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Dans un monde voué à la nuit, un mariage magico-cannibale ramène la lumière du matin… et le mélange des genres… Des siècles plus tard, le royaume de sa majesté Galle le Mélangeur, né d’une morne impériale et d’un vif royal, reste divisé entre mornes et vifs, jusqu’au jour où l’un des mornes du royaume, sale et seul, se pique d’une passion inhabituelle pour son « genre » : collectionner les perles qui poussent dans la chair de ses congénères. En chemin, il s’attache, littéralement, à une jeune morne et leur amour menace l’autorité de Galle le Mélangeur. Quelles seront les ambitions du roi à la suite de cet évènement ? Quelles conséquences ces dernières auront-elles sur son royaume ?
À PROPOS DE L'AUTEUR
Depuis de nombreuses années,
Roman V. Sanchez éprouve une profonde fascination pour la science hermétique. Au travers de ruptures parfois douloureuses, d’exils forcés et d’éveils, il a ressenti l’urgence de saisir ces reflets du monde et du Moi. Avec
Les Mornes, il emporte le lecteur dans un monde sombre et magique où même les zombies peuvent tomber amoureux !
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Seitenzahl: 113
Veröffentlichungsjahr: 2023
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Roman V. Sanchez
Les Mornes
Roman
© Lys Bleu Éditions – Roman V. Sanchez
ISBN : 979-10-377-8758-3
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À Chika, mon bébé du shogun, à ma Gugunna,
à mes anges d’Égypte : Valérie, Mohammed et Yasmina et à toutes les âmes charitables qui m’ont sauvé
pendant ma traversée de la nuit, je vous aime !
Les paroles s’envolent
Les mots s’écoulent vers le centre
Au centre, on dîne
« … l’homme s’est retourné et, d’une franche poignée de main, il lui a brisé les os. Ça s’est passé devant mon père et moi caché derrière. Depuis, j’ai grandi et cette peur en moi de saluer qui que ce soit et du salut en général. »
« Je vois, je vois, fit l’autre général. J’en suis à une guerre de plus que vous mais il m’arrive aussi de décliner toute forme de salut qui ne soit pas militaire. Non par peur ou par souvenir de la peur, mais par hygiène ou plutôt, comme lors de ces longues campagnes qui s’étirent comme des chats sur les toits des pays méridionaux, par souvenir de l’hygiène. »
Les deux hommes arpentèrent le sous-bois à la lueur d’une torche vive qu’ils portaient et ressuscitaient à tour de rôle. Les bouleaux se déclaraient à eux, prétextant pousser là où ils ne marchaient pas car les généraux étaient forts et vieux, bien plus vieux qu’eux. Leurs racines plongeaient jusqu’en enfer. Aucun des généraux n’eut l’indélicatesse de se perdre ou de perdre l’autre, sinon de vue, discrètement, et pourtant là encore, les galons du premier luisaient pour le second. Pendant cette longue marche, chacun muni d’une craie signait l’arbre qu’il allait saigner ; d’une vilaine croix, l’arbre qui tomberait peut-être, d’une belle croix bien droite, celui qui chuterait sûrement. Il n’en fallait plus qu’un pour qu’ils s’en retournent vers les autres. Cette nuit-là, encore, il n’était pas question de lune et la nature se contenait. De longues tables piquées d’un tissu approximatif avaient été dressées à l’orée du bois, à cet endroit où le jardin s’oubliait et où toute civilité n’était plus faite pour le registre. Soudain, les généraux recueillirent le tintement en canon de la vaisselle d’argent sur coupes et en conclurent qu’il leur faudrait choisir. Le plus expérimenté trouva l’écorce pour y tracer la branche horizontale. Le second compléta en souriant pour lui-même dans le noir.
« À propos, fit l’ancien, ma première campagne a bien failli être la dernière… peu importe, un pays perdu pour nous ne l’est pas forcément pour lui-même. C’est ce que devait penser l’homme de Dieu quand je l’ai vu descendre le long d’un puits bien trop grand pour lui mais trop petit pour notre armée. D’une autorité que toujours je m’obstine à ne pas reconnaître, il avait reçu ordre de localiser le siphon de cet étrange évier qui aurait servi, selon les écrits de ses pieux cousins explorateurs, de lieu sacrificiel. Un autel liquide, en somme, où les élus des prêtres sauvages venaient trouver le sommeil. Je ne suis pas trop sûr de ce qu’était vraiment ce puits ni cet homme d’ailleurs… tout ce que je sais, c’est que je les ai vus l’un dans l’autre déborder d’une énergie inconnue à mes hommes à mesure que leur fond affleurait. » La hache de l’ancien entama l’écorce du plus vieux bouleau ayant passé la foudre. Toujours selon leur petit rituel, l’autre général tira de la poche de son veston un drapeau blanc qui n’avait pas servi et qu’il étendit au pied de l’arbre. Puis il se leva muni de sa hache pour cogner à son tour.
« Je le revois flottant dans sa bure, dépassé par la nuit et sa couvée. Agrippé du bout des ongles à la paroi, il nous conjurait de ne pas approcher et mon colonel préféré – il vit encore, le pauvre ! – qui est un grand superstitieux, n’arrêtait pas de nous répéter qu’il nous conjurait, nous, du fond de ce maudit puits ! Malgré moi, mes hommes n’avançaient pas. Ils avaient fini par planter leurs armes dans la terre meuble avant de former un amphithéâtre autour du moine. Car cet homme oblique était un peu leur guerre et ils redoutaient de le perdre. »
Le général marqua une pause afin de reprendre haleine. L’autre l’imita aussitôt, peut-être par courtoisie, sans doute aussi pour éviter d’afficher sa vigueur devant un homme si décoré. Du reste, leur office pouvait attendre. De l’autre côté du noir maculé de bouleaux, les coupes ne tintaient plus. On s’était résigné, songèrent-ils.
« Hydratons-nous, mon général ! » lança le moins vieux. Un éclair de gourmandise traversa son œil unique.
« Je crois que je ne m’habituerai jamais ni à cette chaleur ni à cette obscurité. La seconde est polaire, mais la première… »
Le général sortit de la poche gauche de son pantalon impeccablement pincé une flasque noire frappée de la croix de guerre. Il versa une goutte sur la souche autour de laquelle ils s’étaient accroupis avant d’offrir la première gorgée à l’autre général.
« À vos hommes, où qu’ils soient… » déclara le puîné en le fixant tristement.
« Ils ne sont jamais loin, mon général », soupira l’autre. Puis ils burent en silence, à tour de rôle, choquant leurs palais de ce liquide ardent clandestinement précipité dans les caves des pays froids.
« L’homme, lui, tomba, reprit l’ancien. Je revois flotter sa bure à ses côtés comme un mauvais pavot. Il disparut pour réapparaître plusieurs fois, montrant son cul à mes soldats qui riaient aux éclats en mimant les archers de Saint-Sébastien. Ce jeu s’éternisa, ponctué par les reliques que le baigneur portait en triomphe à chaque remontée. Puis plus rien. Plus de reliques. Plus de saint. Plus qu’une onde poisseuse qui se frayait un salut à travers les mailles de la bure. Alors mes hommes, du plus brave au plus discret, suspendirent leur souffle. Ils ne le reprirent que contraints et forcés par l’insupportable puanteur qui s’élevait du puits, attaquant même la roche. On aurait dit que mille ans de guerre défilaient pour nous, pour nous préparer à ce que nous allions devenir : des désarmés. »
Le moins vieux se leva en avalant de travers. Il ficha la lame de sa hache dans l’entaille de l’arbre. Un peu de sève en sortit, ce qui conforta les généraux dans la bonne conduite de leur office. L’ancien inspira profondément, se leva puis rengaina la flasque. Sa hache répondit à l’autre.
« Il y eut des couleurs pour les survivants. Comme des fleurs poussant dans le foyer de la puanteur. À cette différence près que ces couleurs portées en flambeaux par l’eau n’attiraient pas les insectes, pas plus que l’odeur sépulcrale qui les accompagnait. C’était ma première marche en tant que général et vous qui me valez savez pertinemment qu’un général ne marche jamais avant d’y être contraint par des circonstances extrêmes. Telles étaient les circonstances qui avaient poussé mes soldats entraînés dans des conditions extrêmes aux extrémités du puits afin de prendre à revers un bataillon de sauvages qui s’attendaient à tout sauf à nous voir émerger de leur sacré nombril. Et je vous prie de croire que mes hommes étaient sacrément durs ! Et qu’après la première salve de puanteur, le tiers d’entre eux était sacrément mort ! »
L’ancien concentra l’influx paraissant dans ses fibres sèches et d’un coup d’une violence jamais revue depuis sa dernière bataille, il entama le tiers du tronc. Enfin, la colère s’effondra sur ce qui lui restait de vie et il partit s’asseoir sur la souche en soufflant péniblement. L’autre poursuivit seul son office mais amortit sa cognée par respect pour l’aîné.
« À vrai dire, ces couleurs me génèrent très vite, reprit le général. Elles avaient quelque chose de diabolique qui semblait pourtant rassurer les vivants de mon armée. Aucun d’eux, cependant, ne se hasarda jusqu’à elles. Il y eut encore un peu d’étoffe au fond, juste le temps de boire l’arc-en-ciel. Au moment où je faisais l’appel des morts, mon colonel préféré m’interrompit en frottant l’une de ses médailles : une petite fossette s’était formée au cœur des couleurs. Mes hommes virent ce qui paraissait de jeunes feuilles déchues tournoyer autour de la fossette pour finir par s’y laisser engloutir. Alors ils jetèrent davantage de torches au fond du puits et dans les concavités de la roche puis constatèrent que la fossette virait lentement au tourbillon, aspirant toute lueur, toute clameur. Il me sembla que le puits recrutait morts et vivants en prenant d’eux ce qu’il pouvait, feu, souffle, sueur, peur… à satiété. Car il y eut bel et bien une fin à cette féérie liquide. L’eau vint à manquer. Nous vîmes bientôt un lieu ou plutôt un abîme, puis, en lieu de l’abîme, nos reflets. »
« Alors qu’il n’y avait plus d’eau ? » demanda le moins vieux, fasciné.
« Alors qu’il n’y avait plus d’eau, continua l’ancien d’une voix égale. Chacun de nous en contrebas portait sur sa face quelque chose du moine. Nous qui étions faits pour nous battre côte à côte, nous sentîmes soudain profondément seuls. Ce fut même à cet instant précis que l’une de nos torches lancées en éclaireuses découvrit le visage de l’ennemi. Leur bataillon s’était regroupé en silence sous la corniche du puits. Ils avaient dû passer là un bon moment à nous observer et à se demander s’il leur faudrait absolument interrompre notre petite guerre particulière. Finalement, ils nous fixèrent dans les yeux de nos reflets pour y lancer un objet aux arêtes fort discrètes. L’obscurité le rendait parfaitement méconnaissable. Nous rentrâmes sains et saufs et vaincus. »
À ces mots, l’ancien fit vibrer la lame de sa hache et en dépit de la faiblesse du coup, l’arbre s’effondra. À peine si sa chute, amortie par l’épaisse mousse qui gonflait en sous-bois en cette période de la nuit, troubla le sommeil des bêtes. Les généraux recueillirent les copeaux dans le drapeau blanc qu’ils plièrent plus en scouts qu’en militaires. Ce fut au tour de l’ancien de porter balluchon et à celui de l’autre de boire seul à leur santé. Ils cheminèrent, torche éteinte, vers la tablée en se rappelant à l’obscurité.
« Au centre, on dîne », répondit Denis, la tête vissée entre les mains par une méchante migraine.
« Eh bien je crois que nous avons fait le tour des choses, affirma l’autre. À présent, si vous voulez bien m’excuser, je vais aller me rafraîchir. »
Sa mission achevée, Denis se laissa tomber sur l’une des chaises en fer forgé fichées çà et là aux abords des longues tables. À mesure que les cigales travaillaient son crâne, les mots des voisins de fête s’enflèrent d’un sens qu’il voulut coucher sur la nappe car ses fibres s’y prêtaient. Denis sortit sa plume mais se ravisa aussitôt. « Cette fête n’est pas un sujet, se dit-il. Il lui fallut toute la peine de ce monde et de l’autre pour ne pas dévisager chacun des convives avant de hurler : Savez-vous que vous vous répondez les uns aux autres ?! ». Denis était maudit. A priori, il savait, et riait a priori. Le champagne n’avait pas quitté sa coupe qu’il était ivre. « Une nuit, se répétait-il, je m’endormirai avant l’heure ». Les cigales tombaient tour à tour des branches qui ployaient au-dessus des nappes. Leurs stridulations empestaient le gaz éclos à fleur de coupe et Denis entendait tout trop bien, trop fort. Il quitta les séniles qu’il venait d’édifier sur les remaniements architecturaux du manoir pour flâner entre les groupes d’invités. Il ne connaissait personne. Personne n’en valait la peine, excepté les époux qui n’avaient pas encore fait leur apparition. On disait d’eux les choses les plus abstraites :
« Ils se ressemblent avait confié le prêtre à l’une de ses ouailles. J’ai personnellement refusé de les unir l’an passé faute de registre de naissance. Rien ne prouve qu’ils ne soient pas frère et sœur… »
Le prêtre n’aurait choqué personne ici. Tous pensaient la même chose. On était de la fête plus par curiosité que par amour des hôtes. Il y avait eu mariage, célébré en infime comité et en un lieu consacré. Les promis avaient échangé leurs vœux roulés dans des cylindres de cuivre. « Une tradition d’ailleurs », avaient commenté les sédentaires – du reste ils l’étaient tous, dans la continuité de cette nuit sans origine ; nés au hameau pour y rester, pour allumer n’importe quand leur lampe de chevet en y lisant que le jour n’était pas passé –. Et dans ce jardin hérissé de réverbères et de vasques, ils l’étaient plus que jamais : debout, sédentaires, chacun à sa place, imperturbés par l’invitation au geste lancée par les chaises en vrac.
« Les domestiques sont des gens qui appartiennent à la maison, mon chéri, lança une mère à son fils resté bouche bée devant les silencieux partis vers la salle à manger, au centre, on dîne, mon chéri. »