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"Auld Reekie", sobriquet médiéval de la cité mystérieuse d’Édimbourg, évoque les spectres et les senteurs d’égouts qui planent sur la ville. Ce lieu, X est appelé à l’arpenter chaque matin après son harassant labeur nocturne au Fishmarket. Un jour, un évènement inattendu survient : X constate que son portefeuille lui a été dérobé. Dès lors, il s’engage dans une quête sans merci, entraînant de nombreuses péripéties…
À PROPOS DE L'AUTEUR
Roman V. Sanchez est fasciné par la science hermétique. À la suite de ruptures parfois douloureuses, d’exils forcés et d’éveils, il a ressenti l’urgence de saisir ces reflets du monde et du « moi » et de les transcrire au gré de son imagination.
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Seitenzahl: 110
Veröffentlichungsjahr: 2024
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Roman V. Sanchez
Auld Reekie
Conte
© Lys Bleu Éditions – Roman V. Sanchez
ISBN : 979-10-422-0342-9
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À mon frère immortel Mc Leod,
en souvenir de notre périple sur les hautes terres d’Écosse et de notre discussion prophétique
depuis la old town d’Édimbourg
jusqu'au sable de Portobello...
I love you, brother ! Your Ramirez.
Le verre était posé sur le rebord d’une petite table ronde tapissée de moire ; et comme on l’avait plantée devant le bar de la rue, juste au bord du trottoir, on pouvait voir une petite table ronde tapissée de rue. X se tenait là, debout, avant l’eau, avant le verre, à l’orée de la chaussée ; bavait une prière sur du papier à rouler. Un papier roulé comme lui, diaphane et farci de ronces, avec à la naissance du dos la trace du dernier coup de pouce donné par quelqu’un qui crierait « Feu ! ». Il avait peut-être élu de s’arrêter entre deux réverbères dont les globes impeccables exsudaient le dernier éclat nécessaire. Le jour, bientôt, nouveau, si possible. Les spécialistes en matière de vapeurs s’étaient accordés la veille sur le visage de la nouveauté : ce serait un jour froid et nébuleux en ses prémisses, ne laissant personne d’en haut apercevoir quiconque d’en bas, en somme un matin sécable. À midi, l’astre gèlerait pour recevoir la concorde des rues. Un lundi, rien de plus.
Avant le premier café, rien ne compte ; X sortit de la poche droite de son pantalon un brouillon de main pour aussitôt l’enfourner dans l’autre poche, laissant l’épreuve d’une main gauche revue et corrigée par son nez. Trente-trois petites têtes rouges engourdies en phalanges dans la boîte. La flamme puisée au creux du poing. X ferma les yeux pour inviter en lui la fumée, la rue, le goudron. Il lui semblait que la nuit finissait parce qu’il n’avait plus la force de faire nuit. Il était de ceux qui n’étaient qu’à moitié ; bancal comme cet évier mal posé chez lui. Cet évier qui passait l’eau usée dans ses nervures en laissant filer l’eau dure. Il n’était pas pauvre. Il n’était pas vieux. Mais son aptitude à malmener l’illimité s’amenuisait nuit après nuit depuis qu’il avait découvert que l’Homme finissait. Devant lui, la rue posait. Lui paresserait pas à pas, laissant le sommeil se faire avant de parvenir au lieu non-dit, avant de ficher la copie d’une clé dans l’œil d’une porte d’entrée. Entre deux bouffées, X parvenait encore à savourer la paix des corps, amenant le travailleur las et terminé à son terminus. La clope au bord des lèvres, il étendit les bras, d’abord pour s’étirer puis, dans un geste d’enfant, pour attraper les réverbères par le pied. Il lui suffisait de tendre l’oreille vers le grésillement des globes pour savoir que l’un était plus pâle que lune. L’autre était plus sale. X tira brusquement sur ses fibres endolories pour se suspendre aux deux tiges métalliques, comme il faisait gamin entre père et mère. Il retint son souffle et serra les dents. Du nœud de ses nerfs jaillit l’envie d’inviter toute la violente clarté de cette cité en lui. Édimbourg. La ville aux esprits. Il se mit à songer au choc, à la souillure à rebours, à une transe d’appoint. Il atterrit devin de sa fin. Dans un peu moins d’une demi-heure, il fermerait les yeux en croisant les bras sur sa poitrine à la manière des pharaons, ceux de la grande maison, mais sinon, sans manière aucune. Son pouls se ferait régulier à l’accroche du songe et X continuerait malgré lui à serrer le sucre d’orge et la crécelle, ses instruments de nuit. Il ne les lâcherait qu’au réveil pour assister à l’indifférence d’un monde qui se fout de faire voir au rêveur que le jour chute quand tombe la nuit. Il ne lâcherait rien, ni à l’un ni à l’autre. Tout en lui demeurerait, de l’orge au bruit, du sucre au soir, gavant l’ombre de son insignifiance. Il se tairait sur tout comme sur lui-même. Car c’était en homme qu’il accomplissait ce rite d’enfant. À cinq ans, sans savoir pourquoi, il avait pris la nuit en peste. Sa mère un peu gitane n’avait appelé personne, ni cousin ni médecin.
Par un soir de fête gâchée, elle avait vissé dans ses petites mains les deux sceptres de fortune : dans la gauche, un long sucre d’orge bigarré; dans la droite, un bâton de cri cranté. Ces sauf-conduits vers et depuis le royaume de la nuit eurent aussi pour effet de gâter ses dents jusqu’à la pulpe, mais il acquit une tolérance surhumaine à la musique du réel. Ainsi, chaque nuit, les échos des terminés fuyant leur travail passaient les quatre coins de sa chambre sans verser dans ses tympans ce que le monde brassait d’aigreur. Au reste, X entendait bien ce monde depuis que son corps en avait délibérément accepté les ruptures. Il lui semblait même tout pouvoir entendre de lui, comme le ferait un prêtre d’un homme qui a tout fait à l’autre. Mais le sucre fondait, nuit après nuit, matin après matin, les confondant. Une clarté mixte fit peu à peu irruption dans les abandons de X. Ce matin-là d’ailleurs, il devait en racheter, du sucre. Chez l’épicier qui commençait la rue là-bas.
X se baissa lentement en faisant craquer ses vertèbres endolories puis fit un nœud simple à ses lacets. Jamais double. Jamais. Lorsqu’il se releva, un vertige machinal le saisit, suivi d’une impression de flou, elle-même suivie de rien du tout. La paix des corps. Le pied gauche se décidait à lancer l’impulsion lorsque l’homme entier s’arrêta net dans son flou. Face à lui se tenait un ange – non, une femme ! – non, un ange ! – qui tout compte fait ne se tenait pas tant que ça puisqu’il – ou elle – relâchait sa forme pour se ressaisir l’instant d’après. Ce que X venait de lire de l’obstacle aux yeux liquoreux, il le perdit aussitôt. Un parfum de perfection manquée. De longues secondes passèrent sans que ni l’un ni l’autre ne se décident à causer.
Il fallut que la cendre tombe de son bec bé pour que l’homme sonde la femme d’un regard perçant. Elle se tut. X voyait, sans voir, ses mains dessiner dans l’air autour de hanches qu’il devinait larges. L’impatience le poussa à précipiter le moment sacré où il prendrait enfin connaissance de quelque chose d’elle, ne fût-ce que d’une mèche de cheveux – des cheveux presque blancs – ou de la raison pour laquelle, par exemple, elle s’était dressée sans crier gare sur le chemin du sucre. X balbutia – je crois qu’il chanta même – pendant soixante secondes. Pendant soixante secondes, il voulut n’être pas lui-même sous les yeux de la dame qui, de toute évidence, était sur le point de lui demander quelque chose, peut-être même, tout simplement, de se taire. Comme il se tut avant qu’elle ne le lui demande, ils restèrent là, tous deux, face à face, elle soustraite à lui et lui, tout à elle, dans la vapeur vacante. Pendant la seconde qui suivit, X eut envie de la frapper pour la forcer à être. Il se ravisa aussitôt, la laissa flotter comme cet instant qu’ils partageaient, tout en prenant la mesure de sa chair. Se pouvait-il qu’ils fussent du même âge, du même quartier ? D’un boyau du West Bow ? Ce léger tremblement que l’homme percevait à fleur de peau inconnue répondait au grésillement des deux globes. X finit par ne plus penser à rien. L’autre s’était anéantie. Son souffle n’était plus qu’atmosphère. Son pouls, la naissance d’une rue. Le pied gauche de X se ressaisit sur l’asphalte. Il rabattit d’un air absent les pans de son long manteau dérangé par le vent et s’apprêtait à passer la femme quand la femme revint à elle et à lui.
X se figea, pensa à tout, au feu, au fond d’essence dans ce briquet dont déjà il ne voulait plus, à l’ultime allumette, à la première cigarette du matin devant cet être qui venait de s’allumer pour lui, peut-être. Il ne répondit rien. Il sourit. Il survécut. Sa main gauche replongea dans sa poche droite et en ressortit gavée de têtes au rouge ébréché. Il n’y eut plus de silence. X sifflota dans la brume passante l’air que feu sa mère lui avait appris pour conjurer la nuit. Car l’être qui venait de se déclarer devant lui ne lui disait toujours rien qui vaille avec ses cheveux compliqués et ses yeux battant les deux rives. Après avoir passé par ses tympans le grain de sa voix, X ne fut certain que d’une chose et d’une seule : cette femme était bien matinale. Elle fit un pas en arrière et rangea ses mains dans la fourrure qui lui serrait la taille. X la vit pour la première fois et la toisa sans désir, d’un seul regard, d’un être seul sur l’être unique. Elle lui dit « merci » ; « de rien », il lui dit. Tandis que ses boucles s’éthérisaient sous les luminaires, X en oublia le visage et les courbes du corps. Une seule chose importait : il fallait retrouver l’arôme du sucre d’orge en traquant son fantôme jusqu’à la petite épicerie dont le rideau de perles frétillait déjà de l’autre côté de la chaussée. Il contempla le mégot qui venait de lui échapper des lèvres pour venir s’humilier sans bruit à ses pieds. Son jour à lui aussi allait venir et sa journée finir et il risquait fort de ne jamais vouloir se réveiller. Le sucre, donc, bientôt. Un klaxon insupportable le força à s’engager ailleurs pour accepter le feu vert qui répétait sans lui. X compta les zébrures qui l’acheminaient mathématiquement vers la rue qu’il allait s’offrir pour la Xe fois sans toujours parvenir à trouver un sens à son passage. Victoria Street, la lune des pauvres. Il voulait voir aussi peu de cette rue que possible. Rien, même si ce rien pouvait seulement lui épargner son pèlerinage hasardeux vers le sommeil. Pourtant, quelque chose lui disait qu’il était fait pour elle. Il était son piéton, elle, sa piétonnière, supportant son retour d’un lieu sale et salé comme le poisson qu’il triait, écaillait, maquillait dès sa venue au Fish Market. Il n’était pas sept heures et il sentait déjà mauvais et elle sentait toujours mauvais. L’un dans l’autre, ils ne ressemblaient à rien. Les pavés affleurant comme des chicots de vieillard sur le commencement – ou la fin – du chemin trafiquaient des angles sous les talons de X dont l’équilibre s’amenuisait avec la fatigue.