Au Sahara - Hugues Le Roux - E-Book

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Hugues Le Roux

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Beschreibung

J’ai quitté la France dans le déluge de Saint-Médard. Je trouve un Alger glacial, sans soleil, avec une mer verte et houleuse, un vent si coupant, si sec, le long des quais, sous les arcades, que les terrasses de cafés sont désertes et les squares abandonnés.
J’ai eu tout juste le temps de faire porter mes bagages à l’express de nuit qui marche sur Oran.
Elle est divertissante à observer par une fenêtre de wagon, la vie de cette banlieue algérienne. Cela ressemble, d’une façon comique à nos trains de la campagne parisienne. Toutes les cinq minutes on arrête.
— L’Agha ! Hussein-Dey ! Maison-Carrée ! Bouffarik ! Blidah !
Et ce sont des fillettes qui remontent de la mer avec leurs costumes de bain sous le bras, — des jeunes femmes, de retour de la ville, chargées d’emplettes, — des pères de famille qui reviennent du travail quotidien et que l’on attend, en bandes, sur le quai envahi, bruyant, où les Arabes coudoient la population européenne, où de petits voyous bronzés, pieds nus, coiffés de calottes rouges, crient les journaux du soir avec des intonations faubouriennes. Tout autour, un décor d’eucalyptus et de palmiers. Les premières lanternes de la voie qui s’allument font danser des lumières et des ombres sur ce grouillement de foule bariolée, qui rit et qui parle haut. Et le glissement des Arabes, tout blancs, muets au milieu de cette joie de vivre, a quelque chose qui inquiète aux approches du soir…

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HUGUES LE ROUX

AU SAHARA

1891

© 2023 Librorium Editions

ISBN : 9782385741020

A FRANCISQUE SARCEY

Hommage de reconnaissance et d’affection.

Hugues Le Roux.

AVANT-PROPOS

C’était en septembre 1889, sur la terrasse de l’hôtel Européen, à Tanger.

Devant la pureté d’une nuit de lune et la beauté de cette rade marocaine, où les navires mouillaient au large avec leurs feux immobiles, nous songions que ce magnifique spectacle était tout proche de Paris ; — et pourtant combien peu de Français ont la curiosité de passer la mer pour venir jeter par la porte de Tanger un coup d’œil sur l’Orient.

Mon compagnon de causerie était un des Français de cette génération qui sont le plus au courant de la langue et des mœurs religieuses du peuple arabe. Son savoir précis me donnait une grande curiosité de l’interroger.

Il me répondit :

— Venez voir ces gens et ce pays-là de vos yeux. L’exemple décidera peut-être à se mettre en route des gens du monde qui ont du loisir, de l’entraînement physique, le goût des longues chevauchées. Tout à l’heure dans les boutiques marocaines, vous avez dû parler espagnol ou anglais pour vous faire servir. Cela durera tant que nous laisserons aux étrangers le monopole du voyage pour lequel nous sommes si heureusement doués.

… L’hiver passa sur cette causerie. Le printemps venu, j’allai me reposer au fond des bois de Meudon, dans un hameau en clairière qui domine Ville-d’Avray et d’où l’on voit le soleil se coucher derrière des plans d’arbres, sur la silhouette dentelée, lointaine du Mont-Valérien.

C’est dans ce paysage modéré, dans ce calme de vie, que vint me relancer vers la mi-juin une lettre tentatrice.

Elle arrivait d’Algérie.

Elle disait :

« Dans les premiers jours de juillet, je pars d’Aïn-Sefra, — cherchez la dernière station du chemin de fer stratégique qui protège notre frontière oranaise du côté du Maroc. — Je remonterai à cheval jusqu’à Géryville, en traversant tous les ksour, c’est-à-dire les villages berbères, égrenés dans des oasis, le long des hauts plateaux. A Géryville j’abandonnerai le cheval pour le méhari, le chameau coureur, et je descendrai vers le Sahara, de façon à rejoindre Metlili, Ghardaïa, Ouargla. Je rentrerai dans la province de Constantine par Touggourt, l’oued Rirh, Biskra, où l’on retrouve des chemins de fer, des hôtels, de la glace, enfin la vie civilisée. Voyez si le cœur vous en dit. »

Je laissai tomber ce billet et je regardai par la fenêtre.

Dans le grand vitrage de l’atelier s’encadrait un site d’une singulière douceur — le charme humain de l’Ile-de-France. Il y avait tout justement ce jour-là le degré de soleil qu’il faut pour que les plans s’enfoncent et se détachent. Des jeunes femmes en toilettes claires passaient devant ma porte, allant vers les bois. Je suivais de l’œil la tache mouvante de leurs ombrelles et je me disais :

— Non, mon ami, vos cailloux, votre sable, votre canicule saharienne ne me tentent point. L’air qu’on respire ici est trop caressant pour qu’on le quitte. Partez seul.

… Et pourtant dix jours plus tard, le paquebot me débarquait à Alger avec les bagages de Tartarin : un casque, un parasol, un lit de camp, une carabine et deux cantines militaires.

AU SAHARA

I Paris — Alger — Saïda.

J’ai quitté la France dans le déluge de Saint-Médard. Je trouve un Alger glacial, sans soleil, avec une mer verte et houleuse, un vent si coupant, si sec, le long des quais, sous les arcades, que les terrasses de cafés sont désertes et les squares abandonnés.

J’ai eu tout juste le temps de faire porter mes bagages à l’express de nuit qui marche sur Oran.

Elle est divertissante à observer par une fenêtre de wagon, la vie de cette banlieue algérienne. Cela ressemble, d’une façon comique à nos trains de la campagne parisienne. Toutes les cinq minutes on arrête.

— L’Agha ! Hussein-Dey ! Maison-Carrée ! Bouffarik ! Blidah !

Et ce sont des fillettes qui remontent de la mer avec leurs costumes de bain sous le bras, — des jeunes femmes, de retour de la ville, chargées d’emplettes, — des pères de famille qui reviennent du travail quotidien et que l’on attend, en bandes, sur le quai envahi, bruyant, où les Arabes coudoient la population européenne, où de petits voyous bronzés, pieds nus, coiffés de calottes rouges, crient les journaux du soir avec des intonations faubouriennes. Tout autour, un décor d’eucalyptus et de palmiers. Les premières lanternes de la voie qui s’allument font danser des lumières et des ombres sur ce grouillement de foule bariolée, qui rit et qui parle haut. Et le glissement des Arabes, tout blancs, muets au milieu de cette joie de vivre, a quelque chose qui inquiète aux approches du soir…

La nuit est sans lune. Il faut renoncer à explorer les environs. Aussi bien, les stations commencent à s’éloigner, et le train qui rampait en torpeur prend vaillamment sa course. Une ou deux fois pendant la nuit, je me lève de la banquette pour reconnaître le paysage. Je colle mon visage à la vitre noire. Autour de nous, le silence est illimité. La locomotive qui siffle au seuil de ces plaines obscures et vides à l’air d’un poltron qui chante sur une route pour se donner du cœur.

Le changement de ligne est à Perrégaux. J’en pars le matin, un peu après onze heures, pour Saïda.

Bien qu’il n’y ait que cent vingt kilomètres de parcours, je n’arriverai à Saïda qu’à cinq heures et demie du soir : ces chemins de fer algériens n’ont rien dans les veines de la vivacité des habitants. Du moins est-elle d’une grande beauté pittoresque, la contrée que nous traversons ainsi aux belles heures de la journée. L’Atlas, coupé par notre descente perpendiculaire sur le Sud, à vraiment une ossature, une robe de lion. Et dans son bondissement à travers l’Algérie, l’ardeur du soleil fait courir sur sa croupe ces ondulations mouvantes, ces zigzags de lumière qui donnent tant de souplesse à la marche des grands fauves. Puis c’est la vue de l’eau qui cause aux yeux brûlés par cette aridité montagneuse un délassement, une joie indicibles. On la fait glisser à l’ombre dans des canaux étroits comme des écrins de bijoux. Les tailleurs de brillants prennent moins de peine pour recueillir les éclats de diamant que l’Algérien pour empêcher la poussière d’eau de s’évaporer dans l’air. Il donne la main à la source quand elle saute. Il la reçoit, comme au barrage d’Oued-Fergoug, dans des cuvettes de roc, veloutées de verdure. Il suffit qu’elle fuse pour que le pays perde sa beauté inutile, inhabitable. A Thiersville, une véritable prairie se déploie, qui porte des arbres, des fermes, dépassés par un clocher pointu. Et ce nom repose des aspirations gutturales, comme ces verdures des aridités mortes. Le rêve naît de quelque village normand. L’illusion serait complète, si, sur un mamelon, plus haut que le clocher, ne veillait, sentinelle de l’islam, un marabout très blanc, près d’un arbre très noir, avec l’Atlas qui monte, au fond, vers le ciel, sombre et vague dans ses plans lointains comme un horizon de houle. A Charrier, le spectacle est plus caractéristique encore. C’est de toutes les cimes des montagnes voisines, vers le ruisseau, une procession pressée d’arbres. La terre nue est sous leurs pieds ; on dirait une foule de pèlerins qui descendent les collines pour venir se délasser dans l’eau pure.

Après la traversée de si grands espaces qui semblent impeuplés, on est surpris de trouver à Saïda si vivante figure de petite ville. L’hôtel est bon aussi et la cuisine : c’est là, bien entendu, que les officiers prennent pension. Gantés, en bel uniforme, ils viennent parader le long de la voie à l’arrivée du train, guetter les rares arrivées de voyageurs. Puis, la jambe raide, les épaules larges, ils remontent jusqu’à la table d’hôte, salués à droite, à gauche, sur la route, par des troupiers de tous costumes.

Je m’assois à la table d’un ingénieur qui a travaillé au dessin de la voie ferrée. Comme j’arrive de Paris, ce Saïdien pense me faire plaisir en me racontant d’abord une histoire de chasse. Il paraît que je rencontrerai demain sur la voie, une petite station qui s’appelle Mokta-Deli. Le chef de ce poste a été victime, il y a quelque mois, d’un accident très dramatique : un berger avait vu son troupeau, pris de peur, fuir soudain dans toutes les directions. On croyait à la présence d’un mouflon qui descendait boire à la source. C’était un beau coup de feu. Le garde-barrière arma un fusil et partit, accompagné de son petit garçon, un enfant de six ans. En arrivant à l’eau, il se trouve face à face avec une panthère de grande taille. Il n’y avait plus moyen de reculer : il tira. Mais, dans son émotion, il rata son coup. Alors la panthère bondit sur le chasseur. Il eut la présence d’esprit de tirer une seconde fois et atteignit mortellement son ennemi. Tuée raide, la bête vint pourtant rouler jusque sur lui. Dans un dernier spasme, elle lui saisit le bras entre ses crocs formidables. Du coup le pauvre homme fut transporté à l’hôpital où il est resté en traitement pendant six mois. L’amputation du membre a été jugée nécessaire. Pour la panthère, elle fut expédiée à Aïn-Sefra. C’était un mâle de la grande espèce. On trouva dans ses entrailles un porc-épic, gloutonnement avalé, dont les dards avaient perforé l’intestin. Lors même que le fauve n’eût pas rencontré le garde-barrière, il n’avait plus que peu de jours à vivre.

Si les panthères sont presque aussi rares sur la ligne d’Aïn-Sefra qu’un sanglier dans le bois de Boulogne, du moins les gardiens de la voie ferrée vivent-ils dans une certaine crainte des indigènes. Ils habitent deux ménages ensemble. Le train leur apporte dans des stations perdues la viande et le pain ; l’administration leur fournit des fusils Gras pour la défense. Les petites gares sont fortifiées avec des murs d’enceinte percés de meurtrières. Toutes ces précautions ne sont point inutiles, car les Arabes ont plus d’une fois tenté des coups de main dans ces endroits déserts : ils cherchent surtout à surprendre les maisons quand les maris travaillent à la voie et que les femmes restent seules pour les défendre.

L’an dernier, ils ont attaqué en force des ouvriers espagnols et des Marocains qui posaient des rails. L’équipe de travailleurs leur a échappé en montant dans un wagon-traîneau et en se laissant glisser sur une pente. A la suite de cet incident, on a fait voyager dans le train pendant quelque temps des soldats armés.

A trois jours de Paris, ces histoires de coups de fusil et de frontière ravissent. Je les savoure après dîner, à la terrasse d’un café d’officiers en regardant passer, dans l’ombre, des Arabes qui remontent à la kasbah, leurs visages perdus dans le linceul des burnous, leurs têtes de fanatiques serrées derrière, dans la corde en poils de chameau, qui, de père en fils, façonne les crânes.

II Un chemin de fer stratégique.

Le train pour Aïn-Sefra part dès l’aurore avec la perspective d’une longue route qui se déroule dans une désespérante lenteur.

On ne songe point à s’en plaindre jusqu’au sommet de la montagne. La locomotive l’escalade en spirale sur une pente très abrupte. De ce sommet d’Aïne-el-Hadjar on jouit d’une vue en panorama, étendue, magnifique. Après quelques stations plantées d’arbres, la plaine commence. A droite, à gauche, c’est l’alfa, un verdissement sans sève, sans couleur, sans frisson de vie. Puis ces végétations mêmes disparaissent ; le chott Ech-Chergui commence à la porte du Kreider.

Le sel s’étale à la surface du sol en couche si dense que, sous l’éblouissant soleil, à distance de plusieurs lieues, la terre semble couverte d’une jonchée de neige. Le train raie obliquement cette pureté sans tache ; les nuages, le ciel s’y reflètent. Et le chott est un miroir capricieux, une lande d’apparitions et de mirages, où chacun revoit les fantômes qu’il aime. Voici, pour moi, une mer immense avec des navires, toute une flottille de pêche, et, derrière, les murailles d’une ville. Le mirage a-t-il été les prendre quelque part, en Méditerranée ? Ce port vers lequel ils tendent n’est-il qu’une architecture de lumière ? Le cœur se serre devant cette duperie si parfaite, et elle remonte la tentation souvent refoulée : si tout n’était que songe…

Dans l’unique compartiment de première que j’occupe, j’ai, toute seule, pour compagne de voyage, la femme d’un chef de gare de la ligne. Selon la permission mensuellement accordée, elle est descendue jusqu’à Saïda, aux provisions. Elle rapporte avec soi de volumineux paquets. La coquetterie n’a pas été oubliée dans ses achats. Elle s’est coiffée pour le voyage d’un grand chapeau de paille de riz qui avance par devant sur le visage, comme les capotes de Topffer et que chevauche une plume blanche, révoltée, d’un effet fort inattendu. A chaque arrêt, les femmes des gardiens de station viennent saluer la voyageuse. Le chapeau à plumes blanches est d’abord le sujet de la conversation.

Ma voisine dit avec un petit air de détachement hypocrite :

— C’est la dernière mode à Saïda…

Et les bouches des commères bâillent d’admiration, car la mode de Saïda, voyez-vous, passionne toutes les curiosités féminines, de la montée Aïne-el-Hadjar à la dune d’Aïn-Sefra elle-même.

A partir du chott, jusqu’au bout de la ligne, c’est-à-dire pendant cent quatre-vingt-trois kilomètres, on rampe dans les pierres et dans le sable. De chaque côté, c’est la platitude géométrique. Des rocs, de loin en loin, surgissent comme des écueils de la mer ; du moins, ils offrent un rempart contre le siroco, et, en maint endroit, on a profité de leur présence pour installer un poste militaire.

Les bâtiments en briques, sans étages, sont si fort de la couleur du sol qu’on a peine à les distinguer dans cet éblouissement de lumière. Comme les gares, comme toutes les constructions rencontrées sur cette route, ce ne sont pas seulement des abris, mais des forteresses. Aucun village ne s’y appuie ; les maisons refusent de pousser sur un sol d’où ne jaillit aucune verdure. Et pourtant dans leur affolement du soleil, les pauvres exilés qui vivent là ont tout fait pour trouver de l’ombre.

Partout, on voit des essais de plantations abandonnées. Si l’on s’obstine, le résultat est à la fois comique et lamentable : debout dans des cuvettes immenses qui servent à l’arrosement du pied, des bâtons se dressent nus comme des mâts. Leur vue est encore plus pénible que celle des murailles de caserne.

Il suffit de jeter un coup d’œil dans les wagons que notre locomotive remorque pour s’édifier sur la misère de cette vie de frontière. En fait de bagages, il n’y a que des tonnelets d’eau, que l’on distribue presque à chaque station aux gardes-barrières, avec des vivres et du ravitaillement pour les troupes. Et le mouvement des voyageurs est aussi insignifiant que celui des marchandises.

Contre l’une des portières, j’ai reconnu un petit Breton, un artilleur, à ses yeux couleur de l’Océan. Il a l’air si écroulé, si près de sa fin, que je n’ai pu m’empêcher de l’aborder. Il quitte Aïn-Sefra, réformé définitivement ; il retourne à Saint-Malo. Du moins, il dormira dans la terre natale. En dépit de la chaleur qui, aux stations où les Espagnols vendent de l’absinthe et de l’eau, nous fait courir aux tonnelets, lui, le fiévreux, il claque des dents dans son pantalon de laine. Et pour se réchauffer, en deux haleines, il vide les grands verres de rhum que je lui ai fait servir…