que durant les premières semaines j’avais imaginé ce moment comme étant idyllique, Alec balayait mes espoirs d’un revers de la main, de son poing.

— Hors de question !

Il avait hurlé en même temps que ses phalanges s’étaient écrasées contre ma tempe.

Et c’est là que le cauchemar avait commencé, à mes dix-sept ans et demi.

Rouée de coups, j’ai perdu le bébé dans la cave de l’entrepôt des Peaceful Demons.

C’était lui, c’était moi, c’était lui et les autres gars.

Tous me battaient, un à un, chacun leur tour tandis que j’implorais leur clémence.

Mais alors que l’affliction s’insinuait dans mon corps, mon cœur lui se trouvait déjà mort.  

Ils avaient tué mon bébé.

À dix-sept ans et demi, je venais de perdre l’homme que j’aimais, et surtout, mon bébé.

Je n’étais plus rien, durant des semaines entières.

J’étais leur captive, leur vide-couilles, leur punching-ball.

Parce qu’Alec disait que je les avais trahis.

— Tu croyais quoi, hein salope ?!

À chaque fois que la lourde porte en fer claquait derrière moi, je m’effondrais dans la tâche de sang de la non-naissance de mon bébé qui avait marqué le béton, je pleurais sa perte, je pleurais sa mort, je pleurais mon imbécilité.

Puis, je me suis murée dans le silence. Je ne voulais plus parler. Je ne pouvais plus, je n’avais rien à dire.

Naïvement, j’avais pensé que mes parents allaient venir me chercher. Mais il n’en fut rien.

Mon calvaire allait s’éterniser, les jours allaient devenir semaines, le mois allait se multiplier par six.

Viols, violences, insultes et ramassis de conneries.

Je ne disais mot. Je ne geignais plus quand ils discutaient de leurs plans devant moi, entre deux passes qu’ils m’imposaient.

— Tu t’es encore pissée dessus ?

Ils passaient leur temps à me violenter physiquement, psychologiquement.

Je m’étais éteinte, j’étais persuadée de crever. Ils voulaient me buter.

Un matin, après qu’Alec soit venu me jeter une tranche de pain au visage, j’ai trouvé la force de me redresser, de profiter de cette porte mal fermée.

Et pour la première fois, j’ai osé.

Pour la première fois, je me suis choisie.

Je suis sortie.

Devant mes pieds s’étendait une série de marches que j’avais grimpée, sans faire un bruit, me méfiant des personnes qui pouvaient être présentes.

Pour mon plus grand soulagement, la pièce était vide, seuls des cartons de drogues et d’armes s’y trouvaient.

L’odeur de moisi s’était infiltrée dans mes narines ensanglantées, ma tête avait tourné.

J’aurais pu fuir, filer aussi vite que je le pouvais vers la sortie.

J’aurais peut-être dû.  

Mais la crainte mêlée à l’euphorie de pouvoir leur échapper m’avaient injecté assez d’adrénaline pour me venger.

Sur un appui de fenêtre, à côté d’un cendrier qui dégueulait de mégots, il y avait un briquet noir, tacheté d’une matière pâteuse et collante.

Je l’avais allumé, j’avais regardé la flamme jaillir et danser dans les airs.

Quelques bouts de cartons déchirés et une flamme avaient suffi pour foutre le feu à leur coffre aux trésors.

J’avais regardé le feu s’étirer et embraser la poudre blanche, j’avais souri quand il s’était avancé vers mes pieds.

J’avais dix-huit ans, et j’étais partie, pour ma propre survie.

 

 

Chapitre 1

Le début du commencement

Ambre

 

Derrière la baie vitrée de mon appartement, j’observe la rue alors que le soleil peine à se lever. Il est sept heures trente. L’heure où la course commence pour la race humaine. Enfants, école, métro, boulot, magasin, repas, dodo. Un café brûlant dans les mains, mon regard file sur les passants qui se pressent sur les trottoirs de la ville.

Mes pensées ne s’arrêtent jamais. Jamais.

Pas une seule seconde de répit, pas une seconde de pause, pas une seconde tout court.

J’ai appris à devenir comme ça.

Je suis devenue comme ça.

Ils ont tout fait pour que je sois comme ça.

Je me suis auto-conditionnée pour être méfiante, sur mes gardes, toujours à l’affût d’un visage qui ne me serait pas totalement inconnu. Ils ne doivent pas me trouver.

Je n’avais rien.

Je n’ai toujours rien.

Je suis seule, terriblement seule.

Je n’ai pas de famille. J’en avais pourtant une.

Mais si j’ai appris quelque chose de cette dernière année écoulée, c’est que la famille ne fait pas obligatoirement partie de notre vie à tout jamais.

J’ai dix-neuf ans, putain. Dix-neuf ans et toutes mes dents. Dix-neuf ans et plus de parents, plus d’amis de mon âge. J’ai dix-neuf ans et plus d’amour à donner. Je n’ai qu’elle…

Que elle justement.

Mon cœur s’est verrouillé, mon âme s’est pendue dans un coin de ma tête, mon rire s’est évaporé dans le verre de bourbon que j’ai avalé cul sec hier avant de me coucher.

J’ai tout quitté de ma vie d’avant. Je suis partie euphorique, salement amochée mais heureuse, mon majeur dressé dans les airs, la gorge déployée à trop rire.

J’avais ma vengeance. Je l’avais eue, putain !

Je croyais que je l’avais eue.

Seulement, à dix-huit ans, on ne sait pas vraiment à quel poisson on s’attaque. On ne réfléchit pas forcément aux conséquences de nos actes. Et je le paie.

Cinq cent mille dollars.

Sur ma tête.

La personne qui me ramènera à lui aura cinq cent mille dollars.

Un beau butin en échange de ma vie.

Un beau butin à hauteur de ce que j’ai foutu en l’air dans la sienne.

J’avale une gorgée de café, remonte la manche tombante de mon pull et inspire longuement.

Penser à la mort ne m’effraie pas.

Tout le monde naît, mais tout le monde crève aussi.

Et je finirai par mourir. Pas maintenant par contre.

Alors, je traque.

Je suis devenue la pro de l’observation, je suis devenue la pro du repérage, je suis devenue tellement pro que j’en ai fait ma profession.

Détective privée.

Je suis la fille sans identité à décliner aux autres.

Je ne suis pas celle que les autres voient.

Sur le papier, tout a l’air simple, mais à vivre, tout devient compliqué.

En dehors de ces murs, je ne suis plus Ambre Lowkins. Je deviens personne.

Je deviens la personne sans passé, sans conjoint, sans enfants, sans vie à raconter.

Parce que je ne suis personne.

 

Il est dix-heures trente quand j’arrive dans la rue que m’indique le Gps qui hurle dans la voiture.

« Vous êtes arrivée à destination ».

J’éteins le Gps, l’arrache du pare-brise avant de le jeter dans la boîte à gants. J’observe. Encore et encore.

Le macadam de la route est bordé de trottoirs inondés par la pluie, d’arbres aux fleurs roses dont les pétales tombent au sol sous la force du vent et des gouttes d’eau. Mes essuie-glaces se figent sur le pare-brise lorsque je coupe le moteur. Il y a très peu de voitures sur les allées devant les pavillons, personne, si ce n’est un chat qui zigzague à une vitesse folle à travers les gouttes. Rapidement la buée se forme sur les vitres de la voiture. De la paume de la main, je frotte un cercle dessus, me permettant de regarder la maison.

Au bout de l’allée gravillonnée, se tient un joli pavillon fait de lambris en bois clair et de grosses pierres grises. Les tentures de l’étage supérieur sont ouvertes, celles du bas inexistantes. Mes yeux parcourent cet endroit, cherchant un détail qui m’aurait échappé. Mais il n’y en a pas. Ce lieu respire le calme, la sérénité, et peut-être même la solitude alors qu’à l’intérieur de ces murs se joue un chaos sans nom entre le couple qui y vit.

Sa femme, madame Layers, m’a appelée hier matin.

 

« — Allô ? ai-je répondu.

— Euh…

 

Elle semblait hésitante en entendant ma voix encore juvénile mais s’était vite reprise.

 

— Bonjour… Je… J’ai vu votre annonce dans un pub de la ville… Un jour… Et…

 

Un pub ? J’avais souri… Elle avait dû la voir il y a quelques mois déjà, mais avait attendu le bon moment pour m’appeler.

 

— Je vous écoute. Que puis-je faire pour vous ?

 

Elle avait toussoté, pour se donner un peu plus de contenance, puis avait repris.

 

— Mon mari me trompe… J’ai besoin de votre aide. »

 

Traquer des hommes ou des femmes infidèles n’a rien de bien palpitant. Les trompés le sentent, ils savent que leurs soupçons sont fondés. Je ne demande même plus quels sont les signes qui les ont alertés puisque ce sont toujours les mêmes : téléphone planqué, divers codes pour tout verrouiller, changements de mot de passe, excuses pour rester seul, mensonges.

 

Après avoir attrapé mon parapluie au pied du siège passager, j’ouvre la portière, et sors rejoindre madame Layers.

Dès qu’elle m’ouvre la porte, nous nous jaugeons, jugeons aussi.

Je la trouve trop pimpante et scintillante dans son pull aux paillettes dorées ; elle doit me trouver probablement trop jeune pour être professionnelle.

 

— Oui ? répond-elle pour s’assurer que je suis bien la personne qu’elle attendait.

 

Je lui tends une main, lui sers un sourire franc, avec une pointe de chaleur humaine.

 

— Madame Layers, ravie de vous rencontrer. Vous m’avez contactée hier, à onze heures.

 

Elle inspire, me serre la main puis recule pour me laisser entrer.

 

— Désolée, dit-elle alors que je referme mon parapluie. Je ne m’attendais pas à voir une personne aussi…  

Elle se tait, avec la peur certaine de commettre une impolitesse concernant mon âge.

 

— Aussi jeune ? souris-je. Je comprends, mais je suis bien plus vieille que vous ne le pensez.

 

Je mens.

Madame Layers paraît se détendre en m’invitant à prendre un thé dans la cuisine. La pièce est grande, lumineuse, et si l’extérieur de la maison a un côté assez ancien et rustique, je dois bien admettre que l’intérieur est encore plus moderne que les nouvelles constructions.

 

— Prenez place, me dit-elle, je vous en prie.

 

Je m’installe au bar, l’observe tandis qu’elle s’affaire autour de deux tasses.

Blonde, mince, élancée, le nez en trompette et les yeux teintés de bleu, je ne peux qu’être admirative.

Quand elle s’assoit à mes côtés, madame Layers dépose les tasses devant nous, puis entame la discussion.

 

— Je vous ai appelée car je sais que mon mari me trompe. Ça me détruit...

— Depuis longtemps ?

— Je dirais quelques mois… Mais est-ce avec une seule et même femme, ou plusieurs, je ne sais pas… Je ne sais plus…

 

Une larme perle au bord de ses yeux, elle l’essuie avant de sourire.

 

— Il y a deux ans, Hugo m’a couru après, il était l’homme idéal. Mais son empressement à s’engager m’effrayait. Pourtant, il a su me convaincre. De par son charme d’abord, mais surtout par sa gentillesse, par ses intentions, par son amour.

— Quand tout a dérapé…

— Oui. Une fois que nous nous sommes mariés, il a très vite été désintéressé. Il ne me regardait plus, ne parlait que très peu. Mon mari est devenu un inconnu.

 

J’acquiesce en me levant, mais ne l’interromps pas. Il y a des photos encadrées sur le mur derrière moi, je veux voir à quoi ressemble cet homme que je dois traquer.

J’en saisis une, le regarde longuement, enregistre le moindre détail du visage de cet homme.

 

— Il passe ses soirées enfermé dans son bureau quand il est là. Ou sinon il me dit qu’il reste au boulot alors que les bureaux sont fermés depuis plusieurs heures déjà.

— Quel métier ? demandé-je.

 

Cheveux brun foncé. Yeux noirs. Peau mate. Fine barbe. Lèvres charnues. Grain de beauté sous l’œil droit.

— Hugo travaille dans les bureaux de Cie Corporations WendyFeelings en tant qu’ingénieur en robotique.

 

Un intello…

 

— Hobby ? dis-je en reposant le cadre.

— Il fait de la boxe, deux fois par semaine au Club de Stay.

 

Je reprends place à ses côtés, sors mon carnet et y note les informations.

 

— Vous avez une semaine.

 

Je redresse la tête vers elle, arquant un sourcil étonné. Une semaine ? Elle est timbrée.

 

— D’accord, réponds-je. Ça vous coûtera trois mille dollars. La moitié payable de suite, le reste quand je vous apporterai les preuves.

 

Chapitre 2

La traque

Ambre

 

Tout en remontant dans ma voiture, je me dis qu’il valait mieux commencer la surveillance dans l’immédiat. Madame Layers ne me donne qu’une semaine pour lui apporter des réponses, donc peu de temps. Je démarre la voiture après avoir bouclé ma ceinture, et me mets en route vers la Cie Corporations WendyFeelings.

Je n’ai pas peur de suivre cet homme. Je n’ai jamais eu peur de suivre qui que ce soit. Je n’ai jamais eu la crainte de devoir me justifier s’ils devinaient mes intentions. Les infidèles pensent être assez discrets, assez prudents, tellement prudents qu’ils deviennent directement suspects. Et la plupart du temps, ils le sont… Prudents... Quand il s’agit de leur moitié blessée seulement, mais pas avec les inconnus.

Je suis une inconnue.

À leurs yeux, je ne serai qu’une fille croisée au coin d’une rue, je ne serai que la nana qu’ils ont bousculée en ouvrant une porte, je ne serai qu’un visage bien vite oublié parmi tant d’autres.

Depuis que j’ai commencé ce boulot, je n’ai eu qu’un seul cas où les soupçons du client étaient erronés. Il pensait que son épouse allait voir un autre. Et c’était le cas dans le fond puisqu’elle se rendait trois fois par semaine chez son père qu’elle pensait disparu depuis des années sans oser en parler avec l’homme impulsif qui partageait sa vie.

Voir toutes ces relations partir en lambeau ne me donne pas envie de confier à nouveau mon cœur.

Je ne m’en sens pas capable.

Les hommes, les femmes, l’humain en général n’est pas destiné à aimer qu’une seule et unique personne tout le long de sa vie.

Parce qu’on rencontre l’autre, qu’on apprend à le connaître, qu’on aime ses défauts bien avant ses qualités, qu’on en devient drogué avant de finir aveuglé par ce qui bat dans notre poitrine.

Qu’importe les actes…

Qu’importe les mots…

Qu’importe les mensonges débités à toute vitesse.

On ne voit plus juste.

On ne voit plus la réalité malgré les avertissements de notre conscience.

On se ment à soi-même.

On se torture, on souffre, on suffoque.

Et pourtant on attend le bon moment pour en terminer.

Mais attendre quoi ?

Attendre le pas de trop, le geste de trop, la parole de trop…

Attendre de crever à force d’avoir trop mal.

Trop d’attente et de souffrance pour une simple personne.

C’est ce qu’il m’est arrivé ; ce dont je ne veux plus ; ce que je redoute.

Ce que je ne veux plus vivre.

Alec était le mec dont je rêvais. Celui qui me faisait frémir d’un seul regard. Il avait vingt-sept ans, j’en avais quinze. J’étais lycéenne, il était membre d’un gang. Je me souviens encore des regards impressionnés que je lui lançais quand je le croisais ; je me rappelle encore du sourire charmeur qu’il me répondait. Il était beau, il était grand, il était fort, il était dangereux.

Tout ce qui me donnait envie de le connaître.

Tout ce qui faisait hurler mes parents.

Et alors que mes parents me menaçaient de me foutre dehors si je continuais cette idylle, moi, je devenais la nana de trop pour lui.

Trop collante, trop chiante, trop jalouse, trop en demande d’affection, trop amoureuse, trop fragile… Trop tout.

J’étais devenue la gêne, j’étais devenue l’épine qui lui écorchait le pied, j’étais devenue la gangrène qui le bouffait.

 

Les bureaux de Cie Corporations WendyFeelings sont au centre de la ville de Clast. Malgré la circulation assez dense de ce lundi matin et les bouchons qui s’agrandissaient au fil des minutes, j’arrive sur le parking des visiteurs bien avant l’heure du déjeuner. Je me gare entre deux véhicules, coupe le moteur et fixe la porte d’entrée principale de la tour en verre qui s’élève face à moi. Je me sens ridiculement petite à son pied, ridiculement insignifiante.

Modernité et sophistication.

Tout ce que j’aime, tout ce que je n’ai jamais eu et qui me fout les étoiles dans les yeux.

J’ai grandi dans un milieu modeste. Mon père était ouvrier dans une usine de métaux lourds, ma mère était femme au foyer. Elle s’occupait du ménage, des repas, de moi.

Tout ce monde friqué m’a toujours intriguée, a toujours su attiser la curiosité de la gamine qui sommeille en moi, mais à la fois, je n’aime pas ce type de personnes.

Les gens riches sont différents. Ils ne parlent pas comme les gens modestes ; ils ne jurent pas comme les gens modestes ; ils ne s’habillent pas comme les gens modestes, ils ne mangent pas comme les gens modestes.

La mixité sociale n’existe pas, même si on tente de nous le faire croire.

Je mâche mes mots, ça peut m’arriver de jurer comme un charretier, je me contente du shopping en friperie, et de grignoter ce que je trouve dans mon frigidaire. Rien à voir avec le train de vie de ces gens de la haute.

Pourquoi je ne les aime pas ? Question d’égo je suppose. À leurs côtés, je me sens nulle, mal à l’aise, pas à ma place. Inconsciemment, ils me renvoient à ce que j’exècre chez moi, à ce que je déteste dans ma vie.

 

Le téléphone qui joue l’air de Sister Act me sort de ma léthargie. Au bout du fil, Alix, ma voisine de palier, mon unique amie.

 

— Alors vieille branche, quoi de bon ? dis-je en décrochant.

 

Je ne quitte pas la porte des yeux. Je ne me laisse pas distraire.

 

— Comment tu sais que c’est moi ?

 

Elle tousse, encore puis reprend essoufflée :

— Tu es d’accord pour me ramener un pain quand tu rentreras ?

— Bien sûr. Et je sais que c’est toi vu la sonnerie choisie.

 

Elle glousse. C’est elle qui l’a choisie lors d’une soirée passée ensemble. Alix a quatre-vingt-dix ans. Elle n’était censée être qu’une voisine enquiquineuse, et je sentais qu’elle allait me saouler quand elle avait débarqué chez moi le premier jour de mon emménagement. Je voulais la remballer, mais son sourire et ses yeux pétillants m’ont implorée de ne pas virer la tarte aux pommes qu’elle m’apportait. Alors je l’avais faite entrer, m’étais excusée du manque de mobilier avant de partager un morceau baigné dans une tasse de café.

Alix est la femme qui sait tout de moi, de mon histoire, de mes choix de vie hasardeux. Même si durant mon récit elle avait grimacé, elle ne m’a jamais jugée, ni conseillée. L’unique chose qu’elle m’avait dite après lui avoir tout raconté a été « je suis désolée ma p’tite, mais je dois faire pipi ».

J’avais ri, acquiescé, puis elle était revenue des WC avec un nouveau papotage : le nombre de couches des rouleaux de papier toilette. J’avais alors décidé que je l’aimerai comme si elle était ma grand-mère, ma mère, ma sœur, mon amie.

J’avais tout perdu de ma vie, elle allait devenir ce tout en une seule personne.

 

— Alors, toussote-t-elle, tu ne me racontes pas ta mission du jour ?

— Tu devrais arrêter de fumer, grimacé-je.

— Blablabla… Raconte !

 

Je soupire, change le téléphone de main et réponds :

 

— Homme dans la trentaine, brun ténébreux qui trompe sa femme depuis quelques mois.

— Tu en penses quoi ?

— Rien, j’attends devant son travail qu’il daigne me montrer sa belle gueule.

 

Elle rit, tousse encore avant de me dire :

— Sois prudente mon p’tit, et n’oublie pas mon pain.

 

Je raccroche, range le portable au fond de mon sac à mains, et tapote le volant du bout des doigts quand les premiers employés sortent en masse de la tour.

— Fait chier !

 

Comment le distinguer parmi tous ces pingouins en costard ? Comment être certaine de le trouver alors qu’ils se ressemblent tous ? Mon cœur s’emballe, mes paumes deviennent moites. Je stresse, je ne veux pas échouer, et cette marée humaine va m’obliger à jouer l’inconscience.

J’attrape mon sac, retire la clé du contact et sors de la voiture.

 

 

La anse de mon sac bien serrée entre mes doigts, je trottine jusqu’à l’entrée, le cœur battant à tout rompre. Il ne faudrait pas qu’il me file entre les doigts, ni que je le rate parmi cette foule d’hommes qui se ressemblent tous.

Brun, barbe courte. Brun, barbe courte.

Les hommes qui m’entourent sont presque tous identiques, accentuant légèrement ma panique. Et pourtant, quand Monsieur Layers passe le tourniquet de la porte, je le reconnais immédiatement.

Ils se ressemblent tous ici, mais il a ce quelque chose en plus, ce quelque chose qui le différencie des autres. Il est exactement comme la photo encadrée dans sa cuisine, il est encore plus fabuleux en vrai.

Il est grand, très grand.

Il est beau, beaucoup trop beau.

Et il n’est pas seul.

Accompagné d’un homme et d’une femme, Monsieur Layers croise mon regard.

Il avance, il ne me lâche pas des yeux tandis que ses accompagnants lui parlent, il ne sourit pas, il est impassible.

Sous son regard, je me statufie. Je n’ose pas bouger, j’ose à peine respirer. Je ne sais pas ce qu’il m’arrive, je ne sais pas pourquoi mon corps refuse de feindre le moindre mouvement, je ne sais pas ce que je fous, putain !

Ses yeux percent mon âme, je me sens nue, vulnérable, je me ressens fragile et je n’aime pas ça.

Ses iris sont aussi sombres que les miens sont clairs ; ses traits sont durs et austères ; son aura suinte la dangerosité.

Pour je ne sais quelle raison, cet homme m’inspire la peur, la méfiance.

Lorsque le trio passe à mes côtés, je respire. Ce moment n’aura duré que quelques secondes, j’ai la nette sensation qu’il a duré des heures entières.

Heures de supplice, heures de calvaire, heures durant lesquelles je ne me suis pas sentie à l’aise.

L’impression qu’il m’a démasquée, qu’il me connaît, qu’il sait tout de moi me transperce.

 

Chapitre 3

Espionnage

Ambre

 

Je ne peux pas le laisser partir, même si ma conscience me dicte de rentrer chez moi. J’ai un loyer à payer, un frigo à remplir, des factures qui s’entassent sur le guéridon de mon salon.

J’inspire une bonne fois, comme si cette bouffée d’air humide allait pouvoir me regonfler à bloc, puis, je tourne les talons et décide de le suivre. Il a tourné à gauche. J’en suis certaine.

La Cie Corporations WendyFeelings se situe sur une grande avenue. À droite de l’entreprise, bon nombre d’autres bureaux, à gauche, le centre-ville qui regorge de restaurants et snacks idéaux pour les pauses déjeuner.

J’accélère le pas, repère le trio quelques mètres devant moi, noyé parmi les passants. Ils ont l’air de bien se connaître, de bien s’entendre. Je suppose qu’ils sont collègues mais pas que… Une amitié doit les lier.

Tous les trois entrent dans une brasserie de la ville, à la devanture assez moderne et propre. Je pourrais y entrer, mais je décide de ne pas le faire, de jouer la prudence. Sur le trottoir d’en face se trouve un snack turc aux grandes baies vitrées qui me permettrait de surveiller tout ce petit monde à partir de là-bas.

 

L’odeur de viande grillée m’ouvre l’appétit. Je jette un rapide coup d’œil au présentoir pour m’assurer de la propreté, puis attends patiemment mon tour pour commander. Par la vitre de la porte, je peux apercevoir le trio attablé dans le restaurant d’en face. Ma cible est seule sur la banquette, ses comparses sont assis face à lui. Il regarde sa montre, son téléphone, participe à la discussion. Je saisis mon portable, fais le zoom et le capture en ayant pris soin d’enlever le flash de l’appareil.

Elle est trop sombre, fait chier…

— Mademoiselle ?

 

Je me retourne vers le cuistot qui s’impatiente derrière son présentoir, puis lui souris.

 

— Désolée, j’étais distraite.

 

Je passe commande : une pita au poulet avec crudités en sauce me conviendra pour aujourd’hui. On m’a invitée à prendre place dans la petite salle du restaurant, et j’ai eu la table tant désirée.

Je ne le quitte pas des yeux. L’étrange sensation ressentie quand ses prunelles étaient rivées aux miennes ne me laisse pas indifférente. Jamais je n’avais ressenti une telle chose lors d’une mission. Même quand je me suis fait prendre en flagrant délit d’espionnage.

Il faut que je sache pourquoi j’ai ce sale pressentiment.

Je devrais rentrer chez moi, je devrais abandonner et rembourser Madame Layers. Je devrais. Parce que cet homme ne présage rien de bon. Le danger qui émane de ses pores me file la frousse, me met la pression.

 

Il est dix-neuf heures. Je suis dans ma voiture, encore, même si je l’ai changée de place plusieurs fois pour ne pas être repérée. La cible n’est pas encore sortie de son bureau. Je m’ennuie, je trépigne, je prends des notes et j’imagine déjà une future filature parmi les rues de la ville. Son épouse m’a dit qu’il conduisait une BMW de luxe noire, une voiture au moteur puissant, et je ne pense pas que ma cacahuète fasse le poids s’il venait à rouler comme un mariole.

Je décide de sortir de mon auto. Les fourmis dans mes jambes se réveillent m’envoyant des décharges le long des tibias. Je fais un pas, puis deux. Je fais demi-tour, et tourne en rond avant d’attraper la cigarette électronique dans la poche de mon imper. Je l’allume, et tire une bouffée au goût sucré avant de recracher la fumée dans les airs. Avec l’expérience, j’ai appris à être patiente. Je suis obligée d’attendre le gibier, de marcher dans chacun de ses pas pour comprendre sa façon de faire, pour vivre son quotidien.

Mon métier a l’air tellement bête, vu comme ça, mais je le trouve tellement complexe.

Espionner en étant malin est un art.

Ne pas faire de bruit.

Ne pas se faire voir.

Ne pas parler.

Ne jamais échanger avec la cible.

Ne jamais vouloir connaître les tenants et aboutissants de l’histoire.

Disparaître.

 

Je remonte derrière le volant, ferme les yeux durant une seconde puis les ouvre pour les fixer à la porte de la tour.

Je me fonds dans mon siège comme je me fonds dans la masse de la ville. Je deviens invisible, insignifiante alors que dans mes mains, l’avenir d’un couple a trouvé sa place.

Le voilà. Je retiens mon souffle et suis du regard Monsieur Layers. Longeant les murs de la compagnie pour laquelle il travaille, il ne prend pas attention à ce qui l’entoure, se contente de fixer l’écran de son smartphone, mallette en cuir dans sa seconde main.

Lorsqu’il arrive sous la lumière du lampadaire, il s’arrête, et je prends une photo avant d’enregistrer ma voix.

 

— Dix-neuf heures vingt et une, Monsieur Layers sort des bureaux de la Cie Corporations WendyFeelings.

 

 

 

 

Chapitre 4

Alix

Ambre

 

J’ai perdu de vue la cible… Et ça m’énerve.

Je roulais à vive allure sur la nationale quand ce que j’avais prévu est arrivé : il a accéléré.

Moi aussi. Miss cacahuète avait le volant qui tremblait entre mes deux mains fermement agrippées tellement je tirais dedans, tandis qu’il prenait de plus en plus de distance.

J’ai vu le flash du radar briller dans mon rétroviseur, et c’est écœurée que j’ai ralenti.

Je suis repassée par la rue où le couple vit, sa voiture n’était pas là. Je me suis alors arrêtée plus loin, et j’ai juré des mots que jamais je n’aurais prononcés si je n’avais pas été fâchée.

C’est dégoûtée par cette fin de soirée que je pousse la porte de l’immeuble dans lequel je vis.

 

Je m’arrête devant la porte, frappe trois coups, attends deux secondes puis en redonne deux. C’est une sorte de mot de passe entre Alix et moi, comme ça, ça lui évite d’ouvrir aux démarcheurs. Entre elle et moi, une amitié forte, inattendue et inespérée a vu le jour. Alix a plus de quatre fois mon âge, et pourtant elle représente à elle seule toutes les personnes que j’ai perdues en prenant la fuite. Ses conseils sont les seuls que je suive, sa parole est l’unique que j’écoute.

Quelques secondes plus tard, les pas retentissent de l’autre côté de la porte, puis les chaînes qui la verrouillent tombent contre le chambranle.

 

— Te voilà, gamine, dit-elle en ouvrant.

 

J’entre, lui tends le pain acheté au night and day avant de rentrer et referme la porte derrière moi.

 

— J’aurai dû rentrer plus tard encore, maugrée-je.

Alix ouvre le sachet, respire l’odeur du pain puis avance jusqu’à la cuisine.

 

— Tu as l’air de mauvaise humeur.

— Je le suis.

 

Alors qu’elle dépose le pain dans une boîte de conservation et prend deux tasses dans un placard, je dénoue mon écharpe, enlève ma veste et me mets à l’aise, puis l’observe. Elle a coupé ses cheveux puisque je peux à nouveau déceler la tâche de naissance rouge dans sa nuque. Les lunettes sur le bout du nez, elle sort sa langue sur le côté de ses lèvres pour se concentrer et éviter les tremblements de ses mains.

 

— Ce mec m’a semée.

 

Elle rit.

 

— Ce n’est pas drôle, Alix. Faut que je rende des comptes à sa femme dans une semaine.

 

Tout en versant le café, elle répond :

 

— Justement, t’as une semaine mon p’tit.

— S’il commence déjà comme ça, je n’ose pas imaginer la suite.

 

Je boude. Mais j’ai mes raisons. Chaque mission coûte trois mille dollars. Qui tombent dans ma poche directement. Et autant dire que des missions, je n’en ai pas des masses. Je suis sélective, je choisis le client qui ne me posera pas de questions personnelles, qui ne me demandera même pas mon nom. Et ils sont assez rares à l’accepter. « Où puis-je vous joindre ? Nulle part si ce n’est sur le numéro que vous avez déjà. À qui ai-je affaire ? Mon nom ne vous servira à rien ».