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Trois personnes partent en exil vers une mystérieuse cité logée en haut des Pyrénées. Là-bas, leur rencontre suscitera le réveil d’êtres antédiluviens qui sommeillaient sous deux bassins magiques. Loin, très loin, leur mère patrie vient de ressurgir des flots. Nos trois héros scelleront un pacte avec les anciens. Où cela les mènera-t-il ?
À PROPOS DE L'AUTEUR
Roman V. Sanchez est fasciné par la science hermétique. À la suite de ruptures parfois douloureuses, d’exils forcés et d’éveils, il a ressenti l’urgence de saisir ces reflets du monde et du « moi » et de les transcrire au gré de son imagination.
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Seitenzahl: 152
Veröffentlichungsjahr: 2023
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Roman V. Sanchez
Mer
© Lys Bleu Éditions – Roman V. Sanchez
ISBN : 979-10-377-8566-4
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À ma mère, mon océan primordial,
À ma petite soeur chérie,
À nos frères et sœurs de l'école primaire Henri Poincaré
(Corentin, J.B., Bertrand, Nicolas, Alex, Amélie, Faustine, Carole)
Et à nos frères et sœurs aventuriers du bac à sable (Paul, Fred, Florent, Mickaël, Thomas, Fabien, Antoine, Gabriel et Charlotte)
À notre enfance, cette Atlantide de lumière.
Roro
La terre montait. Monsieur Nouin se dégagea du matin qui trafiquait de l’insecte aux abords du jardin. Du portail à la porte, il y avait cinq pas qu’une quinte, pyrique, menaça. L’air en lui appela l’air, juste assez pour prétendre à la rectitude de celui qui veut tomber. Sur la porte, Monsieur Nouin tomba, défit la lumière dans la serrure, refit l’embrasure. Lui fou, lui furieux jura sur le sang des oiseaux que l’épouvantable jour était revenu pour rien, que lui vivant, il s’achèverait sans vent, sans silence autour de lui, silencieux. Il interrompit le vide qui maniait sa maison de pierre, de bois et de verre dans la ferme intention de briser. Il aimait ; ce galet salé retrouvé dans une poche qui se mit à voler juste assez obliquement pour garder la face, une face unique tournée vers le ciel où scintillaient des incrustations de sel ; ce grand bol qui paraissait sur un trépied, avec ses fleurs noires tourbant l’eau dormante. Les fleurs tombèrent juste assez pour figer leur suc. L’eau tomba ; il en tomba juste assez sur le grand tapis blanc. « Je vais te saigner », répétait l’homme à sa maison, « je vais te saigner » et la main qui lançait saigna loin du ciel et du scintillement. Elle folle, elle furieuse se replia comme un oiseau à terre. Elle trouva la chose prochaine à la pierre, à la fleur, prit le temps de la défaire – c’était du vieux bois –. La colère monta. Monsieur Nouin monta. Il trouva dans l’alignement catastrophique des meubles l’espace rond comme la tête d’un bébé dont il puisa l’instrument. « Je vais te gaver, je vais te gaver ! » hurlait l’homme à son vide. Sur le rebord de la fenêtre, il aperçut un ver précipité d’un bec. Il s’était noué. Monsieur Nouin se retourna l’instrument à la main. Il vit comme celle-ci tachait tout comme elle-même. Il vit comme l’instrument. Dos au ciel, il se mit à frapper mélancoliquement le tableau incrusté dans la niche du mur nord. Deux armées s’y affrontaient. La piétaille marchait. Les chevaux marchaient. Dans l’autre ciel gonflaient les cuirasses sous deux astres brodés. Monsieur Nouin frappa les chevaux, épargna les soldats. Lorsqu’il eut éteint la toile, il roula le verni enfariné par l’air ultramarin pour le lancer aussi loin qu’un homme peut lancer une armée. Sa fureur se reporta sur tout ce qui croissait et paissait au grenier. Les plantes grasses fondirent sous l’instrument, les cactus crevèrent comme des cruches fatiguées, il n’y eut pas une mouche qui ne céda son sucre à l’ombre des fruits. Monsieur Nouin redescendit en courant. De la main qui ne saignait pas, il envoya dinguer contre la baie vitrée de longs vases noirs à col fermé qui laissaient les vieux rois dîner sur leur panse. Les vases rebondirent contre le jour, contre la poutre, contre les lames du parquet pour finir par se répandre sur la laine blanche et salée. « C’est une salle de séjour, c’est une salle de séjour », psalmodia-t-il fiévreusement et il acheva les tessons du talon en hurlant : « nuit au séjour ». Sur le chemin de la cave, il épargna le visage pâle d’une odalisque. Celui de Tlaloc – un original – vola en éclats dans la niche Ouest, toussant l’or pulvérulent jusqu’au hublot d’un fourneau souterrain. Là redoubla la fièvre. Monsieur Nouin lança l’instrument sur des vases canopes empilés comme des pots de confiture sur une étagère. Les couvercles sautèrent et le casseur entendit des loups hurler. Il porta à son ventre la main qui saignait, prit le pouls de l’air qui passait le monde en lui puis fonça à toute allure sur chaque plan de sa maison de pierre, de bois et de verre, martelant les sols, griffant les plafonds, piquant les murs, vaporisant les alcôves, liquéfiant les chandeliers, faisant poussière là où il doutait. Il remonta au salon puis au grenier, redescendit au salon et lorsque son corps maigre eut cédé à la dernière démangeaison tellurique, Monsieur Nouin arrêta net l’instrument dont le tranchant revenait vers le visage de l’odalisque. Dans son petit jardin se tenait, immense, une pierre.
Par le vent. On apporte du poisson à Adam. La main du grand-père quitte sa panse pour aller creuser une barbe immense. « Ton premier cas d’école, mon garçon ! » Des salves de sable rouge poivrent le plat mais il n’est rien, sur cette terrasse solaire, que l’on puisse faire. Adam doit tout finir, proprement commencer, ne rien laisser. On mettra les arrêtes de côté. Au large, il y a des marins en vacances et des hommes libres puant l’avarie. Adam les voudrait penchés par-dessus ses épaules, leurs yeux glissant sur la constellation d’écailles. D’un premier trait de couteau, il ouvre le monde que les premiers mondains lui ont préparé. La chair est rose, spectaculaire. Adam mange. Ceux de son sang regardent l’enfant. D’un œil sec, on en vient à ergoter sur la manière dont le vent, plus mûr que dans le temps, distribue l’esprit de crème solaire aux quatre coins du sable. Adam mange. On s’interroge. Qu’y a-t-il dans le ventre du poisson qui n’est pas dans le ventre du vent ? Pourquoi le vieux chalutier s’est-il figé à l’instant entre deux balises rouges et blanches ? Et quel est ce son ? Quand passerons-nous à un vrai dessert marbré de liqueurs durcies autour de fruits liquoreux ? Deux enfants de mendiants surgissent de parasols éteints : on les chasse à force de sel et de larmes de citron. La rumeur fait un tour de table avant de se resserrer autour du plat. Adam a mangé. Tout. Comme un grand, comme son père, comme le père de son père. On s’émerveille, surtout le grand-père qui a vu le fils de son fils séparer l’écaille de la chair, la chair de l’arête, le corps de la tête. Un rire de génie s’élève de sa panse, puis la sentence : « Garçon, un curaçao pour mon garçon ! ». Entre deux « mais comment a-t-il fait ?! » passe le vase au bleu inventé. Adam glisse « Je me souviens, grand-père… ». Ceux de son sang l’embrassent sans l’écouter. Bientôt, de lourdes nuées couronnent la table et l’enfant imagine en elles tout en se laissant gagner par le sable. Puis il va récolter le grain rouge dans la rainure de la rambarde. Il se retourne : derrière lui : la mer. Devant : la terrasse, offerte, cliente. Ses pavés repeints en blanc témoignent encore des glaces de passage. D’autres enfants jouent dans un coin. Adam garde le sien. Depuis lui il voit, saisit qu’il est de tristesse et d’autre. Soudain, son père hurle son nom, le pouce lourdement appuyé sur un mégot. Adam se fige, s’infuse dans le béton. Enfin, le père de son père l’arrache à l’angle de la terrasse.
« La mer, grand-père… »
« Oui, oui, on y va ! »
« Je me souviens… »
Le petit index pointé vers le périmètre idoine se déporte de dix pas sous la poussée des vieux bras :
« Elle était là… »
On avait pensé une petite forêt tropicale au cœur du patio de l’école primaire Henri Poincaré. À grands coups de poumons étales, le vert soupirait. L’été, des essaims d’insectes truqués revisitaient leurs mères. Le reste du temps, l’école était au continent. Deux étages plaqués d’un marbre uniformément faux encadraient la forêt, ordonnant les portes autour du foyer dont les rejets versaient le vertige depuis le dôme de verre. Adam vit son sang perler sur chacune des marches de l’escalier. Sans rien saisir de son corps, il prit le temps d’en répartir le contenu sur le sol, imprimant ici une frénésie, là un pas. Il sauta la dernière marche en toute hâte avant de se hisser sur le muret en brique crue qui bordait les racines des oreilles d’éléphants. Une fois ancré, il se dressa vers l’une d’elles et la fit plier pour y déposer une larme vermeille. L’enfant entendit la plante répondre à son sang. Il lui sourit mais la fit taire, comme on lui avait appris la douleur, comme on lui avait enseigné la raison. Sa plaie le porta par-delà les fougères, le long du petit corridor en pente douce menant au préau. Sur les piliers bleus bombés, la direction avait tracé des directions : une flèche vers la cantine, une autre vers la cour de récréation. Elles n’étaient pas pour les élèves mais pour le profane et trois fois par jour les surveillants riaient d’Adam qui s’y arrêtait pour reprendre obliquement les signes en réprimant le frisson que lui procurait cette façon de salle hypostyle. Aujourd’hui, l’enfant s’était mis à saigner entre deux pauses, en plein verbe et il n’y avait personne en cette heure désolée pour le contenir dans ses arrêts. Il contourna les piliers à une vitesse d’usage puis contourna les usages. L’ivresse arqua son corps, décochant hors de sa gorge un formidable caillot de pollens éteint et de poussière de craie. À bout de forces, Adam sentit passer en lui toute une astronomie. Il eut sang et soif. Soudain, la fraîcheur émancipée d’une salle d’eau heurta son derme ouvert. Il n’y courut pas mais s’y rendit sans passion avec au doigt le vermillon.
« J’entre dans la salle seul et dépeuplé. Loin du sel vendu en vrac, ici je vais me laver. » Le refrain contenait les scories d’une autre langue. Chaque fois que l’enfant les passait sous la sienne, il goûtait la lumineuse faiblesse du berger assis sur la pierre dont jamais il ne saurait la naissance. Primaire, primaire était l’école et ce lieu conçu pour une raison était inconcevable pour d’autres. « Les taches vivent », nota l’écolier avant de plonger sa plaie sous l’eau. Son pied attaqua les briques de lait éventrées jonchant les carreaux au pied de la fontaine. La faute aux « grands » qui jouaient à les gonfler afin d’en tirer d’un coup sec un son tonitruant. Adam se souvint qu’on lui avait confié le secret du tonnerre en échange de l’une de ces briques. « Juste sous la fontaine, c’est là qu’il faut les crever ». La vasque plantée au centre de la pièce tremblait encore de ce qu’elle avait servi à communiquer et l’enfant, dont la douleur s’était tue, tendit l’oreille : de l’autre côté du mur partaient les tubulures, chacune d’elles sorties de terre avec l’eau pour raison et pour appel, l’air. C’était lui l’accidenté que les « grands » enseignaient aux « petits » entre deux cours. En lui, Adam se mit à circuler. Il passa d’urinoir en urinoir, y trouva des choses et des trucs qui ne pouvaient pas sortir de corps. Il y chercha des sucs, trouva qu’ils étaient plus rares que l’or. D’un geste syncopé de l’index, il envoya son sang se promener à travers l’urine et la glaire. Un deux trois, un deux trois, un deux, « J’entre dans la salle seul et dépeuplé. Loin du sel vendu en vrac, ici je vais me laver ». L’enfant n’aimait pas les monstres. Aussi pâlit-il à la vue de ces choses et de ces trucs qui ne pouvaient sortir de nouveaux corps. Ils vaquaient à leur gésine, culbutés par la matière morte, glissant par à-coups au creux de la faïence, seuls, contigus. Au bout d’une minute rare, Adam se désintéressa de leurs sifflements pour suivre ceux des tuyaux jusqu’à l’autre versant de la salle d’eau. Inutilisables en fin de journée, les petites vasques se contenaient. L’enfant en comprit immédiatement la violence et se jura d’y retourner le lendemain matin avant tout le monde, à l’heure de porcelaine. Sa plaie fraîchement rouverte le déporta vers le centre de la salle où il retrouva la fontaine, cette fois avec un pincement au cœur qui n’avait rien à voir avec la douleur, qui n’avait d’ailleurs rien à voir avec rien puisqu’il était de la race de l’air qui forçait l’eau dans ses tuyaux, de la race de l’appel. En lui décantant, l’enfant conçut la double envie de saigner et de jouer avec l’élément, ce qu’il ne put d’abord faire à cause de la briquette de lait gonflée et abandonnée telle quelle à ses pieds. D’un coup parfaitement sec, il la fit exploser et tandis que l’univers plaquait sa doublure de chair sur le moindre grain de la pièce blanche et souillée, bourdonnant dans les siphons, exhaussant la crasse, l’enfant naquit grand avec entre ses mains une masse. Une masse qui se contient devant les monstres qui sont son sang. Adam passa le reste de l’heure rare à rire de ses travaux. De ce luxe il récolta ce qu’aucun écolier avant lui, pas même un « grand », n’avait pu recevoir depuis la rénovation du bâtiment : une heure de retenue. Il s’y prépara dans la paresse.
Par la glace. Ses manières fascinent le soleil des Pyrénées. Assis sur elle, sous lui, Anselme voit grand. Son grand âge le déguise en vieillard aux yeux de son sang. D’une grimace de foire, il capte les pensées communes précipitées au fond du véhicule.
« Il n’a pas marché. Nous l’avons conduit. Il n’est pas arrivé seul mais par nous, parvenu. »
Les autres attendent dans l’occasion, portières ouvertes : qu’Anselme en ait fini avec le paysage, qu’il se lasse de l’astre, qu’il frissonne, peste, demande sa canne ou la grâce et qu’on en finisse avec la contemplation pour se recomposer graduellement, à chaque virage vers la vallée.
« Ce sont des cons », maugrée Anselme pour lui-même et dans un geste de partage, il se tourne vers les siens :
« Vous êtes des cons. »
Le vieillard a prié les cons de placer la glacière bleu usé dans le coffre arrière du véhicule et ces cons l’ont fait. Sans même demander pourquoi, on y a logé le grand cube de glace accouché du congélateur de l’hôtel. Un cube si parfait que personne encore ne sait dire s’il est parfaitement translucide, parfaitement sec, parfaitement froid ou parfaitement brûlant. En substance, c’est un objet pratique et encombrant qui s’applique à fondre ou à ne pas fondre selon qu’il est posé dans le véhicule ou en dehors et en ce misérable instant d’attente et de méditation, on prie de chaque côté des portes pour une chose ou l’autre.
« Je ne quitterai ce lieu que lorsque mon cul canonique aura touché la pierre ! » décoche Anselme aux prieurs de fonte. Dans l’occasion on grelotte, on se couvre, on ferme les portières puis les vitres, on se condense, on se raidit jusqu’à ressembler au contraire de ce pourquoi l’on prie. Peu importe au vieillard confortablement assis sur l’ennemi de famille, ses yeux glauques abîmés dans la crypte azurée. Ses forces viennent de le quitter et il paraît mort aux cons de son sang. Parce qu’il s’efforce de ne pas regarder en contrebas, vers la condition de sa gloire. Vient l’instant discret où le nuage voile le soleil et où le glauque fond sur l’autre, dévoilant le château.