Mystérieux - Tome 4 - Amandine Ré - E-Book

Mystérieux - Tome 4 E-Book

Amandine Ré

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Beschreibung

Du gang, il ne reste que trois survivants...

Le couloir de la mort.
Quand la létale devient un meurtre légal.
C’est le torse gonflé à bloc et les épaules redressées par la fierté que j’y suis allé de mon plein gré.
Un. Deux. Trois.
Il fait noir, ça pue, ça gueule, le vacarme dans ma tête en est assourdissant.
Quatre. Cinq. Six.
Quand compter les pas qui me séparent de la mort devient synonyme de destin brisé et de vies gâchées.
La rédemption, je l’ai cherchée mais j’ignorais tout du goût âcre qu’elle allait me faire recracher
Sept. Huit. Neuf.
Je l’attends la faucheuse, je la nargue ; je la redoute, je la crains et pourtant cette garce traîne des pieds.
Alors…
J’attends.
Je me mets à espérer dans cet univers cloisonné de désespoirs, dans cet univers où être faible ne se pardonne pas.
Et j’attends.
Je compte, je chiale, je jure, je me fais des promesses que jamais je ne tiendrai, je pense, je réfléchis, j’imagine.
Parce qu’imaginer ma femme se battre contre le monde entier pour me sortir de là me tord les tripes, parce que la savoir en train de monter une insurrection pour que je sois avec les miens est une réalité que je préfère réfuter.
Et je ne sais pas, je ne sais plus… Combien de temps dois-je encore patienter avant que la mort ne vienne me faucher ?

Délectez-vous du quatrième tome de cette saga de dark romance exceptionnelle et découvrez la suite de cette histoire poignante et pleine de rebondissements !

CE QU'EN PENSE LA CRITIQUE

"Une histoire troublante, bouleversante, une fin difficilement prévisible. Je ne peux que vous recommander cette lecture." - Rachel, Evasion par les mots

"Ce tome sera fort en action, rebondissements, vengeance, vérités, sans oublier l’amitié, l’amour et surtout la rédemption et vous n’aurez pas un seul moment de répit ni vous ne verrez les pages se tourner tant vous serez captivés et tenus en haleine jusqu’au point final qui m’a vraiment étonnée, chamboulée mais aussi émue…" - Blog Lectures à Flo(ts)

"Cette saga est incroyable, la plume d'Amandine est juste sublime. Elle m'a fait passer par toutes les émotions, j'ai pleuré, angoissé, eu le bide retourné, le cœur en vrac, je me suis réjouie des petits moments de bonheur des protagonistes. (...) Je n'ai pas de mot assez fort pour décrire à quel point cette saga est un énorme coup de coeur." - Emeline-61, Booknode

"Les émotions que nous transmet l'auteure sont fortes et encore une fois j'en ai été retourné. Sa plume est vraiment addictive et oui j'en redemande." - carinesanchez, Petites discussions entre amis

"Vous allez frissonner, espérer, bondir de rage, de joie, sourire, rire, pleurer encore, vouloir refermer chaque tome et pourtant continuer votre lecture et maudire Amandine à chaque page autant que vous l’aimerez d’avoir créé A et les cobras." - Meo-Lyss, Booknode


À PROPOS DE L'AUTEURE

Amandine Ré est une jeune auteure belge de 28 ans passionnée par l’écriture depuis la découverte de Wattpad il y a deux ans. La nuit, elle range son tablier de maman au foyer et revêt son costume d’auteur pour faire prendre vie à des héros sombres et torturés, mais pas seulement. Grande fana de jolies romances, elle collectionne les livres.

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Mystérieux Tome 4

Insurrection

Amandine Ré

 

Mentions Légales

Mystérieux : Insurrection

Tome 4

Amandine Ré

 

ISBN :

Illustration : ©Tinkerbell DesignSource image : ©Shutterstock

 

« Le Code de la propriété intellectuelle interdit les copies ou reproductions destinées à une utilisation collective. Toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle faite par quelque procédé que ce soit, sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayant cause, est illicite et constitue une contrefaçon, aux termes des articles L.335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle. Tous droits réservés. Mes peines privatives de liberté, en matière de contrefaçon dans le droit pénal français, ont été récemment alourdies : depuis 2004, la contrefaçon est punie de trois ans d’emprisonnement et de 300 000 € d’amende. »

 

 

 

 

 

©Art en mots éditions, 2019

©Dépôt légal BNF, 2019

 

 

 

 

 

 

 

 

Je dédie ce livre à Lorelei, Muriel, et Marie.

Mes bêta-lectrices, mes amies.

Parce que sans vous, rien n’aurait la même saveur.

Merci de les avoir tant adorés.Je vous aime.

Chapitre 1  Aaron

 

Un pas. 

Deux pas, puis trois. 

Je tourne sur moi-même, inspire l’air chaud et sec qui s’insinue dans mes narines, repars dans l’autre sens. 

Un pas. 

Deux pas, puis trois. 

Soupir, haussement d’épaules, regard noir lancé au gardien. 

L’impression d’être un clebs en cage me colle à la peau autant que la combinaison grise humide de transpiration me colle au dos. 

Comme un gamin de quinze piges, j’ai été puni. Comme un con damné, j’ai été envoyé à l’isolement pour avoir osé donner un ordre d’exécution par téléphone. 

La punition sera levée dans une semaine. 

Un pas. 

Deux pas, puis trois. 

J’avance dans cette cage faite de grillage en métal, fais traîner les épaisses semelles de mes godasses dans le sable, formant un voile de poussière autour de moi. 

Le soleil est à son zénith. Je le savourerais si j’étais ailleurs, si j’étais avec eux. 

J’étouffe, j’agonise, l’air est lourd ; le silence de l’extérieur plombé par les pas réguliers des détenus, par leurs grognements d’exaspération. 

Il est douze heures tapantes, et dans douze cages séparées les unes des autres, marchent douze prisonniers en plein soleil.

Hunter, l’un des deux gardiens présents au sol, fait d’innombrables allers-retours entre les deux rangées de six. 

Arme à la ceinture, et matraque au poing, il veille à ce que nous respections les règles strictes qui nous sont imposées. 

Pas de bavardages, pas de course, pas de pompes, ni d’abdominaux. 

Contentons-nous de marcher en silence et de fermer notre gueule, et ce, durant l’unique heure de promenade qui nous est octroyée. 

Je le savais que j’étais sur écoute, et pourtant, ça ne m’a pas empêché d’être moi, d’être le Cobra que j’ai toujours été.

Je ne pouvais pas laisser la petite vermine de Logen reprendre le flambeau en se faisant passer pour un des miens. Je ne pouvais pas les laisser scander à qui voulait l’entendre qu’ils faisaient partie des Cobra. 

Parce que du gang, il ne reste que trois survivants, dont un dehors, prêt à égorger n’importe quelle racaille qui écorcherait notre réputation. 

Clast. 

Nous y sommes.

J’étais déjà venu ici, de l’autre côté du site sur lequel s’étale l’enceinte pénitentiaire. J’étais du côté des « libérables un jour » ; j’étais dans le bon périmètre où vie carcérale et semi-liberté entre les murs rimaient ensemble d’une étrange façon. 

Ici, en dehors de cette punition, je suis dans l’aile sous haute-sécurité.

The Wall of Clast, comme l’appellent les gens vivant à l’intérieur de cet énorme bâtiment. 

Les murs de la prison dont on ne sort jamais. Les murs sur lesquels nos cris et dernières prières se répercuteront, rebondiront pour nous revenir en pleine gueule. 

« Nous sommes les pires des pires, voilà pourquoi nous sommes là, A ». 

Ces mots sont ceux que m’avait crachés Jay, trois jours après notre arrivée. 

Il avait la haine d’être là, il avait la haine quand face à nous la juge a ordonné de sa voix forte et puissante à la fois : « Jérôme Loili, vous êtes condamné par injection létale. Aaron Sproda vous êtes condamné par injection létale ».

Je le savais, je n’allais pas faire mon surpris, encore moins mon déçu de la vie. J’avais tué, d’innombrables fois, alors je n’avais pas le droit d’espérer meilleure sentence.

Et pourtant, quand j’ai entendu le son de sa voix s’étrangler, quand j’ai aperçu les sanglots qui ruinaient son effort de maquillage, je me suis détesté d’avoir fait ça à Amyliana. 

Avant de nous rendre, Jay et moi avons parlé durant des semaines de ce qu’il se passerait en cas de jugement. Notre imagination vagabondait entre la liberté conditionnelle où nous pourrions voir nos gosses grandir à la perpétuité en taule avec l’immense vide que leur manque créerait en nous , elle osait même se frotter à ce fameux couloir dans lequel nous pourrissons chaque jour depuis trois ans. 

C’était peut-être con de se rendre, mais c’était réfléchi. On ne voulait pas infliger une vie emplie de secrets et de planques à nos gosses, on ne pouvait pas leur offrir ce sinistre destin. 

On ne souhaitait pas qu’ils vivent enfermés, ni même qu’ils nous haïssent pour leur avoir volé leur liberté, leur vie. 

En nous rendant, nous leur offrions un avenir, même s’ils nous détesteront de l’avoir fait, même si nos femmes allaient pleurer jusqu’à en mourir de désespoir.

Leur avenir, Il n’y a que ça qui importait. 

Même si leur liberté a un goût amer qui nous reste dans la gorge. 

Même si leur vie se fera loin de nous, loin de ce que nous avions imaginé comme seconde vie.

Même si nos moments partagés sont dorénavant une minute multipliée par  soixante chaque semaine. Même si tout d’eux nous manque. 

Jamais je ne regretterai d’être derrière ses barreaux. 

« Regrettez-vous vos actes monsieur Sproda ? ». 

Que pouvais-je répondre de sensé à cette juge qui me toisait ? Je ne savais pas. Je ne pouvais pas baratiner quelque-chose de complètement faux, parce que si je peux affirmer que je suis un tueur, je peux aussi confirmer que je ne suis pas un menteur. Je me suis alors contenté de la toiser à mon tour, et, dénué d’émotions je lui ai répondu « Comment regretter ce que j’ai toujours été ? Ma vie n’est pas faite d’accidents de parcours, ni d’erreurs, non. Elle est faite de ce que j’ai voulu en faire. Son sol en est jonché de cadavres que je voulais y voir, alors non, je ne regrette pas Madame la Juge ». 

J’ai lâché ces quelques mots d’un ton assuré et fier. Mais je me suis refusé de croiser le regard de la femme de ma vie. À cet instant, j’étais persuadé qu’elle devait me détester de ne pas avoir rangé ma foutue fierté, de ne pas avoir ravaler mes mots acides pour en sortir d’autres plus normaux ponctués d’excuses de faux-cul. 

 

La sonnerie stridente et grave retentit dans la cour. Elle annonce la fin de la promenade, la fin de l’air extérieur, le restant d’une autre journée difficile enfermé dans d’autres cages. 

Un pas. 

Deux pas, puis trois. 

J’exécute ces derniers pas jusqu’à la porte de ma cage et tends les deux poignets pour que Hunter puisse les menotter.

La cage de fer s’ouvre, je sors. 

Un. Deux. Trois.

En quatorze enjambées, je suis sur le perron du bâtiment renfermant nos cellules.  

Quinze. Seize. Dix-sept. 

Je grimpe les quatre marches, baisse la tête à l’instant où l’on me pousse vers l’escalier qui mènent à l’étage où je pionce. 

Une fois les dix-huit marches montées, j’esquisse vingt-cinq pas dans l’étroit couloir muré de cellules, tourne sur ma droite, avance de deux pas, me mets dos au gardien resté en dehors de ma prison de béton et attends que la porte se referme dans les trente secondes qui vont suivre. 

Le brouhaha habituel reprend entre les murs. Les prisonniers entrent dans leur cage, attendent tout comme moi d’être seul, que les barreaux nous cloisonnent, que les gardiens nous défassent de nos liens.

Une sonnerie grave, des ordres donnés pour réprimander des rires moqueurs et hautains, des menaces profanées à l’encontre de certains pions, et les portes claquent toutes, faisant trembler les murs qui nous enferment. 

Une fois les menottes enlevées, je respire, m’installe sur le lit de béton de mon chez-moi temporaire. 

Deux mètres sur trois. Voilà l’espace confiné dans lequel j’agonise depuis deux semaines déjà. Aucun effet personnel, aucune photo des miens, aucun livre, aucun souvenir. 

Un lit, une couverture fine, un pot de chambre, et une fine fente dans le mur de ma cellule qui me permet d’avoir un rai de lumière naturelle. 

Rien d’autre.

Chaque nuit j’entends les mecs dans les piaules entourant la mienne. Ils chialent, ils chient, ils hurlent.  Ils prient aussi même s’ils n’ont aucun Livre Saint en leur possession.

Mais prier ici ne sert à rien. Il n’y a plus d’espoir d’évasion, il n’y a plus aucun rêve de rédemption, plus aucune once de bonheur. Les murs de béton en témoignent. Des coups, des griffes,  du sang séché, des traînées de morves coulantes qui ont durci avec le temps. 

Il me reste encore une semaine à tenir dans cet enfer. 

 

 

Je me souviens encore de mon premier jour ici. C’était il y a trois ans, c’était un quinze juillet, jour caniculaire comme aujourd’hui. J’étais descendu de la camionnette, menottes reliées au ventre et avais traîné des pieds en entrant dans l’enceinte carcérale. L’air y était irrespirable, lourd, fait de remords et de résignation. 

Les deux gardes m’avaient fait entrer dans une pièce aussi petite qu’un mouchoir de poche, m’avaient ordonné de me désaper. 

— Fouille. 

La fameuse fouille qui donnerait à n’importe quel sage sur terre l’envie de leur défoncer la gueule à coups de marteau. 

À poil, bras et jambes écartés, je leur ai souri comme un chien de garde quand ils ont palpé mes couilles à la recherche d’un objet contondant. 

Comme ils n’ont rien trouvé, ils m’ont balancé une combinaison aux manches déchirées, portant un numéro.

A32-986432-FD 

Aile 32 -numéro de détention-For Death, pour la mort.

Mon matricule, mon identité ici.

Je l’ai enfilée, je l’ai attachée en nouant des nœuds pour éviter qu’elle ne s’ouvre et j’ai mis la paire de chaussettes qu’ils avaient déposée sur la table en fer vissée dans le sol. 

Puis, une fois mon cul posé dans ma cellule, un tas d’émotions diverses m’a charcuté les tripes. 

La peur d’abord. 

La taule, je connaissais sur le bout des doigts. 

Par contre, le couloir de la mort était une première pour moi. 

L’odeur est différente.

Elle a celle âcre du sang, elle a la senteur pestilentielle de la faucheuse qui nous cherche, qui nous nargue de sa lame. Elle a le parfum du désespoir, de la mort, des larmes camouflées dans l’obscurité de la nuit, des cris étouffés dans les oreillers de magazines empilés.

 

Je n’avais pas de date. 

L’exécution reste un mystère pour tous jusqu’au dernier mois. Nous savons tous que nous allons crever, mais nous ignorons quand, ce qui rend l’ambiance glaciale, malgré la chaleur exténuante qui règne ici. 

La peur de la mort ne m’avait jamais effleuré avant. Je savais qu’on naissait pour vivre puis que malgré ce que nous avions fait, le final serait le même pour chacun d’entre nous. 

Là, j’étais dans ce lieu où je n’avais plus aucun échappatoire, où j’allais danser ma dernière marche, où je savais que j’allais devenir fou à lier en attendant que cette salope de faucheuse vienne me chercher. 

 

Aussi, je me souviens d’avoir eu la haine. 

Une haine aussi viscérale que la gangrène qui boufferait un malade.

La haine d’avoir déçu.

Je n’en avais jamais rien eu à foutre des autres.

Ma vie m’appartenait.

J’en faisais ce que bon me semblait et mon organisation fonctionnait bien. 

Nous étions les meilleurs. Nous étions les plus forts, les plus chanceux, les plus voraces, les plus redoutés. 

Décevoir m’importait peu. Tout ce qui comptait était le blé amassé dans mes poches, l’adrénaline que m’offrait mon rythme de vie. 

Tout ce qui comptait était la famille que j’avais créée avec mes frères de gun. 

Nous étions les Cobra. 

Et rien, ni personne ne pouvait nous arrêter. 

Par contre, lire la déception dans les yeux de la brune qui partageait ma vie avait été une épine dans le pied, une lame en plein cœur, un coup de poing dans la tronche. 

— T’imagine que j’ai tout quitté pour toi, A… Et que maintenant, tu nous quittes pour rien, pleurait-elle.

Si par « tout » elle voulait parler de son Trouduc’ en doudoune, je m’en fichais. J’étais son âme, elle était mon tout, j’étais sa vie, elle était mon air. Nous étions destinés à être ensemble, quoiqu’elle en pensait. 

— Je vous quitte pas pour rien, lui avais-je rétorqué dans le combiné des parloirs, je vous quitte pour votre liberté, Princesse. 

— Mais tu vas mourir. 

Sa voix s’était étranglée sur ce dernier mot, comme si elle avait mal de le prononcer. 

— Je n’suis pas encore mort alors… Promets-moi une chose… 

Elle avait fixé ses iris émeraudes dans les miens, avait attendu que je reprenne la parole alors que je dévorais son visage de mes yeux. Elle était divinement belle, ravagée par les pleurs, blessée par mon attitude et mes décisions, mais elle en restait somptueuse. 

— Je t’interdis de venir en chialant. J’ai besoin que tu me montres ta force, que tu me prouves que la vie continue en dehors de ces murs et que j’ai eu raison de le faire. 

— A… 

J’avais raccroché le combiné sous ses yeux chargés de larmes, je l’avais observée encore durant une poignée de secondes, et j’avais fait un signe au gardien pour qu’il me ramène en cellule. 

 

Ce jour-là, en remontant dans ma cellule, je m’étais effondré. Effondré comme une merde qui ne savait plus comment faire marche-arrière dans ses actes. 

Je m’en voulais de lui faire ça ; je m’en voulais de l’avoir fait une énième fois chialer, je m’en voulais de lui briser pour la millième fois le cœur.

Pour la première fois, je m’étais senti aussi perdu dans mes pensées que dans ma façon d’être. La misère, je n’avais connu que ça, et pourtant je ne m’étais jamais imaginé qu’il existait encore pire sur cette terre…

 

J’ai toujours dû me démerder pour bouffer, pour me payer mes clopes, pour grandir, pour vivre tout simplement. 

Les gangs n’avaient pas été un choix.

Ils s’étaient imposés à moi comme un remède contre une mort certaine : la mienne. 

Ma mère ne m’avait pas désiré, elle ne voulait pas s’encombrer d’un rejeton à la gueule du flic qui l’avait foutu en cloque à son insu. Tout ce qu’elle voulait, elle, c’était une dose assez forte pour lui anesthésier les sens. J’ai grandi en ne sachant pas où me situer pour ne pas la gêner. J’ai grandi en dessinant des cœurs débiles que je lui donnais pour avoir un sourire en retour alors qu’elle les chiffonnait de son poing avant de les jeter dans un coin de la pièce. 

J’ai grandi en tentant désespérément de me faire aimer par elle. En vain. 

Mon cœur en manque d’amour maternel s’est noirci au fil des années. 

« T’as la sale gueule de ton père, Aaron ». 

Je le savais, elle me le crachait à la gueule des millions de fois par semaine. Tellement, que j’ai fini par me haïr autant que je détestais ce pauvre type qui m’était encore inconnu. 

Elle ne m’aimait pas, c’était un fait, et j’allais devoir faire avec. 

Je ne me cherche pas d’excuse. Je n’en ai pas. Ce sont juste les raisons qui m’ont poussé vers la délinquance. 

 

Les Cobra étaient devenus ma famille. Ils étaient mon refuge ; le seul endroit où je me sentais moi, l’unique lieu où plus je montrais ma noirceur, plus j’étais estimé.

Bugsy était un maître dans l’art de gérer ses affaires, un as dans le monde des Trous du cul de barrons. Personne ne pouvait l’égaler. Il était distant et froid, méfiant et sans pitié. Mais il possédait aussi un côté humain et chaleureux, rieur et protecteur avec les siens. Il était mon modèle. 

Je voulais être un chef digne de lui, digne des Cobra, digne de ce qu’il avait créé durant des décennies.

Force est de constater que j’ai lamentablement échoué. 

J’étais craint, j’étais redouté, j’étais bon dans ce que j’entreprenais mais pas assez. 

L’adrénaline et la soif irrationnelle de vengeance ont bousculé mes plans, mais pas seulement… La mort de Crew a été un vrai cataclysme dans mon être, un réel tsunami dévastateur sur mes convictions.

J’ai agi différemment, je me battais contre plusieurs démons à la fois, je n’avais aucune chance que ça se finisse bien. Mais je l’ai fait sans me remettre en question, sans penser aux personnes que j’impliquais dans mes plans parce que voir la Tatouée et son fils se démener contre la mort de leur pilier, m’a été insoutenable. 

Voulais-je réellement le même destin pour mes gosses ? 

Évidemment que non. 

Et pourtant, je me suis rendu pour que l’état me butte… Et légalement en plus.  

 

Chapitre 2 Amyliana

 

Jamais je ne m’étais imaginée vivre la vie que j’ai aujourd’hui, et ce, même si j’avais Aaron à mes côtés. 

Jamais je ne m’étais dit que la mort qu’on attend serait plus dévastatrice que celle qui nous tombe sur la gueule sans la voir venir. Mais ça, c’était avant lui, avant qu’il n’entre dans ma vie. 

Parce qu’avec Aaron, j’aurais dû être habituée au fait que rien ne se passe jamais comme je le souhaiterai, que jamais rien n’est simple, que jamais rien n’est certitude, ni même rêves. 

Avec lui, j’ai fait une croix sur ma vie d’avant, j’ai barré les projets de futur comme on bifferait les mentions inutiles sur un formulaire. 

Parce qu’aucun avenir commun nous sera possible, malgré l’envie de vivre et l’amour immense qui me lient à lui.

Je me souviens encore de ce matin où, semi-éveillée par ses baisers, je l’ai entendu me murmurer « je t’aime, Princesse, ne retiens que ça ». 

Je lui avais souri avant de replonger dans les bras de Morphée sans comprendre le sens douloureux de ses paroles. 

Ce n’est que quelques heures plus tard que j’ai su l’atroce réalité qu’il m’offrait. 

Le lit était vide de sa présence, les draps étaient glaciaux et froissés, me prouvant qu’il avait été bien là mais me dictant par la même occasion que je devais m’inquiéter parce qu’il était parti depuis longtemps. 

Une heure après que la panique ait semé son trouble dans la maison, les autorités cagoulées débarquaient avec leurs fusils d’assaut, comme si les enfants, Mary et moi étions des dangers prêts à exploser. 

C’est là, que j’ai compris. Que Mary et moi avions compris. 

Face aux mots déchirants que me débitait l’agent debout devant moi, je me suis assise sur une chaise de la cuisine. Entre mes paumes, ma tête pesait lourd de pensées funestes que je gardais pour moi, de paroles tues que je ne pouvais pas cracher, de larmes retenues que je ne voulais pas montrer. 

Ils étaient là pour saisir le matériel du gang, pour nous questionner et moi, j’étais dépitée, honteuse, mais surtout en colère. 

En colère contre ces flics qui débarquaient chez nous pour violer mon intérieur autant que pour me retourner l’âme. En colère de savoir que ces deux abrutis qui nous avaient promis la sécurité à tout jamais venaient de se rendre. En colère de savoir que mon A, que mon mec, que le père de mes enfants soit plus stupide qu’intelligent, qu’il ait eu cette étincelle de sagesse alors qu’il n’était doué que pour être méchant. 

J’étais en colère parce que je ne comprenais pas. 

 

Ma première visite à l’enceinte carcérale fut difficile, douloureuse et agonisante. 

Devant moi s’était dressée une vitre surplombée d’un grillage gris aussi rigide qu’un mur, aussi froid que l’ambiance qui régnait dans ce bâtiment malgré la chaleur étouffante de l’été, aussi rigide que l’homme que je venais voir. 

Je regardais le siège qui allait accueillir A, avec la boule au ventre, avec les larmes aux yeux, avec la bile dans la gorge que j’étais prête à vomir.

Que lui dire ? Que je trouvais son plan très bête ? Que j’étais fâchée ? Que j’étais triste ? Que j’avais la trouille d’avancer sans lui ? Que sa place n’était pas ici mais auprès de moi, de nous ?

Je ne savais pas. Je ne savais pas par où commencer, et de quelle façon sortir mes mots sans le blesser plus qu’il ne devait l’être. Quand il est entré dans le parloir, combinaison grise sur le dos et cheveux rasés, je ne savais toujours pas. Aaron s’était assis face à moi, et son soupir las avait déclenché mes premières larmes, mes vraies, mes larmes de désespoir, mes larmes de peine. 

Mon homme avait minci, il avait l’air fatigué, il avait l’air à cran, il avait l’air éteint, comme si le A de mes souvenirs pourtant encore récents n’existait plus. J’avais fini par décrocher le combiné du téléphone à ma droite, et il en avait fait de même. 

— Pourquoi ?

Ce fut le seul mot qui me vint en premier. Le seul que j’avais réussi à prononcer sans bégayer, le seul qui me ravageait. 

— Je veux que tu sois heureuse. 

J’avais ri jaune à travers des larmes aussi abondantes que translucides. 

— Heureuse ? Sans toi ? En sachant que t’es ici ? Sans oser dire aux gosses où tu te trouves ? T’es sérieux ?! 

Mon ton était monté, ma voix était devenue aiguë, ses yeux s’étaient rivés aux miens, me défiant de le contredire encore plus que je ne le faisais déjà. 

— Parce que tu crois qu’en t’offrant une prison dorée c’est mieux ? Tu ne peux pas sortir, tu ne peux pas appeler tes amies, tu ne peux pas t’allonger sur l’herbe du champ qui longe la baraque. Tu ne peux pas faire des courses, tu ne peux même pas te rendre sur la tombe de ta mère, tu peux encore moins respirer sans m’avoir averti de la pièce dans laquelle tu te trouves. Appelles-tu ça le bonheur, Amyliana ? Moi pas. Je veux que nos gosses grandissent dans un autre milieu que celui que j’ai connu, je veux qu’ils sachent ce qu’est la liberté, je veux qu’ils aient des tas de potes, qu’ils sachent que les amis sont ceux qui comptent le plus. Je veux qu’ils comprennent que ça, je le fais pour toi, pour eux, pour vous. Je veux que vous compreniez que ma rédemption est mon ultime preuve d’amour.

C’en était suivi une scène digne de A, digne de l’homme qui avait réussi à prendre la première place dans mon cœur même s’il le détruisait chaque jour un peu plus.

 

Chapitre 3 Aaron

 

Six heures trente. 

Mes paupières s’ouvrent à l’instant où la sonnerie grinçante retentit dans l’aile de l’isolement. Elle me saisit, me perce les tympans, se répercute dans mon crâne avec hargne, me tord le ventre, fait galoper mon palpitant à toute vitesse. 

Je hais cette sonnerie à la con. 

Dans l’obscurité la plus totale, mes iris fixent le mur sombre et dégueulasse de ma piaule tandis que je ne bouge pas d’un iota. 

Ma première pensée est pour elle, Amyliana. Au-delà de la mort qui va m’arracher la vie quand je m’y attendrais le moins, le manque d’elle est ma pire sentence. Son absence quotidienne me broie les tripes, me fait agoniser, me met plus bas que terre. 

Nous sommes un samedi, elle serait venue me voir avec les enfants durant soixante minutes si je n’avais pas été en isolement. 

Encore un faux pas de ma part qui a une sale répercussion sur eux. 

Putain, fait chier. 

Je n’ai pas envie de me lever, je n’ai pas envie de débuter une nouvelle journée durant laquelle il ne se passera absolument rien de neuf, je n’ai pas envie d’encore ravaler mes larmes par fierté, ni même de me torturer l’esprit en pensant à eux, à leur vie sans moi.

Et pourtant, quand je referme les paupières, je dessine à l’aide de mon imagination une vie dans laquelle je n’ai presque pas de place. 

 

Je la vois, si belle et mystérieuse, si aimante et enivrante, dans la cuisine d’un chez moi qui ne l’aura pourtant jamais été, en train de préparer un p’tit dej’ digne de ce nom. 

J’imagine non sans mal ma fille, April, attablée en train de dévorer des pancakes enrobés de miel alors qu’Adrian esquisserait un sourire à faire damner les anges. 

Puis, je m’installerais à leur table après avoir longuement embrassé ma femme. April attraperait mes mains avant de les serrer entre ses doigts fins et chaud, Adrian me fusillerait du regard. 

Je dois accepter que mon gosse me hait.

Je dois accepter que je ne suis qu’un donneur de foutre pour lui, que jamais je n’aurais le rôle de père à ses yeux.  

Je pensais qu’un mieux allait débarquer, mais je me trompais. En me rendant, en le privant de ce lien qui commençait à peine à se créer, j’ai coupé le fil étroit et si fragile qui nous reliait.

Il vient une fois par mois me voir sauf qu’au contraire de sa sœur, lui ne me prend pas dans les bras, lui ne m’embrasse pas, lui ne s’assied pas à mes côtés. 

Non, mon fils s’installe face à moi, de l’autre côté de la table conçue tellement large qu’elle évite le moindre contact physique. Adrian se contente de fuir mon regard ; son silence répond à mes questions maladroites, ses mâchoires serrées durant les courtes minutes ensemble me prouvent combien il déteste venir me voir. 

Pas à cause de ce lieu, non, mais bien à cause de la personne derrière les barreaux qui le prive d’un samedi détente parmi tant d’autres. 

Je ne lui en veux pas. 

Je le comprends, je compatis même, je le plains sûrement. 

Mais ça n’empêche pas que mon cœur se crève face à lui. 

J’ai déjà rêvé de le brusquer, j’ai déjà eu la furieuse envie de me lever, de contourner cette foutue table pour le secouer, pour lui hurler de me causer, pour l’obliger à me dégueuler sa haine, pour le forcer à mettre des mots sur ce qu’il ressent. 

Et pourtant, face à sa douleur de mioche au cœur de pierre, je me résigne, je me la ferme, je me remets en question. 

C’est de ma faute. Pas de la sienne. Je n’peux pas lui en vouloir.

 

 

Quand je rouvre les yeux, le rai de lumière transperce la fente du mur. Ça ne m’apporte pas de luminosité puisque je suis plongé dans le noir, mais ça me permet de savoir qu’il fait jour à l’extérieur de la prison. Au même instant, le plateau repas glisse de la trappe sous ma porte. 

Je me lève difficilement, grogne quand le mal de dos que j’ai depuis plusieurs semaines irradie le long de ma colonne vertébrale, grimace quand l’odeur putride de la merde m’agresse les narines. J’avance d’un pas, me poste devant la cuvette des toilettes déjà pleine de mes déjections de la veille, défais les nœuds du pantalon de ma combinaison, et vide ma vessie en priant pour que la chasse fonctionne aujourd’hui puisque ça fait deux jours qu’on nous a coupé l’eau en cellule. 

Je tire la chasse, je souris. Il y a de l’eau. 

M’accroupissant devant, je plonge mes doigts dans la cuvette des toilettes, me lave les mains avant de m’en asperger le visage. Bordel que c’est bon…

Je crève de chaud, je pue la transpiration, je suis dégueulasse de poussières et pourtant, je ne pourrais prendre une douche que dans trois jours ; c’est la règle.

Je finis par m’essuyer dans la fine couverture en boule aux pieds de ma couchette, rattache ma combinaison, me penche pour attraper le plateau sur le sol et m’assois sur le bord du lit.

Mon repas sur les genoux, mes doigts glissent sur les deux tranches de pain frais, et partent à la recherche presque aveugle du couteau en plastique et de la portion de confiture sans goût particulier. 

J’engloutis le pain en deux bouchées, complètement affamé. 

Les repas en isolement sont loin d’être les mêmes que dans le reste dans l’enceinte. Je n’ai pas de carte des menus, je n’ai pas le droit de choisir quel serait le moins dégueulasse, et je suis certain que les rations journalières ne dépassent pas les milles calories. 

Je suis un crève la faim, comme quand j’étais gosse et que je fouillais les containers du quartier pour bouffer n’importe quoi qui me semblait encore mangeable. Ce constat merdique me fait déglutir, j’attrape le gobelet d’eau et l’avale cul sec pour faire passer ce goût amer qui me noue la gorge. Le gobelet s’écrase entre mes doigts. Je me lève, repose le plateau dans la trappe, la referme et m’appuie contre la porte blindée. 

Depuis que je suis ici, dans cette cage de béton censée m’isoler plus que je ne le suis déjà, les idées noires prennent possession de la moindre de mes pensées. Dans le couloir de la mort, j’ai quand même plus de liberté, j’ai aussi la lumière d’une lampe de chevet, une petite fenêtre à barreaux, et surtout mes photos. Ici, je n’ai que dalle. Même plus d’air.

J’ai besoin de bouger, j’ai besoin de me défouler, j’ai besoin de lumière. Je deviens dingue dès le matin, je deviens fou à trop penser, à compter, à imaginer, à redessiner les pourtours de ma vie. 

Mais surtout, je deviens fou à lier à force de chercher des solutions pour m’en sortir. 

Mourir ? 

Si en arrivant ici j’assumais chacun de mes actes et assurais que je n’en avais rien à foutre, je dois bien admettre qu’aujourd’hui, je ne veux pas crever. 

Pas comme ça en tout cas. 

Attendre la mort est déjà douloureux. Voir ma femme chaque samedi en ne sachant pas si c’est sa dernière visite est atroce. 

La regarder sourire en tentant de graver cette image en moi est difficile, parce qu’au final ce ne sont que ses larmes que je retiens. 

Que des larmes. 

Elle me pleure déjà. Parce qu’elle sait. 

Elle sait qu’il n’y a plus de futur commun possible, qu’il n’y aura plus jamais de moments charnels, qu’il n’y aura plus de rires, ni même d’engueulades. Elle sait que jamais je ne partirai avec elle, que nous n’échangerons plus de baisers passionnés, et encore moins de caresses. Elle sait aussi que si elle était la femme de ma vie, je ne serai jamais celui avec lequel elle finira la sienne. 

Elle a surtout conscience qu’un jour, sera venue l’heure de lui dire adieu. 

 

 

On tambourine contre ma porte. La trappe centrale s’ouvre. Il doit être seize heures, le temps de la promenade. 

Assis sur le matelas de béton de mon lit, je me redresse, pressé de respirer l’air extérieur. Je tends les mains dans la trappe, attends patiemment que le gardien me menotte, recule quand c’est fait. La porte s’ouvre, je ferme les yeux quand la luminosité ambiante m’aveugle, j’inspire. 

— Comment vas-tu ? 

Hunter se poste dans mon dos, tandis que j’avance vers les escaliers.

— Si je réponds bien, tu trouverais ça ironique, non ? 

Il ricane. 

— Plus qu’une semaine, A, dit-il d’un air compatissant.  

— Plus qu’une ouais. 

Hunter est le responsable de l’aile d’isolement et fait d’autres trucs dans la prison qui ne me concernent pas. Chauve, grand et costaud, je l’aurais étalé en moins de deux secondes si je n’étais pas menotté et si je n’avais pas perdu autant de poids.

Au départ, entre lui et moi ça ne s’est pas bien passé. Enfermé dans ma cage extérieure, j’ai eu le malheur de faire trois pompes avant qu’il ne me hurle dessus, je lui ai répondu, ai osé faire le malin avec lui en lui crachant à la gueule pour le remettre à sa place de vieille merde, et j’ai fini ma première semaine avec un masque anti-crachat, une sorte de filet qu’on nous fout sur la gueule. 

— Courage, bientôt tu seras de retour dans le bon côté de la prison. 

Je ris. 

— Parce que t’appelles ça le bon côté ? 

Il hausse les épaules alors que je me retourne vers lui. 

— Il n’y a pas de bons côtés entre ces murs, non, finit-il par répondre. Le bon côté c’est en dehors de la prison. Mais pour l’instant, t’es là où l’humanité n’existe pas. 

Je ne réponds rien, me retourne, descends les marches. 

Il est évident que l’humanité n’existe pas ici. Enfermés comme des crevards, plongés dans l’obscurité la plus totale, allongés sur du béton, le nez dans nos chiottes sans parler des repas qu’on ne nous sert pas automatiquement, on ne peut pas faire pire pour l’être humain. 

Nous sommes tous ici parce que nous avons commis des crimes, c’est un fait. 

Certains ont violé, d’autres ont tué, quelques-uns ont volé. 

La prison est une bonne punition, le couloir de la mort est la pire mais émotionnellement, l’isolement est la plus douloureuse. 

— Au fait, t’as vu Kurt ?

Kurt. 

Mon cœur fait un bond, me coupant le souffle. C’est lui qui annonce les dates d’exécution. Je secoue la tête par la négative tandis que la bile qui m’enserre la gorge m’empêche de parler. 

— Tu le verras ce soir dans ce cas. 

 

Chapitre 4 Amyliana

 

Ça fait maintenant plusieurs semaines que je n’ai pas vu Aaron, et ça commence à devenir sacrément long. 

Sa voix rauque me manque ; son sourire carnassier me manque ; ses iris gris me manquent ;son réconfort me manque ;sa force me manque. 

Il me manque. 

Chaque chose qui fait de lui ce qu’il est et qui m’a été reprise m’étouffe. 

Connaître l’endroit de son lieu de vie est une torture, savoir qu’on va lui donner la mort un jour est mon châtiment le plus extrême et le plus douloureux qu’il m’ait été infligé.

Son absence dans mon quotidien me dévaste. 

J’ai l’impression d’être morte, d’être sans ressource, vide à trop me tourmenter. 

 

Depuis son départ, je ne suis plus moi. Je ne suis plus la Amyliana qu’il aimait, je ne suis plus cette femme pleine de courage qu’il a connue, je ne suis plus rien, même si je me refuse de lui montrer. 

 

Je ne dors que très peu, je ne mange que quelques bouchées obligées, je me gave de cachets pour apaiser mes songes éveillés, mes angoisses, mes maux d’âme qui ne peuvent s’empêcher de me faire du mal. 

Je ne me lève plus, je suis incapable de m’occuper dignement de mes gosses, incapable de les amener dans le même collège que j’ai fréquenté, incapable de leur sourire pour les rassurer quant à l’avenir, inapte à leur faire comprendre que mon vrai moi se meurt à chaque inspiration. 

Je ne suis plus qu’une loque, médiocre, incapable de se reprendre en mains mais capable de me foutre un masque de femme idéale le temps d’un samedi de visite.

 

Mary et moi sommes revenues à Logen dès que nous avons su que nos hommes seraient incarcérés à Clast. 

Pourquoi Logen alors que nous avions fui cette ville avec envie et victoire ? Parce que nous étions plus proches de la prison, parce que les serbes acceptaient de nous rendre l’ancienne villa du Cobra tatoué tant que nous leur laissions le sous-sol pour stocker leurs marchandises, parce que quelque-part, c’est ici que tout a commencé. 

Depuis trois années maintenant, nous partageons les murs de cette gigantesque maison, nous partageons nos repas, mais pas seulement. 

Mary et moi vivons la même chose, nous n’avons pas besoin d’épiloguer durant des heures pour nous comprendre même si nous le faisons par envie. Tous nos maux y passent, même si certains regards remplacent les mots que nous nous efforçons de retenir. On n’a seulement pas la même façon de gérer notre histoire. Si moi je dépéris à trop déprimer, elle, elle revêt son tablier de femme forte pour veiller sur les gosses, même si l’espoir de voir sortir Jay est vain. 

 

Lorsque je descends dans la cuisine, Mary est occupée à faire la vaisselle du petit-déjeuner des  enfants. 

Encore une fois, je ne me suis pas levée pour les miens. 

Honteuse, je m’installe sans faire de bruit à la table, fixe du regard le thermos fumant posé sur la nappe. 

— Ah ! Tu es levée ! Onze heures, un exploit !

Elle rit, mais son ironie transcende le ton de sa voix. 

— Désolée, maugrée-je. 

Le torchon avec lequel elle essuyait la vaisselle vole par-dessus son épaule avant qu’elle ne tire la chaise face à la mienne. 

Je tente un regard dans sa direction, mais me ravise quand je fais face à l’animosité du sien. 

Bras croisés et menton levé, Mary soupire avant de me lancer : 

— Putain, Amy, va falloir que tu te trouves un toit… Parce que moi, je n’en peux plus de cette situation. Je gère tes gosses, la mienne et… 

Elle renifle alors que je tripote l’ourlet de la manche de mon pull défraîchi. 

— Merde, je sais que c’est dur ! Moi aussi je galère sans Jay ! Mais la vie ne s’arrête pas, Amy, elle ne s’arrête pas tant qu’on ne sait pas la date ! Vis bordel de merde ! 

Mes larmes coulent le long de mes joues sans que je ne puisse les retenir. J’aimerais vivre, oui, mais faut bien avouer que la vie avait un autre sens avant, qu’elle en avait tout simplement. 

— Je ne sais pas comment faire, balbutié-je, c’est compliqué de me dire chaque jour qu’on n’en serait pas là si j’avais fait d’autres choix, si je ne le poussais pas sans cesse à devenir bon. 

Quand il a été incarcéré dans le couloir de la mort, mes rêves de vie de famille se sont effondrés, mes attentes de bonheur se sont rétamées. 

Vivre quand un être cher est en train de mourir est culpabilisant, pesant et asphyxiant. Chaque jour j’ouvre les yeux dans le confort d’un lit alors que j’ai conscience que lui n’a pas cette chance. Chaque jour je file sous une douche d’eau chaude durant laquelle mes tensions se dissipent légèrement tandis que lui doit se contenter d’un fin jet d’eau chaude une fois par semaine. 

Chaque jour la bouffe déborde des assiettes que nous servons aux enfants, les restes sont jetés en nombre jusqu’à en faire dégueuler les poubelles alors que lui maigrit à vue d’œil par manque de calories. 

Chaque jour je peux sortir dans le jardin de la villa et m’abriter du soleil sous le toit de la terrasse tandis que lui agonise sous la chaleur. Chaque jour je traverse le couloir, monte les escaliers et les redescends, sors et entre, respire et râle alors que lui n’a qu’à faire cinq pas pour atteindre chaque recoin de sa cellule. 

C’en est atroce. 

Tout ce que je fais, vis, mange, aime et respire me renvoie les conditions dans lesquelles mon homme est en train de mourir. 

Absolument tout. 

Subitement, Mary se relève, faisant crisser les pieds de sa chaise contre le carrelage écru de la cuisine. Son torchon atterrit violemment sur la table, ses poings s’abattent dessus avec force et colère. 

C’est hagarde que j’arrime mes yeux aux siens, surprise qu’elle pète un plomb. 

— Je te jure Amy, je te donne un mois pour changer, un seul. Je veux te voir t’occuper des enfants, je veux te voir souriante, je veux te voir être mère, et ce, tout le temps, pas uniquement les samedis de visite. Et si tu ne changes pas, bah je suis désolée, mais je serais obligée de parler de toi aux services sociaux et de te foutre dehors. Je n’en peux plus moi ! 

Je déglutis, mais hoche docilement la tête tandis qu’elle se redresse et sort dans le jardin. 

 

Allongée sur mon lit, mes iris ne quittent pas une seule seconde le plafond qui s’étend au-dessus de ma tête. 

Les paroles et la colère de Mary dansent dans ma tête, jusqu’à m’en donner mal au crâne. Elle a été dure avec moi, je trouve, même si elle a complétement raison. Il n’y a que ces fameux samedis que je me lève, que je respire, que je m’apprête, que mon sourire revient, que je redeviens mère. 

Je comprends sa haine, je capte même le courage qu’elle a de me supporter, de faire tout à ma place. Et pourtant, ses mots m’ont foutu la trouille. 

Les services sociaux… 

Ça m’effraie, ça me file la gerbe, ça me tord le ventre. Eux ne me laisseraient jamais mes enfants. Ils les prendraient, les placeraient dans un foyer ou mieux dans une famille d’accueil qu’ils finiraient par adorer et moi, je ne les verrais plus et je devrais révéler à Aaron la raison de ce placement. 

Mon dieu, je ne peux pas lui faire ça, je ne peux pas faire ça à mes enfants. 

Pour eux, je me suis toujours battue… Jusqu’à maintenant… 

Je me redresse, m’adosse contre le mur de ma chambre et regarde le bordel que j’ai laissé traîner depuis bien trop longtemps. 

Qui suis-je maintenant ? 

Une lâche, une sans âme, une sans vie, une personne sans but ni objectif alors que j’ai deux enfants à protéger. 

Je m’en veux. 

La honte monte une nouvelle fois en moi, encore plus que ce matin face au regard de Mary. Elle me percute, me gueule mes erreurs, me hurle de me reprendre, me crie de me bouger. Mais aussi vorace qu’elle puisse être, elle me tétanise. 

Parce qu’avoir honte de soi est la chose la plus douloureuse qu’il m’ait été donné de connaître. 

 

Chapitre 5 Aaron

 

Après mon heure de prison extérieure durant laquelle je me suis rendu presque malade en pensant à cette putain de date, Hunter m’a mené directement devant le bureau de Kurtis Anderson, le secrétaire de la faucheuse comme on le surnomme entre taulards. 

Assis sur l’unique banc devant son bureau, je patiente entouré de deux flics qui restent debout à côté du banc. 

Putain, je vais avoir ma date. 

Aussi bizarre que ça puisse paraître, j’oscille entre deux sentiments : la frayeur, et le soulagement. 

La frayeur de crever, réellement. Je ne veux pas voir ce jour arriver comme je ne veux pas devoir annoncer aux miens, que ça y est, nous sommes fixés sur ma fin de vie. 

Ma vie justement… 

Est-ce que je mérite de mourir ? Je ne sais pas. 

Certains comme la juge diraient que oui. J’ai tué. Des dizaines de fois. La mort que j’ai imposée et le sang que j’ai déversé ne m’ont jamais choqué. 

Si on me mettait un dossier entre les mains, c’est que ces noms devaient disparaître, point barre. 

Si je prenais l’initiative de buter par moi-même, c’est qu’ils devaient crever, quoi qu’il advienne. 

La seule et unique fois que j’ai regretté, c’était pour la mère d’Amyliana, et encore… Je m’en veux pour elle, mais pas pour cette femme qui agonisait de souffrances dans son fauteuil roulant. 

Et où est le mec qui m’a filé les dossiers ? 

Évanoui dans la nature, évaporé comme un nuage de fumée qu’on balayerait d’un revers de la main, et je paie dorénavant de ma vie pour la sienne. 

La mort des Blackmerde n’était que méritée.

En arrachant la vie de Crew, ils savaient que ma réaction serait vive et sans pitié, qu’aucun retour en arrière ne serait possible et leurs excuses resteraient vaines. 

Puis, malgré la peur qui m’enserre les entrailles, je suis soulagé. Étrange constat pour un mec qui a envie de se battre pour sa vie, et pourtant, c’est ma réalité. 

Bientôt, j’en aurais fini avec ce lieu, j’en aurai fini de penser, fini de me torturer les méninges en me demandant ce qu’il m’est passé par la tête quand j’ai pris la décision de me rendre. C’en sera terminé des repas sans goût, des lavages de dents dans les chiottes, des pas esquissés en nombre dans la poussière rouge du sol extérieur, des mains refermées autour des barreaux de ma cellule en espérant qu’avant que je crève la peine de mort soit abolie. C’en sera fini des larmes retenues pour conserver un peu de dignité, c’en sera terminé, tout simplement. 

Mon regard se perd sur un portrait du Président accroché au mur qui me fait face. 

Je n’pense pas que ce soit avec ce sale type qu’on soit sauvé, mais je suis incapable de savoir qui pourrait changer ces lois débiles. 

La peine de mort. 

Quand tuer une mauvaise personne vous semble la meilleure solution pour soulager votre douleur. 

Sauf que ce n’en est pas une.

Pas dans mon cas. 

Les seuls qui souffriront dans l’histoire seront la famille que j’ai créée. Ma femme, qui maudira chaque personne qu’elle croisera, qui haïra chaque âme sur cette terre pour la simple raison qu’elle respire. Ma fille, qui j’en suis sûr, une fois adolescente deviendra une fervente militante contre la peine de mort. Elle brandira probablement des pancartes en hurlant des slogans témoignant de la souffrance qui la hantera. 

Mon fils… Qui lui verra en cette mort la séparation finale de nos deux chemins. 

— Monsieur Aaron Sproda ? 

La porte du bureau s’ouvre sur Monsieur Anderson. Petit et maigre, la chevelure grisonnante, cet homme me fixe avec austérité. 

Je me lève, le cœur au bord des lèvres, puis escorté par les deux poulets, j’entre dans son bureau. 

 

 

La pièce dans laquelle je prends place est spacieuse et lumineuse. À ma droite se trouve une énorme bibliothèque chargée de livres sur le droit et les lois, à ma gauche un petit salon en cuir autour d’une table basse. Assis face à moi, le fameux Kurt fouille ses dossiers en remontant sans cesse de son index les lunettes qu’il a posées sur son nez. 

En attendant qu’il commence, j’observe les photos de famille qui trônent sur son bureau. Des gosses âgés de trois quatre ans, j’en déduis des petits-enfants si je me fie à sa tignasse grisâtre, à moins qu’il ait épousé une jeunette. D’un coup sec, il retourne la photo sur le bois du bureau, me lançant un regard noir. A-t-il peur que je me venge de lui en me servant des siens ? Quel connard… 

— Monsieur Sproda, je vous ai fait venir ici sur l’avancement de votre peine. 

Je m’adosse contre la chaise, pose les mains sur mes genoux. Mon regard fixé au sien le prie de continuer sa tirade. Qu’il me balance la date au plus vite avant que l’envie de démolir son bureau ne me prenne. Rester désinvolte et fier alors que ce mec va m’annoncer la date de ma mort me demande un effort incommensurable. 

— Nous avons reçu la date de votre exécution, reprend-il en attrapant une feuille dans mon dossier. 

Il déglutit, je ne respire plus. 

Quand je regardais des films avec des mourants, c’était bien différent de ce que je suis en train de vivre. Je me disais « moi si j’étais à leur place, je ferais telle ou telle chose ». Je me disais que j’en profiterais pour voyager, ou bien pour m’essayer à tout ce que je réfutais de tenter avant. Je me voyais bien m’exploser le bide dans les plus grands restaurants, faire du saut en parachute ou à l’élastique. J’imaginais que moi, je ferais un tour du monde des pays que je n’avais jamais vu ailleurs que sur un écran, que je baiserais plus de putes qu’un mec en rut. Je me voyais parfaitement allongé sur une plage, un whisky à la main et un cigare aux lèvres, je me disais aussi que mon fric, j’en aurais eu plus rien à foutre de le dépenser dans des conneries, que je me serais fait tatoué le corps entier juste par plaisir. 

Mais au final, à moi, on ne me donne pas six mois de délai non, moi, on va me donner un mois. 

Un mois durant lequel je croupirai derrière des barreaux comme un clebs enragé, un mois à attendre, à stresser, à m’arrêter de respirer. 

Mes iris ne quittent pas une seule seconde la feuille dactylographiée qui nous sépare. Mon cœur bat à toute vitesse dans ma poitrine, la sueur perle sur mon front. 

— Vous recevrez votre injection létale le sept août. 

Le sept août putain. 

Un mois. Pile. 

L’autre me cite mes droits, m’annonce que je ne verrais pas mes proches le jour J si ce n’est derrière une vitre. Il me dit par contre que je pourrais les appeler durant toute la journée, que je pourrais même choisir un repas parmi la carte de la prison. 

J’ai envie de chialer, j’ai envie de hurler, j’ai envie de me lever et de lui éclater la gueule sur le teck de son bureau. J’ai envie de forcer les barreaux de la vitre derrière lui, j’ai envie de fuir, de revenir en arrière et de ne jamais avoir mis un pied ici. J’ai envie de me mettre à genoux face à lui et de le supplier comme un crétin tant la sentence m’effraie, mais j’ai aussi envie de lui dire de l’avancer à maintenant, à aujourd’hui, à l’instant. Qu’on en finisse au plus vite. 

Je hoche la tête, la baisse, fixe les bracelets de métal autour de mes poignets. 

— Puisqu’il s’agit de votre dernier mois au sein de notre pénitencier, je vous accorde une fleur, monsieur Sproda, mais sachez que vous n’en aurez pas de deuxième en cas de problème. J’ai contacté monsieur Hunter Miles et lui ai signalé votre retour dans votre cellule personnelle. 

Encore une fois, j’acquiesce, incapable de parler. 

Quand je me redresse, mes jambes tremblent entre elles, mes genoux me font souffrir, la combinaison grise me colle à la peau. 

— Passez une excellente journée. 

J’arque un sourcil, m’empêche de lui dégueuler mon sarcasme à la gueule. 

« Excellente journée » et peine de mort ne riment pas ensemble. Ça ne concorde pas, ça coince, ça m’arrache la gueule et les tympans. Ça va même me crever. 

 

Chapitre 6 Amyliana

 

Six heures trente. 

Le réveil retentit dans la pièce et rapidement, je l’écrase de mon poing pour qu’il cesse de hurler. Le soleil traverse la fenêtre de la chambre, apportant une luminosité bienvenue, mais aveuglante. 

Je suis réveillée, je n’ai que très peu dormi de la nuit de toute façon. Si je m’écoutais, je fourrerais ma tête sous l’oreiller, et je ferais comme si de rien n’était, comme si ce jour n’allait pas un être un nouveau sans sa présence, comme si mon amie ne m’avait pas menacée du pire. 

Mais, paniquée à l’idée que Mary me fasse enlever la garde de mes enfants, je me lève.

Aux pieds du lit, j’attrape un jeans et un pull, et les enfile. Je soupire face à la porte close de ma chambre, inspire une grande goulée d’air et sors de mon antre en prenant mon courage à deux mains pour affronter ce quotidien dont je ne veux pas. 

 

Dans la cuisine tout est calme encore. Les volets sont encore clos, plongeant la maison dans le noir. Personne n’est réveillé, et je me rends alors compte à quel point je suis pathétique de ne même pas connaître l’heure à laquelle mes enfants se réveillent. Je prépare une cafetière de café avant d’ouvrir les volets, la baie vitrée et de sortir. 

Je prends place sur la première marche du patio, là où Aaron avait l’habitude de s’assoir pour fumer sa clope, là où je peux encore le voir esquisser un sourire du coin des lèvres. Je soupire en quittant cette marche des yeux où il n’est pas, et pose mon regard sur le jardin qui s’étale devant moi. La pelouse est haute puisque nous ne la tondons plus pour ne pas la brûler, les mauvaises herbes et les fleurs poussent là où bon leur semble, camouflant l’étang qui se cache au fond du jardin. Les rayons du soleil caressent les brins d’herbes, faisant scintiller la rosée qui s’est posée dessus, réchauffant ma peau, me donnant le courage d’affronter la vie. 

Je dépéris, je sais bien que je pourris, que je ne ressemble plus à rien, que je me laisse aller comme une âme errante parmi les vivants. Mais la douleur que je ressens au fond de moi est telle que j’ai l’impression de ne jamais pouvoir la surmonter. Elle est sournoise et increvable, elle est invasive et meurtrière. 

Parce qu’elle me tue. Parce que chacune de ses facettes me brise les os un à un, que chacune de ses étapes me tourmente et me torture au point que je ne sache plus respirer, au point de me faire hurler, au point de me buter. 

Si en se rendant, Aaron pensait me rendre une liberté qui pourrait me rendre heureuse, il se trompait. 

Au final c’est bien pire encore, c’est bien plus éreintant, c’est bien plus agonisant. 

En partant, Aaron a mis fin à ses jours. 

Mais ce qu’il ne s’était pas dit c’est que Amyliana sans son A n’existe pas. 

Je ne peux pas vivre sans lui. Je n’y arrive pas de toute façon.

 

— Déjà debout ? 

Mary passe sa tête par la baie vitrée, m’interrompant dans mes pensées. 

L’envie de lui gueuler qu’elle ne m’en laisse pas le choix me tord le ventre, mais je me contente de lui répondre d’un bref sourire avant de reprendre ma contemplation de la végétation. Ses pas retentissent dans mon dos, puis du coin de l’œil, je la vois se poser à mes côtés. 

— Je sais bien que je t’ai blessée hier, Amy. 

— Mais non, mens-je. 

— Bien sûr que si, reprend-elle, et je ne m’en excuserai pas parce qu’il fallait que j’attire ton attention sur ce quotidien éprouvant pour nous deux. 

— C’est seulement que je n’ai pas la force d’être comme toi, réponds-je. Toi, t’es encore une super mère pour Lisbeth, tu gères la maison, mes gosses, les courses, tout… Et tu gardes le sourire en plus de ça. Moi, je ne sais pas faire ça. À chaque fois que je me surprends à rire d’une bêtise de mes enfants, je culpabilise de suite en pensant que A ne verra jamais ça, ne vivra jamais ça surtout. 

— Mais tu existais avant lui, Amy. Tout comme je vivais avant d’avoir Jay dans ma vie. Même si c’est difficile, ou si certains jours il me manque terriblement, je me dis que je n’ai pas le choix, qu’il a choisi en connaissance de cause. Il ne l’aurait jamais fait s’il n’avait pas eu confiance en moi, s’il avait douté de ma capacité à encaisser les coups durs. Alors, je lui dois de vivre, de remonter la pente, d’être forte. Et je pense vraiment qu’Aaron détesterait connaître la vérité sur ton état. 

J’avale la bile amère qui m’étrangle, hoche mollement la tête avant d’inspirer pour ne pas craquer. 

— Je sais bien qu’il détesterait savoir ce que je suis réellement. 

— Compte sur moi pour t’aider, pour t’épauler, Amy.