Audimat - Revue n°7 - Collectif - E-Book

Audimat - Revue n°7 E-Book

Collectif

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Beschreibung

Découvrez le numéro 7 d'Audimat, une revue musicale qui transcende l'actualité pour apporter un regard de fond sur la musique !​​Dans ce numéro :​​• « Italie ’70 : musique légère, années de plomb », Diane Lisarelli
• « À l’ombre de Marcus Mixx », Boris Bergmann
• « Les voyages de Dashiell Hedayat et Michel Bulteau », Arnaud Maguet
• « Contre-musique pour enfants », Sylvian Quément
• «Vie et mort sur le dancefloor du Pulse », Tim Lawrence
• « Les « musiques expérimentales » : une polémique en devenir », Matthieu Saladin

Un discours critique exigeant sur la pop music, son histoire, son écoute et sa diffusion dans le monde.

EXTRAIT

Les anthologies et les documentaires consacrés au passé de nos musiques s’accumulent. Récemment, sur Arte, Bienvenue au club, 25 ans de musique électronique de Dimitri Pailhe s’intéressait à l’histoire de la house et de la techno en France et dans le monde, tandis que la série Soundbreaking, produite par George Martin — tant qu’à faire ! —, plongeait dans « la grande aventure de la musique enregistrée ». Le principal point commun aux deux projets, c’est de couvrir de très longues périodes historiques en très peu de temps et de générer immanquablement une profonde frustration pour qui s’intéresse à ce qui, dans ces musiques, ne se réduit pas au progrès technologique, à l’extension du marché, à ceux qui en sont devenus les héros et à leurs anecdotes.

CE QU'EN PENSE LA CRITIQUE

Un effort éditorial inédit : des textes sur la musique en long format qui abordent des sujets souvent pointus tout en évitant l’obscurantisme. - GQ
Une grande réussite grâce à des textes passionnants. - Global Techno
La revue est vraiment stimulante et se lit d’un bout à l’autre sans ennui. - L’éditeur singulier
Audimat se lit avec suffisamment d’intérêt et d’excitation pour qu’aucune ligne ne soit laissée de côté. - Noise
Audimat enterre définitivement les problématiques typiques de la génération des baby-boomers comme « Existe-t-il une critique rock ? » - Magic

À PROPOS DE LA REVUE

Audimat est une revue de critique musicale éditée par le festival Les Siestes Électroniques.
Notre projet : une écriture sur la musique libérée des contraintes d‘actualité et des formats de la presse périodique. Audimat veut rendre compte de la situation actuelle de la pop music, et l‘éclairer par son histoire. Il s’agit de recenser ce qui se passe, d‘aller s‘entretenir avec la musique et son évolution, de se plonger méthodiquement dans l‘expérience musicale, et dans ce qu‘elle implique sur le plan des médiations, de l’imaginaire, de la société, de la pensée, de l’affectivité.

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Sommaire
Édito
Italie ’70 : musique légère, années de plomb — Diane Lisarelli
À l’ombre de Marcus Mixx — Boris Bergmann
Les voyages de Dashiell Hedayat et Michel Bulteau — Arnaud Maguet
Contre-musique pour enfants — Sylvain Quément
Vie et mort sur le dancefloor du Pulse — Tim Lawrence
Les « musiques expérimentales » : une polémique en devenir — Matthieu Saladin
Copyright

Édito

Les anthologies et les documentaires consacrés au passé de nos musiques s’accumulent. Récemment, sur Arte, Bienvenue au club, 25 ans de musique électronique de Dimitri Pailhe s’intéressait à l’histoire de la house et de la techno en France et dans le monde, tandis que la série Soundbreaking, produite par George Martin — tant qu’à faire ! —, plongeait dans « la grande aventure de la musique enregistrée ». Le principal point commun aux deux projets, c’est de couvrir de très longues périodes historiques en très peu de temps et de générer immanquablement une profonde frustration pour qui s’intéresse à ce qui, dans ces musiques, ne se réduit pas au progrès technologique, à l’extension du marché, à ceux qui en sont devenus les héros et à leurs anecdotes.

En effet, dans ces récits, tout peut faire rupture — et les films ne se privent pas d’exagérations — mais rien ne pose problème : chaque situation technique, esthétique et politique apparaît comme le jalon d’une voie à sens unique menant vers un présent sans nuances, envisagé comme une fin provisoire de l’histoire, qu’il s’agit moins de comprendre que d’accepter puisqu’au fond, « ça bouge ! », ce qui pour nos réalisateurs enthousiastes mais finalement indifférents, semble toujours une bonne nouvelle culturelle — et au passage une excellente occasion de demander à un artiste plus ou moins légendaire de nous raconter encore une fois la même anecdote. Mais plus ce type de légendes figées s’écrit et plus l’histoire nous fait défaut.

Qu’est-ce qui nous manque alors ? Que voudrions-nous voir à la place, que pourrions-nous proposer ? Sans aucun doute des choses comme de l’altérité, de la pluralité, du conflit, du souterrain, du contre-intuitif, voire de la quasi-fiction. Les articles de ce numéro 7 d’Audimat font chacun place à l’une de ces perspectives. Altérité : l’article de Diane Lisarelli sur la réappropriation de la pratique du concert — entrées en force, blocages, interruptions — par le Movimento italien des années 1970 fait mesurer tout l’écart qui nous sépare d’une époque où la musique pop était au cœur de la vie quotidienne et militante, celle d’une population laborieuse ou déserteuse. Pluralité : Tim Lawrence propose une intervention historique mais paradoxalement « à chaud » pour montrer comment les queers hispano-américains ont été gommés des comptes-rendus médiatiques de la fusillade qui a touché le club Pulse d’Orlando en 2016. Son article montre que le même type d’effacement touche l’ensemble de la mémoire des musiques récentes[1] et invite à des récits qui saisissent dans le même mouvement les représentations tronquées, les collectifs et la singularité des vies. Conflit : aujourd’hui, le pluriel accueillant de « musiques expérimentales » neutralise ce qui après-guerre relevait de l’affrontement décisif entre deux esthétiques, celles de John Cage et Pierre Schaeffer, que nous relate Matthieu Saladin. Celui-ci montre notamment qu’une nouvelle technologie — ici l’enregistrement sur bande — n’exige pas seulement d’être rejetée ou adoptée : plusieurs utilisations en sont possibles, selon ce qu’on ose espérer de la musique. Souterrain, avec Marcus Mixx, personnage injustement oublié dans la légende dorée de la house chicagoane dont Boris Bergmann explore à la lampe frontale le destin d’ombre, comme autant de galeries humides et sans issue. Contre-intuitif : Sylvain Quément retrace l’histoire d’un label de disques pour enfants, Chevance, qui dans les années 1970 et 1980 a fait le pari que le « jeune public » était aussi apte que les adultes — voire davantage — à entendre des chansons non-standardisées, souvent réalisées par des musiciens venus d’avant-gardes informelles. Quasi-fictif, quand Arnaud Maguet parle de deux obscurs albums français post-68, signés chacun d’un écrivain, pour nous faire gravir les branches pas toujours solides mais constamment jouissives d’un arbre à fantasmes historico-esthétiques.

L’histoire de la musique récente se construit aussi, comme toutes les autres, sur de la négativité. Le travail de l’écrivain et professeur britannique Mark Fisher, mort en janvier dernier, en manifestait. Il nous avait fait l’honneur d’écrire dans le numéro 2 d’Audimat un texte très marquant, consacré au spleen de l’argent chez Drake. Son blog k-punk, dans lequel il parlait autant de musique que de la société britannique post-New Labour a été l’une des inspirations de notre revue. Fisher a montré que la musique portait souvent, de façon évidente ou non, les affects et les contradictions de son époque. En souvenir de ses écrits, demandons-lui de quoi écrire nos propres légendes.

[1] On nous a signalé à juste titre la relégation en note de bas de page des femmes musiciennes dans l’article de Michel Chion republié dans le numéro 6 de la revue et originellement paru en 1982.

L’actualité éditoriale consacrée à l’autonomie italienne est riche, avec la publication des ouvrages de Nanni Balestrini, Alessandro Stella, ou plus récemment encore de la somme La Horde D’Or (Balestrini/Moroni). Diane Lisarelli, journaliste et auteure indépendante basée à Nice, qui a notamment signé Éternels retours, un texte consacré à Lucio Battisti pour la NRF, s’est intéressée à la place des concerts dans cette période politique agitée : le goût et le dégoût pour les groupes étrangers, le cynisme des festivals commerciaux et les ambivalences des événements alternatifs, l’affirmation de la pop comme art populaire en même temps que sa critique comme industrie et comme opium, les actions pour empêcher que soit donné un prix à la culture, l’expression musicale des tensions existentielles, la continuité de fait entre musique et luttes sociales… À rebours des évocations romantiques de la musica leggera et de la « contre-culture », elle nous propose un parcours des scansions et des matières d’une révolte. Abordés au ras des événements d’alors, ces thèmes correspondent d’abord à des manières d’agir sur le moment, parfois avec brutalité, obligeant chacun à choisir son camp.

Il palco è come un ponteche non unisce nienteci passano i cantantifischiati dalla gentequalcuno un po' più furbofa battere le manio tira fuori il corodei napoletani

La scène est comme un pontqui ne relie rieny passent les chanteurshués par la foulequelqu’un d’un peu plus malinfait battre des mainsou sort le choeurdes Napolitains

Gianfranco Manfredi,Un tranquillo festival pop di paura

5 juillet 1971. 22 h 30, 30 ° C. Au vélodrome Vigorelli de Milan, Jimmy Page, Robert Plant, John Paul Jones et John Bonham montent sur scène avec une heure et demi d’avance. L’atmosphère est tendue : les groupes et chanteurs qui ont précédé Led Zeppelin ont essuyé les huées et les canettes de bière. Pour cette étape milanaise du « Cantagiro », grand raout itinérant de la variété italienne, le groupe de rock britannique partage l’affiche avec les purs produits locaux que sont Gianni Morandi, Bobby Solo, Lucio Dalla ou Ricchi e Poveri. Étrange mélange des genres et des publics. Cible vivante pour projectiles divers, Morandi sort de scène bouleversé sans avoir pu terminer sa version italienne d’un morceau de Joan Baez.

Moins courageux, les autres ont rapidement évalué le rapport coût/bénéfice et refusent de se produire face à une fosse survoltée. Richard Cole, tour manager nerveux de Led Zeppelin, décide alors d’envoyer le groupe pour en finir au plus vite (« avec ces Italiens de merde » déclarera-t-il plus tard, une fois la pression retombée).

À l’annonce de l’arrivée imminente des Anglais, la partie du public venue pour le Cantagiro s’enfuit. À l’extérieur, un paquet de jeunes gens n’ont eux qu’une idée en tête : entrer en force sans payer le billet, dont le prix est jugé trop élevé. Leurs raisons sont financières mais aussi politiques. Aux portoghesi (terme désignant traditionnellement en Italie ceux qui entrent sans payer dans les théâtres) s’ajoutent des jeunes gens las d’engraisser les organisateurs de concerts et de participer à la marchandisation d’une culture dite « populaire ». Scandant allégrement « PS-SS » (dérivé de CRS-SS, PS se référant à Polizia di Stato) pour narguer les 2000 policiers anti-émeutes mobilisés, des centaines d’entre eux profitent de la sortie des familles apeurées pour s’engouffrer dans le vélodrome. Devant les entrées s’installe alors une foule confuse et mouvante. Face à elle, les forces de l’ordre répliquent de manière somme toute classique : aux coups de matraques arbitraires succèdent les premiers gaz lacrymogènes.

Les essaims de jeunes gens qui continuent d’entrer sont accompagnés d’une odeur âcre. Et tandis que tous se massent dans la fosse, l’arrivée du groupe est accueillie par un hurlement sauvage. À celui-ci répond un puissant mur de son couvrant les sirènes et les cris qui s’accentuent à l’extérieur. Rien, pourtant, ne parvient à couvrir la rumeur de violents affrontements. Robert Plant essaie à plusieurs reprises de calmer le public, « Dazed & Confused » est interrompue trois fois. Les choses deviennent incontrôlables quand des lacrymogènes sont tirés directement dans le vélodrome. Les gradins désertés, la fosse composée d’une dizaine de milliers de spectateurs est alors secouée de mouvements de foule océaniques, chacun cherchant à s’éloigner le plus possible des fumées. « Soufflez avec moi pour faire disparaître le gaz » tente Plant halluciné, mais les lacrymogènes envahissent jusqu’à la scène et le groupe est contraint de fuir en abandonnant son matériel.

Après dix minutes de suspension de concert, les vapeurs vaguement dissipées, John Bonham lance une version chaotique et écourtée de « Moby Dick ». Suit « Whole Lotta Love ». Mais la police envoie maintenant délibérément des grenades lacrymogènes sur le côté droit de la fosse. Dans un mouvement de panique, l’électricité est coupée. Plant, Page et consorts abandonnent alors la scène dans l’obscurité. Dehors, les spectateurs sortant se mêlent à ceux restés pour affronter les forces de l’ordre à défaut d’avoir pu entrer. La police ne s’embarrasse pas et tape dans le tas.

Led Zeppelin, ce soir-là, n’aura joué que 27 minutes. Plant racontera plus tard s’être ensuite barricadé dans un vestiaire avec les autres, leurs têtes enveloppées dans des serviettes mouillées pour calmer l’irritation due aux gaz. Les affrontements, qui dureront toute la nuit, s’étendront aussi à d’autres zones de la ville. Bilan : 16 arrestations, 40 blessés et de nombreux dégâts matériels. Ainsi s’installent, au pays de la musica leggera, les années de plomb.

TRAVAILLER OU FAIRE L’AMOUR

Quelques mois plus tôt, Adriano Celentano, superstar nationale, sort victorieux du festival de San Remo avec une canzonetta légère au texte ultra-réactionnaire. Son titre : « Chi non lavora, non fa l’amore », soit, « Qui ne travaille pas ne fait pas l’amour ». Après le Mai rampant de 1968 et l’automne chaud de l’année qui suit, durant lequel manifestations et occupations de locaux se sont multipliées (rien que pour la FIAT, le bilan de 1969 s’élève à 20 millions d’heures de grève), Celentano, tout sourire, fredonne l’histoire d’un ouvrier en lutte dont la femme lui ordonne de se remettre à travailler s’il veut à nouveau pouvoir la toucher. Le disque s’écoule à 750 000 exemplaires au grand dam de la gauche. Depuis longtemps, pourtant, une part de la jeunesse a choisi de faire l’amour au lieu de travailler.

À Milan, nombreux sont ceux qui depuis le milieu des années 1960 vivent en marge de la société marchande et des diktats capillaires. Ces autoproclamés capelloni, ces « chevelus », s’agrègent autour de la revue Mondo Beat, premier journal underground du pays, dont les articles témoignent de nombreux engagements : pacifisme, antimilitarisme, critique de la famille et des institutions, reconnaissance des droits civils (divorce, pilule, avortement, amour libre) et participation directe. Quiconque arrive Viale Monte Nero au local de Mondo Beat est le bienvenu. Très vite, une communauté se forme et s’installe sur un terrain loué Via Ripamonti. Rebaptisé par la presse et les bien-pensants « Barbonia City » (en référence aux barboni, les sans-abri), le campement devient l’objet de fantasmes et de sévères condamnations. « À Barbonia City, on est libre d’apprendre tous les pires vices : on devient facilement homosexuel et bien souvent la drogue coule à flot » peut-on lire dans les colonnes du Corriere della Sera. Pour La Notte, un journaliste infiltré parle lui de « nymphettes tendres et dévergondées » et d’« unions sacrilèges ». Le 12 juin 1967, les autorités milanaises finissent par faire irruption et rasent le camp au lance-flammes. Sur ses cendres sont dispersés des quintaux de désinfectant.

En réaction, Mondo Beat publie un texte d’anthologie, « Milano in stato d’i assedio », « Milan en état de siège », dans lequel se pose la question d’une génération :

« N’EST-IL PAS POSSIBLE DE VIVRE EN DEHORS DE LA SOCIÉTÉ MARCHANDISE FRIC SANS CONSOMMER ET SANS SE FAIRE SUCER L’ÂME ET SANS QU’ON NOUS IMPOSE UN DÉGUISEMENT NON-HUMAIN ? »

S’ensuit une série de revendications :

« 1) JE VEUX POUVOIR VIVRE SOUS UNE TENTE sans que pour cela se déchaîne une ville entière sans que pour cela se névrotisent les plus gros journaux d’Italie (vive l’Italie) la préfecture la télévision et peut-être le ministère de l’intérieur.

2) JE VEUX PRENDRE MA DOUCHE EN SLIP comme j’ai fait jusqu’à aujourd’hui AU CAMPEMENT DE MONDO BEAT.

3) JE VEUX FAIRE L’AMOUR DANS LA TENTE sans que pour cela des milliers de Milanais s’amassent au bord du campement pour nous surprendre à la sortie nous regarder excités par UNE CHOSE que JE NE COMPRENDS PAS JE NE COMPRENDS PAS pourquoi ça impressionne tellement LA PLUS GRANDE ÉVOLUTION PRODUCTIVE VILLE MODERNE D’ITALIE VILLE DU PANETTONE ET DES CHAÎNES DE MONTAGE VILLE RICHE ET LABORIEUSE AVEC DES ASILES BEAUX COMME DES BUREAUX ET DES BUREAUX PROPRES AVEC DU CARRELAGE COMME LES ASILES AVEC DES JARDINETS COMME DES COURS DE PRISON ET DES COURS DE PRISON COMME DES CABINETS (…) VILLE D’ÉDITEURS QUI VENDENT DES LIVRES COMME DES SAVONNETTES ET DES SAVONNETTES COMME DES LAISSEZ-PASSER POUR L’ÉTERNITÉ VILLE DE PEINTRES ET DE POÈTES ET DE JOURNALISTES ENTASSÉS À BRERA OU DANS N’IMPORTE QUEL AUTRE ENDROIT TOUS AVEC UNE FLEUR DANS LE CUL VILLE DE JEUNES PROTESTATAIRES DE JEUNES REBELLES PERDUS DANS LES MOTS ET DANS LES RECHERCHES MÉTHODOLOGIQUES DE LUTTE TU LES VOIS BRAN-LEURS MENTAUX AVEC LEUR PISSE AU CUL ET LA PRAXIS ET LA CULTURE QUI FONT LES LÈCHECUL DE BIDET DE LIEUX CULTURELS.

Que pouvons-nous revendiquer nous qui avons quitté écoles et familles et qui allons par l’Europe et par le monde avec un sac à dos, un sac de couchage et un slip de rechange, que pouvons-nous demander à une ville comme celle-là à une Italie comme celle-là à un monde comme celui-là ? Si ce n’est le droit DE PRENDRE SA DOUCHE EN SLIP.

Le reste ne nous vient que de nous-mêmes : l’Esprit est à l’intérieur de nous à l’intérieur de nous est la vraie liberté et DEHORS il n’y a que vide ou OBSTACLES à la réalisation de la CLARTÉ. Puisque la société ne craint qu’un seul adversaire : L’HOMME, l’homme rare qui fait seulement CE QU’IL VEUT et À L’HEURE QU’IL CHOISIT, l’homme libre, l’homme qui veut rester en dehors de l’engrenage et qui est prêt à payer de sa solitude ou de sa pauvreté un témoignage intérieur auquel il accorde une immense valeur, l’homme qui PORTE À L’INTÉRIEUR DE LUI LA MERVEILLE D’EXISTER, L’HOMME ALICE AU PAYS DES MERVEILLES INCAPABLE DE PRODUIRE ET DE CONSOMMER SELON UNE LOGIQUE ABSURDE ET ALIÉNANTE. EN ITALIE COMME DÉJÀ DANS D’AUTRES PARTIES DU MONDE SURGISSENT CES NOUVELLES CONSCIENCES OU CES NOUVELLES INCONSCIENCES. »

Dès lors, comment vivre en slip sans se faire sucer l’âme ? Si cette question reste aujourd’hui encore en suspens, de nombreuses propositions auront été formulées, éprouvées, fredonnées dans les dix années suivant la publication de ce texte. Nouvelles consciences et nouvelles inconsciences fusionneront en effet bientôt dans le mouvement Autonome italien, puissant élan rompant avec les luttes ouvrières traditionnelles au profit de nouvelles trajectoires et d’infinis questionnements sur la vie et la violence. Avec la formation d’une myriade de petits groupes formant la branche dite désirante de l’Autonomie s’esquissent de nouvelles formes de langage et d’existence. Dans ce contexte, la musique joue le rôle d’étincelle. Sur scène comme dans le public, un grand cri succède au bel canto.

ROCCHI ET SES FRÈRES

Loin des vocalises surmédiatisées du festival de San Remo, de nombreux festivals s’installent sur le territoire italien au début des années 1970. À Rome (Festival di Villa Pamphili), Viareggio (Festival della Musica d’Avanguardia e Nuove Tendenze), Palerme (Palermo Pop), Naples (Be-In A Nettuno, Festival del Rock d’Avanguardia), La Spezia (Festival di Cultura musicale non-commerciale de Bottagna), ces rendez-vous rassemblent une part de la jeunesse contestataire, qu’elle soit post-yéyé, pré-punk, chevelue, syndiquée, encartée, hippie, beat ou provo. Y sont célébrés un son et un mode de vie alternatifs — où il est par exemple permis de prendre sa douche en slip. Héritière de Mondo Beat, la revue Re Nudo fondée par Andrea Valcarenghi adjoint aux thèmes classiques de la « culture freak » — drogue, sexe libre, musique — une certaine critique à l’égard du moralisme sectaire des organisations extraparlementaires de gauche. Elle organise son premier festival en septembre 1971 à Ballabio, au nord de Milan. L’ambiance se situe donc à mi-chemin entre l’île de Wight et le camp militant. Intitulé « FreeFolkPop Festival », ce gigantesque « pique-nique musical » réunit le meilleur de la scène italienne alternative. Le spectre est large : il y a Claudio Rocchi, démiurge cosmique qui avec Volo magico n.1 sorti quelques jours plus tôt, signe le chef-d’œuvre de la musique psychédélique italienne. Enregistré en une seule session dans un manque de moyens absolu, cet album marqué par une certaine langueur ethnique, des flambées acid rock et de nombreuses improvisations s’avère l’un des disques les plus gracieux de la décennie. Mais il y a aussi Pino Masi, chanteur « officiel » de Lotta Continua dont les morceaux inspirés par la tradition populaire et orale développent inlassablement les thèmes de la lutte ouvrière. D’un côté, on a donc des morceaux comme « La Realta non esiste », hymne mystique mettant en doute l’existence même d’une réalité, de l’autre un certain réalisme marxiste, celui d’une chanson comme « L’Internazionale proletaria » qui débute sur ces mots :

Noi siamo i proletari in lotta,gli oppressi che hanno detto no,la forza immensa di chi vuolerovesciare la società.

Nous sommes les prolétaires [en lutteLes opprimés qui ont dit non La force immense de ceux qui [veulentRenverser la société.

Au lieu des 2000 personnes attendues, ce sont 10 000 hommes, femmes et enfants qui débarquent. Du panino à la bière, tout sur place est au prix modique de 100 lires. Loin des logiques marchandes, public et musiciens se mêlent et font de ce festival non pas seulement une succession de concerts mais aussi et surtout un moment de vie collective. Tous reprennent à leur compte le slogan lancé par Re Nudo : « Faisons que le temps libre devienne temps libéré ».

MUSICA GRATIS

Au concert de Jethro Tull le 20 mars 1973 à Bologne, l’ambiance est plus tendue. Les faits, tels que relayés par un journaliste local, se résument ainsi : « La police a dû intervenir pour empêcher qu’à peu près 3000 agités s’introduisent dans la salle déjà pleine de spectateurs — Face aux lancers de pierres et de bouteilles, les agents ont fait usage de lacrymogène — Une des grenades est entrée dans un appartement au cinquième étage — Quatre des blessés appartiennent aux forces de l’ordre. » Pour ceux qui l’ont vécu, le souvenir de la veille est un peu différent. En témoigne ce courrier de lecteur, condensé de l’époque (dactylographié mais corrigé au stylo, chargé de points d’exclamation, de mots en majuscules et d’usage répété de la lettre K), envoyé à Re Nudo :

« Pour les patrons le discours est très simple : l’argent pour organiser les concerts et pour éditer les disques c’est nous qui l’avons, par conséquent nous faisons la pluie et le beau temps en fixant les prix, payez donc le billet, achetez-vous les disques et ne nous cassez pas les Kouilles.

Nous, par exemple, pensons de manière un peu différente : la musique pop est née comme expression de la révolte des masses oppressées et exploitées du capitalisme amérikain et anglais (…) et appartient aujourd’hui de fait et de droit à la culture de tout le MOUVEMENT qui dans le monde lutte pour la libération de l’homme et de la femme de l’exploitation. Ce n’est pas un hasard si les manifestations politiques dans les campus amérikains sont en bonne partie rythmées par de la musique, comme ce n’est pas un hasard si aux concerts pop en Italie se retrouvent unis les étudiants et les jeunes ouvriers, les prolétaires et les sous-prolétaires qui luttent dans les écoles, dans les usines, dans les quartiers. Pour nous la musique pop est un moyen pour communiquer, pour être ensemble et voir que nous sommes un tout et que, de ce fait, nous sommes forts.

Camarades, nous savons qu’il n’existe pas d’art au-delà de la lutte des classes, et les patrons inconsciemment peut-être le savent mieux que nous.

Pour eux la musique pop est un gros business mais aussi une arme politique à retourner contre nous, pour créer de fausses divisions entre les vieux et les pauvres prolétaires, pour imposer leurs inanités (plagiées sur des formes inventées par les masses), pour distraire ceux qui ont travaillé et étudié toute la journée et chasser ainsi leurs "mauvaises pensées".

(…)

Camarades, NOUS DEVONS NOUS ORGANISER NOUS AUSSI ! LA DERNIÈRE FOIS NOUS ÉTIONS 6000, ET NOTRE FORCE IMMENSE EST NOTRE UNION ! BALAYONS CES VERMINES DÉGOÛTANTES QUI VEULENT S’ENGRAISSER À NOS DÉPENS ! AFFIRMONS AVEC FORCE QUE LE COÛT DES CONCERTS, COMME CEUX DES TRANSPORTS, DES LIVRES, ETC EST UN VOL SUR LE SALAIRE »

Puis, écrit à la main et en majuscules : « LA MUSIQUE POP NOUS APPARTIENT ! »

Quelques heures après le concert de Jethro Tull (9 arrestations, 26 mises en examen), dans la même ville de Bologne, 400 délégués venus de Milan, Porto Marghera, Naples, Turin, Gênes, Florence, Ferrare et Rome se réunissent pour fonder la coordination italienne des comités autonomes ouvriers. Leur objectif : poser les bases d’une nouvelle organisation nationale de la gauche révolutionnaire.

Dès lors, la lutte ne se cantonne plus à la question ouvrière telle qu’elle était posée jusque-là. Il s’agit désormais de court-circuiter les syndicats, de s’émanciper des partis, de laisser se noyer les « naufragés du réformisme », d’inventer de nouvelles formes de subversion et de combattre l’ennemi partout où il se trouve. La pratique qui consiste à ne pas payer son billet, qui avait jusqu’ici des motivations principalement individuelles (économiques et/ou distractives), devient un geste révolutionnaire, collectif, réel. À ce titre, l’été 1973 est mouvementé. Au Festival d’Avanguardia di Napoli, le promoteur Massimo Bernardi cède et ouvre les portes aux 2000 personnes regroupées qui refusent en bloc de payer. Devant l’entrée du parc des expositions de Naples est distribué un tract intitulé « LE VOLEUR » qui l’attaque frontalement.

Derrière ce billet qui passe de main en main se trouve Stampa Alternativa. Fondée en 1970 par Marcello Baraghini, cette maison d’édition romaine se présente comme une « agence de contre-information ». À ce titre, elle déclare lutter ouvertement contre la « marchandisation antidémocratique de la musique », « l’asservissement de l’art aux intérêts du capital » et « la toute-puissance d’une oligarchie discographique contrôlant le secteur du spectacle tout entier ». Placée à la gauche de Re Nudo, Stampa Alternativa dénonce à longueur de tracts et opuscules les « pop-ladri », voleurs pop, rouages centraux d’un système pourri, condamnant tout aussi sévèrement leurs complices, c’est-à-dire tous ceux traitant de près ou de loin avec les promoteurs et autres impresari. Pour Baraghini, la scission est claire. Il y a ceux qui se corrompent et les autres. Parmi ces derniers, les autoriduttori (pour auto-réduction) qui décident d’occuper les concerts comme d’autres les usines. Leur programme est simple : entrer sans payer et, à l’occasion, prendre le contrôle de la scène pour partager leurs idées. La principale : le « communisme immédiat » que certains appellent aussi « réappropriation prolétarienne » (quand d’autres préfèrent le mot « pillage ») et qui étend la lutte à toutes les sphères de la vie quotidienne : loyers, gaz-électricité, transports publics, téléphone, etc.

POP LADRI